Alors que la construction d'un chemin de fer bat son plein, Bugs Bunny va s'attacher à mener une vie infernale à un pauvre ingénieur qui n'avait pourtat rien demandé à personne (Elmer Fudd)...
Tashlin, c'était un peu le chaînon manquan entre la dimension raisonnable des dessins animés de la Warner (en gros, ceux qui vont rester plus de deux décennies, les Jones, McKimson et Freleng), et les dingos (Avery, Clampett): capable de faire sérieusement déraper ses courts métrages, mais pas de façon irrémédiable, plus vers la folie douce que la folie furieuse...
Du coup, on eest ici confornté à la tendance l'espièglerie plus ou moins arbitraire de Bugs Bunny, un trait qui disparaîtra et avec lui, toute une gamme de fantaisie pure et poétique. Ce n'est peut-être pas le meilleur de tous les Bugs Bunny, mais c'est un gentil moment de loufoquerie assumée. Et ça, c'est toujours une bonne chose...
Daffy Duck, sous le nom de Jack, reçoit trois haricots magiques en paiement d'une vache. Il s'en débarrasse, en les jetant dans un terrier de lapin, et... ça pousse spectaculairement. Histoire de se confronter à l'inévitable (il connaît l'histoire du conte original), il escalade la plante pour aller au devant de la fortune qu'il s'imagine trouver au-delà des nuages...
C'est un de ces dessins animés génériques, réalisés dans les années 50 par Chuck Jones, dans lesquels il s'amusait à lâcher des personnages en constant décalage. Il est inévitable quand on voit le terrier de lapin, que daffy Duck se trouve nezà nez avec Bugs Bunny une fois arrivé au sommet de son arbre, et qui dit Buhhy et daffy, implique forcément Elmer, celui-ci sera donc le géant... C'est drôle, gentiment décalé, et rythmé par les constants dérapages de Daffy Duck.
Un pur moment de grâce nous montre Daffy Duck et Bugs Bunny mis ssous cloche par le géant, l'un passif et calme (Bugs) l'autre totalement excité. Pas un bruit, on ne peut pas les entendre, mais le contraste entre la froideur calme de Bugs Bunny et la panique de Daffy Duck est déjà hilarante. Et quand ce dernier se résigne (voir illustration) et adopte la même attitude de détachement, c'est le moment choisi par le lapin pour montrer qu'il a justement sur lui un ciseau spécial pour découper le verre. Les produits Acme, on peut toujours compter sur eux...
Clampett n'est pas crédité au générique de ce film, qui survient deux ans après le précédent film dans lequel il a "dirigé" Bugs Bunny. D'autres metteurs en scène ont prolongé l'univers de Bugs, et Clampett n'est plus du tout motivé pour rester à la WB... Il la quittera très bientôt.
Au moment de la sortie du film, Bob McKimson a déjà repris l'unité de Clampett, et il est probable qu'on lui doit la finalisation du film. Mais ici, c'est la patte de Clampett qui prime et son animation une fois de plus partagée entre la rigueur de McKimson et la folie de Scribner. Pour son dernier film avec la star, Clampett imagine une intrigue folle: Elmer ayant jeté l'éponge et déchiré son contrat, Bugs Bunny décide de troubler le repos (West and wewaxation again) de son partenaire, en s'introduisant dans ses rêves doux et en les transformant en cauchemars. Et ce ne sera pas une surprise de voir que ceux-ci en disent long sur la vie intérieure effrayante du chasseur comme de son ennemi juré, tout en constatant un retour en arrière intéressant: Clampett cite ici les gags d'un autre film, le controversé All this and rabbit stew (De Tex Avery)...
A la fois coda inspirée et excellente introduction au monde fou furieux de Bob Clampett, ce film est probablement son chef d'oeuvre. Comme d'habitude, l'animation en est virtuose, mais aussi dérangée, inconfortable...
Elmer n'a pas chassé, mais il ramène un lapin chez lui, et très rapidement, Bugs Bunny déjoue sa tentative de le transformer en civet... Mais il revient, parce qu'il estime que le bonhomme est une cible trop facile, donc à ne pas rater! Gratuitement donc, le lapin lui-même motive les deux derniers tiers du dessin animé!
Il y sera question d'une maladie fictive, la rabbitite, et comme l'univers se plie le plus souvent aux caprices de la star Bugs Bunny, on se doute qu'elle risque fort de devenir authentique avant la fin de ces 8 minutes...
Visuellement, le film est assez curieux: si le crédit est donné à Chuck Jones (ce dont le design d'Elmer fait foi, d'ailleurs), des bribes d'animation ne s'intègrent pas tout à fait à l'ensemble. Bugs Bunny y passe d'ailleurs de son design tel que Chuck Jones le représentait, à des vues plus gauches, qui donnent l'impression d'une animation pas toujours finie. Il se peut, c'est arrivé parfois, que le film ait changé de main pendant la production, et qu'il soit (c'est une hypothèse) passé par celles de l'animateur Bob McKimson. Celui-ci a débuté la réalisation à peu près à cette époque, et il avait une façon assez distinctive de dessiner Bugs, différent dans ses proportions.
Bob Clampett a quitté son poste d'animateur sur les films de Tex Avery en 1937, pour devenir réalisateur à part entière. Il est resté au studio de Leon Schlesinger jusqu'à 1946, partant faire des films ailleurs, des films qui à mon sens n'ont pas grand intérêt. Par contre, les neuf années d'activité au service de la WB sont d'une richesse impressionnante, et nous sommes nombreux à le considérer comme le plus grand des réalisateurs de cartoon, devant les deux stars incontestées du genre, Chuck Jones (Dont la longévité reste impressionnante, dans un métier qui ne pardonne pas!) et Tex Avery (Adoubé par tant d'historiens de par le monde que plus personne ne semble remettre en doute son importance). Clampett était pour moi le meilleur, parce qu'il ne s'interdisait rien, n'avait donc aucune limite, et était sans doute parmi les réalisateurs de cartoon traditionnel celui qui était le plus éloigné de la philosophie Disney: à un Bambi qui tentait de reproduire la vie par l'animation (Mais... Pourquoi faire?), Clampett opposait en permanence un univers animé fou furieux et motivé par l'absurde, mal dégrossi, parfois agressivement différent, dans lequel les gags étaient parfois invisibles à l'oeil du spectateur (Il faut procéder à des arrêts sur image souvent si on veut profiter pleinement d'un film de Clampett!). Bref, un génie trop grand pour le médium, qui le lui a assez bien rendu.
Et ce génie a, comme tous ses copains de chez Schlesinger, "dirigé" Bugs Bunny... Et ce qui n'est pas banal, c'est qu'alors que de nombreux films de Clampett sont aujourd'hui totalement invisibles pour cause d'attitude politiquement-incorrecte aggravée (Le plus joyeusement navrant de ces exemples étant l'ineffable Coal Black and de Sebben Dwarfs de 1943, qui réactualise Snow White avec tous les clichés possibles et imaginables des Afro-Américains, assumés dans un maelstrom de mauvais goût impossible à visionner au premier degré), les 11 films dans lesquels il met en scène Bugs Bunny sont aujourd'hui disponibles sous une forme ou une autre via la belle collection de DVD et de Blu-rays parue chez Warner dans les années 2000-2010... On peut donc se pencher sur ces onze joyaux et découvrir sur pièces ce qui les différencie de l'univers habituel de Bugs Bunny, car oui, les autres réalisateurs ont joué le jeu et tenté de créer un personnage cohérent: Hardaway et Dalton ont créé le mythe du lapin et du chasseur dépassé par le comportement de l'animal, Avery a créé et raffiné le personnage d'Elmer, ainsi que le rythme particulier des films, tout en trouvant la phrase d'approche définitive ("What's up doc?"), Friz Freleng l'a utilisé comme prétexte à des défilés de losers magnifiques (D'Elmer à Daffy Duck en passant par Hiawatha et bien sur Yosemite Sam), Chuck Jones a joué sur tous les tableaux, par des extensions inattendues de l'univers de Bugs, ou des variations infinies sur la situation de base, et enfin Bob McKimson a tenté une fusion malhabile entre le personnage et une version plausible de notre monde. Clampett, lui, a exploré le reste: la folie de Bugs Bunny, sa méchanceté, ses défauts voire son côté obscur. Il l'a rendu plus humain que les autres en n'hésitant pas par exemple à le voir craquer devant l'hypothèse de sa propre mort (Bugs Bunny Gets the boid), perdre complètement la face devant l'inconnu (Falling hare), et le Bunny qui perd à cause d'une tortue (Tortoise wins by a hare) est autrement plus affecté chez Clampett que chez Tex Avery... Et si tout cela ne suffisait pas, Clampett a tout transgressé, en proposant le plus absurde des meta-Bugs Bunny, une spécialité de Chuck Jones, mais qui n'a jamais été aussi loin que Clampett dans l'admirable The Big Snooze, le (Comme par hasard) dernier des films du réalisateur pour la WB.
The old grey hare(1944) confronte donc Bugs Bunny une fois de plus à Elmer, mais cette fois avec une variation inattendue: les deux vont être amenés à voyager dans les époques: Elmer est transporté à l'an 2000 pour voir si enfin il va y triompher du lapin, et un vieux, très vieux Bugs lui rappelle leur jeune temps.
La pirouette vertigineuse permise par la situation, est la présence d'un album photo que le vieux Bugs montre au vieil Elmer : les images des deux bébés s'animent... Bien sûr, le résultat sera plus sadique et cruel que mignon, rassurez-vous. Les pires horreurs sont bien sûr les ignominies faites par le bébé Bunny au bébé Elmer...).
Ce film assez étrange, dont l'introduction laisse penser qu'il va s'agir d'un reportage consacré aux Oscars avant de bifurquer vers l'animation, est une pause: un dessin animé de recyclage concocté vite fait par l'équipe de Bob Clampett pour boucher un trou, et c'est quasiment un solo.
Sauf que 2 minutes de Hiawatha's rabbit hunt, réalisé en 1941 par Friz Freleng, y sont recyclées! C'est que le thème est donc la cérémonie des Oscars, et Bugs, sûr de triompher de son rival James Cagney, y montre un extrait de son oeuvre afin d'influencer le public et le jury...
Rod Scribner gagne pour sa part l'oscar de l'animation-réaction la plus ahurissante avec une réaction de Bugs Bunny à l'annonce des résultats... Voir photo.
Un lion, roi de la savane lessivé et vieilli, moqué par tous ses sujets, part avec la ferme intention de s'attaquer à une créature à sa mesure, et se décide à trouver... un lapin.
C'était une mauvaise idée: le pauvre...
Chuck Jones expérimente ici, comme souvent, avec les codes de l'animation, et utilise des cadrages étonnants, souvent au plus près des protagonistes: c'est parfois étrange, et parfois séduisant, avec des compositions à la Orson Welles! Mais ça reste quand même un film mineur dans lequel Bugs Bunny aussi bien que son réalisateur font leurs gammes.
A noter une très rare fausse bonne idée: Madame Bugs Bunny...
Un jeune buzzard particulièrement crétin (sa mère l'appelle pourtant "Killer"! incidemment son nom au studio sera "Beaky") reçoit de sa maman la mission de ramener de la viande fraîche. Dommage pour lui: il a décidé de ramener un lapin!!
C'est la première contribution majeure de Clampett à l'univers de Bugs Bunny, et le personnage qu'il y crée reviendra par la suite sous la responsabilité de Freleng ou Avery. C'est un excellent film, où la galerie d'expressions toujours plus folles des films de Clampett s'enrichit des contributions d'un génie, l'animateur Rod Scribner, qui se surpasse ici. Sachant que le reste de l'animation est confiée au sage Bob McKimson, ça donne une impression de passer par des montagnes russes... Et à un moment, cet éternel cabotin qu'est Bugs Bunny passe par les affres de l'angoisse: Clampett était quasiment le seul à le mettre vraiment en mauvaise posture.
Le parcours largement teinté de rose d'une jeune chanteuse (Doris Day), veuve de guerre, flanquée de son fils et d'un agent (Jack Carson)prêt à tout pour placer sa protégée, mais qui joue de malchance: le grand manitou des programmes radiophoniques qui fait la pluie et le beau temps dans le domaine de la chanson légère est complètement aveuglé par l'admiration que sa femme porte pour le chanteur Gary Mitchell...
Les efforts portés à l'écran font l'essentiel d'une intrigue ô combien légère, mais le film est rythmé sans un seul temps mort, les personnages sont hautement sympathiques (sauf un) et comme on est à la Warner, on a demandé à Friz Freleng de participer à la fête et de laisser Bugs Bunny donner la réplique à Doris Day, sans doute en réponse à la fameuse rencontre entre Gene Kelly et la souris Jerry à la MGM! Michael Curtiz, qui était en quelque sorte l'agent de Doris Day (c'est lui qui l'a découverte), y raconte un peu une histoire proche de leur parcours...
Et il le fait avec le sens phénoménal de la mise en scène qui est le sien, paradoxal en diable dans ce contexte de comédie musicale, il se débrouille pour que toutes les chansons soient en situation plausible, sauf une (voir plus haut!), et s'ingénie à placer la caméra, et donc le public, au coeur de l'action. C'est donc une pause dans la noirceur de son oeuvre, mais cette parenthèse rose bonbon se laisse consommer avec gourmandise...
Après la création en quatre temps du personnage de lapin des Merrie Melodies et Looney tunes, le film sans doute le plus important pour terminer de cimenter tous les aspects du caractère de celui qui allait bientôt être nommé Bugs Bunny a été confié à Tex Avery; dans A wild hare, Bunny est aux prises avec Elmer Fudd qui est venu chasser le lapin: pour la première fois, on entend la voix magique d'Arthur Q. Bryan ire "Be vewwy kwyet, I'm hunting wabbits", suivi de son rire glorieusement niais. Ce ne sera pas la dernière...
Et justement, le lapin le voit venir de loin, et va forcément, une carotte à la bouche, lui demander calmement... "What's up, doc?":Le reste est de l'histoire, et ça marche tout seul... La voix de Mel Blanc sans accélération est là, avec un accent qui est un mélange de Brooklyn et du Bronx, et le personnage est immédiatement fonctionnel, dans un partenariat qui sera la base d'un grand nombre de cartoons à venir. Ici, tout est là, de la pose systématiquement supérieure et arrogante du lapin, à l'animation magique pour pousser le caractère un peu plus loin: c'est Robert McKimson, qui en tant que réalisateur aura tendance à massacrer le personnage de Bugs dans des films qui seront pires les uns que les autres, qui est l'animateur le plus inspiré ici, avec une scène de (fausse) mort pour Bugs Bunny.
La seule addition notable du film suivant (Elmer's pet rabbit, de Chuck Jones, rare et indisponible en DVD) sera le nom lui-même. Celui-ci mérite un petit rappel explicatif: créé dans Hare-um scare-hum par Ben Hardaway (lui-même surnommé "Bugs"), le lapin est resté sans nom pendant 5 films, jusqu'à ce qu'un model-sheet (un document de travail pour les animateurs) ne soit établi peu de temps après la sortie de A wild hare par McKimson, qui montre les mensurations parfaites du lapin, à suivre par tous ceux qui allaient l'animer: afin de différencier le personnage, McKimson a eu l'idée de l'appeler "Le lapin de Bugs", donc avec un génitif Bugs' Bunny. Il suffisait ensuite à Jones d'enlever une apostrophe...
En attendant, ce film de Tex Avery est l'une des plus glorieuses réussites de Termite Terrace...