Voilà encore un film de Keaton qui souffre apparemment d'une construction un peu lâche... Typiquement, Keaton en fait d'ailleurs le sujet même de son film, en nous montrant son personnage obligé, afin de conquérir auprès du père (Joe Keaton) de sa fiancée (Renée Adorée, mais oui!!) le droit de l'épouser, de devenir quelqu'un. Le film est donc divisé, après le prologue qui établit cette situation de base, en quatre parties, toutes introduites par une lettre de Keaton qui arrange un peu la vérité afin de se mettre en valeur et d'exagérer ses progrès dans la vie: il travaille dans un hôpital vétérinaire (Il laisse entendre dans la lettre qu'il est devenu un chirurgien célèbre), devient ensuite "white wing" (nettoyeur de rues) et nettoie Wall Street (Typiquement, Renée croit qu'il est un grand financier), il est figurant dans un théâtre (elle l'imagine en Hamlet), et à la suite de toutes les expériences désastreuses, il est poursuivi par une horde de policiers (il lui fait croire qu'il monte les échelons de la police). L'épilogue voit Buster revenir et se suicider, conformément à l'accord avec le père. mais il est trop nul pour réussir son suicide...
Il faut voir ce film pour le croire, mais si certains gags sont très réussis, tout cela manque à la fois de sérieux et d'unité. Chaque segment possède au moins son moment intéressant, avec un gag splendide, fait de non-dits calmement exposés, bien que lié à un putois dans le premier segment; une série de cascades magnifiques et réglées avec précision dans le deuxième, un Buster laché en pleine rue déguisé en soldat romain dans le troisième, et les meilleurs moments du film dans le quatrième. Si on applaudira à la mésaventure de Buster coincé dans une roue à aubes qui se met en route, offrant un spectacle symbolique (Buster, le hamster?), il faut bien dire que le reste du final vient en droite ligne de Cops.
Mais une fois de plus, il nous faut peut-être cherrche le sens de ce film en dehors, d'une part dans la vie, dont on sait qu'elle n'est pas rose si on a lu My wife's relations entre les lignes, mais plus encore dans la carrière de Keaton: il lui faut fournir, Joe Schenck attend des courts métrages, et qu'importe que les aspirations de Keaton aillent vers le long métrage, le contrat est là. Contrairement à Chaplin, qui lui peut choisir ce qu'il tourne, mais aussi ce qu'il sort, Keaton lui sort tous ses films, réussis ou ratés. Ici, l'accent mis de façon systématique sur l'échec et l'ineptitude ressemble à un commentaire sarcastique sur la panne d'inspiration... A tel point qu'à la fin du film, il est envoyé en piteux état chez sa petite amie par la poste... Il n'ira sans doute jamais plus bas.
Ce film a longtemps été considéré comme un court métrage de deux bobines raté, dans les versions qui en circulent, dont de nombreux pasages trahissent des manques: les "rêveries" de Renée Adorée, imaginant la réussite de Buster (Qui donnent du reste son titre au film), ont à une exception près (Keaton jouant Hamlet) toutes disparu du film. Mais il s'agissait en réalité d'une oeuvre sensiblement plus longue, qui totalisait trois bobines, soit environ trente minutes. Des photos de plateau ont été utilisées pour "restaurer" certains épisodes, et le film a acquis une certaine logique bienvenue, tout en conservant son caractère épisodique. D'une certain façon, Daydreams à l'origine anticipait de bien des façons sur The three ages, qui allait lui aussi être un effort morcelé avec ses trois intrigues à trois époques différentes. Enfin, il a été établi que si Keaton a signé le film seul, Daydreams a été préparé par le comédien en compagnie de son ami Roscoe Arbuckle. On ne sait pas s'ils ont effectivement participé à la mise en scène tous les deux, mais l'intrigue serait imputable à l'ancien patron de Keaton, alors à l'aube d'une série de tentatives peu glorieuses pour reprendre son métier après les injustices dont il a été la victime. Ce qui tendrait à expliquer le destin particulièrement cruel du personnage de Keaton dans ce film, tombé à l'eau puis pêché par un vieil homme qui ne sait tellemnt pas quoi faire de sa trouvaille qu'il va se servir de Buster comme appât... Celui-ci, à la fin, va se résoudre à se suicider, dans l'un des innombrables gags liés à la mort, mais l'acharnement du destin est sans pitié.