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  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
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20 octobre 2024 7 20 /10 /octobre /2024 19:23

Une série de vignettes, qui tournent autour d'un nombre limité de personnages. Ils sont liés par le fait de graviter autour d'une famille: les Jordan (Ben Gazzara et Louise Lasser) sont un couple du troisième âge qui s'apprête à divorcer, mais sans que l'on soit bien sûr du pourquoi. Leurs trois filles ont des vies bien différentes, l'aînée Trish (Cynthia Stevenson) est une mère de famille très comme il faut, mariée à un psychiatre, Bill (Dylan Baker). Celui-ci a un lourd secret... De leurs trois enfants, le plus perturbé est Billy qui souhaite acquérir sa puberté et ce qu'il considère comme sa "normalité" sexuelle. Il en parle beaucoup avec son père... Helen (Lara Flynn Boyle), la deuxième soeur, est une romancière à succès qui n'a aucune estime d'elle-même. Elle vit dans un complexe d'appartements où elle est confrontée à Allen, un voisin informaticien qui fantasme sur elle (Philip Seymour Hoffman), et une voisine hispanique (Camryn Manheim) qui attire l'attention sur la mort d'un voisin, dont on a coupé le pénis... La dernière soeur, Joy (Jane Adams), est une femme pleine d'insécurités, à commencer par ses rapports avec la gent masculine. Elle a des envies de composer, mais n'a aucun talent...

Dans le développement du film, plusieurs intrigues prennent corps: les envies inavouables de Bill, qui fantasme sur les copains de classe de son fils, et va trouver les occasions de passer à l'acte sont sans doute ce qui est le plus visible dans le film, et qui le rend vraiment difficile... Mais d'autres sous-intrigues, entre le harcèlement téléphonique masturbatoire pratiqué par Allen, la tentative de Lenny JOrdan, le père des trois filles, de reprendre sa liberté en ayant une relation avec une amie, ou encore les mésaventures amoureuses désastreuses de Joy, dressent le portrait d'une société Américaine qui tourne autour de la normalité, incarnée par Trish.

Mais à l'intérieur de toutes ces psychologies, il y a de la noirceur dans le Rêve américain... et surtout, on se demande dans quelle mesure le titre reprendrait le jeu de mots de John Lennon sur la chanson Happiness is a warm gun: Happiness, après tout, ce n'est pas loin de A penis. Et tout finit plus ou moins par tourner, une fois d eplus, autour de ce petit objet tubulaire... Ceux qui s'en servent mais mal, ceux qui s'en servent trop bien, ceux qui veulent le fourrer là où ils n'ont pas le droit, ceux qui en recherchent la compagnie, et celle qui le refuse au point de le couper chez celui qui l'a agressée...

Oui, Happiness est un film essentiel d'un renouveau de Hollywood, quand d'autres nouveaux réalisateurs sont apparus (Paul Thomas Anderson, Wes Anderson, Sofia Coppola, Spike Jonze...). La prestation des acteurs est impeccable, Dylan Baker en tête: il fallait du cran pour accepter un tel rôle... Et il faut du cran pour accepter ce film. Il pique sérieusement.

 

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Published by François Massarelli - dans Comédie Criterion
7 octobre 2024 1 07 /10 /octobre /2024 16:07

Henry Spencer (John Nance) visite sa fiancée, et les parents de celle-ci. Il apprend qu'il y a un enfant, si on peut appeler ça un enfant... C'est une créature qui ressemble globalement à un lapin pelé prêt à passer à la casserole... 

J'admets que le film aussi.

Il y a un culte totalement ahurissant autour de ce film, d'ailleurs sorti initialement en France sous le titre de Labyrinth Man pour faire écho au grand succès du deuxième long métrage de Lynch, The Elephant Man... Lynch y expérimente avec la narration, adoptant un style narratif qui le rapproche du muet... Esthétiquement, il accomplit son film dans un noir et blanc impressionnant, qui ajoute autant au maaise qu'à l'impression d'étrangeté.

Maintenant...

Et le film montre aussi une anticipation de l'obsession (qui admettons-le atteint son apogée avec Twin Peaks) de mélanger invention surréaliste, horreur corporelle, et le domaine presque doucereux d'une chronique familiale... 

Le principal problème de ce film à mes yeux, c'est qu'il m'ait fallu le voir jusqu'au bout. Des fois, ça ne peut pas marcher...

 

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Published by François Massarelli - dans David Lynch Criterion
26 août 2024 1 26 /08 /août /2024 22:23

Rebecca était, c'est un fait établi, plus le film de Selznick que celui d'Hitchcock. Il a reçu l'Oscar du meilleur film en 1940, c'est entendu, ce qui ne veut pas dire qu'il était forcément meilleur que d'autres films qui concouraient cette année là pour la précieuse statuette: après tout, parmi les concurrents, on trouvait par exemple The grapes of wrath de John Ford, The great dictator de Chaplin... et Foreign Correspondent. Ce n'était pas l'habitude de Selznick de garder pour lui ses poulains, qu'ils soient acteurs ou metteurs en scène, et tant mieux. Dès le travail d'Hitchcock accompli sur Rebecca, le producteur l'a laissé se dégourdir les jambes sur cette audacieuse production qui lui correspondait tellement plus... Et qui a un peu le statut de film de vacances. C'est étonnant, quand on y pense, tant cette production indépendante (Due à l'intéressant Walter Wanger) ressemble à un état des lieux Hitchcockien, un catalogue conçu par le metteur en scène avant d'aborder la suite de sa carrière Américaine! Un grand nombre de thèmes qui reviendront sont ici abordés, de la dangereuse tentation de mêler amour, espionnage et politique, à la difficile survie sur une embarcation bien fragile en plein océan...

Johnny Jones (Joel McCrea), rebaptisé Huntley Haverstock par son patron (ce qui va occasionner un running gag inévitable), est nommé correspondant de presse pour un journal Américain. On est en 1939, et la guerre menace en Europe; le patron veut des reportages véridiques, du vécu, pas du "prédigéré" comme ont trop souvent l'habitude de lui envoyer ses autres employés envoyés en Europe. Avec "Huntley Haverstock", il va en avoir pour son argent! Très vite, le jeune reporter met les pieds dans une drôle de situation, étant témoin du meurtre d'un homme politique Hollandais, poursuivant des bandits jusque dans des moulins, survivant à un attentat sur sa personne perpétré par un vieux traître cockney (Edmund Gwenn)... et surtout rencontrant la belle Carol Fisher (Laraine Day), la fille d'un important diplomate (le toujours aussi suave Herbert Marshall) aux étranges fréquentations.

Un peu à l'image de Scott ffoliot, le personnage à l'étrange patronyme (L'absence de majuscule pour la consonne double qui ouvre le nom de famille est non seulement intentionnelle, elle est explicitée dans le film et devient même à une ou deux reprises un signe cinématographique important!), qui apparait et disparait de façon inattendue, les péripéties s'enchaînent sans temps morts... On sent qu'Hitchcock est totalement à son aise avec son histoire, qui lui permet finalement d'accumuler les ruptures de ton, passant du film d'aventures improbable (poursuite sur le plat pays, d'un moulin à l'autre) à la propagande pro-interventionniste (ce qui n'était pas en 1940 du goût de tous, rappelons-le), tout en explorant ses thèmes et ses types de personnages préférés.

Disons qu'avec Herbert Marshall, l'espion devenu presque si Anglais qu'il a des regrets à trahir le pays de sa fille, il a trouvé un "méchant" passionant et à la hauteur. Et Joel McCrea, préfiguration de ce que Hitch fera de Cary Grant quelques années plus tard, on sent le metteur en scène prèt à tout: ce n'est sans doute pas à Laurence Olivier qu'il aurait demandé de tourner une scène en caleçon et peignoir, et McCrea qui a tourné quelques comédies avec Preston Sturges, incarne à merveille le décalage du 'straight man' dans le panier de crabes de l'espionnage.

Se terminant sur un plaidoyer pour l'intervention Américaine, un rappel de l'importance de la démocratie et de la décence dans le monde de1940, le deuxième film Américain d'Hitchcock renvoie un peu à certains de ses meilleurs films Anglais, à commencer par The lady vanishes, dans lequel le spectre de la guerre était déjà bien présent. Et il inaugure une série de films qui se poursuivra jusqu'à Notorious, dans lesquels la présence inévitable, ou les souvenirs des conflits lointains se feront ressentir aux Etats-Unis. Cette série de films de propagande prend sa source dans ces 120 minutes bondissantes, mais toujours justes, qui mériteraient mieux que d'être constamment considérées comme appartenant à 'un Hitchcock mineur'.

 

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Published by François Massarelli - dans Alfred Hitchcock Criterion
14 août 2024 3 14 /08 /août /2024 23:26

A la fin de l'entre-deux guerres, nous sommes dans une petite ville perdue dans un improbable pays Est-Européen, en compagnie de voyageurs perdus en attendant que la voie de chemin de fer soit dégagée de la neige qui l'encombre:

deux hommes préoccupés par le cricket jusqu'à l'aveuglement, Chalders et Caldicott;

une gouvernante qui rentre chez elle après 6 ans de bons et loyaux services;

un musicien qui fait des recherches sur les traditions musicales anciennes;

une jeune femme qui doit retourner chez elle afin de se marier: elle a beau tenir de beaux discours, ça ressemble bien à un enterrement;

enfin, un couple adultère dont l'homme est manifestement paranoïaque au point d'en devenir odieux, alors que la femme semble lasse du peu de perspectives offertes par leur statu quo.

Tout ce petit monde est Britannique, et va donc prendre le train, et l'un d'entre eux va disparaitre: comme l'indique le titre, c'est une femme qui manquera à l'appel. Une autre femme, seule à admettre avoir vu la disparue, va devoir lutter contre tout le train, et même pire, pour la retrouver.

Le film prend son temps pour démarrer, il y a de bonnes raisons à cela; d'une part, Hitchcock se laisse aller à la comédie, dans cet hôtel bondé ou les gens doivent partager leurs chambres. Il y prend un plaisir gourmand, alors pourquoi se priver...

Sinon, il lui faut du temps pour exposer convenablement les tracas et problèmes de chacun, ce qui va payer plus tard.

Enfin, il joue beaucoup sur la couleur locale: le langage est un savant mélange de consonances Italiennes et Allemandes, ce que l'allure Alpine et les simili-coutumes observées viennent compléter: on est donc dans un pays fasciste, et à de nombreuses occasions, les conversations le rappellent. Ce didactisme est-il du à Gilliatt et Launder, les auteurs du script? Bien sûr, cela ne veut pas dire qu'Hitchcock n'ait pas signé cet aspect du film...

Par ailleurs, dans cette demi-heure, Hitchcock place un étrange meurtre, celui d'un musicien qui semblait donner une sérénade à la vieille gouvernante. Le meurtre en question n'est pas gratuit, et nous permet de patienter en toute connaissance de cause, jouant le même rôle dans ce film que la première attaque de mouette sur Tippi Hedren dans The birds.

Tranches de vie contre tranches de gâteau: on sait qu'Hitchcock a toujours soigneusement évité dans ses interviews de trop pousser la chansonnette politique, prétendant souvent que son art n'est finalement que celui, sans idéologie, de l'illusionnisme enfantin. Mais on peut le voir dans le film, avec le grand Doppo, l'illusionniste collabo, on peut être à la fois prestidigitateur et engagé... le film est exactement ça: un film d'aventures, situé dans un train en marche, avec une intrigue splendide, totalement distrayant, et un film qui dit tout ce qu'il y a à dire sur cette drôle d'entre-deux-guerres qui occupait les esprits en 1938: il faut s'engager, ne pas rester à rien faire, sinon c'est la mort des démocraties.

Le train, métaphore de la vie, en même temps qu'outil excitant de vitesse et de mouvement puissant, Hitchcock tourne bien sûr autour depuis bien longtemps, et en a joué dans The 39 steps entre autres. Il y reviendra souvent, l'utilisant beaucoup pour faire se rencontrer les gens (Suspicion, Strangers on a train, North by northwest), pour dévoiler des intrigues (North by northwest), pour obliger des inconnus à cohabiter le temps d'une conversation (Strangers on a train).

Ici, il coince ses voyageurs, que nous connaissons tous, dans un train durant plusieurs jours, et profite de tous les aspects de l'endroit, le coté longiligne de l'espace, la compartimentation forcée des cabines, mais aussi les tunnels, gares et aiguillages pour créer des difficultés  pour les personnages, bref, du suspense et de la tension! La façon dont Miss Froy disparaît est suffisamment intrigante pour que les doutes subsistent: nous l'avons vue, nous aussi, mais nous savons qu'Iris, la jeune femme qui la cherche, a reçu un coup sur la tête...

Le vide, sujet admirable de film, auquel Hitchcock souhaitait tant s'attaquer. Il disait à Truffaut vouloir réaliser un film dans lequel une conversation se tiendrait sur une chaîne de montage d'une usine automobile; on verrait le châssis, puis la carrosserie, la voiture serait alors peinte, puis finie. au moment d'ouvrir les portières, un cadavre tomberait... Bien sûr, il ne l'a jamais faite, mais s'en est souvent approché. On peut dire que le meurtre impossible d'Annabella Smith (The 39 steps) ressemble un peu à cela. Ici, c'est de disparition qu'il est question, et une fois partie Miss Froy semble ne rien avoir laissé à personne. Les seuls indices seront un nom écrit dans la poussière sur une vitre, un paquet de thé, et une paire de bésicles... 

Le train, on le voit bien dans le film, n'est pas qu'une métaphore de la vie, il est aussi doté d'un sens politique. N'oublions pas la préoccupation majeure de ces années de pré-guerre, l'avancée d'Hitler, l'Anschluss (Annexion de l'Autriche par l'Allemagne Nazie), les menaces sur la Tchéquoslovaquie, la Pologne... Les Anglais du film ont tous une raison de ne pas s'en soucier, préoccupés par leur nombril: les deux cricketomaniaques, la future mariée obsédée par l'auto-justification de son improbable mariage, le doux-dingue qui compile des musiques dont tout le monde se contrefiche, le couple en fuite perpétuelle... Seule miss Froy (C'est une espionne, ce qu'on apprend dans la dernière demi-heure, mais cette information est un Mac Guffin: une information vide de sens qui ne sert qu'à donner une motivation à certains personnages et certaines actions) a, on le verra, un rôle à jouer là-dedans. Et de fait, on se positionne dans le film, par rapport à elle. Admettre qu'on a vu Miss Froy, nous disent en substance Gilliatt, Launder et Hitchcock, c'est lutter contre la dictature et le Nazisme...

Tout le film fonctionne aussi sur cette ligne politique, avec ses deux camps bien délimités, et ses gens qui se révèlent dans l'action: le gentleman si épris de ses petits secrets douteux qui se dérobe de son couple adultère, se dérobe aussi politiquement; les deux fans de cricket (Naunton Wayne et Basil Radford) , en revanche, ont l'héroïsme à fleur de peau. Ils sont, après tout, plus Britanniques que tous les autres: ils aiment passionnément leur pays, et sa liberté... de parler cricket. Ils seront d'ailleurs employés par les scénaristes dans d'autres films... Tous les acteurs, surtout Margaret Lockwood en jeune femme qui vit sa première (Et peut-être la dernière) grande aventure, Paul Lukas en médecin louche, ou Dame May Whitty en Miss Froy, sont superbes. Le film aussi, c'est un classique, et l'un des meilleurs films d'Hitchcock, tout simplement.

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Published by François Massarelli - dans Alfred Hitchcock Criterion
1 août 2024 4 01 /08 /août /2024 21:43

Un cinéaste qui s'amuse à faire exactement ce qu'il aime, et réussit à partager son bonheur, que demander de plus? ce film, qui vient juste après le plus gros succès d'Hitchcock à l'époque (The man who knew too much, 1934), est une occasion inespérée pour le cinéaste de laisser son empreinte et de définir en 85 minutes sa vision du film d'aventures... A ce titre, c'est une réussite, et plus encore: un film-somme, qui résume à lui tout seul tout ce qui fait le Hitchcock Anglais.

Richard Hannay, un citoyen canadien vivant à Londres, fait partie du public d'un music-hall alors qu'un homme à la mémoire exceptionnelle présente son numéro, qui consiste en une série de questions du public auxquelles il apporte des réponses ultra-complètes. Un coup de feu est tiré, la foule prend la fuite, et dans la panique, Hannay se retrouve flanqué d'une mystérieuse inconnue, qui se présente sous le douteux nom d'Annabella Smith. Celle-ci est une espionne, travaillant pour le gouvernement Britannique, afin d'empêcher la fuite de secrets scientifiques. Les agents ennemis éliminent la jeune femme, mais cell-ci passe le flambeau à Richard Hannay, désormais poursuivi par des espions qui ne reculent devant aucune ignominie, et recherché par la police pour un meurtre qu'il n'a pas commis...

Qui est Richard Hannay? Le personnage interprété par robert Donat, qui se présente comme un Canadien alors qu'on ne lui a rien demandé (Il est le premier des gens du public à poser à Mr Memory une question pertinente: la distance entre Winnipeg et Montréal), n'a apparemment pas de métier, on sait juste qu'il vient d'emmênager... il a le profil d'un globe-trotter, une certaine intelligence pour l'aventure, il fume la pipe, a de l'humour, et le danger ne semble pas lui faire trop peur... Pour le reste, c'est une énigme, au même titre que le David (ou Allan, suivant les copies) Gray de Dreyer dans Vampyr. Il est un héros parfait, un vecteur de l'aventure et du drame, à l'image de son petit frère, le Roger O. Thornhill de North by Northwest. Sauf que ce dernier avait un métier (Publicitaire), une histoire (plusieurs fois marié)... Oui, bon: un publicitaire, c'est quelqu'un dont le métier est de faire du sens avec rien, les mariages se sont tous terminés en divorce, et le O de son nom représente, de son propre aveu, le vide. Bref, ces deux héros vont être pour Hitchcock les moyens idéaux de sortir le grand jeu des péripéties, tout en étant des "faux coupables" parfaits.

Donc, Richard Hannay doit se déguiser en laitier pour échapper à des tueurs, prendre un train pour échapper à la police, embrasser une belle inconnue (Pamela, qu'on reverra, est interprétée par la belle Madeleine Carroll) afin d'échapper à des inspecteurs qui fouillent un train, sortir d'un train en marche alors que celui-ci est sur un magnifique pont, se réfugier dans une ferme Ecossaise sise au milieu de nulle part, contacter des gens qui sont, surprise, les espions eux-mêmes, puis leur échapper, etc.. Passées les scènes d'exposition, qui laissent la part belle au mystère, à la noirceur et au meurtre (celui d'Annabella Smith, tout en impressions fortes, ne laisse aucune place à la logique: qui lui a planté ce couteau dans le dos, et comment?) mais prennent leur temps afin d'installer une atmosphère, Hitchcock passe à la vitesse supérieure, et enchaîne les morceaux de bravoure: c'est le film le mieux construit de sa carrière Britannique, grâce probablement à la poigne d'Alma Reville Hitchcock, d'ailleurs citée au générique. Pas une surprise, donc, de voir l'équipe de North by Northwest s'en inspirer. Si le suspense reste le maitre-mot du film, on a une solide dose d'humour, et de logique Hitchcockienne: le personnage de Mr Memory, qui possède une déformation professionnelle spectaculaire, meurt de ses réflexes professionnels, ceux-là même qui lui ont permis de se faire engager par une troupe d'espions... la visite de l'écosse, superbe et ultra-stylisée (une large partie du film se situe dans des montagnes qui ont tout de sinistre, et les landes désolées et les marais nocturnes sont également employés à leur juste valeur), inaugure la série des fausses "cartes postales" à la Hitchcock, qui le font utiliser avec humour toutes les images d'Epinal d'un lieu dans une narration dynamique. L'aventure pure, c'est aussi lorsque le héros s'adresse à l'homme digne de confiance qu'il est venu contacter et que celui-ci est en fait le méchant du film: la fameuse scène du doigt manquant est justement célèbre.

Bien sûr, Hannay et Pamela vont se retrouver, de façon totalement logique, collés l'un à l'autre, liés par une paire de menottes, qui les oblige à la promiscuité (Ah, la scène durant laquelle elle enlève ses bas, avec un Hannay qui laisse complaisamment sa main toucher sa peau...), mais aussi à tomber amoureux... les Ecossais du film sont sans doute caricaturaux, mais le couple formé par John Laurie et Peggy Ashcroft est inoubliable: ils sont les fermiers qui recueillent Hannay lors de sa cavale. Lui est une brute, ultra rigide et religieux, et elle est une citadine mal mariée, qui voit en Hannay une opportunité de romance pour quelques instants volés: elle aide le héros à s'enfuir, peu confiante en son mari dont elle sait qu'il fera tout pour empocher la récompense. Hitchcock réserve à ses deux acteurs des gros plans sublimes, filme leur masure sous toute ses coutures, se souvient du cinéma muet dans une séquence qui voit le mari soupçonneux observer sa femme et son invité, qu'il soupçonne de tentation adultère, à travers une fenêtre; aucun dialogue, juste des visages, des gestes, et le regard inquiétant de Laurie. La scène renvoie à Murnau et ses films "ruraux", par son utilisation d'un espace plein, de menues tâches (Peggy ashcroft ne prend pas une minute pour se reposer entre deux tâches à accomplir pour son tyran de mari), et ses plafonds bas. Le couple, antithèse du couple romantique formé par Hannay et Pamela, est un des points forts du film, sans doute l'aspect le plus noir, qui renvoie à The Manxman, The Ring  et leurs personnages de femmes mal mariées...

 

Au milieu d'un cinéma Anglais tiraillé entre cinéma populaire et cinéma ambitieux, donc entre Hitchcock et Korda, The 39 steps est le chainon manquant, tout comme Edge of the world de Powell fait la synthèse entre documentaire et drame. C'est une oeuvre beaucoup plus ambitieuse qu'il n'y paraissait. Il aura du succès, et on peut légitimement penser qu'il a contribué à cimenter la réputation d'Hitchcock en son propre pays, tout en installant la fausse idée qu'Hitchcock était un formaliste et rien d'autre. Or, le film possède beaucoup plus de substance que les pièces de théâtre filmées (Juno and the paycock) que les critiques de cinéma se bornaient à réclamer au metteur en scène... Il y a en Hannay une humanité, de par son inachèvement qui le laisse perméable à l'aventure, il ressemble à un Tintin en mieux, un Tintin à moustache et à pipe, qui est beaucoup plus distrayant parce qu'au lieu du capitaine Haddock, il a... Madeleine Carroll.

Le petit théâtre d'Alfred Hitchcock, qui se moque gentiment des voyageurs de commerce et des pasteurs, des politiciens aux discours tout faits, des braves gens qui posent des questions idiotes dans les music-hall populaires et des hoteliers trop confiants, est un établissement ou on aime à aller s'installer en quête de frissons salutaires. Et en prime, au milieu de cette aventure débridée, il installe un noir théâtre conjugal, de rencontre en baiser, de promiscuité nocturne imposée en confiance acquise, de rejet brutal en soudaine impulsion de prendre, tout simplement, la main de l'autre. Tout est bien qui finit bien? Non, car au fond de ce plan final en apparence idyllique, un homme meurt, ironiquement, parce qu'il a fait son devoir jusqu'au bout...

...Chef d'oeuvre? Oh que oui!

 

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Published by François Massarelli - dans Alfred Hitchcock Criterion
25 juillet 2024 4 25 /07 /juillet /2024 22:00

Un couple d'Anglais en vacances en Suisse doivent faire face à l'enlèvement de leur fille par des espions étrangers qui veulent ainsi faire pression sur eux et révéler une information qu'ils ont apprise dans des circonstances exceptionnelles, et qui pourraient sérieusement contrecarrer les intentions terroristes des barbouzes... Les deux parents en sont, finalement réduits à tenter le tout pour le tout: réussir à faire triompher le bon droit, tout en récupérant d'eux mêmes leur progéniture.

Aux cotés des gros classiques que sont The 39 steps et The lady vanishes, ce film a toujours plus ou moins fait pale figure, comme du reste son remake Américain. C'est injuste, d'abord parce que ce film a enfin pu synthétiser toutes les tentations d'Hitchcock exprimées dans des films aussi divers que The lodger, Blackmail, Murder et Number 13, et proposer en quelque sorte le premier film d'une longue lignée, et ensuite parce que le plaisir est permanent, aussi bien pour le metteur en scène que pour le spectateur. Celui-ci sait qu'il est mené en bateau, et le jeu est, pour l'instant du moins, léger et distrayant. Les films ultérieurs sauront être plus graves... Même si il ne faut pas s'y tromper: le plaisir pris à visionner ce film va au-delà d'un simple échappatoire.

Dès le début de ce film, on est confronté à une famille qui doit faire face à l'irruption dans sa vie, d'une façon inattendue (et marquée par les surprenantes ruptures de ton du prologue, sans doute le meilleur moment du film), de l'aventure, d'un rapport saugrenu, soudain et surréaliste avec le crime, voire le mal, symbolisé par un personnage de méchant qui prend de la place, d'autant que c'est Peter Lorre... Et cette famille comme-vous-et-moi ou presque doit faire face à un dilemme impossible à résoudre (Sauver un enfant ou faire son devoir de citoyen et contrer les espions), alors la seule solution est de retrousser ses manches, foncer et agir.

Du coup, le film est court, va à l'essentiel, et on y trouvera très peu de temps morts. D'ailleurs à ce titre, le film Américain sera plus redondant. On retrouve aussi cette idée dans la façon dont Hitchcock traite les morts violentes, celle de Pierre Fresnay par exemple, qui danse avec une amie, et découvre tout à coup une tâche de sang sur son plastron, avant de s'écrouler, touché par une balle. Aucun spectaculaire, ici, pas plus que dans les autres anecdotes liées à ce type de violence: la mort et sa fréquentation se sont invitées dans la vie des héros, et ce sans pour autant prendre une dimension tragique excessive...

Bien sûr, le plaisir de bricoleur d'Hitchcock reste souverain, et il prend un malin plaisir à installer des exagérations gouleyantes (La mère de la jeune fille kidnappée se trouve être une tireuse d'élite, elle va donc exécuter elle-même l'assassin potentiel de sa fille en subtilisant un fusil à un policier), des signes utilisés avec bonheur (un badge, des cheveux brillantinés) ou en multipliant les échos (La mère qui se plaint de sa fille sans imaginer qu'elle sera kidnappée trois heures plus tard, l'affrontement par jeu entre deux tireurs d'élites qui se retrouveront ennemis à la fin du film, etc). Et puis il trouve aussi son bonheur avec un acteur qui avait pourtant tout de l'électron libre: Peter Lorre, méchant tellement bon qu'il en gâche un peu le film, puisqu'on ne peut que le regarder quoi qu'il fasse. Edna Best et Leslie Banks ont donc affaire à forte partie, et franchement ils ne font pas le poids. Pourtant les petites touches typiquement Anglaises du metteur en scène dirigeant ses acteurs de second plan du cru, qu'ils soient bandits ou héros, font mouche...

Le film, même jugé moindre, a toujours au moins été reconnu pour son importance chronologique par tous les commentateurs: il inaugure, donc, le style classique d'Hitchcock, en déplaçant le terrain de jeux des genres de prédilection du cinéaste sur le territoire de la vie quotidienne; il est un peu le prototype du futur film Hitchcockien, et dès le suivant The 39 steps, la confirmation allait être éclatante. Par ailleurs, pour qu'Hitchcock ait souhaité refaire spécifiquement ce film, il fallait qu'il y soit attaché...

 

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Published by François Massarelli - dans Alfred Hitchcock Criterion
26 juin 2024 3 26 /06 /juin /2024 21:38

Pendant la Crise de 1929, Aaron Kurlander (Jesse Bradford) est un adolescent rêveur et débrouillard... Qui vit avec ses parents (des immigrés Allemands) et son frère (Cameron Boyd) dans un hôtel où tous les jours, ils ont peur de croiser quelqu'un qui va leur demander de s'acquitter de leur loyer. Personne ne le sait parmi les professeurs des enfants, ou leurs camarades... Mr Kurlander (Jeroen Krabbe) cherche du travail, et MmeKurlander est très malade: Sullivan, le petit frère d'Aaron, va devoir quitter la chambre pour aller vivre avec son oncle...

C'est le troisième film de Steven Soderbergh, et le premier fait pour un studio (Gramercy, branche "expérimentale" de universal). A mi-chemin entre une évocation douce-amère de la crise (St Louis, 1933) et le roman initiatique, cette histoire de grand garçon qui se fait tout seul, livré à lui-même dans la misère de l'après 1929, et qui par la force de son imagination et de son caractère, à survivre contre vents et marées, est souvent irrésistible. Le fameux, proverbial et bien entendu tout ce qu'il y a de fictif "vert paradis" de l'enfance laisse place ici à la peur du lendemain, la tuberculose, la séparation d'une famille, et les conséquences de la stratification sociale, et des stigmates inévitables dans la société Américaine de 1929...

Il y a probablement eu une attraction du réalisateur pour le fait de recréer une époque, comme avec Kafka, et comme il le ferait dans d'autres films à des degrés divers, mais ici l'illusion passe par un choix raisonné et économique de lieux, de costumes et d'attitudes, sans parler des obsessions de l'époque: Lindbergh, mais aussi et surtout la crise de 1929, les bidonvilles et la débrouille... Les acteurs sont tous excellents, et en premier les jeunes: Jesse Bradford qui joue Aaron est très solide, et Amber Benson, l'une de ses voisines, est déjà très impressionnante...

 

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Published by François Massarelli - dans Steven Soderbergh Criterion
14 juin 2024 5 14 /06 /juin /2024 23:15

Mission impossible... Celle de Kris Kelvin, tout d'abord. Dans une société du futur, qui pourrait aussi bien être une anticipation du futur de l'Union Soviétique que quoi que ce soit d'autre, le sombre psychologue Kelvin reçoit une demande paniquée d'un groupe de scientifiques: ils ont installé, dans l'espace, une station en orbite autour de la planète Solaris, et d'étranges événements et phénomènes se sont produits... Les trois membres de l'expédition ont sombré dans une crise émotionnelle... Kelvin se rend sur place et va très vite comprendre que ce n'était pas une bonne idée.

Mission impossible, celle de rendre compte d'un film qui fait tout pour éloigner une grande partie de son public... Reconnaissons que c'est un peu facile de dire ça, mais... La première partie, située largement sur Terre, prend le parti de distiller les informations au compte-goutte, sans jamais totalement les rendre explicites. Ainsi, chez Kelvin, des photos d'une femme, parfois blonde, pafois brune, sont montrées. Ce sera seulement lorsqu'elle 'reviendra' qu'on en saura plus, et qu'on aura compris non seulement qu'elle est décédée, mais aussi que la planète Solaris génère pour chaque humain qui l'approche, des doubles des gens qu'ils ont perdus...

Contrairement au roman, qui jouait sur la narration à la première personne, le film nous présente presque objectivement Kelvin, nous laissant apte ou non à deviner derrière son mutisme, les émotions qui l'assaillent. L'ensemble du film, basé sur un refus constant du spectaculaire, ou en tout cas de l'expliciter ou de le rendre palpable, doit aussi faire avec la lenteur, la contemplation, le refus du metteur en scène de céder aux tentations technologiques de la science-fiction, ce qui couplé à un budget peu propice aux débordements, finit par rendre le tout impossible à véritablement appréhender. Le film ne se contente pas de provoquer le questionnement chez son spectateur, il semble nous poser les questions, à son tour... Et arrive un moment, terrible, où... On se désinteresse de tout ça. C'est triste. 

 

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Published by François Massarelli - dans Criterion
9 juin 2024 7 09 /06 /juin /2024 21:25

Londres, milieu des années 20. Dans le quotidien bien agencé de ses habitants, un monstre vient tout gâcher, et assassine des jeunes femmes, toutes blondes. La psychose s'empare de la ville, en particulier des jeunes femmes qui travaillent tard, comme par exemple les chorus girls du spectacle "Golden Curls (Boucles blondes)". Le meurtrier opère dans un quartier bien délimité, et laisse sur les cadavres de ses infortunées victimes un petit papier sur lequel il a dessiné un triangle, avec une inscription en guise de signature: The avenger (le vengeur)...

C'est dans ce contexte que dans une modeste bâtisse tenue par un couple de retraités, les Bunting, vient s'installer un mystérieux étranger. L'homme qui a décidé de louer la chambre est secret, peu bavard, mais surtout il tranche sur la petite famille simple par son air torturé et sa réaction d'horreur devant la décoration de la chambre: il fait tout de suite enlever les jolies images un peu polissonnes de beautés blondes déshabillées qui ornaient sa chambre. Par contre il s'entend très bien avec Daisy, la jolie fille blonde des Bunting, qui travaille comme mannequin, ce qui n'est pas du goût du fiancé auto-proclamé de celle-ci, un policier qui travaille sur l'affaire de l'Avenger; aussi, lorsqu'il devient de plus en plus clair que l'étranger non seulement est lié à l'affaire, mais pourrait bien être le meurtrier lui même, les choses se compliquent pour tout le monde...

Bien que le film soit déjà son troisième, après The pleasure garden et le film perdu The mountain eagle, on a coutume de référer à The lodger comme étant le "premier Hitchcock picture", selon les mots du Maître lui-même. Ca s'explique et se justifie très bien en effet: c'est pour commencer le seul de ses films muets (Si on considère l'hybride Blackmail, 1929, comme un film parlant) à traiter d'une histoire criminelle, et à se situer dans un Londres contemporain marqué par les petites histoires quotidiennes de sa classe ouvrière: de fait, Daisy (Interprétée par le mannequin June) travaille, le policier joué par Malcolm Keen est aussi un homme occupé, et on a le sentiment ici que le réalisateur est dans un milieu familier, ce qui sera confirmé par la plupart de ses films Anglais, situés le plus souvent dans le petit peuple Anglais plus que dans la gentry... 

Mais évidemment, si on peut comprendre le plaisir du metteur en scène à se plonger enfin dans l'Angleterre telle qu'il l'aime et la connait après deux films tournés en Allemagne, l'aspect criminel du film est le plus notable, compte tenu du tournant que prendra bientôt sa carrière. Et dès ce premier exercice policier, le metteur en scène est parfaitement à l'aise avec un genre qu'il va contribuer à définir: il manie avec dextérité les formes héritées du cinéma Allemand, l'utilisation des ombres, l'installation d'une atmosphère quotidienne envahie par l'angoisse, la brume, et sait à merveille donner à voir les sensations: la peur, mais aussi le bruit (Les scènes qui nous montrent des gens qui écoutent, tout en réussissant à visualiser le bruit entendu, sont nombreuses, et les intertitres ne sont pourtant pas sollicités.). Hitchcock, précurseur de Welles à cet égard, manipule aussi avec talent les images pour donner à voir le sentiment d'urgence et la propagation médiatique de la terreur, en intercalant les images de découvertes du corps d'une femme, les réactions du peuple de Londres, les débuts de l'enquête, puis la façon dont la presse se met en branle. Les intertitres sont également utilisés pour compléter cette information plus que pour la relayer, et le texte est parfois utilisé comme image, ou réciproquement, ainsi le leitmotiv de l'enseigne néon "Tonight, golden curls", qui rappelle d'une part la continuation des activités (the show must go on!), mais aussi effectue un renvoi à l'obsession du tueur pour les blondes.

Et puis, il y a bien sûr dans The Lodger des thèmes qui font une première apparition, ou d'autres qui auront une résonance intéressante dans le reste des films d'Hitchcock. je prends conscience ici de manipuler une information qui est supposée rester une surprise dans le film, mais que la plupart des fans du metteur en scène ou des cinéphiles s'accorderaient à ne considérer que comme un secret de polichinelle: le héros, joué par la star du film Ivor Novello, n'est pas le coupable. C'est un faux coupable, comme tant de héros Hitchcockiens futurs, mais qui prend toute la place, à tel point que l'arrestation du vrai Avenger a lieu hors champ, sans qu'on s'y intéresse plus avant. Ce qui compte dans ce film, c'est non pas qu'on détermine si le héros est bien le serial killer, mais plutôt qu'on puisse le soupçonner de l'être, comme le font la plupart des protagonistes. D'ailleurs, le parallèle entre les deux est frappant, et souvent souligné, à commencer par le nom du tueur: c'est précisément par désir de vengeance contre l'assassin qui se surnomme lui-même le vengeur que Novello vient s'installer en plein dans le quartier des meurtres, car sa soeur était la première victime. Donc le vrai Avenger, c'est bien lui...

Dans le quotidien d'une ville généralement considérée comme relativement paisible, tout en étant industrieuse, Hitchcock a lâché son premier meurtrier, mais il a aussi peint un amour inattendu, relevé dans son quotidien, amour naissant entre le héros et Daisy. Celle-ci, jeune femme indépendante et suffisamment intelligente pour ne pas céder à la panique contrairement au reste de la ville, a su reconnaître en ce bel étranger un idéal amoureux, qui va d'ailleurs la pousser à s'installer très vite dans le quotidien du jeune homme: sans être nécessairement érotique, leur complicité est vite affichée, assumée, physique, ce que confirme une scène durant laquelle le jeun homme veut lui parler, alors qu'elle prend un bain. Entre la nudité de la jeune femme (Pudiquement représentée), l'eau, la vapeur du bain et la porte qui les sépare, les obstacles à l'intimité sont nombreux, mais ne les gênent pas pour communiquer. Par opposition, les tentatives du policier de provoquer une complicité avec Daisy sont gauches et peu probantes... Par contre, Novello et l'actrice June sont à plusieurs moments surpris dans les bras l'un de l'autre. Mais la jeune femme, victime potentielle évidente, ne sera jamais autre chose qu'un refuge, une protection pour le jeune homme, à plus forte raison pendant la tentative de lynchage que la population exerce sur lui; c'est elle qui le recueille, l'aide même à s'enfuir, comme plus tard madeleine Carroll (The 39 steps) ou Eva Marie-Saint (North by Northwest). Bien sûr, la figure féminine principale évoluera de film en film, jusqu'à assumer des formes beaucoup plus complexes...

On peut aussi regretter que dans ce film, contrairement à ce qui deviendra souvent la règle chez Hitchcock, on ne parvient pas à ressentir de façon très claire le danger dans lequel l'héroïne est supposée se trouver. Ca en affaiblit quelque peu la portée, sans pour autant complètement gâcher la fête.

 

The Lodger est sans doute le plus intéressant des films muets de son auteur (Même s'il ne faut en négliger aucun!), et c'est un film dont le style comme la thématique anticipe le mieux sur les festivités à venir. et surtout c'est un manifeste totalement Anglais dans la peinture tendre du quotidien d'un Londonien, qui doit faire attention à sa consommation de gaz, louer une chambre pour joindre les deux bouts, qui vit dans un quasi sous-sol, et doit parfois avoir de la petite monnaie sur soi pour faire marcher certains appareils (Chauffage, gaz, voire ici un coffre-fort dans la chambre du héros)... Un endroit ou les gens qui sont réunis autour d'un fish and chips sont pour certains des gens qui auront à défendre chèrement leur peau lors du blitz quelques 15 années plus tard. Tout ça, en plus, du sempiternel "faux coupable", de l'amour entre un mystérieux homme et une jolie blonde, d'une impression que votre voisin pourrait bien être Jack L'Eventreur, à moins que ce ne soit vous même, est enrobé dans une mise en scène à la virtuosité admirable. ...Vous avez dit "Hitchcockien"?

 

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Published by François Massarelli - dans Muet 1926 Alfred Hitchcock Criterion **
29 mai 2024 3 29 /05 /mai /2024 11:52

Une troupe d'acteurs Kabuki arrive sur une petite ville au bord de la mer. Le patron de la troupe, Kihachi, profite du séjour pour aller visiter son ancienne maîtresse, qui a eu un fils de lui. Celui-ci ignore tout de sa véritable filiation. Il a pris l'habitude de considérer Kihachi comme un oncle distant... Mais l'une des actrices de la troupe va provoquer un conflit dans cette fragile "famille" en séduisant le jeune homme...

Le film est souvent considéré comme une comédie, mais quelle amertume dans le destin de ces "herbes flottantes"... Bien sûr, ce sont les comédiens, qui se rendent en train de ville en ville et vivent sans jamais pouvoir totalement s'attacher. Mais si la troupe est probablement assez ancienne, on voit que les jeux de pouvoir et de rivalité ont fini par miner la bonne entente, et Kihachi accuse le coup. C'est la deuxième fois que Takeshi Sakamoto incarne un personnage de ce nom, et il est bien différent de son précédent avatar. Inquiet, amer, il semble arrivé au bout de ses chances de bonheur...

Le film est en même temps que cette chronique de l'amertume, un portrait triste mais tendre et vibrant, d'une profession sinon de ses membres, au vu des chicanes et de l'ambiance délétère de la troupe... Le cinéaste se plait à montrer ses acteurs dansles coulisses, en désacralisant avec humour la magie du spectacle. Il oppose aussi à Kihachi et son ménage secret, un acteur qui est le père d'un petit comédien, qui donne un écho burlesque à la situation principale, un enfant glouton, à l'hygiène déplorable (soulignée avec insistance par Ozu comme il le faisait tant)...

Le film, incidemment, est à la fois un remake officieux du film The barker de George Fitzmaurice, et la source d'un autre film d'Ozu, sorti en 1959 (et en très belles couleurs), intitulé cette fois simplement Herbes flottantes...

 

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Published by François Massarelli - dans Yasujiro Ozu 1934 Muet ** Criterion