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5 janvier 2024 5 05 /01 /janvier /2024 16:33

Anna Christie (Greta Garbo), la fille d'un marin suédois alcoolique (George Marion), a été envoyée quand elle avait 5 ans dans une ferme, dans le Minnesota. Un soir, elle revient vers son père, et s'installe avec lui... Elle revient de loin, et comme on dit, "a vécu". Mais elle va profiter de son séjour pour tenter de s'amender, et en dépit de son envie de retourner à sa vie d'avant, se laisse apprivoiser par son père, qui n'a pas compris qui elle était devenue. Un soir, sur la barge de son père, Anna assiste au sauvetage de trois marins, dont Matt (Charles Bickford); il est attiré par elle. Mais pourra-t-elle lui faire comprendre ce que son passé cache?

Le film prend son temps pour installer son cadre, se reposant entièrement sur la conversation en état d'ébriété entre George Marion et Marie Dressler, qui établit tout ce qu'il y a à savoir sur lui et sa fille, leur histoire, la raison son alcoolisme) pour laquelle il l'a envoyée dans le Minnesota; la verve comique des deux acteurs est constamment au bord de virer au pathétique, entre leur alcoolisme, et leur mal-être... Une fois le cadre du café posé, 16 mn après son début, la star apparaît, en deux temps: d'abord, l'air soucieux, elle entre, puis elle s'installe et deuxième temps, elle parle... Ce qui était le principal enjeu du film, et allons même plus loin, le fait de devoir faire parler Garbo a aussi joué dans le choix de cette pièce d'Eugene O'Neill située dans le milieu des immigrants Suédois...

D'ailleurs, sa performance sera sans tâche, si ce n'est qu'à ce stade de sa vie elle parlait trop bien l'anglais, et qu'il lui aura fallu exagérer son accent Suédois pour jouer Anna... De son côté en revanche, George Marion en fait des tonnes dans l'accent "ethnique", c'en est gênant pour lui (il me fait penser à la façon dont John ford faisait systématiquement parler John Qualen en Américano-suédois dans tous les films qu'il a interprétés pour lui!).

On a un peu peur, évidemment, d'un film qui a tant misé sur le son, au point d'en être constamment délayé: la MGM est quasiment venu au parlant avec un an de retard sur la Fox, la paramount et la Warner, en moyenne. Mais l'avantage est que, même si ce film repose de façon évidente sur du théâtre, il a l'avantage au moins de ne pas trop prendre son temps... Car la technique du cinéma parlant n'était pas au point, ça non; mais au moins les aspects techniques ont su évoluer, ce que prouve le film. Clarence Brown a obtenu de ses acteurs des performances impressionnantes, Garbo en premier. D'autre part, l'utilisation d'une pièce établie permet au film d'évoquer la descente aux enfers, la prostitution ou l'alcoolisme sans trop de problème...

La conversation entre Greta Garbo et Marie Dressler, qui comprend progressivement que cette fille qui vient d'entrer et de s'enfiler un whisky, est en fait la fille de son petit ami Chris, qui attend une oie blanche de la campagne, et non une femme de 20 ans qui a vécu et qui a eu "des soucis avec les hommes"... Le film épouse la structure de la pièce, mais Clarence Brown se réserve souvent le droit de varier ses plans, et sil a tendance à construire ses séquences autour des acteurs, les choix de placement de caméra, et le montage laissent quand même le film respirer. C'est particulièrement vrai lors de la séquence des retrouvailles entre Anna et son père, qui joue sur l'attente du public, l'émotion des personnages, et un mouvement de caméra parfaitement dosé...

Et thématiquement, le film se sert de la pièce d'Eugene O'Neill comme d'une opportunité en or pour rafraîchir la carrière de Greta Garbo qui avait si souvent joué les bourgeoises adultères ou les filles de joie repenties, sous bien des formes... La confrontation entre Anna Christie, qui cache son jeu, et la vieille Mathy (Marie Dressler) qui elle sait ce que cache l'héroïne, et représente ce qui risque d'arriver plus tard à la jeune femme, est particulièrement bien représentée, sous l'oeil impitoyable de Charles Bickford qui prend les femmes déchues de haut...

Sinon, le film est célèbre pour ses nombreuses tentatives, souvent réussies, de placer les acteurs dans un cadre qui disimulait des micros qu'on peut s'attacher à repérer, comme cette affreuse lampe située à 15 cm de la tête de Garbo, lors d'une conversation avec son père à l'arrière de la péniche de ce dernier...

Il serait intéressant de faire une petite comparaison, d'ailleurs, avec la version allemande (conservée) du film, réalisée par Jacques Feyder, et dont Garbo disait qu'elle avait sa préférence. Ce pourrait être une marque de snobisme d'une contrarienne notoire...

 

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Published by François Massarelli - dans Greta Garbo Clarence Brown Pre-code
17 avril 2021 6 17 /04 /avril /2021 10:30

Diana Merrick (Greta Garbo) et Neville Holderness (John Gilbert), depuis leur plus tendre enfance, s'aiment... Selon toute probabilité, ils vont se marier, mais le père (Hobart Bosworth) de Neville, qui n'a jamais pu souffrir ni Diana ni son petit frère alcoolique Jeffry (Douglas Fairbanks, Jr), envoie son fils au diable pour travailler, et ruine ainsi toute chance de mariage entre les deux amants. Diana se console dans les bras de David (John Mack Brown), le meilleur ami de Jeffry, mais celui-ci meurt dans des circonstances mystérieuses; la rumeur a vite fait d'attribuer cette fin précipitée à son mariage avec Diana, et celle-ci, malgré le soutien inconditionnel du Dr Trevelyan (Lewis Stone), vieil ami de la famille qui veille sur les destinées des deux orphelins, va s'abîmer dans un cortège de relations éclair avec toute la jet-set Européenne...

Quand Neville reparaît dans la vie de Diana, c'est marié, avec la belle Constance (Dorothy Sebastian)... Mais tout n'est pas réglé, et bien entendu, des questions restent en suspens. La première d'entre elles, évidemment, est liée à la mort soudaine de David.

Mort soudaine dont nous avons été les témoins, dans une scène qui ne résout par contre pas tout... David et Diana viennent de se marier, et arrivent à l'hôtel. Pendant que Diana attend son mari dans son lit, celui-ci, visiblement éméché, regarde le riz qui encombre ses poches, comme pour tenter de réaliser sa chance d'avoir épousé celle qu'il aime depuis longtemps. Soudain, il réalise que des hommes viennent d'entrer dans leur suite: l'un d'entre eux sort une paire de menottes... David saute par la fenêtre sous les yeux de Diana qui s'était levée. Il nous faudra attendre la fin du film pour comprendre le fin mot de l'histoire, et personne n'en saura rien, rendant ainsi toutes les hypothèses possibles, aussi valides les unes que les autres, y compris celles qui sont énoncées, dans lesquelles Diana est une gourgandine de première classe.

D'ailleurs, revenons au début du film: Greta Garbo joue la Diana post-adolescente en fille capricieuse et gâtée, qui emmène Neville en automobile et conduit au mépris du danger... Elle conduit sa voiture comme elle conduira sa vie en quelque sorte. Le message envoyé est celui d'une femme sans filtre, qui croque la vie à pleines dents en menant les hommes par le bout du nez... ou d'une dangereuse aventurière, c'est selon. Un aitre aspect qui est parfois évoqué à travers l'utilisation d'un terme dans les intertitres, c'est l'assimilation du personnage à la masculinité: quand son honneur sera éclairci, plusieurs personnages référeront à elle comme étant un gentleman, c'est un point qui permet de toucher à un thème prudemment laissé dans le sous-texte par Clarence Brown avec la subtilité dont il savait faire preuve: la notion de transfuge des genres inhérente à la sexualité. Si Diana (chasseresse, bien entendu) fait collection d'aventures comme un homme, dans cette société encore corsetée, son frère Jeffry pour sa part noie dans l'alcool une passion secrète mais qu'il n'est pas bien difficile de deviner, pour le beau David. C'est d'ailleurs pour protéger son frère que Diana taira la vérité sur son mari, qui s'avère être un dangereux voleur de classe internationale!

Brown avait déjà montré dans Flesh and the Devil comment il savait réaliser des films dont la sensualité apparaissait en filigrane derrière la mise en scène, et fait ici la preuve, surtout dans la première heure du film, qu'il n'a pas perdu sa verve. Maintenant, le film reste sage par rapport à ce qu'on aurait pu envisager: ainsi la vie aventureuse de Diana la prédispose à des maladies honteuses, que le roman adapté détaillait. Sinon, après s'être revus, Diana et Neville sont de nouveau séparés, et Diana est malade: on apprend que neuf mois ont passé, le message est clair. A ce propos, si la MGM misait tout sur la "réunion" entre les deux stars et le metteur en scène de Flesh and the Devil, on note que le film sert aussi de galop d'essai à d'autres acteurs et actrices; le jeune Fairbanks a un rôle ingrat, mais il s'en sort fort bien; Johnny Mack Brown reste léger, et Dorothy Sebastian en opposé de Diana ("Constance", ben voyons!) est adorable. Brown se livre avec ses acteurs à l'un de ses péchés mignons, le jeu de caméra sur les visages; c'est sans doute Dorothy Sebastian qui a droit à la séquence la plus spectaculaire, dans une scène où e désarroi de l'épouse qui se comprend potentiellement trompée, se dessine sur son visage en gros plan...

Tout ça fait un film qui était probablement contractuel pour la plupart des acteurs; reste que c'est l'un des plus surprenants, peut-être LE plus surprenant des films muets Américains de Garbo. Maintenant il n'apporte rien à la légende de John Gilbert, si ce n'est de le cantonner dans un second rôle pas toujours convaincant... Avec ses non-dits, il s'élève sans problème au-dessus de la mêlée, mais il laisse quand même une certaine frustration par le fait qu'il arrive souvent que l'intrigue se cogne dans les murs...

 

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Published by François Massarelli - dans Greta Garbo Muet Clarence Brown 1928 *
1 novembre 2020 7 01 /11 /novembre /2020 15:49

Kiki (Norma Talmadge) est une jeune parisienne qui end des journaux à deux pas d'un music-hall; elle y entend les répétitions des revues et rêve tout haut de s'y faire une place... Pas pour devenir une vedette, non: parce que ça la rendrait toute proche de M. Renal, le producteur (Ronald Colman). A la faveur d'une défection, elle va user de tous les stratagèmes y compris les plus malhonnêtes pour se faire engager, puis y parvenir... La revue va en souffrir, mais pas autant que Renal car une fois dans la place, Kiki n'est pas du genre qu'on déloge...

C'est une superbe comédie, qui bénéficie de tout le soin apporté habituellement aux films de Norma Talmadge. Et pourtant on ne l'attendait pas vraiment sur ce terrain, mais Clarence Brown est vraiment l'homme de la situation, sa mise en scène enlevée réussissant à nous mettre à 100 % aux côtés d'une indécrottable peste, une jeune femme dont la passion n'a d'égale que la débrouillardise. On en vient bien sûr assez rapidement à deviner qu'elle parviendra à ses fins coûte que coûte, mais les moyens qu'elle utilise sont quand même assez impressionnants: un chantage au suicide (qui ne débouchera sur aucune tendance excessive au pathos, c'est remarquable) et surtout une fausse crise de catalepsie qui fait que la star va jouer toute la dernière bobine, contrainte et forcée, en poupée totalement immobile...

Le scénario est solide, signé de Hanns Kräly arrivé de Berlin dans les valises d'Ernst Lubitsch; les décors sont impressionnants par le soin qui leur a été prodigué; outre les deux stars, on a des performances de premier choix de Marc McDermott, Gertrude (la rivale en amour de Kiki) et même George K. Arthur qu'on a jamais connu aussi bon, et qui interprète le domestique Adolphe, devenu l'ennemi juré de Kiki une fois celle-ci installée dans la maison de son patron... Et le film est en prime constamment enthousiasmant, grâce à sa structure qui culmine dans la plus jubilatoire des comédies physiques.

 

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Published by François Massarelli - dans Norma Talmadge Clarence Brown Muet 1926 Comédie *
28 juillet 2018 6 28 /07 /juillet /2018 09:37

Une jeune femme, Bessie (Hope Hampton) qui vient d'avoir le coeur brisé, vient trouver refuge dans une petite pension de famille un peu miteuse. Son voisin, Tony Pantelli (Lon Chaney) est un petit malfrat; ça ne l'empêche as d'avoir un coeur d'or: il va veiller sur la jeune femme, ui en a bien besoin...

Pendant ce temps, l'homme qui a causé le malheur de Bessie, Ashe Warburton (E. K. Lincoln), est en villégiature en Grande-Bretagne: il trouve une coupe médiévale aux étranges propriétés: elle brille dans la nuit... Pour certains, il pourrait s'agir du Saint Graal. Désireux de soigner Bessie, décidé à jouer un tour de cochon à Warburton, Tony qui vient d'apprendre le retour de ce dernier, décide de voler l'objet: on dit qu'il a des vertus curatives.

C'est un mélodrame comme il en a existé tant à l'époque du muet. Si l'intrigue est assez conventionnelle, elle est rehaussée d'une mise en scène particulièrement soignée. Brown, qui a été à très bonne école en tant qu'assistant de Maurice Tourneur, se fait plaisir dans des compositions très recherchées, et avec la lumière et l'ombre. L'un des passages les plus connus du film, quand Tony va se faire arrêter, est traité d'une manière formidable, en un seul plan : Tony ouvre une porte et sur celle-ci, l'ombre d'un policier armé se dessine...

The light in the dark est un film perdu, dont il nous reste une abréviation, ressortie dans le circuit religieux sous le titre The light of faith. C'est une trahison du film, hélas, qui ne prend ni gants ni la moindre subtilité pour nous asséner le fait que la mystérieuse coupe (couverte de radium par un escroc dans le film original) EST le Graal, sans le moindre doute... Mais le film a pu ainsi, au moins partiellement, être préservé. Et Lon Chaney, au milieu de tout ça, est royal...

 

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Published by François Massarelli - dans Muet 1922 Clarence Brown Lon Chaney Film perdu *
24 avril 2017 1 24 /04 /avril /2017 13:08

Paradoxe: avec son intrigue qui n'a rien à envier aux mélodrames précédents qu'on a imposé à Garbo, tous les deux adaptés de Vicente Blasco Ibanez, Flesh and the devil a tout pour être du tout-venant. L'histoire est inspirée cette fois de Hermann Sudermann, et le titre dit clairement ce qu'il fait en penser: la chair, le diable... Il est question de fesse, ça c'est sur! Et pourtant, ce film, sans être son meilleur, est le plus important de la carrière muette de Greta Garbo, et représente sa rencontre avec deux partenaires qui vont énormément compter pour elle: le réalisateur Clarence Brown et l'acteur John Gilbert...

Mais répétons-le: cette intrigue! ce personnage, celui de Felicitas, une amoureuse qui collectionne les hommes, en prétendant les aimer... Garbo a profondément détesté cette expérience, et n'a cessé de s'en ouvrir, lors du tournage. Le film commence par nous intéresser à deux de ses futures "victimes", les jeunes aspirants Ulrich Von Etz (Lars Hanson), et Leo Von Rhaden (John Gilbert). Lorsqu'ils rentrent chez eux, pour retrouver l'un sa petite soeur Hertha, l'autre sa bonne vieille maman, Leo voit une jeune femme dont la beauté l'intrigue. Quelques jours plus tard, il la retrouve lors d'une réception, et les deux vont instantanément commencer une aventure, à l'insu de leur entourage. Mais Leo n'apprendra que plus tard, trop tard, en fait, que Felicités est mariée: le mari (Marc McDermott) va en effet les surprendre chez lui. Leo le tue en duel, mais s'arrange pour que l'aventure ne s'ébruite pas. Et avant son exil forcé de trois ans, duel oblige, il demande à Ulrich de veiller sur la jeune veuve, sans lui expliquer les raisons de ce geste. Quand trois années plus tard il revient, Leo est confronté à l'inévitable: Felicitas s'est remariée avec son meilleur ami Ulrich.

Derrière cette intrigue au romanesque réchauffé, les atouts du film sont nombreux: la classe de la production, pour laquelle Clarence Brown a su mener son monde à la baguette, mais avec une efficacité maximale. Des scènes qui doivent tout leur impact à l'invention liée à la lumière (La fameuse scène de la cigarette, durant laquelle les deux acteurs sont apparemment éclairés depuis la main de Gilbert, les nombreuses scènes nocturnes), aux ombres chinoises (Le duel, scène célèbre dans laquelle Brown évite de refaire The merry widow, de Stroheim)... Et à l'alchimie entre les acteurs. Surtout Garbo et Gilbert.

A ce propos, c'est durant le tournage de ce film que leur histoire d'amour (Compliquée au possible) a commencé, et disons le sans certitude, fini: c'est également durant le tournage de ce film que Gilbert a eu sa malencontreuse idée de demander sa main à l'actrice, qui ne s'est pas déplacée le jour venu. C'est donc aussi l'époque qui a vu Gilbert avoir une discussion enflammée avec Louis B. Mayer, qui a mené à sa déchéance... Mais en attendant, l'acteur ici ne cache absolument pas sa passion pour sa partenaire, et Clarence Brown n'avait qu'à les filmer... Et c'est je pense la raison pour laquelle ce film est passé au rang de mythe.

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Published by François Massarelli - dans Muet 1927 Clarence Brown Greta Garbo *
27 décembre 2016 2 27 /12 /décembre /2016 09:32

1897: On découvre de l'or en Alaska, dans la région du Klondike. La nouvelle se répand par la presse dans tous les Etats-Unis, et nous faisons la connaissance des protagonistes de l'épopée, des plus rompus à l'aventure, jusqu'aux obscurs baroudeurs novices. Une fois arrivés en Alaska, les ennuis vont commencer, certains vont abandonner, les uns seront déçus, et les autres... seront bien peu nombreux. En particulier, on s'intéresse à Jack Locasto (Harry Carey), l'un des premiers pionniers à avoir répandu la nouvelle, qui a une fâcheuse manie de s'approprier les exploitations, mais aussi les femmes des autres; et parmi les victimes du bandit, Berna (Dolores Del Rio, venue avec son grand père qui n'a pas survécu au voyage, a rencontré Larry (Ralph Forbes) mais celui-ci associé avec Jim (Tully Marshall, toujours dans les gros coups!!) et Lars (Karl Dane), semble plus préoccupé par l'or que par sa relation avec la jeune femme. Et d'autres, plein d'autres...

Ca peut paraître étonnant, de prime abord, de voir l'élégant metteur en scène de The flesh and the devil (1927) et Anna Karenina (1935) aux commandes d'un grand film d'aventures épique, tourné dans des conditions de danger telles qu'il y aurait eu, selon la légende, des morts parmi l'équipe technique... Ce serait oublier le parcours surprenant d'un homme qui s'intéressait à tous les aspects du cinéma, et dont le style policé et visuellement inventif savait occasionnellement s'adapter à toutes les conditions, qu'il soit en studio, ou plus rarement en extérieurs: parmi ses premières armes, Brown avait en particulier pris les commandes du Dernier des Mohicans (1920) de Maurice Tourneur, lorsque ce dernier était tombé malade, et ce n'est en aucun cas un tournage fait en studio! Mais Brown n'était pas Van Dyke, et un certain nombre des passages les plus spectaculaires ont été l'occasion pour la MGM de tester des effets spéciaux... Encore rudimentaires, les séquences de descente des rapides par exemple, sont un peu limite. Par contre les effets expérimentés lors du tournage de Ben Hur (La destruction de bâtiments) sont mis à contribution avec efficacité pour figurer cette fois des avalanches...

Le film est divisé en deux, d'une façon inédite: la première partie, comme on dit aujourd'hui, serait un film "choral", dans lequel on fait connaissance avec tous les protagonistes les uns après les autres, et elle fournit beaucoup d'humour tout en nous habituant à chacun des personnages. la deuxième, recentrée faute de combattants autour de Ralph, Berna, Lars, Jim et Locasto, ressort du mélodrame classique. Mais du début à la fin, ce qui frappe, c'est le réalisme des séquences... le fait, comme le souligne Leonard Maltin, qu'on puisse presque sentir l'effet du blizzard. Et pour cause: une partie du tournage s'est déroulée en Alaska, et Brown a du se résoudre à faire ce que Chaplin s'était refusé à faire: contrairement à l'acteur-metteur en scène de The Gold Rush, qui avait tourné le passage de Chilkoot au nord de la Californie, Brown a reçu de la MGM la mission de le tourner sur les lieux même... Ce qui est hallucinant à voir. Le cinéma montre ici finalement les limites de la recréation: on VOIT que lorsque certains personnages se plaignent (Un gamin, en particulier, forcé de prendre un bain réfrigéré de pieds pour le passage d'une rivière) des conditions, c'est parfaitement authentique! Le film est formidable, mais il ne fait sans doute pas trop creuser ce type d'informations. Quoi qu'il en soit, en dépit de l'indéniable réussite du film, Brown détestait en parler.

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Published by François Massarelli - dans Muet Clarence Brown 1928 *
24 août 2015 1 24 /08 /août /2015 08:57

The eagle est adapté par Hans Kräly d'un roman inachevé de Pouchkine, lui-même lointainement inspiré de Robin Hood. Le roman commençait dans l'aventure avant de sombrer dans la tragédie... Ce qui est loin d'être le cas avec ce film, qui commence tambour battant, une fois le générique terminé, par une scène d'action en guise d'exposition: la Tzarine Catherine II de Russie sort de son palais, assistant avec satisfaction à l'entrainement de ses gardes. Mais le peloton qui s'exerce a des effets imprévus, car la détonation effraie le cheval de l'impératrice, et l'attelage d'une voiture qui passait par là. Le lieutenant Dubrovski, un jeune et valeureux Cosaque, se précipite pour attraper le cheval et venir en aide aux passagers du véhicule. Parmi elles, une fort jolie jeune femme, qui ne laisse évidemment pas le jeune héros indifférent. La Tzarine, en récompense, offre à Dubrovski de devenir général, mais celui-ci est fort embarrassé quand il constate que ça implique de coucher avec elle. Il prend la fuite, et va désormais devoir se cacher; il apprend peu avant sa fuite que son père a été exproprié par les manoeuvres de son voisin, Kyrilla, et décide de consacrer son temps désormais libre à venger l'honneur de sa famille. Avec des serfs et de paysans qui lui sont restés fidèles, Dubrovski devient l'Aigle noir, et va s'attaquer à Kyrilla, ne sachant pas qu'il a déjà rencontré sa fille, la belle inconnue qu'il avait secouru...

Rudolf Valentino devenait indépendant avec ce film, et pouvait enfin contrôler un peu plus le devenir de ces films, et après les nombreux mélos de seconde zone qu'il avait interprétés notamment à la Paramount, réalisés le plus souvent sans imagination, il trouve en Clarence Brown un réalisateur qui va enfin le servir avec classe et un peu plus que du métier. Car ce film est, enfin, une oeuvre qui se rappelle que le cinéma, c'est d'abord de l'image... Et ça bouge, en effet, même si c'est plus raisonnable que bien des films de Douglas Fairbanks, mais l'intrigue adoucie et truffée de comédie de cette inattendue adaptation de Pouchkine est cousine des longs métrages extravagants de l'auteur du Voleur de Bagdad... Une envie de Valentino, après tant de films à faire le joli coeur, qui souhaitait donner un nouveau départ à sa carrière maintenant qu'il était en contrat avec la United Artists. En résulte un film mené tambour battant, avec de nombreuses touches de mise en scène qui impliquent le passage des émotions, mais aussi de nombreuses informations, par l'image seulement; les petites touches de Clarence Brown, comme le gros plan des deux mains de Vladimir Dubrovski et de sa fiancée auxquelles on passe une alliance, avant que le prêtre ne réalise qu'il s'est trompé d'alliance, et ne les replace, sont autant de petits détails précieux, ce qui ne l'empêche pas de trouver d'autres idées plus amples: on connait dans ce film le long passage de la caméra sur une table envahie par un festin, mais il faut aussi signaler le plan superbe qui nous informe de la mort du père Dubrovski: la famille, les paysans et amis sont réunis auprès du mourant, et on les voit de face, le malade étant hors champ. Tout à coup, ils s'agenouillent, et disparaissent tous du champ; la caméra alors s'avance vers une fenêtre qui nous montre le jour vieillissant, puis la séquence est fondue au noir. Aucun intertitre n'est utilisé dans le film pour fournir une information que l'image peut véhiculer toute seule...

L'interprétation est splendide, et la production n'a pas ménagé ses efforts: outre bien sûr l'inévitable Valentino qui est excellent, James Marcus interprète Kyrilla, beaucoup plus un méchant de pacotille qu'autre chose, et il fournit beaucoup de comédie. Par contraste, Vilma Banky qui joue sa fille est bien sûr plus sérieuse, mais ce n'est en rien une potiche: lorsque Dubrovski s'est introduit dans la maison, elle sait qu'il trame quelque chose, et elle va elle aussi participer activement à l'intrigue, à sa façon. Louise Dresser joue l'impératrice, et elle est fantastique, elle aussi servie par un découpage qui évite les redondances des intertitres. Clarence Brown se souviendra d'elle, à qui il confiera peu après le premier rôle de The goose woman, un film ambitieux... Vu aujourd'hui dans une bonne copie, ce qui n'est pas gagné puisque le film est dans le domaine public, The eagle est bien là pour démentir la rumeur parfois vérifiable (Blood and sand, Cobra...) selon laquelle Valentino était un poids léger, mais il faut rappeler que ce film très réussi est justement du à la volonté du jeune acteur de prendre son destin en main. Il n'en est que plus tragique que les jours lui aient été comptés.

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Published by François Massarelli - dans Muet 1925 Clarence Brown **
11 août 2014 1 11 /08 /août /2014 10:11

L'histoire, très fidèle à James Fenimore Cooper, de Cora (Barbara Bedford) et Alice Munro (Lillian Hall), deux jeunes femmes qui sont venues dans les colonies Américaines pour rejoindre leur père, un officier Anglais (James Gordon) aux prises avec les Français et des troupes d'Indiens ingérables. Elles vont croiser la piste de Chingachgook (Theodore Lorch), pisteur Mohican, et de son fils Uncas (Alan Roscoe), dont Cora va bien vite tomber amoureuse. Mais un autre homme a décidé de s'approprier la jeune femme, Magua, le scout Huron (Wallace Beery). Celui-ci joue un double jeu, mais tend surtout à travailler pour lui-même bien plus que pour les Français...

Tourneur n'est plus du tout un exilé Français quand ce film se met en chantier. Il est l'un des grands metteurs en scène du cinéma Américain, comme DeMille ou Griffith. Il a imposé son sens esthétique hors du commun, certes lié à ses années de formation dans le cinéma Français, mais exacerbé par sa découverte des Etats-Unis. Depuis quelques temps, il s'est relocalisé de Fort Lee, new Jersey, vers la Californie, comme l'essentiel de la production Américaine. Et il s'attelle à une prodution d'envergure dont il veut faire un grand film... Mais il tombe malade, soit juste avant le début du tournage, soit pendant... Les compte-rendus divergent, et le lpus loquace sur le sujet, Clarence Brown, tend à se mettre en avant, et pour cause: remplaçant au pied levé son mentor, il est co-crédité à la mise en scène...

Mais quelque soit le metteur en scène, ce film est splendide, tant par son esthétique fabuleuse: ces gens, que ce soit Brown ou Tourneur, savent composer une image, utiliser la lumière, la profondeur de champ... Et le timing est parfait: le rythme de cette course désespérée contre l'horreur et la mort rend le film poignant, en particulier dans les scènes de violence qui sont encore aujourd'hui surprenantes par leur crudité. Et puis le film s'attache à peindre l'amour d'une femme pour un homme, en des termes étonnants: non seulement Cora aime Uncas, qui est un Indien, mais elle a une façon de le regarder dans les instants cruciaux qui ne laisse rien à un romantisme béat ou infantile; c'est du désir et une curiosité avisée qu'on lit dans ses yeux. Le film est d'ailleurs tout entier ou presque de son point de vue. De plus, Cora Munro, contrairement à certains personnages masculins, est courageuse, et prète à se sacrifier. Barbara Bedford est exceptionnelle, comme du reste toute la troupe d'acteurs qui se distinguent par leur jeu naturel et profond. Même Wallace Beery, qui interprète Magua, se retient!

The last of the Mohicans, en raison de l'importance de Tourneur, et sans doute parce que le metteur en scène l'avait beaucoup préparé, est passé à la postérité sous le patronage du réalisateur Français, mais si on suit Clarence Brown, qui affirme en avoir réalisé l'essentiel, alors c'est l'un des plus beaux premiers films qui soient...

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Published by François Massarelli - dans Muet Maurice Tourneur 1920 Clarence Brown *