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  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
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17 juillet 2023 1 17 /07 /juillet /2023 21:47

Le corbeau n'est (officiellement) que le deuxième long métrage de Clouzot, et pourtant quelle maîtrise! Tout est déjà en place, la mise en scène sûre et définitive, la méchanceté des dialogues (Co-signés avec le scénariste Louis Chavance, mais la patte de Clouzot est inimitable), la description d'un univers provincial cruel et rongé par l'amoralité, et un sens de la construction qui assujettit l'acteur, dans un cinéma Français dominé par la manie des monstres sacrés... ne nous y trompons pas, les acteurs sont tous excellents (y compris la fade Micheline Francey, utilisée précisément pour sa transparence) dans ce film. Le corbeau a aussi (surtout, dirons certains) nourri la polémique: venons-y tout de suite.

Le corbeau est donc une production Continental, comme 29 autres films de la période 1941-1944. parmi ceux-ci, des classiques (Au bonheur des dames, d'André Cayatte, La main du diable de Maurice Tourneur, ou encore L'assassinat du père Noël, de Christian-Jacque), et on y dénombre trois films auxquels Clouzot a contribué, d'abord comme scénariste: Le dernier des six (1941), de Georges Lacombe, premier film avec Fresnay en commissaire Wensceslas Vorobéïetchik. Puis, fort de son succès et de son autorité il s'est vu confier deux réalisations; le premier de ces deux films, L'assassin habite au 21 (1942), d'après un autre roman de Stanislas-André Steeman avec Fresnay à nouveau en Wensceslas Vorobéïetchik, puis, bien sûr, Le corbeau. Outre Clouzot, les trois fims ont un autre point commun, en la personne de Pierre Fresnay. Pierre Fresnay, homme de droite, dont la vieillesse a coïncidé avec un flirt ambigu et assez poussé avec l'extrême droite de Jean-Marie Le pen, pour la maison de disques duquel Fresnay a enregistré un certain nombre de textes sur disques, notamment les "poèmes de Fresnes" de Robert Brasillach. Pas anodin quand on considère l'histoire compliquée de ce film

Et justement, les 30 films Continental sont aujourd'hui célèbres pour avoir été au coeur de la tourmente purgatoire à la libération, lorsque des cinéastes, acteurs, scénaristes et techniciens ont été accusés de collaboration pour avoir travaillé à la Continental, firme dirigée par un Allemand placé là par Goebbels lui-même, Alfred Greven, dont l'ambition affichée était de créer une structure de création et de diffusion Franco-Française, avec des films de distraction, principalement comédies et policiers, dans lesquels les artistes Français trouveraient à s'exprimer, sans avoir trop de choses à dire.

Pourtant, l'intention de Goebbels était différente: il souhaitait asseoir la domination de l'Allemagne sur le public Français, en créant une société incontournable. On notera qu'il n'est en aucun cas question ici de propagande, et dans l'ensemble les films en étaient dépourvus. Mais il ne faut malgré tout pas oublier qu'Alfred Greven était un nazi encarté.

L'autre exemple de problème posé par la Continental, et le plus célèbre, c'est donc ce film: histoire policière basée sur une affaire de lettres anonymes, il a été accusé à la libération de montrer un visage honteux de la France, supposément voulu par les Allemands pour salir notre beau pays. Clouzot a été frappé d'indignité Nationale, emprisonné, et empêché ensuite de faire son métier jusqu'à 1947.

On le sait aujourd'hui, cette condamnation n'avait aucun sens, d'une part parce que Le Corbeau n'a aucune espèce de rapport avec la propagande Allemande, d'autre part parce que le film s'est avéré gênant pour l'occupant, révélant un pan de quotidien dont on ne parlait pas, en ces temps ou dénoncer son voisin était encouragé par les nazis. Pour en finir avec cette histoire, quant à l'accusation de salir notre beau pays en montrant les Français comme d'incorrigibles salopards avides d'espionner, salir, exclure et calomnier leurs voisins, il faut bien reconnaître que les Français étaient, et sont encore comme ça. Oh! pas tous, bien sûr... Mais il y en a. 

Un corbeau, c'est un dénonciateur anonyme tout autant qu'un anonymographe (Le terme est celui utilisé dans le film par le spécialiste), c'est donc assez ambigu: d'une part, le personnage dénonce maladivement, que ce soit vrai ou faux, et d'autre part il ou elle se pose en moraliste dans la mesure où tout ragot peut avoir un fond de vérité. De même qu'aux Etats-Unis, les historiens Morris et Goscinny ont bien montré qu'un chasseur de primes profitait d'un système légal, mais était méprisé par la population, tout en amenant à la justice des gens qui avaient effectivement commis des crimes, l'histoire du film montre bien que la population victime d'un anonymographe en profite pour se purger, en pestant contre le "corbeau", mais en suivant ses jugements. Le film raconte donc comment un corbeau sème la panique et la zizanie dans une petite sous-préfecture en s'acharnant en particulier sur le taciturne docteur Rémy Germain (Fresnay) accusé de pratiquer des avortements à la chaine. Les lettres se multiplient, provoquant d'une part le suicide d'un homme atteint d'un cancer du foie, et qui ne se savait pas condamné avant de recevoir une lettre, d'autre part la colère de la population qui se cherche un bouc émissaire, le trouvant à un moment en la personne d'une infirmière aigrie et vieille fille, mais la population (relayée par ses édiles) finit par se retourner contre la principale victime des lettres anonymes, le docteur Germain.

Pour commencer à faire le tour d'horizon du film, il convient sans doute de présenter ses personnages, l'un des forte de Clouzot étant dans le fait de construire des personnalités valides, rendant l'intrigue solide. On en dénombre au moins douze particulièrement définis, un grand nombre desquels ayant des secrets souvent inavouables:

Le docteur Germain (Pierre Fresnay): excellent médecin, le docteur Germain cache un secret lourd, et une identité inattendue, qui fait l'objet d'un petit suspense interne. L'homme a, effectivement, pratiqué des avortements, mais tous en des circonstances durant lesquelles la vie de la mère était en danger. Il est aussi accusé de fricoter avec Laura Vorzet, mais a une relation durant le film avec Denise.

Le docteur Vorzet (Pierre Larquey): spécialiste psychiatrique, le tranquille et sympathique docteur Vorzet est un patriarche, un connaisseur de la morale humaine, qui apporte un grand nombre d'informations utiles dans le film, ayant été nommé expert en anonymographie sur plusieurs affaires.

Laura Vorzet (Micheline Francey): mal mariée, Laura Vorzet cache sa frustration derrière son métier d'assistante sociale. Elle est amoureuse du docteur Germain, ce qui n'est pas sans poser quelques problèmes dans cette petite ville.

Marie Corbin (Helena Manson): la soeur de Laura. Ancienne petite amie du docteur Vorzet qui lui a préféré sa jeune seur, elle est une infirmière vêtue de noir, cassante et sèche. Le suspect principal durant le film, elle est brièvement incarcérée.

Denise Saillens (Ginette Leclerc): boiteuse, la sensuelle soeur du directeur de l'école est amoureuse de Rémy, et poursuit durant le film le médecin de ses assiduités. Elle a une vision intéressante, et est l'une des rares personnes, avec Vorzet, dont Germain écoute les avis et conseils.

Rolande Saillens (Liliane Maigné): La jeune soeur de Denise est une adolescente, qui travaille à la Poste, pique dans la caisse, écoute aux portes et louche clairement sur Germain. Il est fascinant d'imaginer quelle adulte en résultera!

Saillens (Noël Roquevert): le très droit Saillens a perdu un bras dans l'accident qui a rendu sa soeur boiteuse. Il a l'air sans histoire comme ça, mais on ne sait jamais.

Le docteur Delorme (Antoine Balpêtré): las et uniquement motivé dans son métier par les maladies rigolotes ("vous allez voir, c'est crevant!"), le très immoral directeur de l'hôpital juge vite, et s'embarrasse peu d'indulgence. Il a, lui aussi, des petites saletés sur la conscience.

Le docteur Bertrand (Louis Seigner): coincé, obsédé par la culpabilité potentielle du docteur Germain, qu'il hait. de toutes ses forces...

Bonnevie, l'économe de l'hôpital (Jean Brochard): Témoin de toutes ces turpitudes, une autre cible de l'auteur des lettres anonymes.

Le sous-préfet (Pierre Bertin): inévitable représentant de l'ordre, la cible de Clouzot pour dénoncer la médiocrité. Il apprend son déplacement par voie de presse.

La mère de François (Sylvie): La mère éplorée du malade qui se suicide, elle avoue à Germain être sur la piste du corbeau, responsable de la mort de son fils.

Tous ces gens sont présentés sans fioritures, en situation, et tous bénéficient de la verve dialoguiste de Clouzot.

Après un film policier impeccablement mis en scène, à la virtuosité ludique, dans lequel le moralisme a peu à voir avec la résolution enjouée d'une énigme classique, Clouzot s'attaquait à toute autre chose avec cette deuxième oeuvre, et on peut finalement comprendre à quel point le film pouvait être gênant, à l'heure de la réconciliation nationale, alors qu'il fallait prouver que sous l'enveloppe du Français occupé battait immanquablement le coeur de la Résistance, de voir ces gens occupés à se chercher des poux dans la tête, et prêts à se débarrasser de la personne qu'on accable, c'était trop. Mais justement, derrière le portrait de ces Français moyens qui parlent derrière le dos du Docteur Germain, qui disent à qui veut l'entendre que, n'est-ce-pas, "il n'y a pas de fumée sans feu", qui cherchent à se débarrasser d'un collaborateur encombrant à la grâce d'une lettre anonyme (Delorme), qui sauvent leur tête grâce à un autre lettre anonyme (Bonnevie), qui choisissent leur victime expiatoire en la personne de la vieille fille, et s'avèrent prêts à la lyncher (la scène est splendide, et le moins qu'on puisse dire c'est qu'Helena Manson y est extraordinaire. Le plan de la silhouette noire, fuyant la persécution, dans une ville déserte, alors que la bande-son est saturée de cris et de bruits de foule, reste en mémoire longtemps après la vision), bref derrière tout ça, il est tentant de voir un portrait du Français sous l'occupation. Insidieusement, mais à coup sûr. Chez Clouzot, une fois la guerre finie, la peinture de la France profonde continuera, avec les grands films que l'on sait.

Une scène célèbre du film voit le docteur Vorzet, souvent utilisé pour faire passer de nombreux messages dans le film, utiliser sa sagesse pour expliquer à Germain le fond du problème: personne n'est ni bon, ni mauvais, ni blanc ni noir, et tout le monde est un peu des deux; il utilise à cette fin une lampe qu'il fait se balancer, la lumière changeant alors, éclairant tour à tour différents objets avant de les laisser dans l'obscurité. Clouzot reviendra souvent à cette idée, et terminera du reste sa carrière en étant fasciné par l'art cinétique, expérimentant sur la lumière avec ses eux derniers projets, l'inachevé L'enfer (1964), puis La prisonnière, en 1968. Si pour cette scène du Corbeau on peut voir la grande adéquation entre les acteurs, le texte, l'intrigue, la mise en scène, la montage et la photographie (Bref, tous les ingrédients d'un film), il ne faut peut-être y voir qu'une fausse piste, surtout lorsque Vorzet, joué avec génie par Larquey, lache une dernière pirouette en démontrant à Germain combien la vérité, ou plutôt la lumière est insaisissable: Germain se brule en essayant d'arrêter le balancement de la lampe. Un thème qui reviendra, le renvoi dos à dos des criminels et des policiers, mais aussi la relativité du crime étant, chez Clouzot comme chez Lang ou Hitchcock, des obsessions. Mais chez lui, c'est un cas le plus souvent désespéré: le film s'ouvre, cyniquement, sur une petite visite de la ville de St-Robin, visite qui commence... par le cimetière, dont la caméra s'échappe en passant par le portail: celui-ci grince abominablement: le point de vue est bien celui de la faucheuse, et le ton on ne peut plus sardonique. La fin, après effectivement le passage de la mort par la ville, voit une silhouette de dame, vêtue et voilée de noir, s'éloigner sous l'oeil impuissant du Dr Germain, l'homme qui a sans doute le plus appris, mais aussi, sans doute, beaucoup gagné dans ce beau, cet extraordinaire, cet indispensable film.

 

Le corbeau (Henri-Georges Clouzot, 1943)
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Published by François Massarelli - dans Henri-Georges Clouzot Noir Criterion
6 novembre 2019 3 06 /11 /novembre /2019 17:01

Jeune marié, Clouzot s'enthousiasme pour un projet inattendu: il va partir en compagnie de Vera sa jeune épouse, pour la Brésil d'où elle vient. Retour aux racines pour elle, et occasion pour lui de faire un film... Qui ne se fera pas, premier des projets maudits du réalisateur...

L'idée, il est vrai, était saugrenue, surtout pour lui: faire une sorte de journal cinématographique de voyage dans lequel il jouerait (ou pas) son propre rôle, accompagné de Vera qui manifestement mourait d'envie de participer, et de quelques techniciens ravis de partir en voyage... Il en reste donc dix minutes, tournées et montées, mais sans générique, car le film n'a pas eu de carrière commerciale...

En effet, non seulement le projet était propre à n'enthousiasmer Clouzot que sur quelques jours avant de se réveiller avec la gueule de bois, mais en plus, la première alerte cardiaque de Vera a eu lieu précisément pendant ce tournage de quelques jours... Et Clouzot, dans un geste d'une immense impudeur, a intégré cet aléa dans son court métrage. Le film se termine sur le retour de Vera, après une première opération, toute en sourires, prête à partir vers le Brésil avec son mari. Le voyage se fera, mais il n'en sortira rien...

Le film est du pur Clouzot dans sa mise en scène, mais pas dans son interprétation. Le réalisateur souligne avec adresse le côté documentaire en s'efforçant de cadrer les techniciens et l'ombre de la perche, mais ça ne l'empêche pas de retrouver sa verve de Quai des Orfèvres quand il s'agit de montrer les techniciens désoeuvrés qui attendent le rétablissement de Madame Clouzot. Pour le reste, c'est aussi un document étonnant, qui anticipe sur la plus grande tragédie de Clouzot: Vera.

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Published by François Massarelli - dans Henri-Georges Clouzot
3 février 2018 6 03 /02 /février /2018 18:30

Pour commencer, un projet assez simple: comme le dit Clouzot lui-même, on donnerait cher pour savoir ce qui se passait dans la tête des génies quand ils ont créé leur oeuvre maîtresse; il cite Rimbaud, Mozart... Puis va nous montrer PIcasso en pleine création.

Sauf que par essence, la peinture et les arts graphiques,, comme le cinéma, sont des arts qui se contemplent, s'assimilent une fois achevés. Une toile, un dessin, un film, atteignent un état final, qui peut ensuite, bien sûr, évoluer au gré de la volonté de l'artiste, voire être purement et simplement perdu, détruit ou retiré de l'oeil du public. Mais les étapes, les allers et retours, les commencements, détours et recommencements, sont la propriété exclusive de l'artiste...

D'où une idée simple et inédite: Picasso utilise un papier et des marqueurs avec une encre spéciale (Ainsi, au fur et à mesure de l'avancement du tournage, que de la peinture à l'huile), qui lui permettent de dessiner d'un côté pendant que de l'autre côté, la caméra capte le dessin inversé, l'encre traversant juste ce qu'il fat pour qu'on ne perde pas l'essence du travail... Et on va donc assister à l'acte de création d'un certain nombre d'oeuvres, toutes improvisées par l'artiste qui ne cache pas son plaisir de frimer un peu en faisant une fois de plus la preuve de son aisance phénoménales. Les dessins et peintures qui en résultent sont autant d'esquisses inspirées, typiques de son oeuvre; le nu féminin, la représentation de l'art, le corps, les toros, la corrida, l'Espagne, quoi... C'est du Picasso, bien sûr. Il s'essaie aussi à l'inclusion de formes géométriques, et s'amuse avec le spectateur en partant de formes et de traits, dont personne ne peut deviner ce qu'il va faire. Et il s'amuse à nous perdre, commençant un bouquet de fleurs qui deviendra un poisson qui deviendra un coq...

Bref, personne ne peut anticiper, pas même Clouzot: pour un film et un seul, le metteur en scène-démiurge aura laissé un autre que lui contrôler la matière narrative de son film, mais grâce à une pirouette, il en reste le maître:

D'une part, Clouzot souhaitait filmer l'acte de création lui-même, et non les toiles.S'il nous les présente en laissant la caméra traîner sur l'image une poignée de secondes, à la fin de chaque séquence, que la conception ait pris une minute, ou cinq, c'est afin de permettre au spectateur de commencer son propre travail de récupération sémantique; mais en cinq secondes, celui-ci est limité!

D'autre part, le metteur en scène semble guider Picasso en lui demandant de commencer en noir et blanc, puis d'introduire de la couleur, avant de laisser Picasso composer des toiles sur toute la largeur de l'écran Cinemascope. Il installe le procédé en douceur avant de commencer à "récompenser" le spectateur, jouant de la couleur et de l'agrandissement comme on change de rythme. la musique du film, confiée à Georges Auric, accompagne aussi le travail de Picasso en n'étant pas utilisée en permanence. Elle accompagne surtout l'arrivée du sens...

Enfin, le metteur en scène, sa "star", leur dispositif, et les techniciens présents (Notamment l'équipe de Claude Renoir, chef-opérateur... Oui, le petit-fils de) apparaissent directement à l'écran, dans deux séquences. Clouzot et Picasso montrent en jouant pour la caméra comment ils ont procédé, et créent un suspense inédit: on voit Clouzot, l'oeil rivé sur le compteur des mètres de pellicule, annoncer à Picasso qu'il ne lui reste que quelques secondes pour finir un dessin avant que le magasin de la caméra ne soit vide. La musique s'arrête, on retient son souffle...

Le film nous montre donc le metteur en scène, l'artiste et les techniciens au travail dans l'atelier-studio, en toute tranquillité... Clouzot voulait montrer l'artiste au travail, il n'a pas résisté à se montrer lui-même en artiste au travail. Il n'empêche: c'est une réussite totale, dont on comprend qu'elle soit par ailleurs passé au-dessus de la tête d'une grande partie du public. Comme tout film qui se mérite, il faut vouloir le voir. 

 

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Published by François Massarelli - dans Henri-Georges Clouzot
31 janvier 2018 3 31 /01 /janvier /2018 17:41

Dans une petite ville de province, l'avocat maître Hector Lourçat (Raimu) vit en reclus dans sa vieille demeure, en compagnie de sa fille Nicole (Juliette Faber), qu'il a élevée seul, mais à laquelle il ne parle plus: leur histoire est compliquée, puisque sa femme l'a quitté pour un autre, et il en est venu à se demander si la petite était de lui. Il a donc quitté son métier, toute vie sociale, et décence: il boit comme un trou...

Mais c'est cet homme qui un soir va trouver chez lui le cadavre d'un homme fraîchement assassiné. Lourçat apprend incidemment que Nicole, sous la pression de quelques amis de son âge, a recueilli le vagabond, un salaud de la pire espèce, qui faisait pression sur les gamins qui l'avaient renversé en voiture. seulement l'un d'entre eux l'a tué, et il va falloir trouver le coupable.

Quand la police arrête Emile Manu (André Reybaz), le coupable tellement évident que c'en est louche, Lourçat quitte sa retraite et décide de défendre celui qui est devenu le petit ami de sa fille...

D'un côté, on est devant une peinture crasseuse et méchante de la bonne vieille bourgeoisie de province, selon l'expression consacrée, qui doit finalement autant à Simenon qu'à Clouzot: une histoire suffisamment distrayante pour qu'on s'y attache et un "whodunit" avec révélation finale à la clé, dans lequel les dialogues sont un tour de chauffe extrêmement réjouissant avant que la carrière de metteur en scène de Clouzot ne démarre vraiment. On assiste avec plaisir au grand numéro de Raimu contre le reste de l'humanité, d'autant plus drôle quand ses adversaires embarrassés sont interprétés par Jean Tissier ou Noël Roquevert!

Moins grandiose, toutefois, les scènes de dialogues entre les jeunes, particulièrement Reybaz et faber, sont souvent non seulement bâclées dans le jeu des acteurs, que Decoin n'a pas su pousser très loi, et aussi dans le dialogue ("Je ne sais pas... je ne sais plus"). Heureusement il y a le procès, dominé par la stature du grand acteur que Raimu était (la preuve il rendrait presque supportable certaines scènes des navets que sont les films de Pagnol, c'est dire).

Et puis il y a Luska. Et je ne peux faire l'impasse dessus, forcément... A l'origine du film, le roman de Simenon introduisait ce petit personnage qui s'avérera très négatif, sous le nom d'usage de Justin Luska. Dans le film, il est interprété par Marcel Mouloudji, et fait partie de la petite bande autour d'Emile Manu... Mais si on l'appelle Justin, Simenon n'oublie pas en fait de nous révéler sa véritable identité: il s'appelle Ephraïm. Le film tel qu'on peut le voir actuellement a presque effacé cette notation antisémite, sauf durant le procès, car si une post-synchronisation a été effectuée après la libération afin de rebaptiser le personnage Amédée, Raimu est mort avant de pouvoir se re-doubler, et appelle donc le personnage Ephraïm.

Le but de la post-synchronisation était de "nettoyer" le film, mais le fait qu'au moment de révéler la duplicité du personnage, on l'appelle par son nom à consonance judaïque, me semble particulièrement regrettable! 

C'est ainsi, on ne nettoiera pas le mal qu'a pu faire le film, en quelque proportion que ce soit. Maintenant, venant de Simenon, on est prêt à tout puisque le personnage ne s'est jamais caché ni repenti (pas plus que Léo Malet, du reste) de son antisémitisme, reste qu'on aimerait savoir dans quelle mesure Clouzot s'est contenté de transcrire à l'écran, ou a consciemment participé à la mauvaise blague. On voudrait savoir si Decoin, Raimu ou Mouloudji (Qui en tant que Kabyle et communiste devait vivre à l'époque dans la quasi-clandestinité) ont été conscients de ce à quoi ils ont participé. Ca n'enlève pas grand chose au film, ni au plaisir de voir Raimu et Clouzot s'amuser un peu avec les notables d'une petite ville... Mais ça pique.

 

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Published by François Massarelli - dans Henri-Georges Clouzot Noir
5 janvier 2018 5 05 /01 /janvier /2018 15:47

Adaptant en 1948 Manon Lescaut de l'Abbé Prévost, je doute que Clouzot ait sélectionné au hasard de le situer en pleine tourmente de l'après-guerre, et de faire finir les deux amants dans le désert brûlant, en route vers une Palestine qu'ils ne rejoindront jamais. Le réalisateur n'a pas qu'une histoire à raconter, il a aussi des comptes à régler...

Fin des années 40. Sur un bateau Français qui entre autres marchandises, aide des juifs d'Europe centrale vers leur exode pour la Palestine, on découvre deux passagers clandestins: Robert Desgrieux (Michel Auclair) et Manon Lescaut (Cécile Aubry) ne sont pas que des amoureux en fuite. Lui a tué un homme, Léon (Serge Reggiani), le frère de Manon, et elle l'a suivi. Ils racontent leur histoire, depuis la rencontre au début de la libération, quand Desgrieux a plus ou moins malgré lui aidé Manon à échapper à la tonte... Un début marquant pour une descente aux enfers pour lui, à la poursuite d'un amour qui ne leur apportera que des ennuis.

Au beau milieu de la liesse populaire, l'histoire amère, grinçante, méchante même de ces amoureux qui ne savent même pas pourquoi ils se sont sautés dessus, dans une église en ruine dont toutes les statues avaient plutôt l'air de leur rire au nez, détonne un peu. Mais ce que Clouzot montre avec cette histoire qui est d'un noir absolu, c'est un monde qui tourne mal, devenant après la libération la proie des profiteurs de tout poil, avant que toute illusion et tout idéalisme (Desgrieux ne manque ni de l'un ni de l'autre, il est résistant, et il voit tout en rose dans un premier temps) ne finissent par laisser la place à l'instinct de survie.

Et le metteur en scène dresse un parallèle très dur entre les deux amants paumés, qui ont fui les conséquences de la futilité et de l'immaturité de Manon (Je résume), et ces réfugiés qui ont fui le rejet qui a suivi le génocide, pour se rendre sur une terre où on ne veut absolument pas d'eux. C'est gonflé, et ça n'a rien de politique: j'entends d'ici les choeurs de protestation totalement vide de sens dès qu'il est question de la formation d'Israël... La situation d'extrême misère de ces réfugiés est un fait, le metteur en scène ne l'a pas inventée. Par contre, le fait de mettre avec eux les deux héros romantiques passés à la moulinette de son humour grinçant, me laisse un peu maussade.

Le film est relativement court: à 100 mn, on sent un montage qui a dû être resserré. tant mieux, car dans cette version, on sent suffisamment à quel point l'auteur ne porte pas ses personnages dans son coeur. Auclair malgré tout est impeccable, et Reggiani aussi. Je suis bien sûr plus mitigé pour Cécile Aubry, dont on devine que Clouzot a dû être horrible avec elle. Mais elle est plus irritante que convaincante. Comme souvent, l'atmosphère du film et sa collection de personnages de second plan donnent beaucoup au film. Je pense ici à Dalban, en marin sans scrupules, qui donne le ton du film: il rançonne les deux passagers clandestins pour leur permettre de se retrouver. Il est splendide. On se rappellera aussi de Gabrielle Dorziat en tenancière d'un établissement pour adultes, qui après avoir parlé un français des plus châtiés lâche à propos de Michel Auclair un "Mais c'est qui ce petit con? Merde alors, quel bordel" de toute beauté...

C'est un film important pour le metteur en scène, mais c'es aussi une preuve qu'il allait d'abord devoir évacuer le fantôme de son mauvais traitement de 1944/1945 avant de pouvoir retourner à un cinéma, disons, plus apaisé... Clouzot avait vraiment la rancune tenace, puisque son film suivant, le segment Le retour de Jean du film collectif Le retour à la vie, allait lui aussi se situer dans une après-guerre vue d'un angle particulièrement féroce...

 

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Published by François Massarelli - dans Henri-Georges Clouzot
29 décembre 2017 5 29 /12 /décembre /2017 10:12

C'est après L'assassinat du Père Noël , de Christian-Jacque, le deuxième des films Continental. On ne reviendra pas sur l'histoire de cette compagnie créée par le nazi Alfred Greven, mais qui tournait des films sans idéologie apparente, afin de dominer la production hexagonale durant l'occupation, pas plus que sur les polémique sans fin... Le film nous intéresse deux titres: d'une part parce qu'il est bon. D'autre part parce qu'il consacre le retour aux affaires de Clouzot, éloigné des studios depuis le milieu des années 30, et une tuberculose qui avait failli l'emporter...

Six hommes au bout du rouleau, poussés par leur amitié à se serrer les coudes, gagnent une somme d'argent importante. Ils décident de se séparer afin de tenter la fortune chacun de son côté; cinq années après, estiment-ils, certains seront bien devenus riches, et pourront en faire profiter les copains.

Cinq années plus tard, donc, Perlonjour (Jean Chevrier) revient à Paris, et va trouver Senterre (André Luguet). celui-ci se débrouille bien, il est devenu propriétaire de salles de spectacles et promoteur de music-hall. Mais son copain par contre, ne va pas bien du tout... D'autant qu'il s'est fâché pour une histoire de femme avec l'un des quatre autres, Gernicot (Lucien Nat). Quand celui-ci arrive, la manique s'installe: il a vu l'un des trois autres, Namotte, se faire tuer. Puis c'est Gernicot qui disparaît... Le commissaire Wenceslas Voroboechik (Pierre Fresnay) mène l'enquête...

Trouvaille de Clouzot, le personnage de Mila Malou (Suzy Delair) vient mettre son grain de sel dans la mixture, et on en redemande. A plusieurs reprises, elle empêche le film de tomber dans le mélodrame sordide. Fresnay aussi joue sur l'humour, mais plus en demi-teintes. Il sait conserver un minimum de sérieux afin de garder l'intérêt du spectateur pour une histoire qui n'a rien de géniale, ni ingénieuse du reste. D'où, sans doute, l'importance d'avoir des distractions...

Ce Dernier des six est d'ailleurs souvent fort bien mis en scène, de la mise en valeur de la gouaille typiquement parigote de la plupart des intervenants (Là encore un apport de Clouzot, le roman adapté étant quand même un peu Belge sur les bords) à l'atmosphère de film noir qui prend souvent le dessus. Lacombe a fait un beau travail, c'est son meilleur film... Suzy Delair a souvent dit qu'elle se rappelait la présence de Clouzot en permanence sur le plateau, et c'est sûr que l'envie de mettre en scène était probablement ancrée en lui, mais de là à lui attribuer tous les mérites, il y a un pas.

Tout au plus pourra-t-on dire que le futur metteur en scène a su donner un dialogue formidable, et un découpage exemplaire, ce qui est déjà beaucoup. Mais le film pâlit un peu quand même face à L'assassin habite au 21, qui sera lui, le premier des films 100% Clouzot.

 

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Published by François Massarelli - dans Noir Henri-Georges Clouzot
19 novembre 2017 7 19 /11 /novembre /2017 08:54

Deuxième adaptation de Stanislas-André Steeman parmi les films réalisés par Clouzot, Quai des orfèvres est aussi un film policier qui fait date dans une volonté de réalisme particulièrement marquée, dans les décors, l'interprétation et la peinture de la vie des artistes. Réduire le film à son intrigue policière serait une erreur, Quai des orfèvres est beaucoup plus...

Suite à la sortie du Corbeau et à la marée de soupçons de collaborationnisme qui a suivi la libération, Clouzot s'est vu interdit de tournage, et frappé d'indignité nationale. Il a fallu une patiente campagne des amis du réalisateur pour le faire revenir au premier plan, et ce film en a résulté. On constatera que si le metteur en scène et dialoguiste ne se prive pas de décocher quelques flèches empoisonnées ça et là, et de jouer avec la censure tatillonne, il a accompli un film dans lequel le final est sans ambiguïté un happy end... une façon de conjurer le mauvais sort, de montrer patte blanche? Du reste, le recours à l'adaptation d'un roman de Steeman allait dans ce sens: attendu au tournant, Clouzot utilisait la même méthode que celle qui prévalait pendant la guerre, à savoir le fait de se réfugier derrière un film de genre, pour montrer cette fois qu'il n'était pas un idéologue d'extrême droite. Durant la guerre, le fait de tourner L'assassin habite au 21 était une façon là aussi de contourner les sujets qui fâchent...

Maurice Martineau (Bernard Blier), pianiste, est marié à Jenny Lamour (Suzy Delair), chanteuse. Il est d'autant plus jaloux que la jeune femme a de plus en plus de succès, et ne souhaite pas rester cantonnée au music-hall. La jalousie de Martineau est exacerbée lorsqu'il découvre que son épouse envisage pour avoir plus de publicité encore de travailler avec le vieux Brignon (Charles Dullin), industriel influent et producteur, mais aussi vieux cochon notoirement attiré par les jeunes femmes... Un soir, alors qu'il soupçonne (à raison!) son épouse d'aller chez Brignon en douce, il fait irruption dans le but de le tuer, et découvre l'homme assassiné. En voulant retourner au music-hall, pour parfaire son alibi, il se fait voler sa voiture, et lorsque l'inspecteur Antoine (Louis Jouvet) prend les rênes de l'enquête, il ne tarde pas à s'intéresser au pauvre Martineau...

L'enquête est bien sûr secondaire, mais Clouzot est un perfectionniste, ce qui veut dire qu'il confie clés en mains au public un petit whodunit. Mais le coupable est vite repéré; reste qu'il y a des doutes, pour Antoine d'abord: il se doute vite que Jenny a bien été chez Brignon ce soir là, il lui est très clair que Maurice s'y est rendu également, en dépit des efforts touchants qu'il a déployés pour son alibi; mais Dora (Simone Renant), la photographe amie du couple Martineau, a également fait un tour sur le lieu du crime: Jenny, qui était venue à la villa de Brignon dans le but de signer un contrat, n'a pas supporté les avances du vieux pervers, et s'est débattue; elle est persuadée de l'avoir tué. Dora, afin de rendre un service à Jenny, s'est ensuite rendue à la villa afin de récupérer des objets compromettants qu'elle y avait oublié. on ne saura pas, jusqu'à la fin, qui de cette silhouette de voleur (Robert Dalban), aperçu lors de la cavale de Maurice, ou de Jenny, a tué.

Donc l'enquête n'est qu'une politesse.... Ce qui compte, c'est le reste: la vie qui reprend ses droits après la guerre, et les artistes qui reprennent du service, voilà le sujet de la première séquence, qui commence dans le bureau d'un agent, ou des chansons sont essayées et répétées. Maurice Martineau, qui surveille son épouse du coin de l'oeil, nous permet de comprendre très vite à quel point il est jaloux. La chanson qui est ici entendue sert ensuite de fil rouge à une série de séquences qui détaillent son évolution, de travail du couple (Maurice au piano, Jenny au chant devant son miroir) en répétition avec orchestre, enfin en répétition générale dans un théâtre, pour finir par la création sur scène d'une chanson qui devient immédiatement un triomphe. En quelques plans, Clouzot a établi le milieu des héros, leur fonctionnement, les sentiments torturés de Martineau... Il a aussi établi le petit monde du music-hall, dans lequel il a souhaité transposer le roman (il se déroulait dans les milieux de l'art) car il voulait rendre hommage à l'univers du spectacle, dans lequel il avait passé une grande part de ses années de formation. Mais ce début permet aussi de montrer à travers Jenny Lamour et sa chanson la façon dont le désir façonne les rapports humains: le chansonnier Léo Lapara qui refuse de garder ses mains dans les poches, les artistes qui ne manquent pas une occasion ni un prétexte d'embrasser la jeune femme, Martineau... Et Dora, la photographe. Elle est leur voisine, est présentée comme l'amie d'enfance de Maurice: ils ont grandi ensemble, dit-elle. Mais leurs rapports sont tout sauf chaleureux, ils se vouvoient d'ailleurs, et de l'aveu de Dora quand ils parlent ensemble c'est toujours de Jenny. La scène au cours de laquelle celle-ci chante devant son miroir nous montre Maurice surveillant son épouse, tandis que Dora l'admire en silence. Le seul à repérer l'amour sincère, inconditionnel et sans espoir de la photographe pour Jenny, c'est l'inspecteur Antoine, qui a bien compris la raison pour laquelle Dora a risqué gros pour disculper la jeune chanteuse, mais aussi est prête à s'accuser du crime à sa place. Mais Dora n'est pas seule: une large partie de la première heure du film tourne autour d'un quasi-McGuffin, qui est le corps de Jenny, et le désir qu'elle inspire à Dora, à Martineau, à Brignon, et aussi à tout le personnel masculin du music-hall, ce que Clouzot souligne en multipliant les scènes de coulisses durant lesquelles Suzy Delair s'habille, se déshabille, se pare, telle cette séance de photo en habit un brin suggestif, "et si chaste", dirait Brignon...

Antoine est l'un des meilleurs rôles de Louis Jouvet; ce vieil inspecteur qui a tout vécu, revient des colonies flanqué d'un fils qu'il adore, et est un pragmatique à l'ancienne; il manie la langue avec un esprit permanent, a une intelligence vive, mais n'est en aucun cas un surhomme de la police. Il est habillé avec les moyens du bord, et son allure dégingandée contraste dans une courte scène avec la classe d'un bandit qui vient d'être arrêté (Raymond Bussières), tiré à quatre épingles, et dont une réflexion est sans ambiguïté: il n'aurait pas aimé être flic parce qu'il n'aurait pas aimé être pauvre... Autour de lui, le reste de la police est très réaliste, et on assiste au quotidien de ces hommes, à leur lot, ce qui revient de temps à autre à un sacerdoce, comme lors de cette veillée de Noël au cours de laquelle les affaires doivent continuer. De fait le film justifie pleinement son titre, le quai des orfèvres étant débarrassé de toute tentation glamour; bref, on n'est plus du tout en face de l'inspecteur Venceslas Vorobéïetchik, l'as de L'assassin habite au 21, joué par Pierre Fresnay...

Proche du réalisme, la peinture du vrai monde policier est aussi empreinte d'un grand humanisme, comme Antoine, et se rapproche d'un autre monde qui ne dort jamais, celui du music-hall. A l'exception des numéros de Jenny, le plus souvent captés en répétition, on n'en verra d'ailleurs que les coulisses. La comparaison est inévitable, et Clouzot aura démystifié d'un seul coup deux mondes qui sont pour beaucoup dans les faux semblants du cinéma Français... Sans pour autant les assassiner de son fiel légendaire; ici, les coups sont des petites escarmouches, des fins mots ciselés et réjouissants. Mais si on peut effectivement suivre le chauffeur de taxi anarchiste (Pierre Larquey) qui se plaint des méthodes d'intimidation de la police, on est aussi frappé par l'affection et la solidarité que se témoignent les policiers entre eux, par la sympathie naturelle (et parfois déplacée) manifestée par Antoine à l'égard de tout le petit monde des artistes, parlant comme tout le monde de tout, mais aussi de rien...  Et puis une fois sa journée finie, le policier retourne à son fils, qu'il a "ramené des colonies" ("ça, et le paludisme!"), un petit garçon noir et timide, qui assiste parfois à des interrogatoires musclés en s'endormant comme un bébé, mais reste sans doute l'indice le plus probant de l'humanisme profond de l'inspecteur...

Jouvet est admirable, donc, mais le film est dominé par la prestation extraordinaire de Blier, l'un des plus grands acteurs comme chacun sait; flanqué de son maître Jouvet (Lui même accompagné de son complice Léo Lapara dans un petit rôle, et de son propre mentor Charles Dullin) il n'a pas eu la partie facile, puisqu'il avait en prime Clouzot sur le dos, et comme la légende le rappelle souvent, le metteur en scène n'était rien moins que dictatorial, à plus forte raison s'il fallait exiger des prouesses d'un acteur. Mais le suicide de Martineau, avec sa mise en scène stylisée à rendre jaloux les cadors du film noir (La photo de Armand Thirard est constamment superbe), est illuminée d'un gros plan de Blier hallucinant de réalisme; celui-ci doit d'ailleurs porter un fardeau important sur les épaules, car il est là pour incarner le jaloux, et comme chacun sait en voyant les films de Clouzot, voilà un thème particulièrement important chez ce metteur en scène!

Bref, on est devant un chef d'oeuvre: le cheminement des personnages principaux, la jalousie absurde mais si réelle de Martineau, la reconstitution du Quai des orfèvres, la mise en parallèle des deux mondes, et la création quasi avant-gardiste d'un personnage homosexuel qui n'a rien d'un monstre, finissent par donner au film de Clouzot une place de choix au panthéon du cinéma Français, et à son metteur en scène la place qu'il méritait...

 

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Published by François Massarelli - dans Henri-Georges Clouzot Noir
26 octobre 2017 4 26 /10 /octobre /2017 08:07

Un prince (Jacque-Catelain) en villégiature dans une cité balnéaire de l'Adriatique se fait engager incognito dans l'équipe d'un film, et rencontre un jeune et jolie femme (Danielle Darrieux)...

On avait quitté Jacque-Catelain, muse de Marcel L'Herbier, en jeune premier fatal, figure tragique embarrassante aux épaules jamais assez large pour ses rôles. Au moins, ce rôle de vrai faux prince, dragueur et blagueur (Et en plus il ne pousse pas la chansonnette, c'est un atout) lui sied bien mieux; il fait tourner les coeurs, dont celui d'Edith Méra (Un actrice dont on ne se demande absolument pas pourquoi elle est tombée dans les poubelles de l'histoire... Qu'elle y reste.), et il se déplace partout avec sa petite garde rapprochée: des marins anonymes, en uniforme, totalement dévoués... En d'autres termes, ça laisse songeur...

De toute façon, ce film retrouvé (Car longtemps perdu) n'est qu'une curiosité historique: la version française vite faite mal faite d'un film allemand UFA de Geza Von Bolvary, et les scènes additionnelles françaises ont été dirigées par Clouzot, prié systématiquement d'imiter les scènes de la version domestique mises en scène par Bolvary. Et si celui-ci connaît son métier, ce n'est pas pour autant un artiste pour lequel on se relèvera la nuit. Terminons avec une petite pensée pour l'actrice de 16 ans qui donne la réplique à Catelain, et qui vient de nous quitter: Danielle Darrieux. Même avec un rôle conventionnel de potiche dans un film bouche-trou, elle était convaincante.

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Published by François Massarelli - dans Henri-Georges Clouzot Comédie
25 octobre 2017 3 25 /10 /octobre /2017 08:52

Un ténor, le grand Enrico Ferrarro (Jan Kiepura), quitte Vienne en compagnie de son insupportable manager (Clara Tambour): celle-ci est en effet d'avis que pour son chanteur, la seule façon de faire, c'est d'y aller au rendement, et elle lui impose un tempo d'enfer. Alors que le train qui doit les emmener vers toujours plus de tournées est stationné en gare, il lui fausse compagnie et prend un train pour les Alpes Suisses? Il se retrouve dans le même wagon qu'un escroc à la petite semaine (Pierre Brasseur), et les deux vont s'installer -aux frais du ténor, bien entendu- dans un hôtel de luxe, bientôt rejoints par le valet de Ferrarro. Suite à un quiproquo, la presse confond les deux hommes, et ils décident de s'en amuser, jusqu'à ce que Ferrarro, sous l'identité de son compagnon, rencontre une jolie demoiselle (Magda Schneider), la fille des hôtes de l'autre, qui par ailleurs est bien mal quand on lui demande de chanter...

Et pour chanter, ça chante. Pas dix chansons, non. Pas vingt. Ni même cinquante. UNE chanson si on excepte quelques rares incursions dans le répertoire classique, une chanson écrite sur un coin de table par le compositeur des films Osso, Serge Véber, et cette fois fallait-il qu'il ait envie de la vendre. Parfois, une bobine de dix minutes doit bien contenir deux ou trois passages de cette abomination... Jan Kiepura est un ténor bien de son temps: sucré jusqu'au vomi, mièvre et bellâtre jusqu'à la nausée. Il joue comme un cornichon. Il est insupportable...

Ce qu'on ne peut évidemment pas dire de Pierre Brasseur dont on devine qu'il n'est là ni pour l'art, ni pour la gloire: à 27 ans, le jeune acteur a encore à raffiner son art, mais il a déjà un talent fou pour voler la vedette. De façon amusante, dans certaines scènes inspirées directement de Cyrano de Bergerac, il joue justement l'autre, celui qui doit être aidé. pas pour son éloquence, mais bien pour chanter... Mais il a au moins l'air de s'amuser. Comme Magda Schneider, la trop rare, qui se débrouille ici très bien d'un rôle pour lequel elle doit être doublée en direct.

Anatole Litvak, pour sa part, a eu les pieds et poings liés sur un film écrit en amont pour trois productions, un tournage Allemand, un tournage Français et un tournage Anglais. Ca ne l'a pas empêché de trouver de l'énergie pour donner parfois du rythme à une histoire insipide et cousue de fil blanc, mais ne cherchez pas trop son élégance, elle est parfois enfouie sous la crème écoeurante du répertoire monomaniaque de Kiepura...

Et bien sûr, l'adaptateur français de ce film est Clouzot, qui parfois s'amuse:

Le maire (S'apprêtant à passer en famille une soirée avec celui qu'il pense être le ténor, parlant à sa femme) "n'es-tu pas excitée?"

L'épouse: "comme au jour de notre mariage"

Le maire: "ne parle pas de malheur!"

...et parfois se contente de faire son boulot. Quant à nous, spectateurs, nous n'avons aucune obligation.

 

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Published by François Massarelli - dans Comédie Henri-Georges Clouzot
23 octobre 2017 1 23 /10 /octobre /2017 09:03

La famille d'un professeur a du mal à joindre les deux bouts; la grande fille (Anny Ondra), qui fait beaucoup pour aider ses parents en s'occupant de ses frères et soeurs, trouve le moyen de tomber amoureuse... d'un jeune homme aussi farfelu qu'elle, interprété par Jean-Pierre Aumont.

Je ne sais pas s'il le mérite vraiment, mais ce tout petit film engendre une énigme. Pour commencer, ayant perdu ses dernières bobines, on n'en possède plus la fin. Mais, comment dire, on peut sans doute vivre sans la connaître... Non, la principale question est celle de l'implication de Clouzot, qui est crédité d'une façon différente sur le générique du film, de celle que lui attribuent les historiens.

C'est une production Austro-Française, due au Tchèque Karl Lamac, alors (mais plus pour très longtemps) l'époux de l'actrice Anny Ondra (Oui, la jeune femme de Blackmail). Celle-ci est la star incontestée du film, et elle est une vraie boule d'énergie, espiègle et solaire. Très honnêtement, elle est aussi le seul véritable intérêt des 38 minutes qui restent! 

...Si ce n'est que la présence de Clouzot, dialoguiste, se fait sentir, à travers deux ou trois détails structurels qu'il affectionnait (on en retrouve la trace dans l'infect Ma cousine de Varsovie, de Carmine Gallone): par exemple, les rimes entre deux scènes, qui sont unies par le montage. Ou encore les formules à l'emporte-pièce qui assoient un caractère... Mais Clouzot selon les historiens ne serait que l'adaptateur du film, pas plus; la version française serait due à Pierre Billon. 

Sauf que le générique mentionne bien la mise en scène de Lamac, ici "assisté" de Clouzot. Nulle trace de Pierre Billon! S'agirait-il d'un de ces films sur lesquels le tout jeune futur metteur en scène du Corbeau se serait fait les dents? mystère... Comme on le sait, un générique de cette époque n'est jamais fiable à 100%...

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Published by François Massarelli - dans Comédie Henri-Georges Clouzot