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7 juillet 2019 7 07 /07 /juillet /2019 08:48

Nous faisons la connaissance d'une poignée de femmes, qui vivent ensemble et pratiquent le même travail: elles sont prostituées, plus ou moins de luxe, car elle fonctionnent sur rendez-vous dans les hautes sphères de la société. Leur spécialité, c'est de se faire inviter pour les soirées délirantes organisées par les dignitaires Saoudiens en voyage. Nous faisons la connaissance de Soukaina (Halima Karaouane), qui rêve de se trouver un prince Saoudien, mais reste très attachée à un clochard qui peut être très violent, de Randa (Asma Lazrak), dégoûtée du métier qui la pousse dans les bras des hommes, alors qu'elle préférerait des clientes, de Hlima (Sara Elhamdi Elalaoui), la petite paysanne enceinte qui commence le métier, et qui a tout de la "tête brûlée" et enfin de Noha (Loubna Abidar), la doyenne de tout ce petit monde, qui essaie tant bien que mal de les mener à la baguette, mais qui cache une situation terrible: rejetée par sa famille qui s'occupe de son petit garçon, elle doit en plus penser pour toutes ses copines...

Si le film s'attaque au cas de la prostitution, du'ne façon très réaliste, ce n'est pour autant ni misérabiliste, ni de l'exploitation pure et simple. C'est un portrait d'un groupe au passage très féminisé, où les rares hommes (à l'exception de Saïd, le chauffeur et homme à tout faire de la bande, interprété par Abdellah Didane) sont des travestis qui rêvent d'Europe et d'opération. Et ces femmes, qui font un métier qu'évidemment on ne souhaite à personne, répondent pourtant à un besoin explicite de la société. Ca va même plus loin, car dans les anecdotes du film liées aux princes Saoudiens, des sacrés fêtards, il y a l'histoire de Soukaina et de son Saoudien attitré (Enaamane El Haulaili) qui fanfaronne, passe ses nuits avec la jeune femme, mais ne peut absolument pas coucher avec elle; quand elle découvre qu'il est gay, sa réaction à elle est inappropriée, mais la sienne, en se sachant débusqué, est ultra-violente: les filles accompagneront leur amie au poste pour porter plainte, mais elles devront subir l'affront d'une plainte à leur égard... Vous le verrez plus tard, cet épisode est tristement prémonitoire.

Pourtant, le film montre aussi qu'il y a une vie pour ces quelques femmes modernes, souvent habillées à l'occidentale, qui rêvent comme Randa d'un ailleurs (L'espagne où elle souhaite s'exiler, ou la douceur des amies), qui se serrent les coudes. Et le film est assez clair, le système du pays, foncièrement patriarcal, leur fait une place, tant qu'elle n'en abusent pas, et surtout tant qu'elles se contentent de faire ce qu'on veut d'elles. Jusqu'aux clients étrangers qui s'attendent à une soumission à leurs moindres désirs. Et paradoxalement, si elles ne sont pas libres, en tout cas ces prostituées bénéficient d'une sorte de traitement de faveur dans la mesure où elles peuvent se permettre des licences (tabac, cocaïne, alcool), qui bien sûr ne sont pas de ce qui est favorisé par les bien-pensants parmi leurs clients: beaucoup d'hypocrisie, donc...

Le style choisi par Ayouch est quasi documentaire, et il a choisi de placer sa caméra au plus près des corps, ce qui a profondément gêné les quelques détracteurs du film, qui en réalité n'en ont sans doute pas vu la vraie version... Des détracteurs qui n'ont sans doute aucun problème avec le "système" décrit dans le film, où chaque rouage (prostituée, facilitateur, client) a sa place, et qui est une machine bien huilée) mais qui n'ont aucun problème non plus à traiter explicitement l'actrice Loubna Abidar de "pute", ignorant totalement le courage de la jeune femme. Derrière la prostitution, c'est toute la condition féminine au Maroc, un pays pourtant réputé "avancé", qui est pointée du doigt.

On a écrit beaucoup de bêtises sur ce film sans fards, et je tiens à préciser que j'ai vu la seule version approuvée par Ayouch, la seule qui soit effectivement sortie: en effet, une version de trois heures, probablement un montage de travail qui n'était absolument pas destiné à être vu en dehors des membres de la production, a fuité peu de temps avant la sortie, et dans certains pays où le film n'est pas sorti, cette version indigne et parfois très explicite était la seule visible. D'où l'égarement d'un certain nombre de commentateurs, qui considèrent que le film est beaucoup trop long, et d'où surtout les ennuis subis depuis cette fuite par Loubna Abidar, traitée de prostituée sur les réseaux sociaux, et attaquée physiquement: embarquée de force dans une voiture, elle a été frappée avant d'être jetée du véhicule, et a dû en prime subir la moquerie des policiers auxquels elle s'est adressée. Son crime, tout simplement, était d'avoir participé à un tournage extrêmement réaliste... On n'ose imaginer ce qui lui serait arrivé si elle avait tourné avec Abdellatif Ketiche. Elle a décidé de s'exiler pour la France, et on lui souhaite de relever la tête et de continuer son métier, elle est formidable...

En attendant, c'est précieux de pouvoir voir un film comme celui-ci, mais la difficulté dans laquelle s'est trouvé Ayouch (le film est sorti au Maroc, mais on ne peut pas dire qu'il y ait été bien accueilli), et les ennuis subis par Loubna Abidar, nous font craindre pour l'avenir... A suivre.

 

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Published by François Massarelli - dans Afrique du Nord
19 avril 2015 7 19 /04 /avril /2015 11:09

Sorti en Egypte en 2010, ce film part d'une anecdote qui avait plus ou moins défrayé la chronique il y a quelques années: une jeune femme victime d'une agression avait porté plainte en insistant sur le caractère sexuel de l'agression dont elle avait été la victime. Elle était la toute première femme en Egypte à le faire. D'où l'idée de ce film qui mèle trois parcours de trois femmes, symboliquement très différentes les unes des autres, séparées par leur niveau social, leur culture, et la façon dont elles cultivent leur apparence.

Fayza (Boushra), voilée, est une musulmane assez conservatrice, et elle est mariée à un homme assez traditionnel. Ils vivent dans un quartier défavorisé, et fait des sacrifices pour pouvoir assurer une éducation decente à ses enfants. Mais elle est obligée de prendre des taxis, car le bus est un lieu malsain pour les femmes comme elle: elles ont à subir les attouchements des hommes, qui profitent de l'affluence pour avoir les mains (Et plus parfois) baladeuses. Ils ont même mis au point la "technique du citron": se mettre un petit citron dans la poche, et se frotter. Si la femme se plaint, on prétend avoir oublié le citron dans la poche, si elle ne se plaint pas, on peut y aller carrément...

Seba (Nelly Karim) est une jeune commerçante indépendante, mariée à un jeune obstétricien. Aisée, elle se rend avec lui à des matches de football, et un soir, lors d'un match gagnant pour l'Egypte, elle va subir des tripotages lors des débordements de foule. Elle réagit d'une façon que son mari trouve disproportionnée: elle se lance dans des cours d'auto-défense pour les femmes, qu'elle réussit à médiatiser. Fayza sera l'une de ses "élèves", allant jusqu'à utiliser des épingles et des canifs pour faire valoir ses arguments dans le bus.

Enfin, Nelly (Nahed el-Sebai), une jeune femme de culture occidentale, subit un jour une agression violente et inattendue: un homme au volant d'une voiture s'accroche à un de ses pendentifs et s'amuse à la trainer sur plusieurs mètres. Elle va porter plainte, ce qui déclenche une réaction d'étonnement généralisé. Plus grave, elle n'obtient pas le soutien de sa famille, aux idées pourtant très avancées. Les trois femmes vont inévitablement se rapprocher, et organiser symboliquement une sorte de résistance. Pendant ce temps, le mari de Fayza, Adel (Basem el-Samra), ne comprend pas que sa femme se refuse à lui ("Pourquoi crois-tu que je me suis marié?", plaide-t-il!), et l'inspecteur Essam (Maged el-Kedwany) voit avec un mélange d'agacement et d'amusement se multiplier les agressions contre des hommes sur la ligne de bus 678...

Le ton oscille entre l'urgence quasi-documentaire (Même si la façon dont Diab orchestre les rencontres et les liens dramatiques entre les trois histoires d'une façon chorale qui renvoie à la méthode d'Alejandro Gonzales Inarratu, en utilisant beaucoup la caméra portée à l'épaule et un montage de guerilla!) et un ton de comédie, ce qui est troublant; le ton est à la comédie (Notamment grâce à la prestation époustouflante de Maged el-Kedwany, qui interprète son inspecteur de police d'une façon qui permet de nous raccrocher à son point de vue, et qui met les actions des trois femmes en perspective: elles sont arrêtées, mais aucunes de leurs "victimes" n'a porté plainte, et pour cause. Du coup, il soutient leur combat à défaut de leurs actions)... Mais le propos reste dramatique: le film est une radiographie de la société Egyptienne, tout tournant autour des données des relations hommes-femmes: rapports sexuels mécaniquement réclamés par le mari tous les soirs, droit de tout faire et de tout tenter vis-à-vis de la femme qui se trouve face à soi, impunité assumée avec arrogance par la plupart des hommes, conception de l'honneur qui fait que toute femme victime d'un viol attire sur elle et sa famille l'opprobre, que toute femme qui se présente dans la rue se trouve par avance coupable des attouchements dont elle pourrait être la victime. Une société dans laquelle une femme enceinte arrive au bout du découragement devant la multiplication de ses enfants mâles, dans laquelle un fonctionnaire de police se ferme à la seule évocation d'une plainte pour agression sexuelle. Dans le film, Nelly se présente à la télévision pour médiatiser sa plainte, et les appels l'accusant de tous les vices vont se multiplier durant l'émission.

Mais ce qui est finalement le plus troublant, c'est cette réflexion de Seba, qui accuse Fayza, voilée, non maquillée et soumise, de laisser faire par ses valeurs traditionnelles, rappelant qu'il n'y a pas si longtemps, les Egyptiennes portaient des jupes courtes, sans qu'il ne se passe la moindre émeute. Le film ainsi rappelle que rien n'est inéluctable et que le "retour à l'ordre moral" est toujours tapi dans un coin, que ce soit en Egypte d'avant la révolution, en Egypte d'après la révolution, ou dans des pays Occidentaux dans lesquels les agitateurs religieux de tous poils sont prèts à aller défendre les idéaux moyen-âgeux dans la rue. Il serait absurde d'imaginer que les violences faites aux femmes ne soient liées comme le prétendent quelques charlatans politiques à une seule culture, un seul pays ou une seule religion. D'où l'intérêt d'un tel film, qui est d'ailleurs sorti en Europe en 2012, ce qu'on ne peut pas dire de beaucoup de films Nord-Africains.

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Published by François Massarelli - dans Afrique du nord