Dans la famille Looney Tunes, je demande... le quatrième film! Avec ce nom générique, inpiré des silly Symphonies de Disney, la Warner entendait faire une concurrence frontale, et le feront encore plus ouvertement avec leurs Merrie Melodies, plus dignes du moins au début, et qui rivaliseront avec leur modèle en arborant de vives couleurs.
Mais pour l'heure, la seule formule des Looney Tunes, c'est d'animer des personnages en musique (la marque de fabrique de l'animateur Isadore "Friz" Freleng, qui avait quitté Disney, justement, en 1928) et d'accumuler les occasions de montrer des personnages en mouvement, en s'inspirant mollement d'une chanson!
Et ici, comment dire, ce n'est en aucun cas la sophistication qui prime... Des cochons qui sont en plein repas trouvent dans leur auge une bouteille d'alcool maison (on est, je le rappelle, en pleine prohibition). Ils se servent et la beuverie s'étend à Bosko, le personnage principal. Ce dernier en deviendrait presque un Mickey Mouse pré-code...
Vous regrettez qu'on ne voie pas souvent, dans un film de la série des Looney tunes, un personnage roter puis vomir du maïs? Ce film répond donc à ce besoin... Youpi!
On retrouve Charlie, le chien en quête de maître révélé dans Little Orphan Airedale en 1947, qui poussait le pourtant affable Porky Pig dans les derniers retranchements de l'irritation! Cette fois il est sur un bateau où manifestement il est un serial passager clandestin: on entend la voix du capitaine qui demande "je ne m'étais pas débarrassé de toi au Pérou?"... Il est donc une fois de plus débarqué, cette fois dans un port Italien. Sa quête est toujours la même: puisqu'il est un chien, et donc se croit irrésistible, trouver un humain qui sera son maître. Il jette son dévolu sur un patron de restaurant, ce qui ne manque pas de jugeotte. Cela dit l'amour n'est pas réciproque...
Dans un port Italien, Charlie est plus natif de Brooklyn que jamais: entendant la population lui parler en Italien, il se plaint du nombre d'étrangers... Ce chien qui réclame tant d'affection est sans doute l'une des personnalités les plus détestables de toute l'histoire du cartoon! il réclame de l'affection par principe, mais n'a pas le moindre sentiment à partager. Du reste on le lui rend bien puisqu'il est généralement inévitable qu'il soit rejeté, dans une récurrence de gags qui est la marque de fabrique la plus distinctive du style de Chuck Jones...
Celui-ci s'amuse aussi beaucoup avec le langage, dans ce port Italien, où un restaurant (Pasquale's palazzia di spagettini) affiche en vitrine de bien curieuses formulations qui ne sont de l'italien que si on n'y prend pas garde: on y annonce par exemple qu'on y sert des "speciali di jiorno" qui seraient des "Meata balls & Spaggetti" (les fautes sont d'origine)... Il y a aussi au menu une "pizza si cheeso". Et quand un client arrive, il demande "Na bella piatta del una cacciatore di tetrazzini cu ragù di marinara di la piazza rigotini mozzarella fina": si vous googlez cette impressionnante séquence de syllabes, vous n'aboutirez qu'à des pages consacrées à ce film. On s'y moque bien sûr aussi gentiment des accents, ce qui renvoie à une autre série plus fournie due aux talents de Jones et du scénariste Michael Maltese, consacrée aux aventures de Pepe le putois. Un autre personnage irritant dont il est particulièrement difficile de se débarrasser, mais pour d'autres raisons...
Une vieille dame et deux animaux qui se font une guerre larvée et impitoyable pour ses affections... Tiens tiens, quelques années avant de raconter les mésaventures d'un chat aux prises avec le canari le plus sadique de toute la terre, Freleng faisait ses gammes... D'ailleurs il y a aussi un canari!
Donc un chat et un chien se battent tout le temps, et avant qu'ils ne s'entretuent, leur maîtresse leur pose un ultimatum: ils deviennent amis et cessent toute vélléité d'escarmouche, ou ils iront dehors dans la froidure et la neige comme il se doit. Bien sûr, les deux animaux vont plutôt tout faire pour que l'autre soit exclu, mais... ils n'ont pas compté sur le canari qui a plus d'un tour dans son sac, lui aussi...
C'est d'un côté un prototype, dans lequel le chien ("Roscoe") joue un rôle important, mais il ne sera pas de l'équation une fois de Freleng aura trouvé sa formule autour de Sylvester, Tweety et "Granny". Cette dernière ici, n'est pas encore bien défini, et ni le chat ni le canari (d'ailleurs ressemblant beaucoup plus à un canari que l'oiseau malingre créé par Bob Clampett qui évoluera ensuite pour devenir Tweety Bird) ne sont encore bien définis...
De l'autre, c'est un excellent film dans lequel l'intrigue est posée très vite, la lutte sans merci et ses enjeux parfaitement définis, l'animation splendide et le timing légendaire de Freleng à son top niveau.
Elmo est un rongeur (on est dans un cartoon donc ça ne doit pas nous surprendre outre mesure), et il, disons, tout sauf sophistiqué... Quand il se rend chez sa petite amie Daisy Lou, elle est en grande conversation avec Blackie, qui a de l'éducation et les moyens... La lutt est très inégale.
On a déjà vu ce genre de choses chez Tex Avery, avec des représentants de la volaille: The Hick Chick opposait avec une verve inégalable un coq venu de la ville à un, disons, représentant de la ruralité, dans une lutte là encore inégale entre sophistication (mais intentions louches), et abrutissement caractérisé. La lutte tournait de toute façon à l'avantage du héros...
Ce sera aussi le cas ici, dans un film simple mais efficace, où Elmo va devoir prouver qu'il est plus que ce qu'il parait, et s'illustrer de fort belle manière... en ramenant un manteau de fourrure en pur chat à Daisy Lou!
Arthur Davis combine un trait vraiment différent de ceux de ses petits camarades Chuck Jones, Bob McKimson et Friz Freleng, avec une exubérance qui renvoie un peu à Bob Clampett et Frank Tashlin... Son histoire de souris (saoule en prime) en lutte avec un chat n'est sans doute pas très originale, mais la verve emporte tout sur son passage!
Les deux amis René Goscinny et Jean-Jacques Sempé ont l'idée de créer un personnage, le Petit Nicolas, qui va prendre vie et les accompagner, jusqu'à 1977 et la mort de l'un de ses créateurs... Sous les idées de René Goscinny, et grâce aux crayons et à la plume de Sempé, le garçon vit à l'écran les aventures qu'ils lui imaginent... la voix d'Alain Chabat donne vie à Goscinny, et Laurent Lafitte incarne Sempé.
Totalement atypique, dans la production normalisée de notre époque si médiocre, ce film exigeant a bien du se planter en beauté quand il est sorti! Aux antipodes des adaptations (charmantes, mais ô combien gnan-gnan) de Laurent Tirard, en "live-action", cette production graphique a délibérément été conçue pour ne pas être une reprise des aventures du personnage telles qu'elles sont parues dans les nouvelles de Goscinny illustrées par Sempé...
Il s'agit plutôt d'un voyage à travers la genèse d'une oeuvre, dans laquelle les créateurs expliqueront au fur et à mesure de l'action, leurs parcours, la façon dont ils se sont rencontrés, mais aussi leur propre vécu: un sentiment d'abandon et de brimades pour Sempé, qui a tout fait pour fuir sa jeunesse, et l'exil pour Goscinny, déplacés en Argentines, et priés par leur famille de ne pas revenir quand la menace des nazis s'est précisée... Des souvenirs douloureux donc, qui sont évoqués avec délicatesse à un enfant de papier...
Occasionnellement, le film bifurque, comme pour illustrer les conséquences de cette rencontre, vers les aventures de Nicolas avec une poignée d'anecdotes, tirées des récits... Mais il y manque un je-ne-sais quoi, un décalage qui était si savoureux dans les récits, devenus trop sages par leur passage au dessin animé. Par contre, le dessin de Sempé sert d'inspiration pour la charte graphique, et c'est une merveille. A aucun moment, on ne quittera le domaine de la création, par contre; les dessins s'animent sous nos yeux, les décors se parent de couleurs (pastel, bien sûr) au fur et à mesure de l'évolution des intrigues...
C'est un pari osé, porté par deux réalisateurs, et une équipe de scénaristes (Michel fessler, Benjamin Massoubre en plus d'Anne Goscinny) et avec l'assentiment de Jean-Jacques Sempé, décédé peu de temps après. Aux antipodes d'une adaptation, un document inattendu sur la création, délicat et exigeant. Un film qui choisit donc une voie inédite pour l'animation...
L'ensemble des cartoons Warner était donc, à l'époque, divisé fermement en deux: d'un côté, les Looney tunes, des films en noir et blanc, aux méthodes de production plus rapides, et au ton souvent anarchique, dans lesquels s'illustraient Norm McCabe, Tex Avery ou même Ub Iwerks, transfuge de Disney. C'est dans ce cadre que Frank Tashlin, Bob Clampett et Chuck Jones (brièvement), allaient faire leurs gammes. De l'autre, les Merrie Melodies, au nom si clairement inspiré des Silly symphonies de Disney, des courts métrages en couleurs, soignés voire clinquant, et leur production était confiée au vétéran Friz Freleng, par exemple, voire (là encore) à Tex Avery. Souvent dédié à une chanson (choisie dans le répertoire musical détenu par WB), les films étaient souvent retenus, et à destination des enfants (on disait alors "toute la famille"...).
Ce film appartient évidemment au deuxième groupe, et ça se voit: un enfant très jeune veut veiller et écouter la radio, mais ses parents le forcent à aller se coucher. Il rêve que ses jouets lui donnent à voir un programme de radio pour lui seul...
C'est, comme on dit, charmant, c'est à dire assez gnan-gnan, mais c'est soigné, et il y a quelques gags sympathiques... Les références, notamment les caricatures, nous échappent aujourd'hui totalement à part sans doute l'apparition d'Eddie Cantor, mais je remarque que ce bébé irascible s'inscrit assez bien dans la longue liste des mauvais caractères mis en images par Friz Freleng...
Le coyote poursuit, pourchanger, Bugs Bunny, qui nous explique que l'oiseau habituel n'a pas pu venir. Pour le reste, ce serait un festival de ratages tous plus glorieusement lamentables les uns que les autres, s'il n'y avait un grain de sable...
Le grain de sable, c'est qu'on nous explique, justement. La grande force des aventures du coyote, c'est d'être un simple récit visuel, dépourvu de tout enjeu (on SAIT ce qu'il va se passer), une épure absolue, constamment renouvelée. Ici, un personnage bavard et qui se croit très drôle, nous explique tout? Cette redondance flingue totalement le film.
On présente une soirée dédiée aux amateurs. Un crochet comme on disait alors, un talent show comme on dit désormais! Le public va être amené à départager qui, de tous les artistes qui présentent un numéro (un pianiste, des acteurs, ou encore Egghead qui tente de placer une chanson (She'll be coming round the mountain), a gagné.
C'est un de ces films où Avery, en mal de scénario, cherche un prétexte à placer les gags les plus atroces, et on se fera avoir, parce qu'en fait on rigole... Mais ce n'est pas toujours parfait. Tout au plus pourra-t-on se délecter du timing de la séquence du fakir qui exécute un numéro ainsi qu'un spectateur... Sinon, la voix de Kate Hepburn, véritable fil rouge des courts métrages WB de Tex Avery, fait une apparition remarquée.
On goûtera beaucoup moins l'hippopotame envahissant, qui irrite tout le monde, mais le spectateur que je suis aussi! Par contre, arrêtons nous pour finir sur Egghead, qui ici est toujours un trouble-fête au QI d'une moule, mais il était mentionné dans le scénario sous un nouveau nom: Elmer Fudd. Tiens tiens...
Nous suivons les agissements d'un ver qui est appât professionnel, avec un métier particulièrement bien établi: il descend au fond d'un cours d'eau, signale la présence de poissons au pêcheur, les prend au piège et fait signe de remonter. Sauf qu'il tombe sur un crabe particulièrement retors...
C'est un film qui eaurait presque pu être un solo. Mais la confrontation entre le ver (humanisé avec deux très discrètes jambes et une moustache qui en revanche lest beaucoup moins, discrète!) et le crabe (très stylisé) va maintenir le spectateuren haleine.
On notera aussi une allusion, une de plus, à un personnage qui a totalement disparu de l'imaginaire collectif, Jerry Colonna, un acteur de second plan qui officiait aux côtés de Bob Hope, et dont les cartoons de la WB (Avery et Clampett en tête) ont fait un usage particulièrement important, il faut dire que sa moustache et son accent à couper au couteau étaient des ingrédients potentiels comiques non négligeables.
Un petit fantôme qui aimerait bien faire très peur (mais il est bien mal parti) postule pour une offre d'emploi dans une maison hantée, mais il lui fait passer outre sa propre peur face à un fantôme très facétieux...
Facétieux, et aussi un peu crétin: car on se demande quel est l'intérêt de passer une annonce si c'est pour faire peur aux prétendants potentiels! ...Mais je pense que la motivation première de ce film, comme d'ailleurs de beaucoup d'autres à la même époque de Jones, ou de Freleng, était de fournir aux enfants une alternative à Disney! La plupart des Merrie Melodies tournées par ces deux artistes étaient en effet clairement destinés aux plus jeunes membres du public, ce qu'on ne dira pas des oeuvres contemporaines de Clampett et Avery!