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  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
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1 janvier 2015 4 01 /01 /janvier /2015 11:01

George Bailey va mal, George Bailey n'en peut plus: il tient quasiment sa ville à bout de bras depuis trente ans, lui qui aspirait à devenir un grand explorateur est coincé à vie à Bedford Falls, comme lorsqu'il a fallu se sacrifier pour reprendre l'affaire familiale à la mort de son père, et qu'il a du sacrifier ses études... Il y est pour l'éternité, plus surement que Truman dans son île... Garder la ville propre, ce n'est peut-être pas son travail, mais sa qualité de dirigeant d'une entreprise de prèts à visage humain a permis toutes ces années à Bedford Falls de ne pas tomber dans les griffes de l'odieux M. Potter, donc d'une certaine manière Bailey est un peu l'homme le plus important de la ville. Et en cette veille de Noël, sonné par un mauvais coup de son ennemi préféré, Bailey songe carrément à tout laisser tomber, et va se jeter à l'eau, alors qu'il fait extrêmement froid. C'est là qu'intervient son ange gardien...

Capra revenait au cinéma pour de vrai, après cinq années passées au service du cinéma des armées. On le sait, il a en particulier dirigé l'importante entreprise de propagande de l'armée Amériacine à travers les films destinés aux soldats alliés, de la série Why we fight ou autres. Mais cete oeuvre parallèle n'a pas grand chose à voir avec le reste de ses films, alors que It's a wonderful life, qui ne fut pas le succès que Capra escomptait à sa sortie, loin s'en faut (Ce qu'on n'imagine pas aujourd'hui quand on sait à quel point le iflm est devenu un classique!), est un retour à l'univers qui est le sien depuis Lady for a day en 1933... Mais il faut aussi le dire: si l'optimisme est une valeur sure dans le monde de Capra, cette-fois plus qu'avant, le metteur en scène est passé dans son film près du drame.

L'idée de génie (Par ailleurs aisément critiquable tant elle est frontalement naïve) de passer par une sorte de prologue "céleste", dans lequel Joseph (oui, le gardien des clés au Paradis) montre à l'ange Clarence la ve et l'oeuvre de George Bailey (James Stewart) permet une merveilleuse première partie, marqué par des digressions, et qui installe une constante rupture de ton. Chaque scène est du drame tourné en comédie, ou le contraire, et la galerie de personnages qui en découle est typiquement du Capra: bigarrée, cosmopolite... Je sais, le metteur en scène avait la réputation d'être raciste mais il n'y a pas de plaidoyer plus fort pour l'intégration et l'assimilation que les films de ce fils d'immigrés Italiens. On assiste avec le plus grand plaisir à l'exposition réelle du drame, dans ce qu'il faut bien assumer comme un conte de Noël, avec un vrai Scrooge, le Mr Potter joué par Lionel Barrymore.Puis Capra lâche son va-tout, et imagine avec James Stewart la ville, et la vie de ses habitants, si George Bailey n'avait jamais existé: tous les détails mis en place avec une précision maniaque dans la première partie trouvent un écho, et l'ange doux et un peu excentrique Clarence Oddbody (Henry Travers) est ici un peu notre guide. Un peu trop? c'est vrai que les aventures de George bailey dans la ville qui serait privée de lui sot un peu redondantes, mais Capra voulait que le message passe: il passe.

Et au final, on obtient un film dont la réputation n'est plus à faire, un "feel-good" movie, comme on dit désormais, qui a l'avantage de pouvoir être vu et revu, et de panser ocasionnellement les plaies, ou en tout cas réconforter. L'émotion qui se dégage de ce film, pour ceux qui sont bien sur prèts à l'accepter, est encore valide après des dizaines de visionnages, donc tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. Les scènes superbes, définitives, l'alchimie entre James Stewart et Donna Reed, la galerie touchante de personnages (Tous ces acteurs récurrents, Thomas Mitchell en vieil oncle distrait et alcoolique, Ward Bond en copain flic, H. B. Warner en pharmacien qui doit énormément à Bailey...), l'alchimie entre Stewart et tout le reste du casting... On peut toujours se plaindre que M. Potter est une vieille caricature trop facile, mais on ne fait sans doute pas de conte sans y aller un peu fort à un moment ou un autre, non? Et comme je le disais, le didactisme forcé de la séquence fantastique est pesant, mais moins si vous voulez mon avis que celui de Dickens dans A Christmas carol! Et puis des gens vont se plaindre, je suppose, que le cinéma de Capra est, plus encore dans ce film que dans tous les autres, motivé par le sentimentalisme. Si c'est un crime, autant mettre à la poubelle l'oeuvre intégrale de John Ford...

Et d'ailleurs, quels autres classiques Hollywoodiens construisent leur intrigue sur un personnage qui fait le contraire de ce qu'il souhaite, et doit l'accepter? Sur une nécessité du suicide? Sur un constat, au final, de semi-échec, car certes, le film démontre qu'au moins Bailey a des amis, mais une fois l'affaire en cours réglée, tout reprendra comme avant... Non, le message principal du film, c'est sans doute que le seul intérêt vivre, c'est de ...Vivre, justement, pour soi, un peu, pour les autres, beaucoup. Et le portrait en "work in progress" d'une Amérique au jour le jour, comme d'habitude, cache non seulement de l'optimisme et du volontarisme, mais aussi des blessures, des renoncements, et des cheveux blancs âprement gagnés, comme le James Stewart "noir", qui interprète ce film, le premier dans lequel il est, enfin, un adulte.

It's a wonderful life (Frank Capra, 1946)
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Published by François Massarelli - dans Frank Capra
22 août 2014 5 22 /08 /août /2014 23:02

Finalement, le patriotisme est une maladie honteuse. Principalement de nos jours, en particulier lorsqu'il s'agit de protectionnisme, d'anti-immigration ou même de sport, un domaine dans lequel le pire chauvinisme sévit de plus en plus jusqu'à l'absurde. C'est la raison pour laquelle il est urgent afin de relativiser, de se replonger dans l'oeuvre fascinante de Frank Capra, un cinéaste de premier plan qui est aujourd'hui pratiquement oublié dans son pays, et qui a toujours, depuis le début des années 30 jusqu'à la fin de sa carrière, pris au pied de la lettre l'amour de son pays et de ses valeurs, sans jamais tomber dans les pièges du chauvinisme ou de l'ordure nationaliste. Et jamais mieux, ni de façon plus éclatante que dans Mr Smith Goes to Washington, un film auquel bien des commentateurs préfèrent le certes délectable Mr Deeds goes to town sorti quelques années plus tôt. Pas moi.

Il y a des liens forts entre les deux films pourtant: Deeds était un cran au-dessus de tout ce que Capra avait fait, et le script dû au cinéaste et à son complice d'alors Robert Riskin concernait un naïf, un Américain moyen interprété par Gary Cooper, qui se retrouvait avec des responsabilités qui tendaient à lui échapper, auxquelles il savait faire face avec bon sens... ce qui lui valait d'être mis au ban de la société. L'idée de ce nouveau film, tourné à la veille de la guerre, et à un moment ou Capra est tout-puissant (Il a deux Oscars du meilleur film à son actif, et s'apprête à quitter la Columbia, un studio de second rang qu'il a contribué à élever avec des films prestigieux), est assez similaire, et d'ailleurs le cinéaste (Avec la complicité de Sidney Buchman) s'apprêtait à en faire une suite, un Mr Deeds goes to Washington dans lequel le héros se voyait confier des responsabilités politiques plus ou moins honorifiques. L'impossibilité pour Gary Cooper de faire le film en aura décidé autrement... Et lorsque James Stewart, déjà au générique du film précédent de Capra, You can't take it with you, a répondu présent, le film a pris selon moi une autre dimension.

Un sénateur d'un état de l'ouest est décédé en plein mandat, de façon plus ou moins inattendue. Toute la machine politique autour de lui se met en branle: lui et l'autre sénateur de l'état, le très respecté Joseph Paine (Claude Rains), ainsi que le gouverneur (Guy Kibbee) appartiennent au même parti, dont un certain nombre d'indices nous permettent de penser qu'il s'agit du Parti Républicain. Dans un cas comme celui-ci, alors que peu de temps reste pour finir une législature, la solution pour finir le mandat ne passe pas par les urnes... Une simple nomination par le gouverneur suffit. Mais celui-ci est pris entre le parti qui souhaite nommer un homme d'appareil, et les citoyens qui souhaitent nommer un homme intègre mais falot. Les enfants du gouverneur lui suggèrent alors une solution inédite mais qui satisfait tout le monde: Jefferson Smith (James Stewart), un éternel boy scout, inconnu du grand public mais vénéré par tous les gosses de son état pour son travail auprès des enfants, qu'il accueille dans les bois de l'état pour qu'ils y apprennent la vie au grand air. Joseph Paine, les membres du parti et surtout Jim Taylor (Edward Arnold), l'homme qui tire les ficelles de l'état, approuvent la nomination en pensant qu'un tel naïf sera idéal à manipuler. Jefferson Smith, patriote et enthousiaste, arrive à Washington pour y prendre ses fonctions, et est dès le départ un agneau jeté aux loups. Jim Taylor tient le gouverneur, le sénateur Paine (Un ancien ami du père de Jeff Smith) et tout le parti dans ses mains, et il a des projets qui rapportent, qui doivent justement passer par le Sénat avant de lui permettre de s'enrichir. Apparemment, ce n'est pas un jeune idéaliste comme Smith qui peut le gêner. A moins que...

Ce qui va tout faire changer, comme dans tant d'autres films de Capra (Deeds et Meet John Doe en tête), c'est une femme: Clarissa Saunders, interprétée par jean Arthur, est la secrétaire du jeune sénateur, et elle a plus d'expérience que lui. Elle reconnait avoir depuis longtemps troqué son innocence contre de plus lucratives compromissions, et laisse faire la machinerie de Taylor; Dans un premier temps, elle participe plus ou moins à la curée avant de constater que la sincérité et le patriotisme de Smith sont réels, et finalement c'est lui qui a raison. Elle va le piloter et l'aider, dans sa lutte contre la machine politique qui ne manquera pas d'essayer de le broyer; ils vont, en couple, partir en guerre contre tout le Sénat. Et le film requiert, de fait la complète adhésion du spectateur... C'est là qu'intervient un facteur décisif à mon sens, et sans doute la supériorité de ce nouveau film sur Mr Deeds goes to town: si dans les deux films Jean Arthur sera la catalyseur de la renaissance du personnage principal, ici, James Stewart remplace Gary Cooper, et prète toute son énergie à un personnnage en or. Mais Capra sait également jouer de sa gaucherie, et a remarqué, comme le fera Hitchcock plus tard (Dans la deuxième version de The man who knew too much, précisément) qu'on peut jouer de la grande taille de cet acteur pour conduire à mieux connaitre son personnage, comme lorsque Jeff Smith s'installe à son banc au sénat pour la première fois et ne sait pas quoi faire de ses longues jambes et de ses longs bras... Et surtout, quand Stewart se lance dans un réquisitoire, aucun second degré n'est permis, et rien ne vient troubler la fête. Les scènes finales, dans lesquelles Capra adopte dans sa mise en scène une énergie comparable à celle de ses acteurs et transforme le sénat en une cour de justice dans laquelle Smith est jugé par tous ses semblables (A l'exception du vice-président et président du sénat, Harry Carey, qui lui témoigne plus d'une fois sa sympathie et qui semble bien réjoui de pouvoir rompre avec la monotonie coutumière du lieu). Parmi les autres protagonistes importants on trouve le sénateur Paine, auquel Rains apporte toute son ambiguïté, et dont tout le film réussit à nous montrer qu'il n'est pas tout à fait perdu pour les merveilleux idéaux de sa jeunesse: le sénateur est surnommé "Le chevalier blanc", en raison de ses combats passés, ce qui est loin de la réalité contemporaine, puisqu'au moment ou le film commence il est devenu aussi manoeuvrier, aussi corrompu que les autres. Mais l'arrivée de Smith va réveiller des souvenirs... Ce qui ne l'empêchera pas, le moment venu, de frapper fort pour discréditer Smith devenu très gênant, dans des joutes oratoires brillantes et mises en scène avec une verve fantastique. Enfin, Thomas Mitchell incarne la presse, à travers le personnage vaguement alcoolique d'un correspondant, qui campe dans le bureau de Clarissa, et est un peu amoureux d'elle. Il va, le moment venu, être un allié objectif, réveillé lui aussi par la fraîcheur de Jeff.

Le metteur en scène s'est taillé une réputation justifiée de réalisateur économe. On se souvient qu'il a réalisé 12 films en douze mois à son arrivée à la Columbia, un sudio qui ne brille pas par ses moyens. Mais depuis le succès de Lady for a day (1933), et les Oscars de It happened one night (1934), les budgets alloués à Capra et les films qu'il tourne ont pris de l'ampleur, au risque de devenir de véritables débâcles (Injustifiées, hélas, comme Lost Horizon en 1936 par exemple). Et il reconstruit un Washington très véridique, avec ses lieux-clés, que seul Jeff Smith semble voir: il faut avoir vu James Stewart se transformer en un gosse auquel on offre le train électrique de ses rêves, quand il aperçoit le Capitole... Le Sénat, ou l'essentiel de l'action se déroule, va être reconstitué de façon très réaliste, et Capra va utiliser une technique qu'il a fait sienne durant les années 30: demander aux acteurs de jouer la scène comme au théâtre, tout en multipliant les caméras, ce qui donne une authenticité et un rythme inédit à ses films. La technique de la télévision, en quelque sorte... Il n'oublie jamais d'où il vient, et Capra maintient le cap vers la comédie, faisant de James Stewart un héritier de Harold Lloyd, qui s'empêtre dans son chapeau quand une jolie fille lui parle. D'ailleurs, une scène entière de confrontation douloureuse avec la gent féminine est entièrement vue par le biais du chapeau de Smith dans ses mains, dont il ne sait pas quoi faire... Et le rythme particulier du film est imprimé dès le départ par des scènes d'exposition exemplaires: on prévient les personnes concernées de la mort d'un sénateur. très vite, un nom retient l'attention, celui de Taylor. En deux minutes, on a compris toute la situation: la mort d'un sénateur, la nécessité d'en nommer un autre, et la mainmise de Taylor sur l'état et ses politiciens... Capra alterne les plans très courts, le montage serré, et des petits plans-séquences dans lesquels les acteurs vont s'égayer et mieux habiter leur personnage, ce qui est évident quand on voit la façon dont Thomas Mitchell, acteur de théâtre, ou James Stewart, acteur instinctif, jouent ici des rôles qui sont parmi leurs meilleurs.

Ce qui est en jeu est bien sur l'honnêteté du jeu politique, la dénonciation de la corruption, et le questionnement des institutions d'un pays connu pour sa démocratie et sa liberté; une scène en montre les enjeux: un journaliste commente le combat de Jefferson Smith pour faire triompher la vérité contre la corruption, en soulignant la présence dans le carré diplomatique du sénat d'envoyés de deux dictatures, en rappelant que le combat par la parole libre auquel ils vont assister est une chose qu'ils ne peuvent connaitre chez eux... Ce que reproche Smith au sénat, et aux machines politiques que sont les deux partis représentés au Congrès, ainsi qu'aux lobbies de tout poil, qu'ils soient légitimes ou qu'ils soient mafieux, comme Taylor tel que Capra nous le présente dans le film, c'est d'avoir mis de côté les acquis démocratiques et les libertés fondamentales de la nation Américaine: les raisons de venir s'installer dans un pays ou on a les libertés que n'ont jamais connues nos ancêtres, dit-il. Capra appuie son personnage en le faisant visiter des monuments, tel le Memorial Lincoln et sa fameuse statue, ou Jefferson Smith est témoin d'une scène à la mise en scène empreinte d'émotion: un grand-père et son fils lisent la célèbre Gettysburg address, inscrite dans le marbre à côté de la statue (C'est le texte par lequel Lincoln réaffirme les principes sacrés de la fondation des Etats-Unis, en les montrant dans la perspective de l'abolition de l'esclavage et du retour des Etats confédérés, alors en sécession et en guerre contre l'Union, dans le giron des Etats-Unis). Véritable évangile de la nation Américaine, le texte déclenche chez Smith comme chez le vieil homme et l'enfant une profonde émotion, amplifiée lors de l'apparition d'une très vieil homme noir sur les lieux. Premier degré indispensable, bien sur, mais le rappel de ces principes, dont Jeff Smith saura bientôt qu'ils sont bafoués jour après jour par les représentants élus du peuple Américain, est nécessaire pour Capra qui sait, en 1939, ce que les dictatures représentent en Europe. Il n'y appelle pas à l'intervention, mais au raffermissement des valeurs. La nuance est importante...

La principale technique parlementaire utilisée par Capra et Stewart est parfaitement authentique, elle s'appelle le filibustering... Un sénateur peut gagner du temps en annonçant clairement qu'il ne laissera plus la parole à ses colègues. la technique est surtout utilisée pour retarder ou empêcher le vote d'un projet de loi, ici, le sénateur Smith en lutte contre la corruption du système incarné par ceux qui l'ont nommé entend faire entendre sa différence depuis le Sénat jusque dans son état. Cela passe par vingt-quatre heures durant lesquelles le jeune Sénateur est obligé de rester debout et de parler, sans jamais quitter l'enceinte de la salle. C'est, on le verra, un combat inégal, un seul homme ne pouvant rivaliser de la sorte avec une institution comme le Sénat. Mais la façon dont le film progresse, reposant tout entier sur ce qui reste un combat de titans, soutenu par les jeux d'une grande force et d'une grande sincérité de Rains, Carey (Principal pourvoyeur de comédie durant ces scènes largement dramatiques, le président du sénat ne boude absolument pas son plaisir!), H. B. Warner en chef de la majorité dont fait partie Smith, ou bien sur Stewart, totalement transporté par la situation, physiquement très impliqué. Mais ces scènes sont aussi accompagnées par une vue des gamins de l'état dont Jeff est originaire, qui tentent de l'aider en colportant sa parole, alors que Taylor avec sa puissante machine de persuasion empêche la presse de faire son travail, et à la fin s'attaque aux enfants eux-mêmes... Et c'est là sans doute que le film prend tout son sens.

On a beau jeu de dénoncer ce que ses détracteurs appellent de façon dédaigneuse Capra corn, ce mélange de volontarisme, de tradition populiste et conservatrice, attachée aux vieilles valeurs de l'Amérique, qui débouche sur le fait de prôner une politique de bon voisinage, libérale au sens européen du terme, et affichant un optimisme de tous les instants. Car ici, Capra nous dit clairement que tout ne va justement pas bien: ce qui arrive à Smith devient un symptôme d'une Amérique qui s'est reniée, dans laquelle les politiciens ne font pas ce qu'il sont supposé faire. La presse est muselée, le Sénat devient essentiellement une chambre d'enregistrement des décisions imposées aux politiciens par des patrons, industriels, banquiers, mafieux... Une peinture noire d'une démocratie malade, dont le cinéaste imaginera la suite en plus sombre encore dans Meet John Doe deux ans plus tard. Par ailleurs, on peut aussi imaginer que Taylor et sa dictature de fait, qui manipule une vie politique amenée à lui obéir au doigt et à l'oeil, est peut-être une sorte de caricature extrême d'un des meilleurs ennemis de Capra, le président Démocrate Franklin Delano Roosevelt. Que Capra (Et Smith, et Stewart, mais aussi d'autres héros du metteur en scène dont Deeds, George Bailey ou le candidat à la maison blanche incarné par Spencer Tracy dans State of the Union en 1948) soit Républicain ne fait aucun doute; mais il a en plus toujours clamé sa méfiance à l'égard d'un président dont il estimait qu'il accumulait les succès trop faciles, était démagogue, et l'a souvent comparé à un dictateur qui s'accrochait de façon honteuse à un fauteuil taillé pour d'autres... Des phrases prononcées ça et là dans le film dénoncent un gouvernement trop interventionniste, ce qui pour le Républicain attaché aux valeurs individuelles comme Capra, en cette époque ou les totalitarismes, de droite (Italie, Allemagne) comme communiste (La Russie, bien sur) font disparaître l'individu, était inacceptable. Mais Sidney Buchman, l'auteur du scénario, était lui plutôt à gauche, et celà a permis au film de se recentrer: Smith, homme qui vit hors du sérail politique, part au combat contre tout le système politique, Démocrates comme Républicains, d'ailleurs tous unis au Sénat pour le faire taire. Une façon pour Capra et Buchman de faire mouche, et la critique implicite de la méthode Roosevelt se fait plus subliminale encore, car le but politique essentiel du film est de rassembler, justement, pas seulement de pointer du doigt. Et ça se fait sous le vernis d'une comédie, donc tout ceci n'est pas à prendre au pied de la lettre... n'empêche, c'est l'un des films politiques les plus attachants qui soient, véritable manifeste d'un auteur au sommet de son art. Un film qui ne souffre aucun second degré, qui demande l'adhésion, mais qui assume pleinement son patriotisme, motivé non par le chauvinisme, mais sur des siècles de combat pour faire triompher la liberté, motivé par une certaine dose de bon sens à l'heure ou la peste menace en Europe. Avec un film qui certes renvoie dos à dos les deux camps politiques majeurs aux Etats-Unis, mais le fait tout en mettant en avant les valeurs qui ont présidé à la création du Pays, il y a de quoi être pro-Américain; ce qui n'empêche absolument pas le patriote Capra d'être clairement critique à l'égard d'une nation malade qui devrait donner l'exemple au lieu de suivre les nazis et les fascistes dans leurs égarements...

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Published by François Massarelli - dans Frank Capra
2 février 2013 6 02 /02 /février /2013 13:40

Souvent imité, jamais égalé, le film qui finit enfin de révéler Capra au grand public est bien sur l'un des passages obligés de son oeuvre, et beaucoup plus que l'acte de naissance (En collaboration sans doute avec Twentieth Century de Hawks la même année) de la screwball comedy: c'est une synthèse fascinante de ce qui fait le sel des films de Capra. On en connait l'argument fondateur: un homme rencontre une femme; il est journaliste en mal de scoop, elle est riche héritière en fuite; il va pouvoir à la fois l'aider à se rendre chez son fiancé (Que sa famille, bien sur, désapprouve) tout en écrivant un article qui le remettra en selle... et bien sur il tombe amoureux d'elle et réciproquement.

Clark Gable et Claudette Colbert, on le sait, ont été punis par leurs studios repectifs afin de participer à ce film pour la pauvre Columbia, ce qui ne les a empêchés ni de faire très bien leur travail, ils sont excellents, ni d'immortaliser un couple formidable, tout en dynamisme. Le penchant de Capra pour les dialogues à la mitraillette, associé à des réminiscences bien dans le ton de l'époque du style de dialogue à la Front page, bénéficie en plus d'être interprété par des orfèvres en la matière, y compris si on imaginait sans doute un peu mal Gable en comédien. Ici, il assure sans aucun effort... Mais il n'y a pas que cette touche 'screwball', qu'on retrouve dans les rapports nécessairement conflictuels d'un homme et d'une femme destinés à tomber in fine dans les bras l'un de l'autre: il y a aussi le portrait amusé d'une amérique moyenne, un motif dans lequel Capra est toujours formidable: les braves gens, qu'ils soient chauffeurs de bus, propriétaires de motels, bandit de grand chemin (Alan Hale et son tacot) voire dragueur des routes (!) sont montrés ici avec un ton mi-tendre, mi-amusé... et Capra n'oublie pas, au détour d'un chemin, de montrer l'irrution du drame, permettant à ses acteurs de prouver leur valeur humaine: Gable et Colbert vont partager leurs derniers dollars avec une famille qui crève la faim.

Et si on peut parler de ce film sans pour autant mentionner la pluie d'Oscars (Qui fit tant plaisir à Capra et ses acteurs, certes), comment passer outre les scènes d'anthologie que sont la séquence d'auto-stop, qui permet à Claudette Colbert de démontrer que la jambe est plus forte que le pouce, et des passages dans les motels, lorsque les héros dorment séparés par une couverture qu'ils appellent le mur de Jericho, qui limite dans un premier temps leurs univers respectifs avant d'être un paravent sur leurs désirs de plus en plus tangibles. Capra a donc non seulement réalisé une valeur sure de la comédie, c'est indéniable, il a aussi fait un film qui touche à la fois à la vérité des êtres (il faut pour Gable voir au-delà du vernis 'fille de riche' de sa compagne d'infortune, et réciproquement) et à l'éveil de leur amour. On craque, on aime, on en redemande...

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Published by François Massarelli - dans Frank Capra Criterion
4 avril 2012 3 04 /04 /avril /2012 14:33

Rien que dans le titre, on voit bien ici que tout revient à un conte de fées, à un miracle, et que Riskin et capra avaient, d'une certaine façon, trouvé la formule magique. En matière de formule, ils croyaient pourtant avoir trouvé la potion à fabriquer des Oscars, ce que voulait Harry Cohn, le patron de Columbia, une audace folle pour un petit studio de rien du tout, partagée par Capra lui-même, très ambitieux dès cette époque, et impatient de montrer son pouvoir de metteur en scène, et sa mainmise sur l'objet filmique. Mais cette année-là, ce fut un autre Frank (Lloyd, pour Cavalcade)qui rafla les Oscars convoités, et Lady for a day, bien que nominé quatre fois, n'obtint rien. il fallait attendre l'année suivante, et le triomphe de It happened one night... Mais à l'heure ou un superbe Blu Ray sort (Aux Etats-unis) contenant une version intégrale, avec un superbe transfert effectué d'après le négatif obtenu par Capra lui-même pour ses archives, à partir d'une copie complète alors que les éléments d'origine disparaissaient dans les années 50, on peut enfin revenir sur ce classique, l'un des films préférés de capra, et y voir ce qui n'est rien d'autre que la matrice de ses plus grands films, de Deeds à It's a wonderful life en passant par Meet John Doe. Le voyage vaut le détour, aujourd'hui comme en 1933...

 

Dès le début, Capra installe le contexte de façon magistrale: New York, les rues et la faune pas toujours très catholique, malfrats, mendiants, escrocs, policiers bienveillants (L'un d'entre eux -Ward Bond- pique ouvertement une pomme à l'héroïne, allusion à un laisser-faire très ambigu). C'est dans ce contexte qu'une vieille clocharde, Apple Annie (May robson),  tente de joindre les deux bouts en vendant des pommes. On y fait aussi la conaissance de Dave the Dude, un sympathique chef de gang, qui gagne des paris grâce aux pommes d'Annie, qui lui a toujours porté bonheur. Annie apprend que sa fille Louise, élevée à l'écart en Espagne et qui est persuadée que sa mère est une dame riche de la bonne société new Yorkaise, va venir avec son futur mari et son futur beau-père, afin que celui-ci puisse rencontrer "Mrs E. Worthington Manville", l'opulente mère de sa future bru. Se jugeant endetté par la chance qu'elle lui a apporté, Dave se décide à tout faire pour permettre à Annie de jouer le jeu jusqu'au bout, et va l'aider à créer l'illusion de la richesse...

 

Conte sur l'entraide, Lady for a day se passe dans un New York ou la crise est partout: voyant annie en beaux habits, une mendiante remarque: 'Vous vous rappellez, quand elle était tout le temps habillée de cette façon?"; un employé d'un hotel risque sa place (et sera licencié) pour faire suivre le courrier d'Annie qui dissimule sa situation à sa fille, et les bandits parlent de leurs occupations comme de leur gagne-pain. On ne verra pas les petites gens qui travaillent de façon légitime: ici, on est clochard, bandit, ou gouverneur... Pourtant les apparences sont trompeuses: ainsi, on improvise un mari à annie avec le "juge" Blake, un "pool shark", c'est-à-dire un joueur de billard professionnel (Guy Kibbee). Il est certes un vrai escroc, mais il est aussi capable de parler avec la plus grande emphase et une certaine classe. De même, l'entraide passe par des canaux inattendus: dans la maison prétée à Dave pour le temps des la vanue des invités d'Europe, censée être la maison d'Annie, un valet va se prêter très volontiers à la supercherie, se contentant d'objecter aux manières parfois peu raffinées de certains acolytes de dave (Ned Sparks y est un savoureux assistant au parler matiné d'argot, qui se voir rétorquer par le valet: "Monsieur, si j'avais le choix des armes contre vous, je choisirais la grammaire")... Enfin, dans cette histoire ou les bandits se liguent pour réaliser en quelques jours le rêve le plus fou de l'une d'entre eux (tant les victimes de la crise et les hors-la-loi semblent avoir fat un pacte de respect mutuel), un secours inattendu viendra agir en guise de cerise sur le gateau, comme dans It's a wonderful life...

 

L'entraide, en ces années de galère, n'est pas l'assistanat: c'est parce qu'il lui doit une certaine réussite, du moins à en croire sa superstition, que Dave vient en aide à Annie, et mobilise tout son monde. La philosophie populiste de Capra est déja là dans ce film, dont l"humanisme et la tendresse s'impriment dans chaque scène. De fait tous les gens qui s'investissent sont des fripouilles, de Happy Maguire (Ned Sparks), le raleur, à Missouri Martin (La propriétaire d'un établissment dont la protection de Dave cache peut-être des magouilles un peu plus subtiles, jouée par Glenda farrell); mais tous ces gens malhonnêtes forment une famille, un univers, cohérent, qui renvoie à l'idée d'une Amérique microcosmique, comme l'esprit de communauté qui sera à l'oeuvre dans deeds, ou dans la famille de dingos dans You can't take it with you. Dans ce film, tout le monde sort transformé, à commencer bien sur par Dave the dude qui semble avoir acquis une morale, Annie, qui pourra mourir tranquille, et même le maire, le gouverneur, et le chef de la police, qui ont désormais des manières plus douces avec leurs subalternes.

 

Le mélange de comédie et de drame, deux genres bien souvent illustrés par capra en ces années Columbia, n'est pas tant une façon de pêcher les Oscars qu'on aurait pu le croire; c'est l'expression d'une sensibilité, propre au metteur en scène, et qui s'exprime de façon directe et efficace. Cette histoire est incroyable, mais elle est forte, elle rend heureux le temps de voir le film, et c'est tout ce qu'on demande. On imagine assez bien que si on voyait ce film en ignorant totalement ce qu'a pu faire le metteur en scène par ailleurs, on aurait une seule envie, de voir tous ses autres films... Du reste, c'est une vitrine superbe du savoir-faire du réalisateur, d'une certaine époque aussi, avec les grands Guy Kibbee, Ned Sparks, Walter Connolly, Glenda Farrell, et bien sur le fantastique Warren William, piqué à la Warner pour l'occasion, comme Kibbee (Ils étaient tous deux partenaires dans Gold diggers of 1933)... Un grand, très grand film de Frank Capra.

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Published by François Massarelli - dans Frank Capra Pre-code
23 mars 2012 5 23 /03 /mars /2012 17:51

Est-ce parce qu'il est sorti entre le succès spectaculaire de It happened one night (1934), avec Clark Gable et Claudette Colbert, et le non moins impressionnant chef d'oeuvre de Capra Mr Deeds goes to town (1935)? En tout cas, Broadway Bill a la réputation d'être un Capra mineur.

 

Warner Baxter y interprète un homme qui vit assez mal d'être coincé dans une vie qui ne lui convient guère: employé de son riche beau-père, placé à la tête d'une entreprise qui ne l'intéresse pas, il se console en entretenant une passion pour les chevaux, dont le sien, Broadway Bill. un jour, il plaque tout, avec la désapprobation de son épouse, mais avec la complicité de sa belle soeur (Myrna Loy). On se doute que la soeur en question ne va pas se contenter d'épauler le héros dans sa passion, mais le film est relativement sage sur la petite histoire d'amour entre eux, se concentrant surtout sur la notion pour le héros d'investir toute son énergie dans son rève, préfigurant de fait la famille de timbrés fabuleux de They can't take it with you. Du pur Capra lorsque les avanies s'accumulent, et que le montages'emballe comme un cheval au galop... Une belle surprise, dont Capra fera pour toujours l'un de ses films préférés, en gardant jalousement les droits puis en en confectionnant un remake probablement inutile, Riding high, avec Bing Crosby, en 1950 pour la Paramount.

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Published by François Massarelli - dans Frank Capra
25 juin 2011 6 25 /06 /juin /2011 10:12

Ceci est le deuxième et dernier film de Langdon réalisé par Frank Capra, l'homme qui prétendra toute sa vie avoir "fait" Langdon. Nous n'allons pas revenir ici sur l'histoire, le fait est désormais avéré: immense cinéaste, Capra était aussi un affabulateur de génie, comme d'autres grands: qu'on pense à Walsh, menteur et farceur; Ford qui brouillait les pistes au point de prétendre avoir été cowboy en Arizona; Lang et sa version de sa propre fuite d'Allemagne... Donc, une fois The strong man achevé, Langdon aussi bien que Capra se sont senti pousser des ailes: le film était un succès, leur ambition avait payé, et il pouvaient remettre le couvert; l'ennui était que chacun des deux s'atribuait les mérites de ce qui était avant tout une collaboration, et que la brouille allait se préciser; Langdon était le patron, et à la suite du tournage, il a écarté Capra de son équipe, jugeant le temps venu de prendre sa destinée en mains. Le film devrait s'en ressentir, mais pas du tout: C'est un film tout à fait typique de ce que Langdon pouvait réussir dans ses meilleurs moments, qui revient à des thèmes proches de ses courts métrages, et qui oppose une fois de plus la ville corruptrice à l'Amérique profonde, comme les trois-quarts des films muets Américains semble-t-il, mais dans une bulle burlesque moins caricaturale que dans The strong man.

 

Harry est un grand garçon, qui rêve toute la journée de romance, alimentant ses fantaisies de livres puisés à la bibliothèque locale. Toute sa jeune vie, ses parents l'ont gentiment couvé, persuadés qu'il se marierait automatiquement l'age venu avec la petite voisine, Priscilla (Priscilla Bonner, la jeune aveugle de The strong man). Celle-ci aussi en est persuadée. Un beau jour, les parents décident d'offrir des pantalons à Harry qui se croit enfin adulte, et se précipite sur la première venue: une jeune femme de la ville (Alma Bennett) dont la voiture est en panne, et qui appartient à un gang de trafiquants de drogue par-dessus le marché. Pour se débarrasser de lui, la jeune femme l'embrasse, et part, mais Harry, persuadé qu'il s'agit d'un pacte d'amour, l'attend. Alors que le village s'apprète à célébrer son mariage avec Priscilla, il s'enfuit pour retrouver sa "bien-aimée"...

 

http://366weirdmovies.com/wp-content/uploads/2010/07/long_pants.jpgComme chez Lloyd, le décor rural est assez classique, mais le personnage de Langdon est plus caricatural encore; par contre, les scènes urbaines installent Langdon... en 1927, avec sa corruption, son jazz et sa consommation d'alcool frelaté. La naïveté du personnage se retrouve, tout comme dans les meilleurs courts Sennett, placée au coeur d'un décor d'autant plus criard. Des scènes laissent comme il savait si bien le faire Langdon pousser son style lent et répétitif jusqu'au bout: lorsqu'il a vu la jeune femme en automobile au début, il tourne autour d'elle avec son vélo, faisant tout un tas d'acrobaties plus embarrassantes les unes que les autres. Contrairement à un Charley Chase ou un Harold Lloyd, l'embarras, avec Langdon, est pour le spectateur, pas pour le comédien; c'est ce que lui empruntera Laurel...

 

Pour le reste, il faut noter une cavale rocambolesque en ville avec Langdon qui croit porter sa "fiancée" dans une caisse, alors qu'il s'agit d'un crocodile, et deux scènes frappantes: vers la fin, Harry qui s'est lui-même aveuglé sur les activités délictueuses de sa "petite amie", assiste dans la loge d'un théâtre à un rêglement de comptes, qui l'éclaire une bonne fois pour toutes sur la vraie nature de la femme qu'il aime. Cette scène est volontairement crue, et vue par un Harry au premier plan, de dos; il joue de fait à visage masqué, la scène fonctionnant parfaitement du fait que le comédien est retourné. Une noirceur qui contraste avec la vie doucereuse de sa campagne, et qui explique deux ou http://cache2.allpostersimages.com/p/LRG/37/3723/RSTAF00Z/posters/long-pants-harry-langdon-1927.jpgtrois plans qui servent en quelque sorte de "paliers de décompression" pour le jeune homme lorsqu"il revient à la maison: on le voit l'air hagard errer à travers bois avant de rentrer chez lui, grandi, mais aussi traumatisé. Cette noirceur culmine pourtant à un autre moment de ce film: lorsqu'il s'apprête à se marier, Harry se demande comment se débarrasser de Priscilla, et imagine l'emmener dans les bois pour la tuer d'un coup de révolver, une rêverie qui contraste évidemment avec ses fantaisies du début du film, qui levoient en prince de pacotille conter fleurette à la jeune fille... Mais le plus perturbant, c'est qu'il tente effectivement de mettre son plan à éxécution! Comme si dans True Heart Susie, de Griffith, Bobby harron emmenait Lillian Gish dans le bois pour la tuer, en quelque sorte: ça fait quand même froid dans le dos, même si Harry Langdon étant Harry Langdon, ça ne marchera pas, rassurez-vous.

 

Voilà, ce film est sans doute plus mal fichu que le précédent, moins équilibré. Les partisans de Capra diraient que Langdon a trop contrôlé, les partisans de Langdon seraient d'avis d'imputer ses défauts à Capra; quoi qu'il en soit, le film est de toute façon typique de son auteur, et je parle ici de Langdon, pas de Capra: après trois ans passé à tricoter des films autour de son personnage, entièrement tissés autour de son style de gags, il serait temps qu'on reconnaisse la paternité de ces films, non?

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Published by François Massarelli - dans harry langdon Frank Capra Muet
19 juin 2011 7 19 /06 /juin /2011 08:56

http://1.bp.blogspot.com/_wkMSc5DjQ18/TEh8lMA2T1I/AAAAAAAANU0/PsNfaKw41Lo/s1600/strong_man_poster.jpgThe strong man est généralement considéré comme le meilleur film d'Harry Langdon, et est même par certains côtés le seul classique du lot... Est-ce du à la contre-publicité orchestrée par Frank Capra autour du comédien, ou au fait que les cinéphiles réfractaires à Langdon y reconnaissent la patte du metteur en scène, dont c'était le premier long métrage? J'avoue ne pas me joindre à la foule qui applaudit le film, non qu'il soit mauvais, au contraire, mais je le trouve longuet et redondant... Après un Tramp tramp tramp très enlevé, avant un Long Pants plus court, celui-ci tend à se laisser aller, et au risque d'une fois de plus détruire l'image patiemment assemblée par Capra lui-même au fil des ans, je le trouve très Langdonien, peut-être même trop. Après tout, il avait d'une certaine manière, même en n'ayant jamais dirigé un film, plus d'expérience que Capra, et a sans doute précisément utilisé un metteur en scène débutant pour mieux contrôler la production.

 

Paul Bergot (Harry Langdon), un immigrant belge, se rend aux Etats-Unis pour y retrouver la trace de Mary Brown, la petite Américaine qui lui écrivait des lettres enflammées pendant la guerre, dans le cadre du soutien au moral des troupes. Il est venu avec un "strong man", un costaud de foire, et est engagé par un music-hall situé dans une petite ville en proie à une lutte entre les tenants de la distraction (Leur QG est le music-hall-salloon), et les bonnes gens regroupés autour du pasteur local (Dont la fille, aveugle, s'appelle ...Mary Brown).

 

C'est très léger, comme argument, et pas grand chose ne se passe de plus: un prologue situé en pleine guerre montre comment Zandow, le costaud, va se retrouver flanqué de Paul: il l'a capturé pendant la guerre... Un passage par Ellis Island permet à Langdon d'illustrer sa conception du gag "froid", avec un Harry Langdon qui déclenche une longue vague de bancs qui tombent les uns sur les autres, puis un petit interlude voit Paul chercher Mary Brown en demandant à des femmes dans la rue si elles sont sa dulcinée... Langdon est plus décalé que jamais, et le réalisateur multiplie les gags en longs plans, comme pour empêcher tout montage de réduire l'effet de lente maturation répétitive des gags. Le personnage de Mary Brown, fille de prédicateur (un vrai intolérant, il fait pourtant partie des braves gens dans ce film gentiment conservateur), est une sorte d'ancêtre de bien des personnages de Capra. Le film sera un succès, et permettra à Langdon de continuer avec la même équipe, avant d'opérer un changement de taille en devenant son propre metteur en scène...

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Published by François Massarelli - dans harry langdon Frank Capra Muet
16 juin 2011 4 16 /06 /juin /2011 17:42

State of the union, c'est cette adresse annuelle du président des Etats-Unis à la nation, visant à faire le point au début de l'année sur l'"état de l'union". C'est aussi, pour Capra, le moment de faire le point sur la politique Américaine au sortir de 16 ans de gouvernements menés par les Démocrates. Capra a toujours été un républicain frustré, en particulier depuis l'accession au pouvoir de Roosevelt, qui allait entraîner débacles sur débacles pour le G.O.P., le "grand old party", les Républicains. La frustration venait du fait que le populisme tel que le pratiquait Capra, ce mélange d'individualisme vigilant et de bon sens généreux, s'incarnait finalement plus dans le parti Démocrate que chez les Républicains qui commençaient alors une dérive de plus en plus droitière qui les a menés vers Nixon, puis Reagan. en tout cas, entre 1932 et 1948, aucun candidat décent n'a surnagé dans le parti.

 

State of the union est basé sur une pièce de théâtre très politique, sise dans les entrailles même du parti, auprès de Sybil Thorndyke (Angela Lansbury, excellente), l'héritière d'un empire de presse d'obédience Républicaine, qui a décidé de "faire" un candidat, avec la collaboration de Jim Conover (Adolphe Menjou), le maitre ès-coups fourrés du parti. Sybil a personnellement jeté son dévolu sur Grant Matthews (Spencer Tracy), un self made-man proche de l'esprit Républicain, et qui n'a jusqu'ici jamais fait de politique. Le premier problème, c'est que c'est aussi son amant, et qu'il va falloir faire revenir Mrs Matthews (Katharine Hepburn) sur le devant de la scène si on veut que la nation suive... le second problème, cela va être de transformer un honnête idéaliste à la Longfellow Deeds en un candidat que le parti puisse suivre, mais qui ne rebute pas les électeurs...

 

http://groovyvic.mu.nu/archives/images/310_BIG_-_STATE_OF_THE_UNION_P.jpgGrant Matthews poursuit l'évolution et le vieillissement des personnages de Capra, après Deeds, Smith, George Bailey, Matthews est déja marié, ne s'entend plus avec son épouse, et est assez désenchanté. Il est déja sous la coupe de l'intrigante Sybil au mment ou le film commence, mais celle-ci est aussi un étonnant mélange de raison et de sentiments, elle n'est pas tout d'une pièce. Capra s'amuse à mettre en scène les coulisses de la politique, affichant un certain désenchantement lui aussi à l'égard du manque d'idéaux des acteurs de la chose publique. A la fin du film, il s'esquisse même un spectaculaire retournement de vetse, qui tendrait à nous faire dire que les Démocrates et les Républicains sont tous les mêmes... Mais il ne s'agit pas pour l'auteur de Mr Smith Goes to Washington de se contenter de clamer son désoeuvrement ou un quelconque dégoût de la politique, il montre aussi de quelle manière c'est est une chose à laquelle on prend goût. Entré malgré lui dans l'arêne, Matthews est désormais persuadé d'être l'homme de la situation. Il est mordu...

 

C'est donc un petit Capra, le dernier film politique de l'auteur. On le sent à l'aise avec ses acteurs (Tous plus ou moins liés par contrat avec le distributeur du film, la MGM), et la mayonnaise prend forcément avec ses deux acteurs principaux, mais la pièce prend quand même beaucoup de place... Et le film sera un échec, le deuxième consécutif après le classique It's a wonderful life, qui scellera le destin désastreux de Liberty films, et précipitera Capra vers des films indignes de lui, puis vers une retraite, qui sera l'une des plus longues de Hollywood...

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Published by François Massarelli - dans Frank Capra
27 mai 2011 5 27 /05 /mai /2011 18:24

Une fois qu'il a quitté Sennett, Langdon a pu faire ce qu'il voulait, soit des longs métrages. Comme on sait, l'expérience sera un échec commercial, doublé d'une malédiction: celle d'être incompris, jugé comme un sous-Chaplin, ce qu'il n'était pas, un jouet de Capra, ce qui est une invention du réalisateur, et un réalisateur peu doué, ce qui est absurde: des six films de Langdon à la First National, on en conserve 5: un de Harry Edwards, un de Capra sur lequel le réalisateur a eu le final cut, un de Capra sans le final cut, et deux de Langdon (Egalement réalisateur du sixième, Heart trouble). Il existe des différences liées au sujet de chaque film, mais le style global est celui... de Langdon; son jeu, sa lenteur, sa façon de suspendre le temps dans une scène, et de prolonger un gag jusqu'à l'insupportable: bref, aimez-le ou laissez le tranquille, mais un style.

 

Le premier film repose sur l'équipe testée et approuvée par le public dans les derniers films Sennett: Edwards, pour une dernière fois à la réalisation, Ripley et Capra au scénario. L'intrigue renvoie un peu à Harold Lloyd, avec cette petite histoire du fils d'un chausseur indépendant (Langdon) qui participe à une course organisée à des fins publicitaires par un gros chausseur, Burton; le but d'Harry est d'empocher la récompense pour sauver l'entreprise familiale pour faire face à ses créanciers. En chemin, il va au bagne, affronte un cyclone, et rencontre la femme de sa vie, la fille de Burton (Joan Crawford!!!!!!!), qui était la belle fille sur toutes les publicités des chaussures de son papa.

 

C'est bon de voir un clown qui a eu le sentiment d'être brimé pendant des années passées à l'usine à rigolade, et qui peut enfin s'égayer dans un film construit à sa mesure. L'histoire est on ne peut plus simple, et bien pratique, avec son inévitable suspense "sportif", mais la façon dont Harry s'accommode d'être engagé dans ce qui est une épreuve de vitesse est intéressante. On retrouve un peu de l'esprit Capra dans le fait que cette course à travers les Etats-unis se fasse dans l'Amérique profonde, et cela culmine justement dans une scène de cyclone très "frontale" qui a peut-être inspiré le final de Steamboat bill Jr. Pas aussi aboutie, bien sûr, mais très impressionnante, en réalité... Le rapport de Harry à Joan Crawford est comme souvent le rapport d'un homme-enfant à une femme idéale, rêvée.

 

Donc si on résume, pour un acteur supposé être un "sous-Chaplin", on constate que j'ai référé à deux autres comédiens, tous les deux admirables. mais la vérité, c'est que ce premier film indépendant consacre surtout à mes yeux la spécificité de cet acteur certes pas facile à appréhender, mais dont l'histoire devrait de temps en temps se souvenir avec un peu plus de respect. 

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Published by François Massarelli - dans harry langdon Muet Frank Capra