Film typique de ce que Michel Chion a appelé l'inter-rêgne entre le muet et le parlant, The younger generation est hybride, majoritairement muet avec quatre séquences parlantes qui ne doivent pas totaliser plus de vingt minutes. Adapté d'une pièce de Fannie Hurst, l'auteur de Humoresque, qui fut un gros succès pour Frank Borzage en 1920, le film est tout comme celui de 1920 l'une des rares incursions de Hollywood dans la communauté Juive, et le film ne ménage pas sa tendresse. Premier acteur cité au générique, Jean Hersholt y interprète Julius Goldfish, un marchand du Lower East Side, dont la maison brûle à cause de l'animosité de son fils Morris pour son voisin Eddie Lesser, qui est très proche de la soeur de Morris, Birdie.
Morris, qui travaille, va faire preuve d'esprit d'initiative, et la famille va grâce à lui gravir les échelons. Les années passent, et les Goldfish sont désormais une famille huppée sur la 5e avenue, dont le chef est Morris (Ricardo Cortez). Outre Julius et son épouse (Rosa Rosanova), la fille est interprétée par Lina Basquette, la "Godless girl" de DeMille l'année précédente. comme dans le ghetto, la famille fonctionne selon une division très claire: la mère est toute entière dévouée à son fils, mais le père et la file sont plus proches l'un de l'autre. Morris se comporte en dictateur, imposant des règles en fonction de son désir d'avancer en société. il intedit à son père tous ses plaisirs, revoir ses amis, voire se montrer dans son ancien quartier. Pire, il interdit à Birdie de revoir son amoureux Eddie Lesser (Rex Lease). Et lorsque celui-ci fait de la prison pour avoir été complice d'un cambriolage, Morris chasse Birdie...
Le héros semble être Julius, et la verve de Hersholt attire beaucoup l'attention, mais le titre est aussi suffisamment explicite. Le film nous conte, à travers les parcours très différents de Birdie et Ed d'une coté, et de Morris de l'autre, épris de respectabilité et de réussite au point de se renier, la difficulté à se situer des enfants d'immigrés Juifs qui sont nés Américains. L'émancipation pour Birdie passe par un respect affectif de ses parents, mais pour Morris, elle doit passer par le gommage de toutes les aspérités. Celui qui souffre le plus de cette volonté de mentir sur ses origines (symbolisée d'ailleurs par un mensonge explicite dans le film, lorsque Morris renie ses parents face à eux, dans une scène d'une grande cruauté), c'est bien sûr Julius: il y a un peu de Mr deeds au début, lorsqu'il se réveile et ne parvient pas à adapter son bon sens à de nouvelles habitudes luxueuses que voudrait lui faire prendre son fils. Une scène dans laquelle la tendresse de Capra et Hersholt à l'égard du personnage est évidente, le voit tenter de blaguer avec le majordome, et sourire lorsqu'un livreur le suit dans sa tentative d'humour. Ces quelques secondes de complicité sont l'une des rares ocasions pour le vieil homme de rire, il s'en plaint, d'ailleurs, et va littéralement décliner lorsque Birdie sera chassée. On le voit, seul dans une pièce, se plaindre des persiennes qui lui cachent le soleil. Ricardo Cortez a le rôle délicat d'assumer d'être le méchant du film. Il est raide, sec, mais à la fin, lorsqu'une fois sa famille partie le riche Morris s'assied dans un fauteuil, les persiennes dessinent une ombre sur son visage: son père lui a légué son malheur... Son assimilation est peut-être réussie, mais il a raté tout le reste...
Les scènes muettes sont les meilleurs moments du film, ce qui n'est pas une surprise, le rythme des dialogues étant typiquement lent, comme c'était la règle en 1929. La première bobine en particulier, celle qui se termine par l'incendie, est typique du talent technique de Capra, très à l'aise dans la description du quartier, et la l'exposition des personnages. Mais si les scènes parlantes sont moins intéressantes, Capra a fait des efforts pour maintenir un montage assez fluide, et ne pas laisser le dialogue faire la pluie et le beau temps. Certains dialogues sont lourds, d'autres marqués de beaux moments: un quart d'heure entier, à la fin de la troisième bobine et sur toute la suivante, est consacré à des scènes parlantes par lesquelles le cinéaste nous montre les personnages dans leur nouvel environnement du à la persévérance de Morris. Elle servent un peu de complément à l'exposition des personnages, et tous les cinq participent aux dialogues. une autre scène vers la fin, voir Julius retourner "chez lui", visiter la mère d'Eddie, afin de prendre des nouvelles de sa fille. Mrs Lesser ayant reçu une lettre, Capra utilise le son pour nous faire entendre la lecture de la lettre par un enfant.
J'ai déja mentionné le passage durant lequel Julius Goldfish se comporte ccomme un Deeds, au réveil, cherchant désespérément des joies simples qui lui sont refusées, mais le film est empreint d'un autre thème typique du metteur en scène: l'ennemi, ici, vient de la famille, comme dans Mr Smith goes to Washington Claude Rains est à la fois un ami de Stewart et un corrompu, ou dans Meet John Doe dans lequel Cooper est manipulé par la femme qu'il aime, comme dans It's a wonderful Life le péril vient de la ville elle-même, à travers la volonté hégémonique de l'un de ses citoyens. On pourrait aller jusqu'à citer les nombreuses organisation tordues dans ses films, voire la famille de cinglés de Arsenic and old lace: chez Capra, le mal est d'abord très proche, il faut aller le chercher au fond de soi. C'est un constat très Catholique à faire pour un cinéaste Italien, mais qui peut surprendre devent un film qui ne sort jamais ou presque jamais de la communauté Juive. Pour finir, le film confirme l'intérêt de l'oeuvre de capra, et bien sur son incroyable vitalité, tout autant que son talent à faire des mélodrames qui vont loin. Pas jusqu'au miracle, on n'est pas chez Frank Borzage, mais le mélodrame à la Capra est plus réaliste, moins enflammé, et finalement aussi attachant.