Pierre MacOrlan, qui sera ensuite chargé du commentaire sur les images de Chenal, nous prévient: ces métiers, glanés au hasard des rues de Paris, certains sont là depuis des siècles et d'autres disparaîtront, certains auront peut-être cessé d'exister au moment de la présentation du film...
Ensuite on assiste en effet à une vue de diverses activités dans Paris, utiles ou inutiles, le plus souvent pour égayer les gens. Toute un univers de débrouille, d'une poésie canaille, se met en place sous nos yeux, entre cracheuse de feu (elle vérifie que la police n'est pas là d'abord) et barbier des quais (il coiffe les sans-abri des bords de Seine), depuis le "désossé" qui montre les possibilités de son corps contre une pièce, aux vendeurs à la sauvette...
Chenal, venu au cinéma en amateur avec une vocation grande comme ça, a beaucoup pratiqué le court métrage documentaire, ou le "point de vue documenté" comme Vigo et Kaufman présentaient leur film A propos de Nice. Mais ici, comme du reste dans Paris-Cinéma du même auteur, le point de vue est tendre, jamais rigolard... Et c'est en effet un Paris totalement disparu ou presque qui se montre ici. Bien sûr la plupart des "métiers" ici montrés ont été remplacés par d'autres qui eux-même passeront le relais à d'autres occupations...
En 1895, le 28 décembre précisément, a été présentée au Grand Café une sélection de courtes bandes du Cinématographe: c'est en allant directement les montrer au public, que les frères Lumière ont testé leur invention. C'est qu'il faut bien comprendre le contexte: contrairement à ce qu'on répète l'envi depuis, ils ne sont pas du tout les inventeurs de la photograpnie animée, mais juste des participants à une sorte de compétition informelle, qui paraissait gagnée d'avance par les Américains, et ce depuis l'invention par William K.L. Dickson (et Thomas Edison, et au vu du pedigree de ce dernier en matière de vol des inventions des autres, on se méfie de l'info) duu Kinétoscope: oui, des images qui bougent, ça existe depuis 1888...
Mais d'une part, on n'est pas en cette fin de XIXe siècle dans une économie globale des médias, et si effectivement on peut se rendre dans des nickelodéons pour visionner en solo des films au Etats-Unis, la France n'a pas vu jusqu'à présent d'invention significative. En Grande-Bretagne, en Allemagne, des "petits cousins" des Lumière travaillent à leur système. Mais si les deux Lyonnais ont choisi une présentation publique pour une audience populaire (même si j'imagine que le Grand Café est tout sauf un estaminet pour tire-laines situé dans un coupe-gorge), c'est qu'ils sont sûrs de l'atout principal de leur invention: la projection...
Et c'est l'une des innombrables choses que nous rappelle ce film, montage de 114 films des frères Lumière, et établi d'après la restauration de tous ces films, dont souvent les éléments ont été préservés dans un état très avantageux. Les Frères Lumière avaient trouvé un procédé qui donnait une image stable, et qui pouvait être élargie sur un écran de vaste proportion, pour être vu d'un grand nombre, sans perte excessive de qualité. Et la beauté photographique des films présentés est une preuve de la réussite des inventeurs.
"Inventeurs" plutôt que cinéastes, j'assume le terme, d'une part parce que des deux frères, seul Louis a vraiment assumé le rôle de faiseur de films; ensuite parce qu'il ne l'a pas tant fait que ça, les deux frères ayant payé de collaborateurs pour sillonner la planète et en ramener des images, à leur initiative. Frémeaux, dans son commentaire (au passage, globalement d'une rigueur exemplaire), nous en rappelle les noms: ceux qu'on connaissait déjà, comme Féli Mesguich; et ceux qu'on est content de découvrir (en ce qui me concerne, je n'avais pas connaissance d'Alexandre Promio). Enfin, Louis Lumière, dans une rencontre qui tient du passage de témoin, a rencontré Méliès, et lui a tenu un discours qui minimisait sérieusement la portée artistique du cinématographe, qu'il disait concevoir comme une possibilité de garder des fragments du passé sur pellicule, et permettre aux hommes de voir le monde, mais guère plus. Méliès, lui, avait compris que ça pourrait aller plus loin et l'a démontré.
Il n'empêche: par le choix de montrer les films, rien que les films, entiers et sans fioritures, et de les commenter tranquillement, Frémeaux va démontrer que, tels des Jourdain du cinéma, les deux Lyonnais ont inventé sans le savoir des principes de mise en scène, en particulier lorsqu'ils ont établi, par exemple, des angles de prise de vue qui permettaient une plus grande efficacité (cette utilisation de la diagonale dans la composition de L'arrivée d'un train en gare de La Ciotat, par exemple, qui va devenir la règle pour les scènes de rue), ont su bénéficier de la météo qui les encourageait à sortir la caméra, et ont même à plusieurs reprises réalisé des comédies, de la mythique L'arroseur arrosé, à La charcuterie mécanique, avec son cochon qu'une machine transforme en cochonailles... Ils ont restitué et parfois transformé et prolongé le réel. Ils ont influé sur les journées de quelques quidams, croisés dans la rue et gardé pour la postérité; certains d'entre eux n'ont d'ailleurs pas pu s'empêcher de se faire remarquer, permettant à Lumière d'être aussi l'inventeur malgré lui du cabotinage cinématographique (les trois Sortie d'usine). Ils ont enfin gardé des images de moments, de rues, de lieux, disparus ou altérés depuis. Ils ont inventé non pas l'image qui bouge, mais sa meilleure représentation, et nous en sommes infiniment reconnaissants.
Le col de Montgenèvre, dans le département des Hautes-Alpes, est situé à la frontière entre l'Italie et la France; c'est le lieu de passage de nombreuses personnes, qui ont fui leur destin pour tenter leur chance en Europe du Nord... C'est aussi, depuis quelques années, le théâtre d'un étrange conflit entre migrants, forces de l'ordre, citoyens concernés qui souhaitent aider ceux qui n'ont plus rien à perdre, et militants de mouvements qu'on avait cru voir disparaître, sûrs de leur bon droit, et absolument certains que leurs agissements (traque de migrants, et dénonciations musclée à la police locale) sont justes. Par-dessus le marché, comme le proclame un graffiti situé sur le versant Italien, à deux pas de la frontière: Il confine ucciso, la frontière a tué...
Le film refuse systématiquement le spectaculaire, et l'emploi d'images choc des arrestations, ou des sales petites ordures d'identitaires qui sont tellement fiers d'avoir recréé l'esprit des milices pétainistes sous le prétexte de venir en aide à la police et à la loi. Sarah Léonor privilégie en permanence une vision neutre des lieux de l'action en rappelant, par le truchement de voix off omniprésentes, que dans ces merveilleux coins de montagne, des gens se cachent, et parfois des gens meurent. Il est souvent fait allusion à Blessing, une migrante Nigérienne qui a été retrouvée dans la Durance...
C'est donc très austère, et un parti-pris qui rend le film très exigeant vis-à-vis de ses spectateurs. Une autre caractéristique du récit, est qu'il passe comme je le disais par des voix off qui sont pour la plupart interprétées à partir de témoignages, ceux de personnes locales qui ont aidé ponctuellement et se sont trouvées en butte avec la police locale, mais aussi d'un de ces petits blondinets qui nous explique "Je suis militant identitaire", comme si ça devait tout excuser. Des extraits d'un film de Pietro Germi nous rappelle que les lieu ont toujours été un endroit de passage mais à une époque, c'était glorifié par le cinéma. Enfin, un chapitre nous éclaire sur le passé encore plus lointain, à travers l'expérience d'un officier de police, qui a aidé justement des gens à passer, par simple humanité car ces gens qui n'ont plus rien risquent leur vie.
Le film, qui se clôt sur l'incertitude d'Eunice, une femme d'origine Africaine qui est passée avec son fils, et attend la suite de sa vie, nous aura aussi rappelé que la loi (française comme européenne) ne dit absolument pas qu'il faille empêcher quiconque de passer, mais bien que toute personne qui passe la frontière et qui manifeste son désir de droit d'asile, doit être accompagnée, escortée et qu'on doit lui permettre d'effectuer sa demande en de bonnes conditions.
Donc, la police qui traque les migrants, et qui parfois les houspille, les salauds de miliciens qui les dénoncent, sont sous le coup de la loi, théoriquement. Comme quoi même devant un film beaucoup trop austère, on apprend des choses...
La vie et surtout, semble-t-il, la mort de Brian Jones, le membre des Rolling Stones qui est à l'origine de l'existence du groupe, celui dont on dit souvent (et en particulier dans ce film) qu'il était au début l'âme du groupe, et qui fait partie du célèbre soi-disant Club 27, donc un artiste parti trop tôt, dans la destruction, avant ses 28 ans...
d'une part, le film fait la part belle au destin tourmenté et surtout à la mort de son sujet, une mort annoncée de multiples façons, dans le film, à travers l'accent sur les mauvaises décisions, pratiques, fréquentations, tout en passant de manière exagérément rapide sur un certain nombre de points: je ne parle même pas de l'anecdote la plus embarrassante sur Jones, la fameuse histoire de l'uniforme nazi (dont une photo nous est présentée), mais... de sa participation au groupe. Alors oui, on verra quelques images et on entendra quelques sons, mais l'impression est qu'en 6 ans, il a traversé le groupe dont on nous dit qu'il l'a fondé sans faire trop de vagues!
Sans doute y'avait-il un problème de droits, sans doute les survivants ont-ils soit décliné leur participation, soit demandé un prix exorbitant, ou se sont-ils opposés à ce que le film parle trop d'eux. Peut-être que pour les concepteurs du film, le groupe était finalement accessoire! Presque un accident dans la carrière de Brian Jones...
Mais l'impression qui domine, j'en ai peur, c'est que Brian Jones lui-même a sans doute été un accident dans la carrière du groupe! Une impulsion géniale, un coup d'envoi, puis une lente descente vers la déliquescence pendant que les quatre autres (cinq, en comptant le fidèle Ian Stewart) entamaient une série de décennies impressionnantes, et comme chacun sait ils nous enterreront tous... Sauf Charlie Watts.
Non, ce que veut raconter ce film, à grand renfort de théories, de témoignages dont certains littéralement fumeux (hum...), et tous vaguement contradictoires, c'est que la mort de Jones est en fait un meurtre, voilà tout. Je ne suis pas convaincu, et j'ai tendance à considérer tout film un tant soit peu complotiste comme un machin à éviter, à plus forte raison quand il tente de se déguiser avec les accents de la vérité! Tout le monde n'a pas le talent d'Oliver Stone quand il se lance dans un délire paranoïaque, comme JFK, il peut au moins, lui, le faire avec un certain génie, et c'est de toute façon de la fiction... Ce documentaire musical sans musique déçoit et nous laisse sur notre faim parce qu'ici, les Rolling Stones sont absents. Même Brian Jones!
Réalisé en 1943 pour un distributeur de sujets édifiants, j'imagine que ce film était pour les autorités de l'époque un objet sans le moindre risque, une belle histoire propice à intéresser les enfants sans aller plus loin, en phase avec l'idée du retour à la terre: on y raconte le voyage annuel d'un troupeau de chevaux venus de Camargue pour se rendre dans le massif du Vercors...
Le massif du Vercors, ça évoque bien sûr le Sud dans toute sa splendeur, mais ça résonne aussi beaucoup pour ceux qui connaissent l'histoire de France et en particulier cette période durant laquelle les forces d'occupation d'un pays étaient constituées de tout un tas de teutons en uniforme, incapables de penser un seul instant que des forces de résistance pourraient oser, depuis les massifs montagnards, défier leur autorité... D'où l'intérêt de ce petit film, qui utilise pour parler de la transhumance de ces chevaux qui "fuient les hommes", et se dirigent vers ce qui sera le haut lieu d'un maquis, des termes systématiquement associé au souffle de la liberté.
La fin, d'ailleurs, est encore plus explicite, car on y apprend que le Vercors, y compris quand on est un cheval, ça se mérite: il faut, pour reprendre les termes directement tirés du film, "batailler" contre des "ennemis"... Tiens donc! Ce premier court métrage révèle la subtilité d'une cinéaste qu'il faudrait peut-être redécouvrir, en passant au-dessus des diktats des historiens qui l'ont reléguée dans les coulisses de l'histoire: ici, elle s'y montre plus que pertinente, aidée en prime par les très belles images (en 16 mm) d'Henri Alekan.
Nous assistons à la naissance du procédé Cinerama: un prologue (en format 1:33:1 standard) retrace l'évolution de la représentation du mouvement, principalement dans la photographie puis le cinéma, et aboutit à la création du nouveau procédé: l'écran s'élargit, le son se spatialise... S'ensuit une série de représentations: voyages, caméra embarquée sur des véhicules en mouvement, spectacles vus et entendus dans toute leur largeur, etc...
Le nom qui frappera le plus les esprits, au-delà par exemple de la famille Todd (dont le procédé Todd-Ao a été développé en parallèle) est Merian C. Cooper, ci-devant producteur et réalisateur à ses heures, notoirement en compagnie d'Ernest B. Shoedsack, et du coup heureux père d'un célèbre bambin bien poilu: avez-vous jamais entendu parler de... Kong?
Le film est une succession de démonstration par l'image, avec des moments qui ont sérieusement perdu de leur charme, en particulier ces extraits de spectacles pré-péplum, ou cette longue séquence qui nous fait entendre un choeur de Salt Lake City interprétant des extraits du Messie de Haendel... Le plus intéressant (au-delà de l'intérêt sociologique des données ethniques assez embarrassantes, puisque ce tour des Etats-Unis est 100% blanc) est bien sûr l'extraordinaire final qui est un survol magnifique sur triple écran des Etats-Unis.
On en prend plein les yeux, c'est l'idée: on ne m'empêchera pas de penser que c'est aussi une mise en abyme vertigineuse: un film qui s'abstient de raconter une histoire, mais se présente au public pour démontrer ce qu'il est.
La caméra de Lamprecht se promène en Sicile, au pied de l'Etna... Et en profite pour visiter les villages environnants, et saluer la population...
Filmant le volcan, Lamprecht agit finalement bien plus en touriste qu'en cinéaste, se désintéressant bien vite d'un géant de feu, qui bien qu'actif, reste bien sage durant le séjour. Pas de drame en vue donc, et on notera que Lamprecht, qui aimait croire qu'il montrait la vie sans la moindre idéologie, est une fois de plus attiré en optimiste par la vie en apparence indolente des habitants... Le film est manifestement peu connu, absent des filmographies officielles.
L'histoire de la censure aux Etats-Unis est passionnante, en particulier en ce qui concerne le cinéma: c'est bien simple, on en ferait un film! C'est en gros ce que le documentariste Kirby Dick a souhaité faire, mais on ne s'attendait pas à ce que ça vire à l'enquête policière!
Le système actuel d'évaluation des films est un héritage de la longue, tortueuse et fort compliquée histoire du Code, comme on l'appelait, cet ensemble de règles adoptées par les studios entre 1922 et 1934, puis érigées en dogme absolu jusqu'aux coups de boutoirs de la libération des moeurs dans les années 60. Voyant qu'on ne pouvait maintenir des règles démodées, et toujours selon eux désireux d'empêcher toute censure, les studios ont donc adopté un système d'évaluation qui leur permettait d'envoyer des signaux aux parents: un film évalué "All", par exemple, est pour tous. Un film "PG 13" indique qu'en dessous de 13 ans, un enfant aura besoin de l'accord (et donc implicitement de la présence) de ses parents pour se rendre au cinéma. Le grand débat réside, le film le montre bien, entre R et NC-17. Un film R, c'est à dire "Restricted" (restreint) est sujet à la controverse, mais un adolescent de 17 ans peut aller le voir. Mais NC-17 est en fait une descendance du fameux X, qui aux Etats-Unis ne désignait pas le porno, mais tout film qui suscitait un maximum d'objections de la part des "évaluateurs", parfois pour des raisons qu'eux-mêmes avaient les plus grandes raisons à donner... Un film NC-17 (ou X) était parfois relativement accepté culturellement dans les années 70: les derniers Pasolini, par exemple, qui y allaient un peu fort, étaient certifiés X, ce qui ne gênait pas outre mesure leur public, le plus souvent adulte. Ca a probablement gêné leur carrière, on s'en doute, mais s'ils avaient été certifiés R ou PG-13, le public serait-il massivement venus les voir?
A l'âge de la vidéo, des écrans permanents, en revanche, la donne a changé: NC-17 est devenue la marque infamante, l'assurance que les chaînes de cinéma seront sélectives (le Sud en particulier choisira selon toute vraisemblance d'ignorer le film, par exemple), mais surtout, le film le prouve, il y a deux poids et deux mesures: bien souvent, un NC-17 est obtenu pour des raisons de représentation de la sexualité, plus que pour la violence... Et il y a plus intéressant encore: les orgasmes sont comptabilisés, la présence ou non de poils pubiens, voire les coups de reins! Ce qui donne lieu dans le film à des montages hilarants et des animations rigolotes... Mais pour finir sur cet inévitable chapitre, la censure (car c'en est bien une) est effectuée par des gens qui sont bien souvent des représentants hétérosexuels des grands studios, des parents ou des membres déclarés de deux églises (les deux seules qui ont le droit de cité dans l'association, les Catholiques et les Episcopaliens), et les films ciblés par les pires infamies représentent le plaisir féminin, cet inconnu, et bien évidemment les minorités sexuelles...
Le film se concentre ensuite beaucoup sur une enquête menée par une formidable détective privée avec sa belle-fille pour essayer de débusquer les membres secrets de cette organisation qui n'a pourtant aucune (bonne) raison d'être tentaculaire. Et ça devient comique quand le film est soumis à ce même organisme pour classification.
Il a été classé NC-17 en raison précisément du nombre de citations sous forme d'extraits des films qui avaient déjà eu cette marque infamante. Au moins, c'est logique...
Historien du cinéma, écrivain, Bernard Eisenschitz a passé une grande partie de sa vie professionnelle (et pas que) autour de L'Atalante, le chef d'oeuvre paradoxal de Jean Vigo: paradoxal à plus d'un titre, puisque le cinéaste n'était plus de ce monde au moment où le film a pu être montré, parce que come pour beaucoup de chefs d'oeuvre, l'état même du film, ce qu'il est pour de bon, n'a jamais vraiment été établi, et paradoxal enfin dans la mesure où le film n'était pas un désir de Vigo, plus une commande de ses producteurs... Une commande dans laquelle le metteur en scène allait littéralement jeter son dernier souffle.
C'est donc des rushes nombreux, conservés miraculeusement et accumulés à la Cinémathèque Française, que Bernard Eisenschitz a monté un film de 70 minutes, qui retrace, montre, commente et complète l'histoire du film de 1934: dans ces images, des gestes, des sons aussi, des propositions de montage, des tentations finalement abandonnées, et ici ou là, l'image émouvante de Vigo, amaigri, mais déterminé, fixé sur sa pellicule comme un fantôme. L'image des amis aussi, Eisenschitz nous montre par exemple les copains du groupe Octobre, dont on reconnaît Jacques B. Brunius, parmi les figurants...
Paradoxal, enfin: complément d'un film auquel il n'ajoute rien, mais peut permettre de nous expliquer à quel point L'Atalante est un beau film.
A l'automne 1925, Max Linder et son épouse Ninette Peters ont selon toute vraisemblance fait un pacte de suicide, c'était leur deuxième tentative, et on n'en sait guère plus, si ce n'est que l'un et l'autre étaient depuis longtemps psychologiquement fragiles. Ils ont donc laissé derrière eux un enfant, une fille: Maud, élevée par sa famille, a donc grandi dans une relative ignorance de ces parents, et surtout de ce père, dont elle fait ici le portrait à partir des images qu'il a laissées et qui ont survécu...
Le parti-pris est donc biographique, cinématographique (il s'agit de replacer Linder dans une histoire d'un art qui l'a pour une grande part totalement oublié), historique, et surtout extrêmement personnel, comme si Maud cherchait à provoquer une intimité factice avec ce père flamboyant, si présent mais aussi si absent: dans leur vaste majorité, les images qu'elle utilise sont après tout des oeuvres de fiction, et elles mentent par essence, donc c'est et ce n'est pas Gabriel Leuvielle, dit Max Linder, sur l'écran...
C'est me dernier acte d'une longue quête personnelle, qui avait commencé par la compilation de trois longs métrages En compagnie de Max Linder sortie 20 ans plus tôt: dépositaire des films de son père, Maud Linder a sans dote eu un peu trop tendance à tailler dedans, comme pour les rendre un peu plus attrayants, ce qui n'arrange pas les choses. Reste que les extraits présentés ici, qui sont soit choisis pour leur capacité à illustrer certains aspects biographiques, soit pour représenter l'oeuvre, donnent au moins à voir et apprécier un style, certes suranné, mais foncièrement personnel, et un certain sens du rythme... En même temps qu'une tendance théâtrale qui ne quittera Max Linder que lorsqu'il se rendra aux Etats-Unis, pour une période intéressante, mais bien moins bénie que ne semble dire le film.
Donc ce documentaire qui finit avec pudeur sur une note déchirante, et qui parfois reste profondément subjectif, permet-il de donner l'envie à qui le verra, de tenter de se replonger dans les films de Linder, ce qu'il en reste du moins: il existe d'ailleurs deux versions du film, celle de 1983 sortie en salles, et une révision effectuée pour la télévision, lorsque Maud Linder a recensé un certain nombre de films dont elle ignorait la préservation. Max In a taxi, par exemple, Le petit Café ou Le roi du cirque, qu'elle annonce perdus, ont tous été retrouvé au moins dans des copies fragmentaires. Pourtant, c'est cette version de 1983, au montage soigné et au ton si juste, qui reste ma préférence. Maud Linder y a t-elle satisfait sa quête personnelle? Ca m'étonnerait, mais elle est très claire dans son commentaire final, tranchant, cassant, et encore une fois, juste.