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29 septembre 2023 5 29 /09 /septembre /2023 22:17

Tourné en 1946, monté et déposé en 1947, et sorti en fin 1948... ce film tend à prouver que hawks aimait à prendre son temps... Mais il ne s'agit pas ici seulement de commenter la production compliquée d'un western hors-normes qui entendait changer un peu la face du genre, mais aussi de prendre en compte la façon dont, dans tant de films et en particulier ses westerns, (celui-ci étant le premier qu'il achèvera seul), les personnages sont lents, méthodiques, appliqués... Ce qui leur donne une efficacité imparable.

Tom Dunson (John Wayne) désire monter un ranch au Texas, mais en partant en compagnie de son assistant Nadine (Walter Brennan) pour accomplir son rêve, il apprend la mort de sa fiancée dans un raid indien... Sur les lieux de l'attaque, il recueille un rescapé, un adolescent choqué, chatouilleux... et armé. Les trois se mettent en route pour créer le ranch Red River D. Les années passent, l'adolescent, Matt, est devenu un homme (Montgomery Clift), et Dunson en est fier. Mais les temps sont durs, et une solution pour se tirer des ennuis est de se rendre dans le Missouri pour y vendre du bétail... Le voyage s'avérera difficile, car non seulement les éléments extérieurs (bandits, attaques d'indiens, une caravane rencontrée en chemin) compliqueront les choses, mais la relation entre Matt et Dunson s'enveimera jusqu'à la rupture...

voilà un film exceptionnel, qui commence à l'écart du monde et semble ne jamais vouloir se reconnecter à la moindre communauté établie. Dunson, son copain et son fils adoptif semblent avoir vécu leur vie entière dehors, au soleil, et on ne les verra jamais dans une ville, attablés dans un saloon, ou dans quelque endroit "civilisé que ce soit... Ni ville, ni ville fantôme, ce qui s'y apparente le plus serait sans doute la caravane et ses chariots. Il s'en dégage une impression de liberté totale qui traduit bien l'idéal romantique d'une vie à la dure, d'une quête perpétuelle du bout de la prarie, là où l'herbe se fait remplacer par les constructions. Un monde qui tend vers la civilisation, donc, mais sans jamais l'atteindre car une fois atteint ce rivage, l'histoire ne sera plus la même. Le film en devient donc l'égal de ces grands films fondateurs du genre que sont The covered wagon (James Cruze), Three bad men (John Ford), The big trail (Raoul Walsh), ou d'autres classiques qui offrent une réflexion romantique et amère sur la perte de l'innocence et de la liberté de l'ouest, notamment The searchers, de John Ford...

En cherchant à construire cette épure du western, il peut nous sembler normal voire évident que Hawks ait choisi de confier à John Wayne, encore jeune (il se vieillira pour une bonne part du flm afin de coïncider avec l'âge de son personnage), le rôle principal de son film. Aujourd'hui, derrière son conservatisme alarmant, le bonhomme est encore qu'on le veuille ou non un symbole de cette image du cow-boy, épris de la liberté, qui s'épanouit plus en cherchant la fortune qu'il ne le fera jamais en la trouvant, et qui finit par se fondre dans un environnement hostile dont il saura prendre et célébre le meilleur. Mais voilà, il restait à Wayne à écrire ces pages du western, un genre où à l'exception des films de Ford et de Walsh (en particulier The big trail en 1930) pour lequel il n'avait quasiment tourné que des séries B voire des navets... Quand il tourne Red River, il n'a pas encore participé à la trilogie de la cavalerie, à The Searchers, Hondo, et tant d'autres films... Au même titre que Stagecoach, Red River sera donc une oeuvre majeure pour sa carrière.

La façon dont Hawks présente l'équipe (composée principalement mais pas uniquement de trois personnages) est typique de son oeuvre: là où d'autres (Curtiz, par exemple) auraient préféré exposer les personnages rapidement en ayant recours à des types (Alan Hale et Guinn Williams, dans Dodge City, sont de pittoresques faire-valoirs unidimensionnels, qui se différencient considérablement du valeureux Irlandais au sourire suave de Erroll Flynn... Lui aussi est un stéréotype bien pratique. Pas ici: les personnages n'en finissent pas de se définir, et de se dévoiler lentement, dans une approche pourtant ni naturaliste ni psychologique... Tout est dans l'art de la digression, comme je le disais: ces gens se définissent dans le travail, dans l'action, la décision froide, mais réfléchie et jamais précipitée. C'est d'autant plus notable que bien souvent les personnages de Wayne (notament dans les films qu'il produira, qui seront souvent marqués d'un sceau très idéologique de droite, voire libertarien avant l'heure) finiront par être un rien trop infaillibles dans leur jugement, dans leur radicalisme aussi. Mais Tom Dunson, marqué au fer rouge par la perte d'un être cher, est un homme qui garde jusqu'au bout du film le droit de mener sa barque en se trompant...

Dans cet art consommé de la digression érigée en fil narratif, on ne peut que remarquer et souligner, d'un côté le rôle primordial joué par Walter Brennan, auquel il suffit d'enlever son dentier pour apparaître plus vieux... Véritable conscience de John Wayne, il effectue dans certaines versions du film la narration avec un certain bonheur. Il commente tout, mais on évite toute redondance un peu trop pittoresque justement parce qu'il humanise le héros, en lui conservant son amitié, mais surtout en montrant que ses errements et sa colère sont motivés, justement, par la perte. Et l'autre partie de ce fil digressif concerne le personnage de Matt, le comlice et l'héritier, qui complère Dunson, mais s'oppose à lui quand ça lui semble légitime. Et justement, c'est ce qui fera le sel du film dans sa deuxième moitié... Mais Matt est également un adolescent à peine grandi, où Hawks va aussi bien mettre des qualités de professionalisme et matière de maniement d'arme, qu'on retrouvera chez d'autres (Ricky Nelson dans Rio Bravo, et James Caan dans El Dorado), qu'une certaine tendance à dégainer pour frimer, voire des allusions à certaines manies adolescentes ("ton bras pour tirer fonctionne bien?" "oui, je m'entraîne tous les soirs"...). Au-delà donc de la fascination de Hawks pour le travail des cow-boys dans la prairie, et de la façon dont Wayne joue un homme qui porte en lui une impression de responsabilité telle qu'il s'arroge le droit de vie et de mort sur ses employés, le film devient le conte d'une confrontation entre un homme et son fils adoptifs, une querelle liée aussi bien à un héritage matériel (le ranch, les bêtes) que culturel (l'ardeur au travail, la loi de la prairie)... 

Et plus que tout, à travers ce conte en liberté et au grand air, c'est la naissance, après vingt ans de comédies, films de gangsters, films noirs et films d'aventure, d'un maître du western, qui n'allait pas en tourner beaucoup (trois autres, j'en exclus The Big Sky dont la période n'est pas celle du "Wild West"), mais en délivrer deux chefs d'oeuvre absolus. Celui-ci est donc le premier... Un film dans lequel l'impulsion d'aller vers l'Ouest, cet appel fondamental de l'aventure, se retrouve dans deux hommes, un ancien, qui court après tout ce qu'il a gagné puis perdu, mais qui refuse de remettre en question son approche fondamentale, à la dure, et un jeune, un homme d'avenir élevé à la dure mais foncièrement adaptable, adepte aussi bien des armes que de la négociation, et qui porte en lui l'espoir d'un ouest pacifié, dompté, et civilisé. Un conflit de génération qui se mue en une parabole de la construction d'un monde, il n'y a pas de meilleur sujet pour un western.

 

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Published by François Massarelli - dans John Wayne Howard Hawks Western Criterion
25 février 2023 6 25 /02 /février /2023 11:49

Le Pharaon Khufu (Jack Hawkins) revient d'une énième guerre et décide de faire ce que le grand prêtre, son fidèle conseiller, lui suggère: construire un tombeau à sa propre gloire... Il se décide pour une pyramide, la plus grande jamais construite, mais soucieux de protéger ses trésors, il a ramené de ses conquêtes un architecte génial dont il a pu admirer le talent lors d'une série de batailles rendues compliquées pour les Egyptiens, par l'architecture des lieu. Un marché s'établit entre eux: Vashtar (James Robertson Justice) construira la pyramide selon ses conceptions, et en échange son peuple (jamais nommé) sera libéré...

Hawks n'a jamais réalisé un autre film de gangsters que Scarface, il n'a pas non plus été plus loin dans le film noir après The big sleep, et The thing reste sa seule production fantastique. On ne s'étonnera donc pas trop qu'il n'ait sacrifié qu'une fois au peplum, avec ce film justement, avant de retourner à des genres qu'il maîtrisait plus, dans lesquels il se sentait plus à l'aise, en tout cas. Car non seulement c'est son unique peplum, mais c'est aussi le seul des films du metteur en scène à utiliser l'écran large du Cinémascope, qui était il est vrai très à la mode (il était dans la deuxième année de son exploitation).

J'imagine que le vieux renard avait décidé dès le départ de faire un film du genre qui puisse être très distinctif, et sur un certain nombre de points, il l'est: d'abord, pas un gramme de bondieuserie ici, Hawks prenant sagement le contrepied d'un DeMille, par exemple. Ou encore un refus de céder au manichéisme primaire, comme DeMille encore... Les Egyptiens maintiennent des peuples entiers en esclavage, mais le film réussit à montrer du Pharaon interprété par Hawkins une image positive, celle d'un autocrate qui a suffisamment de vision, pour être à la base de la création d'une oeuvre, et qui à travers Vashtar en reconnaît l'auteur...

Car il est beaucoup question de travail, de savoir-faire, de souci technologique d'envergure, et c'est ce que l'obsession du secret exprimée scène après scène par le pharaon tend à souligner. Il en ressort un film qui pourrait presque être un conte philosophique sur la grandeur de la création humaine par opposition à la petitesse des individus... Mais le studio avait un film à vendre, donc le film reste un peplum de bas étage, avec des acteurs et actrices à frange, tous tout raides, qui déclament des textes bien stupides avec la main droite tendue, des "Pharaon est arrivé, venez céans", et autres "tu m'as trahi, scélérate"... J'exagère à peine (même si, intelligibilité oblige dans ce doux pays de Nadine Morano, j'ai adopté le français)... Et Joan Collins est nulle en deuxième épouse ambitieuse et traîtresse, sans parler de James Robertson Justice, un acteur qui m'a toujours épaté par l'impression d'incompétence tranquille qu'il projette en permanence.

Mais pour finir, je me contenterai de dire que j'ai une explication quant à la décision de Hawks de ne jamais plus toucher au Scope, et de ne jamais plus tourner un film de ce genre non plus: il a du s'endormir devant The land of the Pharaohs...

 

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Published by François Massarelli - dans Howard Hawks
22 décembre 2021 3 22 /12 /décembre /2021 11:16

Joe Greer (James Cagney), pilote automobile, revient chez lui pour retrouver sa famille, et a une surprise: son petit frère Eddie a beaucoup grandi et a décidé de faire comme son grand frère... Pour Joe, qui connaît les risques du métier, c'est un choix contestable, mais il décide de la parrainer... En même temps qu'il laisse son frère entrer un peu plus dans sa vie, Joe rompt avec sa petite amie Lee (Ann Dvorak) qui pour se venger, demande à sa meilleure amie Ann (Joan Blondell) de séduire Eddie...

C'est un mélo, un vrai, derrière le déguisement d'un film sur la course automobile, un sujet dont Hawks était passionné (il y reviendra en douce, en faisant un remake officieux de ce film dans les années 60). C'est probablement l'aspect professionnel qui l'a le plus intéressé, comme on le voit dans la séquence d'ouverture quand Joe et ses font tourner le moteur dans... Le wagon d'un train. Mais au montage (le film est court, 70 minutes bien tassées), l'intrigue a été resserrée façon Warner, autour des personnages et des situations amoureuses. Et Cagney et Blondell étant devenues des stars, c'est eux qui en profitent le plus...

Il y a quand même des séquences inévitables de course, dont une est mémorable (et très dramatique, je vous laisse juges). C'est l'aboutissement d'un arc bien construit, autour du personnage léger de Spud, l'éternel second, interprété par l'excellent Frank McHugh. Pour le reste du film, les exploits sportifs sont souvent traités avec légèreté, ce qui culmine dans une scène finale burlesque dans une ambulance, qui n'est pas sans rappeler la façon dont une amputation, dans The big sky, allait donner lieu à des gags enfantins...

Hawks était un vrai maverick à l'époque, et tournait en cascade pour tous les studios. Mais le style de ce film est d'abord celui de la Warner, un film rythmé à la mitraillette autour de la diction de James Cagney... Il est dommage, même si bien sûr on aime Joan Blondell, qu'on voie ici Ann Dvorak s'effacer un peu plus. Après quelques films, elle va bientôt passer la main.

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Published by François Massarelli - dans Howard Hawks Pre-code
5 septembre 2021 7 05 /09 /septembre /2021 09:25

Réalisé en fin d'année 1930, soit une année marquée par un film au succès spectaculaire (The big house) qui est situé dans une prison, ce film est néanmoins bien plus que la simple réponse de la Columbia à la MGM sur un genre donné. Hawks continue d'y faire ses gammes et d'y développer un savoir-faire qui est boosté par le parlant...

Le procureur Brady (Walter Huston) envoie le jeune Bob Graham (Barry Norton) en prison pour le meurtre involontaire d'un sale type qui s'en est pris à une femme dans un speakeasy. Le jeune homme ne va pas tarder à perdre son innocence au milieu des gangsters de la pire espèce, mais v aussi expérimenter la solidarité entre les détenus. Après six ans des dix que doit durer sa peine, il voit arriver à la prison Brady, nommé directeur après une élection malheureuse. Ca va tout changer...

C'est un de ces excellents films des débuts du parlant, où le metteur en scène s'est imposé de garder le contrôle du naturel en permanence. Pas de texte ralenti pour des raisons techniques, ici, pas de prudence à l'égard du débit, Hawks et ses acteurs ont compris que la technique fragile du parlant peut qund même s'accommoder d'une diction rapide, et c'est tant mieux! Occasionnellement, certains acteurs (Karloff en tête mais c'était son style) vont ralentir un peu le rythme, mais ce drame de la prison apparaît comme l'un des meilleurs du genre, car oui: c'était un genre (Thunderbolt, The Big House, 20,000 years in Sing-Sing et même Pardon us avec Laurel et Hardy...).

L'histoire d'amour en toc, par contre, à laquelle Hawks ne s'est pas du tout intéressé, ne joue pas en faveur du film, et cela explique la supériorité, au hasard, de l'impeccable 20,000 years in Sing-Sing de Curtiz.

 

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Published by François Massarelli - dans Howard Hawks Pre-code
6 novembre 2020 5 06 /11 /novembre /2020 17:48

Le Portugais de San Diego Mike Mascarenhas (Edward G. Robinson) est l'énergique patron de la Santa Maria, un bateau de pêche qui se spécialise dans la chasse au thon. Il a perdu une main lors d'un naufrage durant lequel il a sauvé la vie de son second Pipes Boley (Richard Arlen). Quand il revient au port après la mort d'un de ses marins, il rencontre la fille (Zita Johann) de ce dernier et tombe amoureux: parce qu'elle sait que le marin est une bonne opportunité d'échapper à la prostitution, Quita accepte, mais elle va vite tomber amoureuse de Pipes...

Après l'Italien (Little Caesar), le Chinois (The Hatchet man), Robinson était mis à toutes les sauces ethniques par la Warner. Une façon comme une autre de capitaliser sur son talent... ou de lui laisser les coudées franches pour en faire des tonnes et des tonnes, c'est selon les goûts! Hawks connaît son boulot et donne à voir un honnête mélodrame qui bénéficie quand même du ton et du montage propres à la Warner en ces années bénies...

...Et surtout, à travers ce matamore bavard de Mike Mascarhenas, il se prend à accumuler les images autour de ces hommes supposés être saisis dans l'exercice de leur métier, un ingrédient qui passionne toujours le réalisateur. A travers ces gens qu'on nous montre risquant leur vie pour gagner leur pain, dans des circonstances que le film se plaît à montrer toujours plus dangereuses (...il y a des requins!) le cinéaste nous chuchote comme il savait le faire que le travail et le professionnalisme sont l'essence même de l'homme. Et ce film est aussi l'une des rares occasions de retrouver l'étrange visage de Zita Johann, l'héroïne de The Mummy...

 

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Published by François Massarelli - dans Howard Hawks Pre-code
8 avril 2020 3 08 /04 /avril /2020 15:59

Mis en chantier après Street Angel de Frank Borzage, qui réunissait Charles Farrell et Janet Gaynor, il me semble que Fazil est une bonne indication d'une volonté délibérée d'érotiser l'acteur, dont les scènes sentimentales dans Old ironsides ou dans les deux films qu'il avait interprété pour Borzage, montraient surtout sa gaucherie (calculée), son côté enfant... Avec Fazil, Hawks avait pour mission de le transformer en un bouillant objet de convoitise pour les spectatrices, un peu à la façon d'un Valentino, en particulier dans sa version "Sheik", auquel ce film fait souvent penser...

Fazil (Farrell) est un prince Arabe fier, et respectueux des lois et coutumes de son pays (le film s'obstine à parler de "race", plutôt que de pays, mais n'étant pas coutumier des gros mots, je m'abstiendrai), doit se rendre à Venise pour une mission diplomatique. Il y fait la connaissance de Fabienne, une jeune Française en villégiature: c'est le coup de foudre réciproque, suivi du'n mariage hâtif... Mais Fazil, à Venise, se révèle un amant capricieux, et un mari jaloux. En particulier, il interdit à son épouse de laisser un autre homme la regarder. Remis à sa place, Fazil repart seul chez lui... Aidée de ses amis qui lui enjoignent de rebrousser chemin, Fabienne se met en tête de le rejoindre...

...et ça finira mal, selon un code bien inscrit dans la tête des gens: east is east, and west is west, and never the twain shall meet, soit l'orient et l'occident ne peuvent pas cohabiter. En d'autres termes, le film fonctionne entièrement sur la base raciste de l'idée qu'un Arabe avec une "Blanche", c'est impossible. Un fantasme délirant, infect et inacceptable aujourd'hui (si vous pensez différemment de ce que je viens d'écrire, je vous interdis de me lire), mais si parfaitement intégré à l'époque qu'on en a imprimé des kilomètres de pellicule. C'est même tout un genre, qui fonctionne sur le frisson de l'interdit, l'exaltation et l'adrénaline du mystérieux: The Sheik, The son of the Sheik, The Arab...

L'intérêt de cette entrée tardive dans le canon est de présenter avec Fabienne, une héroïne autrement plus dégourdie, et bien intéressante non seulement que les autres du genre, mais aussi et surtout que Fazil. En Greta Nissen, l'autre Greta (venue de Norvège via le Danemark), Hawks trouve une actrice qui est à la fois profondément sensuelle, sans exagération, et très naturelle. Fabienne tient tête à Fazil et s'essaie même à l'éduquer sur leur égalité. Les femmes de l'époque avaient conquis le droit de vote, aux Etats-Unis, car ce n'était pas un pays sous-développé comme la France, et cette démarche vers l'égalité informe beaucoup le personnage, et place le curseur du film sur un terrain plus intéressant que le racisme bête et brutal. C'est cette volonté d'égalité qui trouble Fazil (Farrell, évidemment, est troublé), et qui couplé à la franchise érotique du film, le rend finalement assez intéressant, tout en se vautrant dans la dernière bobine dans un tout-venant mélodramatique assez rébarbatif. Quelques belles scènes, d'autres au moins notables par leur aspect direct: le coup de foudre est situé de part et d'autre d'un canal, à Venise, et vu de trois points de vue: celui de Fazil, puis celui de Fabienne, et enfin du point de vue d'un gondolier qui passait par là; la scène du réveil de la nuit de noces est d'une sensualité sans égal; et enfin, la visite par Fabienne du harem de son mari, dont elle n'avait pas connaissance, est un festival de tenues pour lesquelles l'adjectif diaphane a sans doute été inventé...

On le voit, si sa légendaire façon directe de raconter (ici tout est linéaire) est déjà là, on est dans un domaine qui reste assez étranger à l'univers futur d'Howard Hawks, tel qu'il se constituera à l'époque du parlant. Du reste, au vu du film, avec les à-côtés les plus cocasses voire saugrenus (pourquoi avoir demandé à Dale Fuller de porter un nez postiche, par exemple? Pour l'enlaidir? était-ce vraiment nécessaire?) qui semblent trahir le fait que pour le metteur en scène, tout ça n'était pas bien sérieux... Et le film suivant de Charles Farrell, qui recadrera les choses, permettra de situer cette recherche de l'érotisme du personnage, plus près de son caractère naïf: il sera Allen John Pender dans le merveilleux The river de Frank Borzage.

 

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Published by François Massarelli - dans 1928 Howard Hawks Muet
18 octobre 2017 3 18 /10 /octobre /2017 17:56

Non seulement ce film de Hawks est pour Gary Cooper l'occasion de gagner un Oscar du meilleur acteur, ce qu'il méritait amplement, mais c'est aussi, en 1941, un film paradoxal: interventionniste à l'heure de l'indécision, ce film de prestige a été mis en chantier d'abord comme la célébration d'un héros qui ne voulait absolument pas qu'on parle de ses exploits militaires, et devait justement ne parler que de sa vie pacifiste afin de persuader les Etats-Unis... de ne pas participer au conflit!

Alvin York (Gary Cooper) est un jeune homme du Tennessee, beaucoup plus intéressé par la vie facile, la rigolade et la boisson, que par l'austérité d'une vie paysanne et les congrégations religieuses. Pourtant, le pasteur local (Walter Brennan), sa mère, sa famille et surtout la petite Gracie (Joan Leslie) vont finir par le remettre dans le droit chemin. Revenu à la vie en tant que chrétien rigoriste, York se destine à une vie de fermier, tranquille et sans histoires. Mais on est en 1917, et il lui faut répondre à l'appel massif de la conscription. Ses demandes d'exemption en tant qu'objecteur de conscience resteront lettre morte, la congrégation à laquelle il appartient n'étant pas reconnue. York devra se battre...

Mais lors de sa préparation militaire le jeune soldat quasi inculte étonne tous ses camarades et ses sous-officiers par son exceptionnel talent de tireur... On lui propose alors de devenir caporal instructeur afin de ne pas perdre son talent; Après réflexion, York accepte; peu de temps après, il est envoyé en France...

Alvin York (1887 - 1964) est en effet ce héros malgré lui, un objecteur de conscience qui est parti en France en 1918 et lors d'une action d'éclat totalement improvisée, s'est retrouvé à faire prisonniers plus de 130 soldat Allemands. L'épisode est dans le film, et fait partie des moments les plus franchement réjouissants du film, Hawks et Cooper ayant inversé la situation habituelle en montrant York en débrouillard totalement inconscient de l'extraordinaire exploit qu'il accomplit. Sa motivation est claire dès le départ: en tuant quinze à vingt hommes (Quand York tire, il fait mouche, c'est très clair), il empêchera la mort de centaines d'autres. Comme il le dit dans le film, "je voulais arrêter les armes de tirer"... Le film est réussi justement parce que nous assistons essentiellement à un travail à faire, une action d'éclat qui est d'abord et avant tout affaire de compétences: le savoir-faire, le travail, la valeur d'un homme, bref la thématique essentielle d'un film de Howard Hawks...

Bien sûr, étant à la fois une quasi-oeuvre de propagande (Des mois avant Pearl Harbor, la Warner poussait clairement avec ce film vers l'interventionnisme des Etats-Unis) et un film de prestige qui célèbre un héros Américain, Sergeant York est très long: deux heures et quatorze minutes, c'est encore assez exceptionnel. Pourtant il ne me semble pas trop long, et la première partie de plus d'une heure qui installe personnage et nous donne à voir sa lente transformation de bon à rien en un brave homme rigoriste et à l'avenir tout tracé, est un concentré de film rural Américain, pas trop éloigné des oeuvres de Capra! Il y a du Deeds et du Willoughby (Meet John Doe) dans ce grand gaillard gauche mais sûr de ses convictions qui peut plier à sa volonté plusieurs bataillons armés jusqu'aux dents... Et qui a besoin qu'on l'amène par la main à prendre la bonne décision, parce que le patriotisme aveugle n'explique pas tout. Le film, en réalité, est superbement construit, et ne nous amène pas jusqu'à l'acte d'héroïsme pour qu'on finisse sur des flonflons et des médailles en chocolat: Alvin York n'accomplit son destin que lorsqu'on l'accompagne jusque chez lui après la guerre et les honneurs, pour qu'enfin sa vie commence.

Et justement, Jesse Lasky a mis environ 20 ans à obtenir l'accord de York pour faire un film! Et encore, il a fallu batailler ferme pour qu'il accepte qu'on y parle de son action d'éclat et de son temps de guerre (Qui a été relativement court, environ un mois). Mais reconnaissons que so on avait suivi l'idée du héros, qui était de montrer sa vie après la guerre uniquement, à des fins didactiques, ça aurait probablement été un film d'une aberrante nullité. Tel qu'il est, il a tout: la ferveur, le mouvement chronologique typique des films de Hawks, ce mélange de savoir-faire et de simplicité dans la mise en scène et ce mélange de modestie et d'héroïsme, plus une musique de Max Steiner et un casting premier choix. Et Hawks dirige en expert des scènes de bataille particulièrement impressionnantes.

...Et cette fois, Walter Brennan a le droit de garder ses dents.

 

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Published by François Massarelli - dans Première guerre mondiale Howard Hawks
27 septembre 2017 3 27 /09 /septembre /2017 16:41

De même qu'il convient de savoir commencer une carrière, la fin est importante... bien que je ne sache absolument si Hawks savait que ceci serait son dernier film. Il a quand même du voir les signes un peu partout: le cinéma n'en finissait pas de muter dans tous les sens, et les genres populaires tentaient de se raccrocher à tous les wagons possibles et imaginables, pendant que les auteurs laissaient progressivement la place à des jeunes réalisateurs turbulents... Pas de place pour un vieux réalisateur certes indépendant, mais aussi particulièrement marqué à droite, dans le cinéma Américain des années 70... c'est d'autant plus paradoxal que nombreux sont les petits nouveaux qui d'une manière ou d'une autre se réclameront de son cinéma: Eastwood, Bogdanovich, Carpenter, Milius, tous l'ont dit ou fait comprendre à un moment ou à une autre.

Donc Rio Lobo est le dernier film de Hawks, et donc son dernier western et bien sur son dernier auto-plagiat. Pourtant, quiconque s'endormirait avant la deuxième heure aurait bien du mal à retrouver ici les schémas de Rio Bravo et El Dorado: on y vient tardivement. D'abord, il y a un long prologue poussif durant lequel le Colonel Cord McNally (John Wayne) qui commande une unité Nordiste durant la guerre civile, se fait rouler par une troupe sudiste, mais réussit à triompher d'eux et les faire prisonniers. Ils va se lier avec deux d'entre eux, le Capitaine Cordona (Jorge Rovero) et le Sergent Phillips (Chris Mitchum). Et à la fin de la guerre, ils vont s'allier: d'une part les deux sudistes vont aider le vieux colonel à mettre la main sur deux traîtres de son bataillon, et de son côté, le colonel va leur prêter main-forte pour aller se mêler des exactions malhonnêtes d'un propriétaire terrien qui s'est allié à un shérif corrompu, dans le conté où vit le sergent Phillips...

Et c'est là que les vieilles tambouilles ressortent: autour de Wayne, juste parmi les justes, on retrouve une troupe de bras cassés, avec beaucoup de femmes dont certaines tiennent un discours féministe, tel que Hawks le voyait (Exactement le même que celui des hommes), un vieux porté sur la boisson (Cette fois c'est Jack Elam), un bellâtre (Cordona est d'origine Louisianaise et Mexicaine, donc il drague à tout va), un dentiste rapide de la tenaille... Tout ce petit monde passe son temps à soutenir des sièges et à balancer des bourre-pifs à une troupe ennemie, comme au bon vieux temps de Rio Bravo, et on boit environ une bouteille de whisky frelaté toutes les dix minutes. La partie consacrée au conflit fratricide est hallucinante de stupidité (En gros, c'est un peu de sport dans les bois, et beaucoup de chevalerie, et non un conflit grave de civilisation impliquant de l'esclavage!): les hommes y passent en une minute trente d'ennemis à meilleurs amis du monde... Hawks tente bien de rafraîchit la situation en faisant de ceux qui sont supposés faire la loi les méchants, et en multipliant les personnages féminins, plus une scène de nudité gratuite à la mode 1970, mais on patine, on patine... Hawks aurait-il dû prendre sa retraite? Ce film n'ajoute rien à sa légende, et est constamment mou du genou. Quant à Wayne, il fait vingt-cinq ans de plus que son âge, et c'est pathétique.

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Published by François Massarelli - dans Western Howard Hawks John Wayne
24 septembre 2017 7 24 /09 /septembre /2017 11:54

Ce film, l'avant-dernier de Hawks, illustre parfaitement un adage typiquement Hawksien: quand les personnages sont bons et que l'alchimie entre eux est parfaite, pourquoi ne pas les reprendre? Et du même coup, pourquoi d'ailleurs ne pas reprendre la même trame, les mêmes enjeux? Donc de Rio Bravo, on passe à El Dorado. De là à faire deux bons films, toutefois, ce n'est évidemment pas gagné. Et pourtant...

Cole Thornton (John Wayne), un homme à la gâchette sûre, un professionnel mais doué de moralité, a un rendez-vous pour un travail: il doit porter son flingue et son savoir-faire au service de Bart Jason, un gros bonnet du conté d'El Dorado. Mais le shérif dudit conté, J. P. Harrah (Robert Mitchum), qui est un vieux copain à lui, ne l'entend pas de cette oreille: il sait que Jason entend faire main basse sur les terres de ses voisins, des éleveurs tranquilles, les Mac Donald. Décidé à refuser l'offre, Thornton voit Jason, mais en revenant à El Dorado il est attaqué par un des jeunes Mac Donald. En légitime défense, il le tue, et ramène son corps dans sa famille. Le père de la victime comprend, mais pas sa soeur, l'impétueuse Joey (Michele Carey): elle tire à son tour sur Thornton, et sans pour autant le tuer, lui loge une balle près de la colonne vertébrale...

Quelques temps plus tard, Thornton apprend que Jason n'a plus face à lui qu'un shérif alcoolique et bon à rien: avec l'aide de "Mississippi" (James Caan), un jeune aventurier rencontré sur sa route, il revient pour prêter main-forte à son copain...

Tout ce qui précède est assez éloigné, finalement, de Rio Bravo, mais ce n'est que le prologue. On reviendra immanquablement aux figures imposées: un shérif, peu d'aide, des gens qui se targuent d'être des pros, des innocents et des "civils" qui passent leur temps à se mêler de ce qui ne les regarde pas, et un vieux bras cassé qui parle trop mais qui abat du boulot: Walter Brennan marchait à la dynamite, pour Arthur Hunnicutt ce sera l'arc et les flèches. En lieu et place de Ricky Nelson, James Caan est un "bleu" très convaincant, dont le chapeau déclenche bien des commentaires. On ajoute aussi, par rapport à Rio Bravo, des chevauchées dans une nature rassurante et fortement ciné-génique! Mais si Hawks a décidé d'inverser le shérif et son copain, c'est quand même Mitchum qui sera l'alcoolique auquel il faut venir en aide: pas question de refiler une telle tare à John Wayne!

Ce dernier est ralenti par sa blessure, ce qui sert tout le monde: ça ajoute un brin de suspense, et ça permet à l'acteur de ralentir le rythme d'une façon convaincante, car l'âge et la santé fragile sont là... Les convictions aussi d'ailleurs, car durant le siège inévitable, en fin de film, les échanges portent autour d'un discours sécuritaire bien à droite, qui est probablement celui de tous les protagonistes: Mitchum, Hawks, Wayne et Caan ne s'en sont jamais cachés.

...Et alors? C'est le mythe du western, cette vieille idée que la loi sur la Frontière dépend d'abord des hommes avant de dépendre de la collectivité, que la loi n'est bonne qu'à s'appliquer, elle ne venge pas et elle ne débarrasse pas nécessairement des putois. Non, croyez-moi, on ne fait pas de gros fun qui tâche avec un western de gauche, parce que c'est purement et simplement de ça qu'il s'agit: du fun. Mission, en ce qui me concerne, accomplie: certes, El Dorado n'est pas Rio Bravo, mais... ce n'est pas Rio Lobo non plus.

 

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Published by François Massarelli - dans Western Howard Hawks John Wayne
11 novembre 2016 5 11 /11 /novembre /2016 17:44

Réalisé au beau milieu des années 30, ce film est une production "Howard", l'une des premières tentatives de Hawks de produire un film en solo, sous la bannière toutefois de Samuel Goldwyn. le style et le ton du film sont à mi-chemin entre les films qui ont précédé le renforcement du code de production (En 1934), et l'aseptisation générale qui a suivi... Avec une intrigue située dans le San Francisco des années 1850, un script auquel Ben Hecht a collaboré, et des acteurs poids lourds (Edward G. Robinson, Miriam Hopkins, Joel McCrea ou Brian Donlevy), on était en droit d'attendre un spectacle haut en couleurs... D'où une certaine déception.

Mary Rutledge (Miriam Hopkins) arrive a San Francisco en compagnie d'un homme qui a pour intention de créer un journal sur place. Elle est venue pour se marier avec un homme qu'elle connait à peine, et apprend à son arrivée qu'il est mort, lors d'une partie de cartes fatale. Elle prend sur elle, et va désormais travailler dans le casino de l'homme qui l'a tué, Louis Chamalis (Edward G. Robinson), abandonnant toute illusion, jusqu'à ce qu'un jeune, beau, et honnête pionnier (Joel McCrea) ne passe par là et s'intéresse à la jeune femme...

On apprécie la confrontation entre Robinson en canaille, mais un de ces malfrats avec une certaine vision esthétique du crime. Il assume sans rougir un rôle à la Lon Chaney, un salaud amoureux d'une femme qui restera inaccessible même lorsqu'elle se donne à lui... Et la peinture du San Francisco brumeux, sale et corrompu ne manque pas de grandeur, surtout dans d'étonnantes scènes qui montrent les citoyens de la ville, menés par le shériff Harry Carey, prenant a loi en mains... Hawks oublie son style austère pour livrer quelques audaces visuelles avec des ombres que n'aurait pas reniées Michael Curtiz... Mais ces bonnes intentions ne suffisent pas à empêcher le film de souffrir sérieusement; en cause, l'histoire d'amour sirupeuse et mal foutue entre McCrea et Hopkins, l'un et l'autre montrant de sérieuses limites...

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Published by François Massarelli - dans Howard Hawks