Une petite localité tranquille, une nuit: à minuit, le sacristain reçoit un coup de téléphone, une voix de femme, puis on entend un coup de feu. Un homme d'affaires, Erland, a été tué. Une femme, l'actrice Mimi Brandt (Karina Bell), l'arme du crime à la main, s'accuse... Avec elle, le jeune comte Braa (Gorm Schmidt), son amant, s'accuse aussi... Le procureur Steen (Elith Reumert) a fort à faire pou dénouer l'intrigue, qui a commencé quelques temps plus tôt quand Erland a commencé à approcher Mimi pour lui parler d'un héritage dont elle serait bénéficiaire...
C'est un whodunit! Vous savez, ce film qui vous fait réfléchir longuement avant de vous révéler que c'est le jardonier qui a fait le coup! Généralement, c'est un exercice assez vain, mais les films peuvent aussi être réhaussés d'un peu de comédie ou d'atmosphère...
Pour le procureur comme pour nous, puisque les témoignages des deux seuls protagonistes qui apparemment savent quelque chose nous sont certes donnés, mais à chaque fois ils sont adroitement ciblés de manière, on le comprend très vite, à éviter d'en dire trop. La question inévitable, c'est bien sûr de deviner lequel des deux tourtereaux ment pour couvrir l'autre... Ce que comprend Steen assez rapidement.
Anders Sandberg savait tout faire et avait une bonne maîtrise de tous les genres... Dans un cadre raisonnable s'entend, et cette histoire sentimentalo-policière lui convient plutôt pas mal, avec ses arrières-goûts de mélodrame sentimental. Les ingrédients en sont tous cochés: le père conservateur du jeune homme, l'indignité de se montrer en public avec une actrice, le vieil homme d'affaires franchement libidineux...
Ce n'est en aucun cas un film à message, juste un film de genre, bien fait et plutôt bien interprété, avec savoir-faire sinon brio, et avec quelques touches d'humour fournies par les domestiques, dont Mathilde Nielsen, qui tournera deux ans plus tard avec Dreyer dans Le maître du logis...
C'est une comédie d'une bobine, réalisée en 1914 par le futur metteur en scène des drames flamboyants comme Le Clown (1926) ou Revolutionhochzeit/Un mariage sous la terreur (1928), ou les adaptations très soignées de Dickens réalisées entre 1921 et 1924... Un petit peu inattendu, mais pour qui est un observateur de la façon dont fonctionnaient les studios de Copenhague, pas tant que ça! Sandberg, après tout, était un réalisateur sous contrat, et il en était à ce stade au début de sa carrière.
On reconnaîtra dans ce fragment un autre grand nom du cinéma Danois, tout aussi peu connu, sauf si on s'intéresse à son surnom: Carl Schenström, plus connu en France donc sous le sobriquet de Doublepatte (qui avec Harald Madsen, dit Patachon, formait un duo comique de superstars qui préfiguraient Laurel et Hardy)... Un acteur versatile, qui est d'ailleurs assez méconnaissable ici, en fait.
Le film est donc réduit, d'une bobine (soit 15 minutes environ) à un fragment de deux minutes, qui présentent des gags, sans qu'on ait le contexte, difficile donc dans ces conditions de s'y retrouver dans l'intrigue! C'est encore un de ces films dont un fragment a survécu par accident, lorsqu'un documentariste a décidé d'incorporer un extrait d'un film dans une compilation consacrée au cinéma Danois entre 1913 et 1923... Même si on doute que le film soit du plus grand intérêt, on souhaite quand même qu'un jour, on puisse en retrouver une copie. Il faut s'attendre à ce que ce fragment, préservé désormais en 35mm, puisse un jour rejoindre la précieuse collection que le DFI consacre, sur leur site inernet, à leur patrimoine muet: plus de trois cent films y sont déjà consultables, en HD et gratuitement...
"L'homme au doigt manquant" (il n'est connu que sous ce patronyme générique) s'évade de prison, et ne tarde pas à réassembler sa bande de malfrats. Avec leur aide, il kidnappe un banquier avec l'intention d'en obtenir une rançon en échange... Mais la banque confie l'affaire à un détective doué...
L'ombre de Feuillade, encore et toujours, plane sur ce film, dont Sandberg, qui a déjà réalisé plusieurs films avec le même personnage et le même univers, fait une fois de plus un laboratoire de mise en scène atmosphérique. Il utilise avec une grande efficacité toutes les ressources offertes par le cadre, la profondeur de champ, le montage, et le décor...
Le titre est clair et explicite, mais l'identification du bandit qu'il permet est souvent utilisée pour des gros plans dynamiques, qui montrent que sandberg a tout compris de l'utilisation du signe cinématographique, à travers le recours à ces plans lents qui voient la main au doigt manquant en action: trois ans avant les premiers films de Fritz Lang, qui sera (en autre disciple déclaré de Louis Feuillade) un maître absolu de cette technique narrative...
Bien que le copyright du film indique la date de 1920, le film est sorti à l'automne de 1921, alors que le cinéma Danois se remettait encore avec difficulté de la mort de Valdemar Psilander (que Sandberg avait dirigé en 1917 dans son film Klovnen peu de temps avant son décès prématuré)... C'est donc Gunnar Tolnaes, qui avait plus ou moins pris la place de la star disparue, qui interprète le rôle principal aux côtés de l'acteur Philip Bech, et de Kate Riise. Cette dernière, qui incarne une artiste de music-hall, avait exigé d'apparaître sous un nom d'emprunt, car le rôle exigeait d'elle des scènes en petite tenue (en l'occurrence un justeaucorps et des collants pour les scènes situées dans les coulisses, des vêtements jugés très suggestifs par l'actrice)...
Le titre, qui signifie "Les yeux peuvent-ils mentir?", trouve dès l'ouverture, un écho: en effet le film commence par un plan très clair, celui des yeux d'une jeune femme aux cheveux blonds, qui nous regardent de façon très aguichante... Une façon comme une autre de placer le sujet de ce mélodrame: un riche héritier (Tolnaes) est amoureux d'une artiste (Riise), et la séduit. Ils veulent se marier mais la famille sent venir une entourloupe. Alors que le mariage se profile à l'horizon, la jeune femme disparaît. Egil va donc en concevoir un doute, et quand elle revient, tenter d'éclaircir l'affaire... est-elle une "chercheuse d'or", déterminée à tenter d'intégrer une famille riche pour se casre, ou une femme authentiquement amoureuse qui cherche à échapper à un passé pesant, et dont les aspects sordides sont complètement indépendants de sa volonté et de sa personne?
Un (mélo) drame dans la bourgeoisie, des traditions bousculées, des codes amoureux dictés par les conventions, un mariage en dépit de la désapprobation des parents, une figure féminine sur lequel le doute (celui des protagonistes aussi bien que celui des spectateurs) plane avec insistance, des personnages mystérieux, une mort suspecte, et enfin des secrets compliqués voire inavouables... On est en plein mélodrame établi, étanche et à l'épreuve des balles. Mais qu'on ne s'y trompe pasSandberg démontre une fois de plus son métier irréprochable et sa filiation avec les grands noms du cinéma Danois des années 10, Blom, Holger-Madsen, Gad et Christensen en tête: son utilisation des lumières et de l'ombre, sa scénographie des intérieurs bourgeois (particulièrement luxueux), le jeu souvent très retenu des acteurs, tout fonctionne très bien. Le cinéaste prend un certain plaisir à détailler à travers tous les univers aperçu (les coulisses d'un théâtre fréquentés par les héritiers en haut-de-forme qui viennent fréquenter les danseuses, un salon austère dans lequel la famille tient conseil, des galeries imposantes de manoirs tout aussi peu discrets...) tout le luxe mais aussi la vanité d'un monde qui semble bien loin de ce que devait être le quotidien des gens qui fréquentaient les salles de cinéma à l'époque. Car cet art consommé du mélodrame est un art populaire par définition, qui se doit de raconter et d'aller d'un point A à un point Z...
Le film fait la part belle aux gros plans dynamiques, pas de décrochage idéaliste à la façon d'un Griffith: chaque plan a une fonction rigoureuse dans la continuité... Et cette histoire certes un rien éventée plus d'un siècle plus tard se déroule tranquillement sous nos yeux, dans un style qui ne fait certes pas de vagues, mais donc l'eficacité n'est plus à démontrer... C'est un film qui ressemble beaucoup, donc, à ceux que Sandberg allait réaliser durant toute la décennie.
Le film, comme tant d'autres de son auteur, est disponible sur le site de plus en plus fourni du Danske Filminstitut, mais comme pour la plupart des oeuvres disponibles, ce sera titré en danois sans sous-titres...
Un couple se marie... mais le fils est appelé en urgence auprès de son père malade, qui a quelque chose d'important à lui dire: aucune femme ne doit entrer dans sa maison, qui est maudite. Pour appuyer ses dires, il lui raconte une histoire lointaine, une légende de famille...
C'est alors qu'un flash-back nous conte cette légende (qui concerne une ancètre qui a trompé son mari violent, seigneur du château) que le film s'arrête, réduit à la dimension d'une seule bobine... Il promettait d'être un solide mélodrame à caractère mystérieux, comme Sandberg en a fait quelques-un: on se souvient en particulier du très esthétique Kaerlighedens Almagt sorti quelques mois auparavant...
Donc c'est a priori un film superbe, mais il n'en reste hélas que 11 minutes. Elles sont disponibles (avec des intertitres en Anglais sous-titrés en Danois) sur le site Stumfilm, de la cinémathèque danoise, consacré intégralement au films muets préservés par l'organisme.
Au début de l'ère Victorienne, la rencontre entre un jeune homme de bonne famille et une jeune femme de la classe ouvrière, dont le père est un repris de justice, est compliquée par les convenances...
C'est le quatrième et dernier film de Sandberg consacré à une adaptation de Dickens, des films qui lui tenaient à coeur et pour lesquels la Nordisk mettait à sa disposition des moyens considérables... Mais ce n'est pas Les grandes espérances, qui est une réussite sur bien des points: non, d'une part le roman choisi est l'une de ces oeuvres à la thématique floue, dans lesquelles le romancier réglait des comptes personnels (son père a été lui aussi incarcéré dans les mêmes conditions que l'héroïne), et faisait plus ou moins semblant d'inscrire des revendications sociales pas toujours en cohérence avec le reste de son oeuvre mélodramatique, mais en plus il souffre d'être inscrit dans une intrigue qui passe par beaucoup trop de texte, ce qui pour un film muet est rédhibitoire. Et du coup les principaux personnages subissent trop l'action au lieu d'en être les véritables protagonistes.
Alors évidemment, les décors sont très soignés, les costumes très impressionnants de véracité, et une bonne part de l'interprétation (Sandberg a son équipe et des acteurs dévoués qui sont à l'écoute de sa direction qu'on disait patiente, mais on peine à se passionner pour ce long et assez statique drame dans lequel Karina Bell n'a peut-être pas les épaules assez solides pour soutenir l'intérêt du spectateur...
Après Our mutual friend et David Copperfield, c'est la troisième des trois adaptations spectaculaires de Dickens par Sandberg. On y retrouve le même soin que dans les autres, une volonté affichée de rendre le roman aussi complet que possible dans son adaptation, mais avec cette fois des raccourcis: la longueur du premier film avait été la source d'ennuis, cette fois Sandberg a réussi à rester en dessous de deux heures, et livre une version linéaire, d'une fidélité exemplaire, et très réussie...
Philip Pirrip (Martin Hezberg), un jeune garçon orphelin qui grandit aux côtés de sa soeur (Ellen Rovsing), une femme acariâtre, et de son mari Joe Gargery (Gerhard Jessen), forgeron de son état, ressent plus d'affection pour ce dernier que pour sa soeur, qui a la main fort leste. Un soir qu'il est resté au cimetière, sur la tombe de sa mère, un forçat évadé (Emil Helsengreen) obtient de lui la promesse de revenir lui donner de la nourriture en échange de la vie sauve. Il revient le soir même... Sans savoir que son geste allait changer complètement sa vie.
Plus tard, il fréquente la maison excentrique et délabrée d'une dame à demi-folle qui vit en compagnie de sa mystérieuse pupille Estella (Olga D'org): Miss Havisham (Marie Dinesen), éternellement habillée en robe de mariée (son mariage a été annulé in extremis), vit dans le passé et la rancoeur, et semble élever Estella dans la méchanceté à l'égard des hommes, ce dont Philip (surnommé Pip) fera bien vite les frais, d'autant qu'il est amoureux... Quand le premier acte se termine, Pip devenu adulte (Harry Komdrup) apprend qu'il est l'heureux dépositaire d'une fortune, mais sans connaître l'identité de son bienfaiteur... Ou de sa bienfaitrice, car il soupçonne Miss Havisham d'être son ange gardien secret...
Dickens ne s'était pas fait que des amis, avec un roman dans lequel il mélangeait le chaud et le froid, l'amour (Pip) et la souillure (Miss Havisham), les largesses d'un mystérieux bienfaiteur et la violence menaçante d'un forçat. En Pip, héros enfantin devenu adulte sans perdre son âme d'enfant, il avait créé un personnage qui allait déplaire, mais qui est parfait pour le cinéma. D'une part, il y a de nombreuses adaptations, et ça continuera tant que le cinéma et les images qui bougent existeront... Ensuite, avec sa naïveté affichée, il est le parfait vecteur de cette entreprise d'illusions que sont les films.
Et c'est, je pense, ce qui attire Sandberg dans Dickens et la raison pour laquelle il va réaliser tant d'adaptations de ses oeuvres... Il touche ainsi à une relative universalité, ou du moins à ce que l'occident en 1922 considérait comme tel. Il a du matériau parfait pour du mélodrame, pour des intrigues linéaires avec moult péripéties. Et il a des possibilités plastiques phénoménales, avec ces costumes 1860, ces décors Londoniens qui ici, au passage, ne sont pas forcément très recherchés, mais aussi ces décors naturels qui sont l'une des caractéristiques les plus évidentes du cinéma danois: de la scène dans le cimetière jusqu'à la rencontre finale de Pip et Estella, le film est souvent confronté à une nature sans artifice, parfaitement composée, dans des plans rigoureux. Pas d'audaces filmiques proprement dites, et si le metteur en scène est comme la plupart de ses collègues danois passé expert dans l'utilisation du clair-obscur et ne s'en prive pas, il fait peser de manière importante ces scènes diurnes qui marquent en particulier la première partie: on se souvient de la rencontre sinistre, en plein jour, avec un bandit...
Le film allait-il bouleverser l'histoire du cinéma? Non, bien sûr, pas davantage qu'il n'allait restituer au Danemark sa place de premier plan qui était la sienne en ce qui concerne le septième art, dix années auparavant. Mais ce que voulait Sandberg, c'était offrir à un public populaire des retrouvailles avec un roman qui avait tout pour l'être, en allant si possible un peu plus loin qu'une simple illustration. C'est tout, et c'est déjà beaucoup.
Les Quatre Diables, des acrobates, sont deux garçons et deux filles, issus de deux fratries différentes, et élevés jusqu'à devenir des artistes talentueux par un père adoptif particulièrement pointilleux... Ils sont très unis, mais avec l'arrivée de l'âge adulte, les ennuis commencent: l'une des deux jeunes femmes, Aimée (Margarethe Schlegel), ressent un amour d'autant plus troublant pour Frederick (Ernest Winar), qu'il ne semble pas se soucier d'elle. Par contre, il est tombé amoureux d'une comtesse qui ne rate pas une seule des représentations, et qui l'a invité à la rejoindre dans sa maison... Frederick en revient épuisé par l'amour, mais commence lors des entraînements à ressentir un vertige qui l'inquiète beaucoup, et ses partenaires également: c'est que pour une soirée de charité très en vue, ils vont effectuer leur numéro de trompe-la-mort sans aucune protection...
Sandberg est en délicatesse avec la compagnie Nordisk Film de Copenhague au moment où il effectue ce film, tourné à Leipzig et à Berlin pour un distributeur Allemand. Il vient de compléter son film le plus ambitieux (tourné en 1918, monté en 1919, et qui ne sortira qu'en 1921), une adaptation de Our mutual friend de Dickens, et doit batailler sur le montage, l'exploitation et tout un tas d'autres choses. On remet en cause sa position au sein de la compagnie, qui lui permettait de mettre en scène des grands sujets sans interférences... Le choix du film tourné en Allemagne est assez ironique, puisque Les quatre diables avait déjà été un énorme succès en Europe en 1911, sous pavillon Danois! C'était une production de Robert Dinesen, adaptée du roman de Hermann Bang, et qui allait ensuite fournir la base d'un film de Murnau aujourd'hui disparu, réalisé à la Fox en 1928...
Mais Sandberg, dont le style passe-partout s'adaptait assez bien à tous les environnements, en fait un film totalement nocturne, dans lequel il focalise toute son intrigue sur l'âge adulte de ses protagonistes, contrairement aux deux autres adaptations qui proposeront l'histoire en séquence, en commençant par la jeunesse difficile sous la protection mais aussi la férule du clown Cecchi: ici, ce ne sera qu'un flash-back occasionné à Frederick par le répit que lui accorde la "comtesse", et qui aura pour effet de le priver de sa capacité à braver le vide: une métaphore de l'impuissance comme le cinéma des années 10 et 20 les aimait, à la fois subtile et riche en clichés... La copie disponible (retrouvée en Uruguay) laisse assez peu de chances de voir la beauté de la photographie, et est probablement fragmentaire. Sandberg avait-il lui même recentré son film sur les deux personnages tragiques, ou est-ce dû à un remontage (la copie est en 16 mm, et à de nombreuses reprises, on sent des trous dans l'intrigue, avec des flash-backs manquants, de toute évidence)? Nous ne pouvons pas le savoir. Mais en l'état, ce film, un chaînon manquant de la carrière d'un des cinéastes les plus grand public du cinéma danois, reste intéressant, avant qu'une meilleure copie ne soit disponible, au DFI par exemple?
C'est, selon toute vraisemblance, la première des quatre adaptations de romans de Dickens par Sandberg, et ça montre bien les ambitions du metteur en scène, qui cherchait à produire des films au Danemark qui rivaliseraient avec le meilleur du cinéma mondial et en particulier avec les quatre leaders de l'industrie, Italiens, Français, Américains et les Allemands revenus d'entre les morts, et qui étaient fortement présents au Danemark. Bref, le réalisateur de Klovnen cherchait à apporter sa contribution pour restaurer la toute-puissance Danoise d'avant 1914 en ce qui concerne le cinéma...
Dans ces conditions, le choix de Dickens peu paraître étonnant, mais la même année, Griffith aux Etats-Unis sortait Orphans of the storm, qui devait plus aux romans de Dickens qu'à la pièce qu'il adaptait! Pourtant, le film de Sandberg est très différent de ce que faisait Griffith...
L'intrigue du dernier roman de Dickens est touffue, et il semble que le film ait cherché à en adapter les moindres recoins, et à en reprendre toute la richesse des personnages, qui sont fort nombreux, et chacun d'entre eux apporte un nouvel élément de complication dans la première partie! Il est donc question d'un testament, celui d'un vieil homme dont l'unique héritier est retrouvé mort. Sa fortune est donc reprise par son valet, un brave homme un peu simplet, mais... Evidemment, tout le monde la convoite un peu; bien sûr, certains sont plus malhonnêtes que d'autres; bien sûr, les riches et les pauvres vont s'opposer, en particulier sur la morale; et enfin, pour couronner le tout... L'héritier est-il vraiment mort?
C'est emballant, car en dépit d'une fidélité au texte, à sa linéarité et à la naïveté mélodramatique de l'intrigue, Sandberg a évité les pièges d'une trop littérale adaptation. Il illustre, oui, mais en poussant les ambiances, pour faire de son Londres inquiétant quelque chose de plus fort encore que ce que voulait Dickens. Chaque personnage peu être lu de plusieurs façons grâce à des caractérisations plus cinématographiques que littéraires, et le metteur en scène utilise le montage à merveille pour alterner plans d'ensemble d'une grande richesse, et inserts vivants. Les acteurs incarnent totalement leur personnage, et comme c'est un film Danois les éclairages sont luxueux!
Après ce qui précède, on s'attend à un "mais...", et ça ne va pas pouvoir être évité: "...mais" le problème c'est que la deuxième partie est perdue, en tout cas de moitié, et n'a survécu que sous la forme de fragments disjoints. Au regard de la qualité photographique de la copie et de l'impeccable tenue de la première partie, c'est un crève-coeur... Cette adaptation sage mais très réussie donne envie de voir les autres films adaptés de l'écrivain par le décidément très intéressant metteur en scène, qui ne mérite absolument pas d'être tombé dans l'oubli.
Danemark, 1924: il fait froid! Un peintre (Knud Almar) semble filer le parfait amour avec son modèle Helga (Karina Bell), une jeune femme bien comme il faut à laquelle il demande de figurer une paysanne Italienne, ce qui réchauffe... Mais le père (Viggo Wiehe) de la belle vient de revoir une vieille connaissance: Helder (Peter Marberg), l'ami d'enfance de sa fille, un chauffeur de locomotive qu'il trouve bien sympathique... Ce qui ne sera pas le cas de mademoiselle qui devant l'ingérence paternelle, fait un caprice: elle part rejoindre son artiste en Italie où il est supposé profiter de la beauté des lieux. C'est embêtant, puisqu'essentiellement il profite de la beauté de son modèle, la belle Teresa Lucani (Xenia Schroeder). Quand celle-ci voit arriver Helga, elle a le coeur brisé...
C'est une comédie, une vraie, avec un soupçon de l'excentricité bienvenue du film de 1923, le fameux Mystère de Park Hill également connu sous le nom de Nerfs brisés... Comme il le fera dans son mélodrame Fra Piazza del popolo l'année suivante, Sandberg est parti tourner son film en Italie et on le sent motivé par les beaux décors locaux... Ainsi que par les clichés locaux: venu retrouver Helga pour continuer à marquer des points auprès du père, Helder ne tarde pas à repérer le frère de Teresa qui cherche un moyen de venger sa soeur, et à eux deux ils vont monter un canular autour d'une mythique société secrète qui protège les femmes Italiennes des ravages de séducteurs venus d'ailleurs! Ce qui va occasionner bien des gags et des péripéties...
Sandberg multiplie les allusions aux différences de température entre le Danemark et l'Italie aussi, au point d'imaginer un gag visuel particulièrement farfelu: quand elle est prise de remords d'être partie sans prévenir son père, Helga imagine ce dernier l'attendant enfoui sous une solide couche de neige. Sandberg s'amusera aussi à rythmer sa dernière demi-heure de scènes montrant invariablement le père faisant les cent pas chez lui, avec chaque fois un accoutrement différent.
Et non content de parfaitement profiter de la photogénie de son décor, il demande et obtient de ses acteurs plus généralement rompus au drame de raies performances de comédie, et c'est une révélation: Karina Bell en particulier est bien meilleure que dans les drames qu'elle a interprétés pour lui (Notamment le plus emblématique, Klovnen, la version de 1926). Pour comparer, elle retrouvera ce ton en interprétant un personnage secondaire en 1928 dans Un mariage sous la terreur... Sans temps morts, très distrayant, ce film miraculé de Sandberg est à nouveau une belle surprise, dans laquelle le metteur en scène recycle quelques idées glanées chez Harold Lloyd (Dr Jack, 1922), notamment toute la (fausse) terreur déclenchée par Helder afin de pousser Carlo le peintre à retourner auprès de Teresa...