Au commencement, Les Bonnes manières... Oui, car c'est non seulement le titre, mais aussi le sujet de ce film de trois bobines, construit autour d'une causerie menée par Hubert Deschamps: le rappel des dites manières, en toutes circonstances... Au théâtre, lors du décès d'un proche qui va potentiellement nous permettre d'hériter, à table, en pleine rue... La conférence est illustrée grâce à des acteurs, parmi lesquels on reconnaît Rosy Varte, mais aussi Yves Robert, bien sûr.
C'est dans la continuité de l'oeuvre théâtrale, souvent basée sur des variations sur un thème (rappelons que Robert s'est rendu incontournable en adaptant les Exercices de Style de Raymond Queneau). Mais c'est du cinéma, qui profite allègrement grâce au bon goût de son metteur en scène (qui avait gardé un lien évident avec le cinéma muet) de l'invention visuelle, en plus d'être aussi parfois drôle par des situations plus écrites. On retrouvera cette veine dans le plus risqué (puisque plus long) Les hommes ne pensent qu'à ça, sorti en 1954...
Des prisonniers s'évadent... dans une prison où les lois de la motricité sont régulièrement inversées: bref, les gens marchent à l'envers...
Pour commencer, Bitzer est surtout connu comme l'impeccable chef-opérateur de D.W. Griffith entre 1908 et 1929, et à ce titre a mis la main sur un nombre conséquent de chefs d'oeuvre et autres films primordiaux du cinéma. On va le dire tout de suite, oui, il a aussi participé aussi bien à Intolerance qu'à The Birth of a nation... Mais avant l'arrivée de Griffith à la Biograph, Bitzer avait aussi, un temps, été réalisateur...
Ce film assez amusant est en réalité basé sur un truquage; le décor est unique, un couloir de prison: à droite, les cellules, au fond un escalier. Les gardiens et les prisonniers avancent ou reculent en fonction de leur destination, en avant ou en arrière. Les coutures ne se voient pas, et c'est totalement absurde...
Nul ne sait qui est le metteur en scène de cette très courte comédie, même si le nom de J. Stuart Blackton a circulé. ce serait assez logique, puisqu'il était le principal metteur en scène à la Vitagraph. C'est essentiellement une comédie des premiers temps, qui repose autant sur le grotesque que sur un truc:
Un mendiant manchot se voit offrir une prothèse expérimentale de bras. Mais la chose n'en fait qu'à sa tête, étant facétieuse, et plus encore kleptomane...
C'est amusant, même si le film qui à un moment montre le "héros" aux prises avec un usurier se vautre dans les stéréotypes antisémites en montrant le dit commerçant... Le cinéma ne s'est pas construit que sur du velours.
Un groupe de touristes Anglo-Saxons visitent une réserve, et les toilettes des dames sont une source d'inspiration pour une jeune femme de la tribu. Elle se rend en ville pour acheter des vêtements, se retrouve attifée n'importe comment, et son petit ami qui l'a suivie déclenche une panique...
Le film serait totalement passé inaperçu s'il n'était aujourd'hui sorti de la naphtaline précisément en raison du nombre d'accrocs au politiquement correct qu'il contient... A commencer par son titre: de la même manière qu'en 2022 on ne peut raisonnablement appeler aux Etats-Unis les populations indigènes des Indiens, le terme squaw est par exemple suffisamment offensif pour être symboliquement réduit (le A est remplacé par une étoile) sur des fiches consacrées au film, publiées par exemple sur IMDB.com...
Je passe sur l'idée d'un groupe de touristes se rendant à la réserve comme on se rend au zoo, sur le fait que les membres de cette "tribu" (je suppose que le terme est également problématique) soient habillés en permanence en costumes traditionnels, ou sur le fait que tout se résoudra dans un scalp... Ce court métrage nous montre qu'il y a, quand même, eu du chemin de parcouru. Notons que la plupart des protagonistes habitant la réserve ont par contre été interprétés par d'authentiques membres d'une communauté indigène.
Daisy Doodad (Florence Turner) est obsédée par une compétition bien particulière, qui consiste à réaliser les plus belles grimaces... Elle va tout faire pour réussir à obtenir le premier prix, y compris se faire sérieusement remarquer dans la rue: voir illustrations...
Pour reprendre une expression anglo-saxonne (triple threat), Florence Turner, comme Lois Weber, était une triple menace: actrice, scénariste, réalisatrice... Ce court film date d'une période durant laquelle la comédienne tournait à Londres, et part d'une authentique tradition Anglaise, le concours de grimaces...
Le film est surprenant parce qu'il réussit à faire la jonction entre la comédie mesurée telle que, par exemple, Weber mais aussi Alice Guy la concevaient, et y injecte une solide dose de grotesque par le seul truchement des grimaces de Mme Turner. Celle-ci, par ailleurs, n'a pas peur d'y aller franco!
C'est donc une comédie qui prend racine sur la peinture des classes moyennes, et en cela elle est très en avance, car c'est exactement la direction que va prendre le genre aux Etats-Unis dans les années 20. Et puis elle est rigolote, ce qui ne gâche rien... Pour accomplir une partie de ma mission (secrète) d'édification des masses, j'ai ajouté à cet article une photo de Mme Turner au naturel. Je vous laisse la trouver...
Dans une petite communauté de Nouvelle-Angleterre, deux événements simultanés, sans rapport apparent, vont bouleverser la vie locale: d'un côté, l'armée va installer une base sur la commune, pour un projet ultra-secret, ce que la population accueille avec une méfiance évidente; de l'autre, le très frustré Harry Bannerman (Paul Newman), qui habite justement dans la ville, et est marié et père de deux enfants, doit subir les avances insistantes d'une voisine, Angela, également mariée (Joan Collins) mais désireuse d'aller voir ailleurs si l'eau est bonne... Et Grace Bannerman (Joanne Woodward) va justement être le témoin d'une situation qui va lui donner une impression évidente que son mari la trompe avec ladite gourgandine... Grace, qui est présidente de tous les comités de préservation des us et coutumes locaux, a justement nommé son mari pour représenter la communauté, ce qui va l'éloigner un temps de son domicile.
La scène dont il était mention plus haut, est du boulevard revisité par le slapstick, ce genre de situation dans laquelle on imaginerait volontiers l'acteur Charley Chase, spécialiste au temps du muet de ces accumulations d'indices qui sont autant de hasards, mais peuvent être lus par n'importe qui comme autant de preuves d'un adultère: il faut dire qu'en rejoignant son mari par surprise dans un hôtel de Washington, Grace va tomber dur Harry en caleçon, et Angela en déshabillé vaporeux... Et pourtant, il ne s'est rien passé!
Et puisqu'on parle de Charley Chase, faut-il rappeler que Leo McCarey fut son élève, puis son metteur en scène quasi attitré entre 1925 et 1927, et qu'à eux deux ils ont justement accumulé les chefs d'oeuvre de la comédie burlesque, tendance problème matrimonial: le genre le plus évidemment représenté chez Hal Roach. ON ne s'étonnera pas qu'une certaine folie douce héritée de ces temps héroïques, flotte sur le film, jusqu'au jeu de certains acteurs. Si Paul Newman n'est pas vraiment à l'aise en Charley Chase, il y a un rien d'Anita Garvin dans Joan Collins, en plus outrageusement sexy cela va sans dire... Et Jack Carson, qui interprète un capitaine plus que borné, est aussi assez proche de ce qu'Oliver Hardy aurait pu faire d'un tel rôle. Donc pour son dernier film, Leo McCarey revient aux sources, comme il était revenu à l'un de ses films favoris (Love Affair) en en faisant un remake avec An affair to remember, l'année précédente.
Maintenant, le film a une toute autre dimension qui n'est pas à négliger si les comédies du muet prenaient souvent le bonheur conjugal comme terrain de jeu, elles n'allaient pas dans le sens d'être très explicites sur le terrain de la sexualité... Mais avec son dernier film, McCarey est confronté à une période de grande mutation qui va mener à la libération des moeurs cinématographiques. En clair, Billy Wilder et The seven-year itch, d'ailleurs également produit par la Fox, sont passés par là... Et le metteur en scène appelle un chat un chat, le nombre de fois où un personnage tente ouvertement d'en amener un autre dans la chambre à coucher est impressionnant... Et la confrontation finale entre Paul Newman et Joanne Woodward, qui s'opposent physiquement sur le soutien à apporter aux militaires dans leur projet ultra-secret (l'envoi d'un primate en orbite), passe par une chorégraphie parfois digne du Kama-Sutra...
Coquin, McCarey? Peut-être, mais surtout, le film est pour lui l'occasion d'envoyer un ou deux missiles en direction de la communauté W.A.S.P, qui infeste les communautés cossues de Nouvelle-Angleterre... Ici, ces conservateurs protestants sont saisis dans toute leur hypocrisie, entre les coucheries de leurs épouses, et les célébrations stupides de l'héritage des pionniers du Mayflower. Pour le catholique Irlandais McCarey, la cible était trop belle.
Ah, au fait, le primate qui sera envoyé sur orbite est un militaire. Faute de singe...
Un jeune homme (Charles DeForrest) a publié une annonce pour trouver l'âme soeur, et se rend à un rendez-vous: la jeune femme (Vivian Prescott) qui l'attend est charmante, tout se présente plutôt bien... Hélas: c'est un piège: il est kidnappé par celle qui n'est autre que... la Reine des anarchistes! Et il va désormais devoir exécuter les pires desseins.
On ne va pas épiloguer cent sept ans sur le fait que, d'une part, les anarchistes se soient choisis une reine. D'autre part, les anarchistes, s'ils sont une société secrète qui souhaite donc passer en dessous des radars, sont quand même bien voyants avec leurs longues barbes et leurs déguisement façon soutane en toile de jute!
Mais peu importe, puisque la cible du film, ici, ce sont de toute évidence les mélodrames qui commencent à fleurir, dans lesquels ce genre d'ingrédients ou d'incohérence est omniprésent. On s'en amuse, tout en cherchant à copier le rythme particulier des comédies Biograph et de la naissante Keystone, de Mack Sennett.
Reste, dans ce film qui nous présente... le supplice du sandwich au jambon(!), à évaluer quelle pourrait éventuellement être la part de l'épouse de Phillips Smalley, Lois Weber: son associée en toute entreprise généralement. Je penche pour affirmer que cette fois-ci, elle s'est bien gardée d'intervenir!
Le jeune et entreprenant Johnny Case (Cary Grant) a rencontré durant ses vacances une jeune femme, et c'est le coup de foudre: ce qu'il ne sait en revanche pas, c'est que Julia Seton (Doris Nolan) fait partie d'une des familles les plus établies de la haute finance New Yorkaise: pour être accepté dans la famille, il faudra non seulement vaincre les réticences face à sa basse extraction, mais il lui faudra sans doute aussi compromettre ses idéaux en devenant un gendre parfait, impliqué dans les affaires familiales... Johnny peut compter sur Linda (Katharine Hepburn), la grande soeur de Julia qui se définit elle-même comme le vilain petit canard de la troupe, pour l'aider à voir clair dans une situation complexe.
C'est le troisième des quatre films ensemble tournés par Hepburn et Grant, et le deuxième des trois d'entre eux qui soit une réalisation de George Cukor. ce dernier n'est pas le premier adaptateur de la pièce de Philip Barry, mais sa version est sans aucun doute définitive... En confiant les rôles aux deux comédiens qui étaient si naturellement complémentaires, les étincelles étaient garanties, même si on surnommait encore Hepburn "box-office poison" à l'époque! Cary Grant est présent dès le départ, mais l'arrivée de sa partenaire est retardé jusqu'à une scène d'anthologie: Johnny découvre, guidé par Julia, l'immense demeure de sa future belle-famille, et dans une des rares pièces à visage humain, il embrasse celle qu'il pense pouvoir bientôt épouser, quand une porte s'ouvre sur leurs ébats: c'est Linda. A partir de là, le feu d'artifice peut commencer...
La maison, extravagante de par sa taille et son luxe (des ascenseurs partout, d'immenses salons et des chambres qui doivent être aussi grandes que Grand Central Station), est un lieu parfait pour parler des vicissitudes de la mobilité sociale, certes l'un des thèmes du film (Julia est absolument persuadée, et pourtant totalement d'accord, que Johnny l'épouse pour son argent), mais il permet aussi à Cukor de différencier les espaces de la plus belle des manières, en définissant notamment l'univers partagé de Linda et de son frère Ned, celui qui a fini par sombrer dans l'alcoolisme pour échapper à la pression paternelle: une chambre remplie des souvenirs de leur vie d'enfants, et qui est un merveilleux endroits pour les gens différents: Linda, Ned, Johnny (qui adore faire des acrobaties de cirque, à la... Cary Grant), et les copains de ce dernier, interprétés par les merveilleux Jean Dixon et Edward Everett Horton y sont comme des poissons dans l'eau. Le père Seton, sa fille Julia, et toute la famille de sangsues de la Haute et Bonne Société, beaucoup moins...
En respectant la progression de la pièce, Cukor permet à ses acteurs, en particulier à Katharine Hepburn, de se placer dans une évolution émotionnelle qui fait parfois quitter radicalement la sphère de la "screwball comedy", le film réussissant sans problème à enchainer brillamment les ruptures de ton. Que le film ait été un flop me dépasse, mais il a, à tout prendre, fait une belle carrière de classique. Amplement méritée.
Christian Gerber (Jean Yanne) est rédacteur en chef des actualités de Radioplus, une chaîne française, et à ses heures perdues, grand reporter: revenant d'une mission en Amérique Latine où il a été interviewer des révolutionnaires, il s'en prend à ses confrères, qu'il accuse de profiter de leurs reportages au bout du monde pour se la couler douce. Puis il se fait licencier pour avoir montré une certaine mauvaise humeur face à la nouvelle mode qui pousse Radioplus, sous l'impulsion de son directeur, Plantier (Jacques François) à mettre Jésus à toutes les sauces... Mais il a de la ressource.
Jean Yanne aussi, qui pour commencer avait un compte à régler avec la radio, ce qui se voit dans ce premier film... Là où, aux Etats-Unis, le cinéma a profité des années 70 pour enfin, le temps d'une joviale décennie, promouvoir les réalisateurs, dont c'était l'âge d'or, les Français ont été, disons, plus étranges, puisque ce fut la décennie des amateurs: je veux parler du fait qu'on a vu à peu près tout et n'importe quoi, sous la direction de n'importe qui à condition qu'ils soient connus. Pierre Richard, acteur, Jean Yanne, animateur de médias, Coluche, humoriste... Les exemples ne manquent pas. Mais Yanne a investi le cinéma avec une sorte de mission auto-proclamée: faire, à coup de vitriol, le chevalier blanc.
Cette satire de la radio est souvent très caricaturale, et aussi parfois loufoque. Elle est aussi gênante, et je ne parle pas seulement du ton de Yanne (généralement, son héros est une sorte de messie, avec une attitude qui vire facilement au "tous pourris"), mais par le miroir qu'elle renvoie de la vie en 1972: ces hommes de radios qui passent leur temps à mettre des mains aux fesses des dames, qui sont dans le meilleur des cas des speakerines, pour le reste secrétaire ou réceptionniste, c'est parfois franchement irritant.
Par contre, la dinguerie de cette radio qui vibre au son des jingles dédiés à l'esprit sain, Daniel Prévost en lèche-bottes revendiqué, ou encore Bernard Blier en président de station, ça aide quand même un peu à faire passer le pensum. Et la cerise sur le gâteau vient dans les cinq premières minutes, puisque prenant acte du fait que Dieu est responsable de tout sur terre, le film est annoncé comme produit par "Dieu et Jean Yanne".
...de la pizza au réglisse? C'est l'un des noms parfois donné, dans les années 70, aux disques à microsillons à cause de leur forme circulaire et de leur couleur. Oui, on ne disait pas "vinyle" à l'époque, ou si peu.
Mais la raison d'être de ce titre étrange s'arrête au fait que pour accompagner cette évocation d'une époque révolue (donc, les années 70, avant la fin de la guerre du Vietnam), Paul Thomas Anderson et son complice musical désormais habituel, le grand Jonny Greenwood, ont utilisé un grand nombre de chefs d'oeuvre de la période, justement. Mais la musique ne joue pas un rôle primordial dans cette histoire d'amour...
Gary, 15 ans, rencontre au lycée une jeune femme, Alana, 25 ans: cette dernière travaille avec l'entreprise qui s'occupe pour l'école des photos de classe. Gary, qui a déjà un passé d'acteur (on est en Californie), est très sûr de lui, et fait du rentre-dedans pour vaincre les réticences de son amie. mais justement, celle-ci veut rester une amie et pas plus, à moins que... Et Gary finit par laisser pourrir la situation, à moins que...
Forcément, on sait que le film va jouer au chat et à la souris avec cette histoire d'amour virtuelle, rythmée par les lubies de Gary (qui agit en jeune apprenti entrepreneur, sautant sur toutes les occasions rendues possibles par les modes passagères, comme le matelas à eau, par exemple) et les hésitations d'Alana, qui aimerait bien passer à autre chose, mais n'arrive pas à se débarrasser de ce gaillard si attachant malgré son manque flagrant de maturité...
Les anecdotes abondent, entre tendresse, ironie douce, et une galerie de personnages en or, généralement interprétés par des pointures. On appréciera Bradley Cooper en richissime butor, petit ami de Barbra Streisand mais véritable coureur de jupons, Sean Penn en acteur établi, imbu de sa propre importance... Le film est une chronique des années 70 saisies dans le quotidien de deux personnes qui ne sont pas n'importe qui, définitivement, et dont on se dit souvent qu'ils sont faits l'un pour l'autre malgré la différence d'âge. On s'attend, fatalement, à de la douleur et des réveils difficiles.
Alors, le verdict? Eh bien, réponse après deux heures et quinze minutes de pur bonheur... La mise en scène s'installe dans la période comme si on remontait le temps (Anderson sait faire, remarquez: voyez Boogie nights, The Phantom Thread, The Master, There Will Be Blood ou l'hilarant Inherent Vice), et les deux acteurs principaux sont parfaits: Cooper Hoffman prend la relève de son père décédé, et Alana Haïm est venue avec toute sa famille, littéralement, pour donner encore plus de vie à son personnage. Quelque chose me dit qu'il va falloir retenir son nom.