Après Zorro, après D'artagnan, Fairbanks passe à la légende de Robin Des Bois. Celui-ci est un mythe né au Moyen-Age, avec lequel l'histoire tend à se confondre depuis si longtemps, qu'on s'étonnerait presque des libertés prises par Fairbanks et son équipe, alors que c'est systématique: dernier en date, le film de Ridley Scott, tout en cédant à une certaine fore de réalisme, n'en est pas moins totalement faux sur bien des points historiques, relatifs à Richard et John, roi et prince, notamment. Mais à la vérité, ce qui fait le plaisir de confectionner un Robin Hood est ailleurs: si ce Robin qui fait partie de l'impressionnant cycle de films monumentaux de Douglas Fairbanks ne joue jamais la carte de la parodie, et installe définitivement un certain nombre de constantes graphiques, il y a beaucoup ici de plaisir de filmer les châteaux, de costumer les acteurs, de grimper aux rideaux et de bondir...
Mais Fairbanks, soucieux d'appliquer la recette de Dumas pour ses Trois mousquetaires, qui a longuement retardé l'entrée de D'Artagnan dans le corps des Mousquetaires, a ici résolu de créer un long prologue, expliquant par un contexte expliqué point par point durant 65 minutes la décision du comte de Huntingdon d'entrer en résistance sous le nom de Robin Hood. Et paradoxalement, c'est la meilleure partie du film! C'est là que Dwan et Fairbanks recréent leur moyen-age à eux, avec ses immenses châteaux, ses costumes, et des décors naturels superbes (Dont j'imagine que le Robin Hood de Curtiz les reprendra sans hésitation).
La deuxième partie du film vire assez rapidement au systématisme, et le personnage de Robin Hood une fois doté de ses oripeaux n'a plus rien à prouver, et bondit bien sûr dans tous les coins avec application, son seul enjeu étant de sauver Lady Marian (Enid Bennett, après quatre films en compagnie de Marguerite de la Motte) des griffes de l'affreux John... en augmentant l'échelle de ses films, Fairbanks a semble-t-il négligé de développer plus avant ses personnages pour qu'ils soient un peu plus que des pantins bondissant dans tous les sens... Il y reviendra avec le film suivant, qui le verra justement réfléchir à de nouvelles façons d'intégrer ses personnages dans les décors, en utilisant des ressources plus vant-gardistes, dont la danse.
Mais ce Robin Hood énorme, avec ses châteaux en trompe l'oeil, est un e date importante, un film ambitieux qui semble à lui tout seul vouloir résumer les possibilités expressives des décors et des costumes au cinéma muet. Un spectacle autrement plus inéressant et qui contrairement au Puy du fou, ne tente pas de faire passer en douce un message réactionnaire derrière un pseudo spectacle historique.
A Oxford, un Américain qui vit sur place depuis quinze années, et est amoureux d'une jeune femme locale, doit rentrer au pays, à la demande de sa famille... Mais il sait qu'ils vont refuser son choix et lui imposer une riche héritière. Son meilleur copain Dick (Douglas Fairbanks) décide de prendre sa place, vu que la famille n'a pas vu Reginald depuis son enfance, et de résoudre les problèmes liés à la situation. Quand il arrive au Etats-Unis, il comprend très vite que la partie n'est pas gagnée: les trois tantes de Reginald n'ont aucune envie de déroger aux traditions, et son oncle est complètement coincé. Et sa soeur est, comme l'infortuné Reginald, tenue de se marier avec un parti riche et bien vu en société... Mais Dick décide qu'il va "tout résoudre", car comme il le dit "I'll fix it!"...
C'est une charmante comédie, un de ces films absurdes, gentils et joviaux comme Fairbanks et ses copains (Albert Parker, John Emerson, Christy Cabanne, Victor Fleming et Allan Dwan) en pondaient plusieurs par an! Mais c'est tellement bien fait, sans jamais se prendre au sérieux, tout en distillant un gentil message optimiste, qu'on se laisse totalement prendre... Et la façon dont le "faux" Reginald va imposer à "sa" famille complètement coincée toute une marmaille d'enfants qui sont nés du mauvais côté de la barrière, en les prenant par les sentiments, est un beau moment.
Et la principale leçon, dans ce film qui nous conte un "choc de cultures" peu banal, est bien sûr que cette insupportable manie des riches de vouloir maintenir les classes sociales et les traditions, est finalement contraire à ce qui fait l'Amérique...
Le film est miraculé, il fait partie des dernières redécouvertes d'un film muet important de ces dix dernières années, grâce à une restauration bien menée, sur une copie détenue par un chanceux collectionneur. Il n'y a pas si longtemps, aucun film de l'année 1918 n'avait survécu parmi les nombreuses productions de Douglas Fairbanks d'avant ses épopées en costume... C'est une raison de plus de se réjouir de l'existence de celui-ci.
Florian Amidon est un jeune homme bien sous tous rapports, mais sans aucun relief, un employé de bureau tellement effrayé de tout, qu'il n'aspire à rien. Surtout pas à séduire les femmes, car elles lui font peur! Pourtant, il lui arrive une mésaventure peu banale: alors qu'il attend un train, il est assommé par deux bandits... Quand il se réveille, cinq années ont passé, il est dans un compartiment de train, et il ne reconnaît rien de ses affaires, vêtements, etc... Pire, une fois descendu du train, on l'accueille dans une petite ville où on l'appelle Mr Brassfield, et où tout le monde le connaît...
Surtout les dames!
Pour comprendre ce qui lui est arrivé il demande de l'aide à une voyante-hypnotiseuse, qui va lui révéler sa double personnalité: car sous Florian Amidon se cache un homme d'affaires peu scrupuleux, coureur, malhonnête et aux aspirations politiques. Les amis de Florian, déterminés à l'aider, lui demandent de mener à bien les affaires de Brassfield...
C'est le deuxième film de Fairbanks, réalisé à la Triangle, peu de temps après que Griffith l'ait fait venir pour interpréter des comédies. Le premier, The lamb, avait été modelé sur le rôle qui l'avait vu triompher à Broadway, mais globalement le studio ne savait absolument pas quoi faire de lui! D'où un film assez franchement foutraque, dans lequel l'acteur s'amuse quand même un peu à interpréter deux rôles en un... Il y aura des traces de ce film dans la carrière future de l'acteur, puisqu'il reviendra périodiquement aux rôles de grande nouille, que ce soit dans The mollycoddle (1920) ou dans le rôle de l'efféminé Diego Vega dans The Mark of Zorro...
Christy Cabanne n'a jamais été à proprement parler un réalisateur fascinant, et on sent bien qu'ici il n'y a pas une énergie phénoménale aux commandes de ce petit film fort sympathique, mais aux limites du compréhensible parfois...
Au moment d'entamer la réalisation de ce film, Douglas Fairbanks triomphe: ses trois premiers films spectaculaires (The Mark of zorro, The three musketeers, Robin Hood) ont confirmé la validité de son intuition, et c'est en héros qu'il a été accueilli en Europe. Reçu en embassadeur partout, il a aussi pu vérifier la solidité de l'industrie Allemande du cinéma, et s'est porté volontaire pour faire distribuer un certain nombre de films par le biais de la United Artists... avec une idée derrière la tête. Il envisage de réaliser un film merveilleux, et va s'inspirer de ce qu'il a vu. C'est une sage décision, le film fantastique Américain étant à cette époque en l'état de voeu pieux, il fallait s'inspirer de ceux qui savaient y faire: en 1924, la révolution de Caligari est passée par là, et on a pu voir sur les écrans Allemands Der müde Tod (Les trois lumières) et Die Nibelungen, de Fritz Lang, ou Le cabinet des figures de cire, de Paul Leni: ces trois films en particulier fourniront l'inspiration visuelle du nouveau Doug... Et puis il peut se vanter de bien remplir les salles avec ses films, et comme la United artists a été créée en premier lieu dans la but de satisfaire aux désirs des artistes (Chaplin, Fairbanks, Pickford et Griffith) qui l'ont imaginée, c'est en toute confiance qu'il se lance dans le tournage d'un film unique pour les années 20: un film fantastique, extravagant, mais tellement bien pensé et tellement soigné qu'il est encore irrésistible 9 décennies plus tard... Pour accomplir cet exploit, Fairbanks s'attache les services d'un jeune réalisateur qui monte, Raoul Walsh, avec lequel la complicité sera des plus efficaces.
Ahmed, le voleur de Bagdad interprété par Fairbanks, rejoint la liste des héros typiques de l'acteur: valeureux, c'est dans l'action qu'ils se définissent; ils ne négligent pas le déguisement (Zorro) et seront le plus souvent aidés dans leur volonté de sauver autrui par l'amour. Une fois motivés, ils peuvent déplacer les montagnes, et l'énergie athlétique dont ils font preuve peut éventuellement s'accompagner d'une aide, venue au bon moment, des hommes et des femmes qu'ils ont fédéré: voir bien sûr Robin Hood, et plus tard The Gaucho, ou The Black Pirate. Mais surtout, les films sont un peu des parcours initiatiques dans lesquels le personnage principal va définir sa vraie nature: A Don Diego, l'inutile nobliau ridicule, Fairbanks oppose la flamboyance de Zorro; le "pirate noir" n'est pas en réalité le chef dur qu'il semble être, c'est un prince, et le Gaucho sera sauvé par l'amour... Comme le voleur de Bagdad. Mais celui-ci sera aussi sauvé par un certain nombre d'accessoires magiques, importés d'Allemagne: objets venus de l'orient dont un tapis volant (Les Trois lumières) bestiaire imaginaire fantastique dans lequel brille un dragon (Die Nibelungen); le tout sera situé dans un orient constamment stylisé, assumé comme faux (Inspiré du Cabinet des figures de cire), et dont le rendu va bénéficier d'une idée toute simple: c'est une immersion complète, on ne verra aucune couture, ainsi on pourra assumer que le décor de Bagdad est fait d'un sol ciré, y compris dans la rue, ainsi, il sera possible d'assumer cette fausse mer faite de toile... Le résultat est proche d'un décor d'opéra.
A l'expressionnisme de ses sources, Fairbanks va opposer une autre forme d'exagération, en accentuant le coté ballet de sa propre prestation, d'autant que les figurants sont tellement nombreux qu'il faut bien faire un effort pour que l'acteur s'en détache. Un bon exemple de cette gestuelle exagérée se trouve au début du film, lorsque Fairbanks est encore un simple voleur, et parcourt de balcon en toit les rues de Bagdad, en grapillant son déjeuner, et les bourses tentantes des passants. Voyant la démonstration d'une corde magique, il la convoite, et fait un geste de la main, qui fait d'ailleurs penser à un enfant. Ce geste répété n'a rien de naturel, mais est parfaitement clair. Autre avantage pour l'acteur, il peut, pour une fois, échapper au maquillage qui le blanchit considérablement habituellement, puisque Fairbanks est un adepte des activités sportives sous le ciel de Californie et sa peau constamment exposée a le plus souvent besoin qu'on l'assagisse un peu s'il veut jouer un D'artagnan ou un Robin Hood... Ici, c'est un Fairbanks au naturel, habillé de peu d'étoffe du reste, qui va exposer son corps d'athlète dans des gestes plus emphatiques encore que d'habitude. Enfin, l'exagération et l'exacerbation des mouvements sont étendues à l'ensemble du casting, dans lequel on reconnait Julanne Johnston en princesse, So-Jin en prince Mongol, Anna May Wong en traîtresse, et Snitz Edwards en copain du héros; Ahmed est donc un voleur militant, qui ne vit que par une seule philosophie: quand il a envie de quelque chose, il le prend. Lorsque c'est une belle princesse qu'il convoite, il va mettre au point un stratagème pour être l'un des princes qui s'alignent pour venir lui faire officiellement la cour. Et va du même coup être transformé par la révélation de l'amour... Mais parmi ses rivaux, il y a aura aussi le fourbe prince des Mongols, cruel et plein de ressources pour faire le mal et assumer son but: la domination...
On le voit, ça se gâte vers la fin du résumé, puisque cette sale manie de donner le mauvais rôle aux Asiatiques est ici présentée de façon spectaculaire, avec deux des stars Orientales les plus populaires. Mais dans le cadre du film, situé dans un imaginaire de carton-pâte (Avec les beaux décors en somptueux vrai-faux de William Cameron Menzies), cette odieuse convention s'accepte finalement assez bien... Et avec ses treize bobines, et 152 minutes de projection, le film s'offre le luxe d'être l'un des plus longs films Américains des années 20, je parle ici des durées de films en exploitation, non lors de premières, souvent plus longues. Cette longueur inhabituelle est sans doute l'une des raisons qui vont pousser le public à bouder le film, hélas... Dommage parce que non seulement c'est une fête visuelle, mais en prime les effets spéciaux sont très réussis, la cohérence des séquences merveilleuses un rare succès dans un pays qui, répétons-le, ne savait pas encore faire du cinéma fantastique... Et Walsh dans tout ça? Disons que d'une part, il peut s'enorgueillir d'avoir réalisé non seulement le plus long, le plus cher, mais aussi le meilleur des films de Fairbanks. Et sa réputation n'est aujourd'hui plus à faire, mais l'image du conteur génial est née de ce genre de films, dans lesquels le metteur en scène s'efface derrière l'efficacité de ses dispositifs. Et il fallait du talent pour réussir à rendre cohérent un mélange entre personnages bien définis, décors délirant et envahissant, et histoire de longue haleine; réussite, selon moi, sur toute la ligne: on ne perd jamais de vue les héros, et les allers-retours entre Ahmed et ses concurrents lors de la recherche d'un objet magique pour permettre de départager les "princes" afin de déterminer qui emportera la main de la princesse sont un conte qui se boit comme du petit lait. Quant aux idées d'importation (Dragons, tapis volant, boule de cristal, cape d'invisibilité), ils sont parfaitement rendus, et ne se contentent pas d'apparaître, le metteur en scène les a dotés de vie... Donc c'est un grand film de Raoul Walsh, autant qu'un grand Fairbanks... celui-ci va avoir du mal, d'ailleurs, à suivre ce film, c'est le moins que l'on puisse dire. En attendant, replongeons-nous dans l'un des plus beaux films des années 20, si possible avec la musique inspirée de Rimsky-Korsakov qui était déjà le principal choix en 1924...
Ce film de cinq bobines produit par la société Triangle est le cinquième de Douglas Fairbanks, son deuxième avec son complice préféré Allan Dwan, sa première contribution à l'écriture d'un film, et son premier western! Ca fait beaucoup pour un seul film, mais The Good Bad Man est suffisamment solide et pétri de qualités pour soutenir le choc...
Sous le nom de "Passin' through" ("je ne fais que passer"), un bandit mystérieux (Douglas Fairbanks) irrite considérablement les braves gens et la loi des contés de l'ouest: en effet, il ne se comporte même pas comme un bandit: il vole un peu aux braves gens pour redistribuer aux enfants de père inconnu. Et systématiquement, il se contente de très peu, avant de faire des espiègleries. Le hors-la-loi trouve refuge auprès d'une bande de malfrats, sous les ordres de The Wolf" (Sam De Grasse), un monte-en-l'air autrement plus dangereux que notre héros. Il trouve aussi en la jolie Amy (Bessie Love) une cause à défendre, mais doit d'abord régler son problème principal: tuer le mystérieux Bud Frazer, qui a supprimé son père...
Bon, je ne révélerai pas l'identité cachée de Frazer, ce serait mal... D'autant que quiconque a l'habitude des mélodrames du temps du muet l'a déjà facilement trouvée! Ce film est un exemple de ce que faisaient Dwan et Fairbanks ensemble: du cinéma solide, riche en péripéties, mais aussi en liberté absolue, dans des décors fabuleux. Le héros est un personnage typique de Fairbanks: faussement enjoué, hanté par une quête, qui plus est liée à sa propre condition de garçon ayant grandi sans père, comme Douglas Fairbanks lui-même. Ce petit western qui a eu un énorme succès a décidé Douglas a récidiver, et à souvent revenir à la même formule, avec bonheur...
Tout ça est déjà fort intéressant, mais j'ai gardé le meilleur pour la fin: c'est aussi la première fois (Sur trois films en tout) que Fairbanks joue en compagnie de miss Bessie Love, et c'est vraiment la cerise sur le gâteau...
Lo Dorman est un métis, comme le titre l'indique ("half-breed") et le film, tourné pourtant la même année que Manhattan madness, His picture in the papers, The mystery of the leaping fish ou d'autres comédies avec Douglas Fairbanks, est un western dramatique, pas éloigné du ton de certains films de William S. Hart avec ses figures de marginaux, rejetés par "les braves gens"...
Le personnage interprété par Fairbanks est donc le fils d'une indienne Cherokee, qu'elle a eu avec un mystérieux homme blanc, qui a bien sûr abusé d'elle (Il l'a "trahie", comme on disait à l'époque). Cet homme, nous aurons le privilège de le connaître, mais Lo Dorman (Ou Sleeping Water, l'anglicisation du nom Français donné au petit, L'eau Dormante), lui, n'en saura rien. Il vit dans les bois, élevé "comme un homme blanc" par un ermite selon le désir de sa mère qui s'est suicidée après avoir confié son fils. Mais il va surtout grandir au milieu des séquoias, dans la forêt, bien à l'écart de la petite communauté tranquille. Et dès le départ, Dwan se fait lyrique en opposant la nature, merveilleuse, et la ville à travers son lieu le plus emblématique: le saloon... On y joue, on y boit, et la présence de nombreuses femmes assises là, ne laisse aucun doute.
Pourtant, dans cette ville, le pasteur Wynn (Frank Brownlee) s'est installé, bien déterminé à faire revenir les brebis égarées dans le droit chemin. Il nous serait presque sympathique, d'autant q'il prend le taureau par les cornes en allant chercher les pêcheurs là où ils sont. Et s'avisant pendant un service de la présence de Lo Dorman à l'écart, il l'invite à rejoindre la congrégation... Mais il sera aussi le premier à s'offusquer lorsque le métis osera s'afficher aux côtés de Nellie Wynn (Jewel Carmen), la propre fille du pasteur.
Dwan a réservé à Jewel Carmen une impressionnante arrivée de star, bien qu'elle n'est pas vraiment la principale actrice du film: on la voit arriver en gros plan, d'abord sur ses chaussures, puis sur sa robe de Belle du Sud, et enfin sur sa coiffe, avant qu'elle ne relève la tête. Mais cette entrée en matière n'est là que pour annoncer la vanité, voire la suffisance du personnage de péronnelle qui n'aime rien tant que jouer avec ses prétendants... Et avec le feu. Lo Dorman se met au ban de la société parce que lui, le métis, a cru pouvoir développer une amitié avec la belle jeune femme. Et on ne lui pardonne pas d'oser vouloir "sortir de sa race".
Le film n'est pourtant pas qu'un plaidoyer contre le racisme, on est en 1916, et ça ne se fait pas encore. Lo Dorman trouvera une autre âme soeur, en la présence d'une autre femme, Teresa (Alma Reubens) elle aussi de sang-mêlé, Anglo-Mexicaine cette fois, qui d'ailleurs est impulsive, et plus aventureuse que ne le sera jamais la fille à papa citée plus haut. Quand elle rencontre Lo Dorman, elle est en fuite après avoir poignardé un homme qui l'avait trahie. Mais là où Dwan réussit, c'est dans le fait de nous montrer la division sociale de la petite communauté qui tente d'établir des règles Victoriennes de bonne conduite, tout en pratiquant un ostracisme flagrant, et en confiant par-dessus le marché le bon fonctionnement de la loi à Dunn (Sam De Grasse), un salaud qui a violé une femme.
Oui, c'est le père...
Alors, entre l'hypocrisie de la petite ville en devenir, et la beauté majestueuse des séquoias, comment s'étonner que Lo Dorman, Douglas Fairbanks, ait choisi de rester un homme des bois? Il se condamne à rester à l'écart, flanqué d'une femme qui l'aime sans doute parce qu'elle est bien obligée de se contenter de lui. Le film est très amer, et passe facilement, du début à la fin, du lyrisme naïf associé à Fairbanks (Doux comme un agneau, et aussi dénué de mauvais sentiment qu'un enfant qui vient de naître, il fallait un Douglas pour qu'on puisse y croire!), à l'hypocrisie et au cynisme.
Ce film dur, essentiel dans la longue liste des oeuvres de l'acteur (et qui porte en lui des thèmes très personnels, et qui reviendront souvent, autour de la notion d'illégitimité), est un des produits de la pêche miraculeuse de Dawson City, dans les années 70, lorsqu'on a retrouvé un certain nombre de films muets perdus, conservés dans les glaces de cette farouche cité du nord canadien. Deux bobines 35 mm ont été retrouvées, auxquelles on a pu ajouter divers matériaux conservés un peu partout, et qui aujourd'hui nous permettent de posséder un film très important, aussi bien pour Fairbanks que pour le metteur en scène: Dwan, on le sait, s'impliquait beaucoup dans ses films, et cette préfiguration de nombreux de ses westerns le prouve de manière éclatante.
Et pourtant, il sera un flop sans appel, qui va décider l'acteur à ne jamais ou presque sortir de sa formule (Telle qu'il l'avait peaufinée avec The good bad man, quelques mois avant ce film) qu'il adaptera ensuite à ses intrigues, puis à ses héros.
Un grand nombre de films de 1918 avec Douglas Fairbanks sont aujourd'hui perdus. C'est notamment le cas de la version intégrale de ce film, dont seule une bobine (Partielle, la première) a été conservée. On y voit comment le film, une comédie d'aventures comme d'habitude, prend sa source dans un quotidien décidément trop grand pour le héros, qui commence par littéralement sortir d'une cage... avant de se retrouver à son poste: il est caissier dans une banque! Un de ses supérieurs lui confie une mission délicate: il doit veiller sur la santé d'Agamemnon, un canari. Mais Doug va, après sa rencontre avec un philosophe vagabond, rendre sa liberté à l'oiseau, et, forcément, devoir être libre lui aussi, parce que ce geste l'oblige au licenciement. C'est donc un Doug littéralement nu comme un ver que l'on quitte, il vient de se baigner, et quelqu'un lui a pris ses vêtements... et le reste est perdu.
...Et donc nous allons prendre congé de Douglas Fairbanks avec ce film, certes mineur, mais c'est au moins une bonne nouvelle de se dire que la dernière rencontre de l'acteur avec son public ne se sera pas faite sur un film aussi indigent que l'était son Robinson! C'est à l'initiative de Korda que Fairbanks a incarné pour lui un Don Juan vieillissant, car le réalisateur producteur voulait prolonger les succès de ses dernières productions, dont son Private life of Henry VIII. Une bonne idée, et avec Fairbanks, un film qui ne pouvait pas laisser indifférent...
Mais le public a boudé la chose, trop sophistiquée, trop spirituelle pour attirer le public. Et avec un vieil acteur dans le rôle d'un vieux séducteur, le jeu de miroirs devenait peut-être trop cruel. C'était d'ailleurs le but poursuivi, de permettre à Don Juan d'admettre sa vieillesse, avant de le voir se retirer pour vivre tranquillement une vie plus saine, et sans doute plus tendre, avec son épouse légitime (Benita Hume) après avoir flirté avec toute la gent féminine (Dont Merle Oberon, excusez du peu)... Mais ce qui reste de ce film, et qui a du demander plus de courage à Fairbanks que tous les bonds dont il était coutumier, et qui sont d'ailleurs fort peu nombreux dans ce film, c'est bien sur la scène durant laquelle Don Juan, que tout le monde croit mort, devient la risée de toute la ville en montant sur scène pour arrêter la représentation d'une pièce qui ne lui rend pas justice. Personne n'acceptera de le reconnaître, et... On lui dira en face qu'il est trop vieux, fini, passé.
Le film, derrière un humour vaguement coquin, est surtout empreint de cette impression pour le personnage principal d'avoir quelque peu passé la date de péremption, et lui qui a passé sa vie à courir après le succès, puis a tout fait pour être oublié, a sans doute trop bien réussi.
Ceci est le quatrième film parlant de Douglas Fairbanks, et la dernière de ses propres productions... Durant les premières années du règne du parlant, il a cherché une nouvelle voie, tant il était devenu impossible de retrouver la grande liberté et l'échelle impressionnante de ses grands films d'aventures avec la technique encombrante du cinéma sonore. Mr Robinson Crusoe fait partie, aux côtés du semi-documentaire Around the world with Douglas Fairbanks de Victor Fleming de ces expérimentations. Il raconte l'histoire d'un homme (Jamais nommé, appelons-le donc Doug...) qui fait un pari insensé alors qu'il est sur un yacht longeant les côtes d'une île paradisiaque: il parie q'il pourra y recréer une vie de confort, sans rien avoir apporté avec lui à la base. Il va, bien sur, y faire preuve d'ingéniosité, rencontrer un "Vendredi", mais aussi une "Samedi", une jeune femme locale (Maria Alba) qui s'est enfuie afin d'éviter un mariage arrangé, et qui va tomber amoureuse de lui. Il va aussi rencontrer des "canniales", en fait une farce faite par ceux avec lesquels il a parié, mais aussi son acariâtre belle-famille...
On est perplexe, devant un film certes sympathique et original, mais qui part du principe que Douglas Fairbanks est le grand sorcier blanc omnipotent, capable d'apprendre aux indigènes comment vivre dans leurs îles. On a beau ici rappeler que les cannibales dans les îles des mers du sud sont essentiellement un mythe raciste, ce qui est un progrès, on est embarrassé de voir ce grand acteur du muet parler tout seul en commentant chaque action, et le film fait vraiment miteux comparé aux chefs d'oeuvre passés. D'autant que chacune des aventures qu'il vivait représentait auparavant pour le personnage un enjeu, un saut dans le vide. Ici, rien, rien que l'ennui distillé en 70 minutes par un film qui réussit à être 10 fois trop long! ...Sa seule prouesse.
A l'aube du parlant, on se rend compte que s'il va bientôt n'être plus qu'une pièce de musée, Fairbanks a été d'une importance capitale, au-delà de son propre succès de ses débuts en 1915 jusqu'à la fin de cette décennie. Il a fait renaître un genre auquel on ne s'attaquant plus qu'avec des pincettes, et l'a doté d'ambition, de luxe, de classe... et l'a, en 9 années et 8 films, amené à l'âge adulte. C'est cette magnifique épopée que ce dernier film vient clore en beauté. Et pour mieux le faire, l'acteur-producteur a refait appel à Allan Dwan, qui rappelons-le n'est pas pour Fairbanks que le réalisateur de son impressionnant Robin Hood: il a beaucoup contribué dès les années 10 à façonner la carrière de l'acteur, en réalisant une poignée des meilleurs films de sa première période, dont l'incontournable A modern musketeer, un film qui a soudain contribué à élargir de façon significative le champ d'action de Doug. Et non seulement c'est un ancien collaborateur chevronné, non seulement c'est un réalisateur d'une grande efficacité et reconnu par toute la profession, mais Allan Dwan est aussi et surtout un connaisseur de Dumas, et un amoureux de la saga de D'Artagnan, Il a consacré sur l'ensemble de sa carrière plusieurs films à cette période, à Dumas à et ses variations, dont un Richelieu...
Le film adapte Vingt ans après, ainsi que Le Vicomte de Bragelonne, de Dumas. La partie de cette dernière source convoquée par Fairbanks et son équipe est celle consacrée à la sous-intrigue du masque de fer, bien sur. Mais on revient aussi à une sous-intrigue des Trois mousquetaires omise par l'adaptation de 1921: le destin de Constance Bonacieux. Premier geste-clin d'oeil qui fait parfois ressembler ce long métrage à un bouquet final, le rôle de la jeune amoureuse de Richelieu est confié de nouveau à Marguerite de La Motte, ce qui est doublement une bonne idée, permettant une transition plus facile d'un film à l'autre, mais surtout cela entraîne entre l'actrice et Fairbanks des occasions de jouer ensemble avec une grande complicité des scènes qui sont superbes - et poignantes, car pour une fois Fairbanks n'aura pas l'occasion de gagner le coeur de la belle à la fin du film... Autre acteur de premier plan du film de Niblo, Nigel de Brulier reprend son plus grand rôle, et fait merveille du début à la fin, rappelant que Les trois mousquetaires, c'est aussi un peu Les aventures de Richelieu! Et le script est impressionnant dans ses ramifications, qui échappent aux structures habituelles des films de Douglas Fairbanks. Ici, il y a du chaos, mais il est inhérent à la vie politique représentée par Richelieu, et sa mission sacrée: il est nécessaire de sauvegarder l'état, en empêchant une révolution qui serait inéluctable si le secret de la naissance des jumeaux, premiers-nés de u règne de Louis XIII, était connue. Et dans un geste que l'ancien D'Artagnan, celui du film de Niblo n'aurait jamais fait, le D'Artagnan adulte, revenu de tout car sommé de ne plus s'associer à ses trois copains, et parce qu'il a perdu la femme de sa vie (Après seulement minutes de film), travaillera désormais pour le Cardinal Richelieu, et sera amené bien que le secret lui soit inconnu à croiser la route du fameux "Masque de fer"...
Le film est superbe, et Dwan est l'un des plus doués parmi les réalisateurs de la période: il sait parfaitement donner de la vie à des personnages qui sont loin de la caméra, que d'autres réalisateurs auraient perdus de vue, noyés dans l'immensité d'un décor. Il est aussi à l'aise dans les rues charmantes d'un Paris reconstitué, que dans les douves d'un inquiétant château. Et Fairbanks, malgré son âge, fait encore merveille dans des cascades qui s'apparentent souvent à un magnifique baroud d'honneur... Mais le film est aussi hanté par la mort, par la révélation que la vie mène toujours vers le crépuscule et la solitude. Une large partie se déroule durant la nuit, et on trouvera dans ce film les morts soulignées de nombreux personnages ainsi que des parcours qui se terminent de façon abrupte mais totalement justes: Richelieu, Milady, Constance, De Rochefort, Athos, Porthos, Aramis, et D'Artagnan trouvent tous un accomplissement, une fin à leur destinée, qui me semble impressionnante parce qu'elle dépasse à mon sens le cadre du film. Encore une fois, il s'agit d'oser donner à des personnages une dimension humaine là ou on est habitué à en faire des personnages noirs ou blancs d'un opéra plus grand que nature, mais en leur conférant aussi une dimension mythologique. Mission accomplie. Mais comme le film, l'un des derniers gros films muets, est sorti en 1929, Fairbanks y a apposé deux séquences parlées qui n'apportent rien, on les oubliera d'autant plus vite...