Dans le futur, une brèche s'ouvre dans le Pacifique entre nous (les humains) et les "infra-terrestres", une race sur-évoluée de monstres qui prennent une sale habitude: celle de monter à la surface, et de tout casser. Une riposte est trouvée: des robots géants, pilotés par des groupes d'humains connectés entre eux, vont se battre et même mettre la pâtée aux sales bêtes.
Sauf que les sales bêtes évoluent, et que les gouvernements des pays limitrophes de la zone ont de moins en moins confiance en des quipes de rangers indisciplinés, et dont les dernières missions ont été catastrophiques. Jusqu'au jour où un ancien responsable de ces missions se rebelle et relance la machine, au sein d'une organisation sur-entraînée...
J'ai moi aussi beaucoup ri en relisant ce résumé, qui est affligeant: ça sonne comme un film de 37e zone, comme une refonte de tout ce qui peut se faire dans le domaine de l'action bête et brutale (beau double pléonasme), du film de science-fiction testostéroné, du succédané de jeu vidéo, et du dessin animé Japonais tourné à 12 images par secondes... Sauf que c'est idiot si on fait la bêtise d'y croire: car les films de Guillermo Del Toro portent en surface leur dose de ce qu'on appelle en Anglais "Suspension of disbelief" (le moment où on cesse d'avoir conscience d'être en face d'une fiction, et on se laisse aller à croire), et ils affichent la couleur en donnant le choix au spectateur.
Vous pouvez donc choisir et en bon amateur de jeux vidéos vous jeter à corps perdu dans un film qui va vite, ou prendre un peu de distance et apprécier l'humour codifié et détourné. Reste qu'il y a les monstres et les robots, et là, rien à faire, c'est épouvantablement laid. Tant pis, parce que par ailleurs, le sens de gigantisme qui se dégage de ces créatures en proie les unes aux autres, eh bien, est hallucinant... En attendant un autre film de Guillermo Del Toro, un grand cette fois, on peut tout à fait s'abandonner à cette sympathique petite chose.
Une fois de plus, Guillermo Del Toro se consacre à ce qu'il fait de mieux: le conte horrifique, avec une forte identité visuelle... C'est même, avec ce film à très grand succès, un retour à l'esthétique du Labyrinthe de Pan. Le script date d'ailleurs de l'époque de sortie du film le plus connu du metteur en scène, mais il a fallu attendre près de neuf années avant que le film ne se fasse...
A la fin du XIXe siècle, dans l'état de New York, Edith Cushing (Mia Wasikowska) a perdu sa maman très tôt, et a en plus attendu assez peu de temps pour constater que les fantômes existent: en effet, sa maman l'a visitée une nuit pour lui donner un avertissement qu'elle n'a pas compris. Des années plus tard, la jeune femme qui vit toujours avec son père (Jim Beaver) écrit des romans, qu'elle espère voir publier un jour, mais qui reçoivent surtout l'indifférence polie des éditeurs: c'est une femme qui les a écrits... Et elle ne semble pas décidée à leur donner grande cohérence: elle y écrit des histoires d'amour, et... des histoires de fantômes.
C'est alors que Thomas Sharpe entre dans sa vie: baronnet sans le sou, il vient aux Etats-Unis avec une idée de machine qu'il souhaite construire afin de faciliter l'excavation d'argile... L'invention est intéressante, mais lorsque Sharpe sollicite l'appui de Carter Cushing, celui-ci refuse: il est évident à ses yeux que le jeune homme est au mieux un farfelu, au pire un fainéant, et M. Cushing n'aime pas les gens qui ne travaillent pas. C'est par la fantasque Edith que Sharpe, qui infiltre avec sa soeur Lucille (Jessica Chastain) la bonne société de Buffalo, va finir par parvenir à ses fins. Mais alors que celle-ci se fait courtiser par Sharpe, son père est assassiné...
Elle se marie, et rentre en Angleterre avec le frère et la soeur: dès leur arrivée dans l'affreuse demeure où ils habitent (et qui s'enfonce dans les boues d'argiles d'un sol décidément peu accueillant), Edith constate que oui, les fantômes existent, trouve la cohabitation avec Lucille difficile, mais surtout, apprend que le surnom de la maison dans la région est "Crimson Peak".
C'est embarrassant: l'avertissement donné par sa mère quinze années auparavant, et répété juste avant l'arrivée de Sharpe dans sa vie, était "ne va pas à Crimson Peak"...
Le scénario du film, dont Del Toro partage le crédit avec Mathew Robbins et Jessica Coxon, place Crimson Peak dans la catégorie du film d'horreur léger. Il ne faut pas s'attendre ici à une métaphore du type de The shape of water, ou au Labyrinthe de Pan... Mais Del Toro, qui aime et connaît le cinéma fantastique sur le bout des doigts, s'est justement plu à se jeter à corps perdu dans l'illustration, détail par détail, d'un conte gothique ultra-simplifié: grande maison, héroïne naïve, secrets de famille, fantômes... la maison en elle même, véritable personnage dans le film, dont Jessica Chastain semble parfois être l'émanation, fait le reste...
Du coup tout passe, dans ce film mis en scène avec une gourmandise toujours aussi visible par l'éternel fabuliste qu'est le metteur en scène Mexicain, par le plaisir: plaisir d'une construction simple, d'une narratrice naïve, de cette naïveté propre aux héroïnes gothiques. Plaisir enfin de de se faire peur, avec des fantômes que le metteur en scène, plasticien accompli avec un oeil pour ces choses-là, nous a concoctés... Reste aussi que le film participe de l'univers du metteur en scène, avec son art de placer les acteurs dans un monde bien à lui dont il réussit à leur faire partager tous les contours, un univers où les cuisines sont vivantes, et où les gens semblent avoir été taillés pour se placer parfaitement dans les couloirs sombres... Un monde qui renvoie aussi bien au cinéma fantastique (TOUS les cinémas fantastiques) qu'à Edgar Allan Poe.
1944, quelque part en Espagne, un capitaine franquiste et sa troupe arrivent dans une grande maison au milieu des bois: le but, clairement, est de s'installer pour traquer à leur guise les derniers Républicains réfugiés dans la forêt... Le capitaine (Sergi Lopez) est accompagné de sa nouvelle épouse Carmen (Adriana Gil) et de la fille de celle-ci, née d'un premier mariage, Ofelia (Ivana Baquero). Celle-ci est réticente à l'idée que le Capitaine Vidal devienne son "nouveau papa", et prend très mal les insistantes remarques de sa maman à ce sujet: "tu devras essayer de l'appeler Papa"... Celle-ci est enceinte, et la grossesse ne se passe pas très bien.
A leur arrivée, Ofelia commence à entrer en contact avec un monde parallèle, étrange et envoûtant, dans lequel elle est une princesse et son père ("un tailleur", nous dit-on laconiquement, on n'en saura pas davantage, pas même son nom. Même Ofelia...) n'est pas son père... Mais le vrai géniteur serait un roi, puissant et bienveillant. Un monde qui pour se rétablir a besoin du concours de la jeune fille.
Pendant ce temps, la grossesse dégénère, le capitaine massacre, torture et terrorise, et les Républicains résistent, aidés par un médecin et par la gouvernante du logis, Mercedes (Maribel Verdu). Ofelia rêve-t-elle, ou bien ses actions magiques en parallèle, aident-elles la situation à s'améliorer? Une question qu'on peut toujours poser, mais il n'est pas sûr que le film y réponde...
Non seulement le film est formidable par lui-même, sans besoin de quelque autre influence, mais la vision du Labyrinthe de Pan (le titre Français, incidemment, est jugé impropre par Del Toro dont le personnage magique de faune, n'est pas le dieu Pan) après la découverte de l'extraordinaire The shape of water est fabuleuse, tant les films se correspondent, se complètent mutuellement, étant tous deux un reflet intime de l'artiste Guillermo Del Toro: au-delà de sa maîtrise technique ébouriffante, de son inventivité impressionnante et de sa capacité à entraîner des acteurs dans ses envies (il en fallait pour la pauvre Ivana Banquero, qui a du en baver sur le tournage!), l'artiste est un plasticien, et un conteur avec des idées bien arrêtées. Les deux films partagent une vision du monde dans laquelle l'héroïne est une jeune femme décalée, délaissée, qui cache un secret tellement enfoui qu'elle ne le connaît pas elle-même (ici, il est évident que le tailleur n'est en effet pas son père, mais on a bien peur que le vrai géniteur soit cet abominable franquiste de capitaine Vidal), et dont le destin va changer grâce à ses relations avec une ou des créature (s) magiques...
Mais si dans The shape of water, c'est à la frilosité humaine des années McCarthystes que Del Toro s'est attaqué, avec dans le viseur, de toute évidence, une charge contre l'Amérique de qui-vous-savez, ici, c'est au souvenir paradoxal de la fin de la guerre d'Espagne qu'il se consacre. Paradoxal, car le reste du monde était en guerre: pas l'Espagne, qui était neutre, et d'ailleurs beaucoup de gens y sont passés en relative tranquillité avant de trouver refuge ailleurs... Mais, nous rappelle Del Toro, un fasciste espagnol en valait bien un autre. Cette toile de fond déjà présente dans L'échine du diable est ici entremêlée avec les aspects oniriques de l'expérience de la petite Ofelia, dans une structure qui aurait pu tourner au grand n'importe quoi: en lieu et place, on a une histoire fabuleuse (au sens strict du terme d'ailleurs), qui enchantera forcément, fera parfois peur, très peur, touchera nécessairement, et marquera durablement le spectateur.
Sous la présidence de John Kennedy, un laboratoire secret situé à Baltimore, dans le Maryland, s'occupe d'une créature étrange; un homme amphibie découvert en Amérique du Sud. Le responsable de la mission, Richard Strickland (Michael Shannon), est un homme ambitieux et surtout dénué du moindre scrupule. Son assistant sur le projet, le Docteur Robert Hoffstetler (Michael Stuhlbarg) ne partage pas son intransigeance, ni son ambition. Mais surtout, c'est un espion Soviétique, dont la mission est de voler les secrets apportés par l'étude de la créature, ou au besoin en priver les Etats-Unis. Pendant ce temps, nous faisons la connaissance de deux personnes qui vivent en voisins à Baltimore: Elisa Esposito (Sally Hawkins), muette depuis la naissance, travaille à l'entretien dans le laboratoire secret; Giles, un peintre raté (Richard Jenkins), trompe sa solitude en vivant dans son atelier entouré de ses chats. Ils vivent au-dessus d'un cinéma de quartier qui est en train de perdre ses derniers clients...
Elisa va croiser la route de la créature, et ne s'en remettra pas; comme va le noter Hoffstetler, elle va réussir, contrairement à Strickland, à former un lien avec lui, et très vite va s'investir dans cette relation, développant des éléments de langage (des signes, bien sûr), lui faisant goûter la musique, lui donnant des oeufs... Lorsque l'ordre est donné par un haut gradé de procéder à la vivisection de l'amphibien, elle prend la décision de le retirer du laboratoire et de l'amener chez elle... Un coup de force pour lequel elle bénéficiera d'une aide inattendue.
On est en plein conte: Elisa, femme-enfant dotée d'un handicap (elle s'en sort bien mais elle le dit elle-même, elle est "incomplète") est une enfant trouvée au bord de l'eau, et son cou porte les stigmates d'une agression mystérieuse: elle aurait perdu sa faculté de parler lors de cette expérience... Orpheline, elle est comme d'autres femmes de Baltimore agent d'entretien, et donc ni considérée, ni susceptible de s'élever dans la vie. Si Elisa est différente par son handicap, son nom hispanisant la rapproche aussi des autres femmes, qui sont noires, ou ont un accent prononcé. La plupart des scènes rappellent l'idéologie dominante, à la fois pour des besoins d'installer un décor aussi véridique que possible, mais aussi pour avancer la thématique principale: car The shape of water est un film sur l'exclusion et la solidarité... Alors il est difficile de ne pas considérer Richard Strickland comme une synthèse de tout ce qui ne va pas dans le monde d'aujourd'hui: Michael Shannon, un acteur intense (déjà vu dans l'excellente série Boardwalk Empire de Terence Winter) incarne le personnage comme un descendant des pires sadiques aperçus chez Disney, mais avec tout le bagage d'un adulte de 2018: ambitieux, dénué de scrupules mais aussi de coeur, marié et père de famille, mais semblant n'avoir besoin de sa famille que pour le statut social normalisateur qu'elle lui apporte (et de son épouse pour quelques compensations sexuelles qu'elle lui offre sans voir l'air d'en retirer grand chose), il est violent, aime le sentiment de toute puissance que lui apporte la torture, raciste et aimant le souligner, il est aussi un prédateur sexuel de la pire espèce, qui tente de "séduire" Elisa en la dominant. Bref, c'est un fabuleux méchant, pas un subtil, loin de là...
Hoffstetler, de son vrai nom Dimitri, est plus ambigu. S'il a beaucoup de ce qui renvoie au cliché de l'espion de l'est, il n'est pas un fervent admirateur de sa propre mission, et se rebelle même lorsque on lui intime l'ordre de supprimer la créature. Il est joué dans un mélange de drame et de comédie par Stuhlbarg, qui était parfait dans le film A serious man, des frères Coen. Giles, le laissé pour compte qui partage plus ou moins le quotidien d'Elisa (Et qui est le narrateur du film), est non seulement un ancien alcoolique qui tente de se raccrocher sans succès à son métier d'artiste peintre (et qui doit affronter la mise au rebut de son art, puisque les publicités qu'il peignait auparavant sont désormais effectuées par des photographes), mais aussi un homosexuel solitaire: sa seule tentative dans ce sens, lorsqu'il tente d'établir un contact avec le patron d'un établissement qu'il fréquente, sera un échec, immédiatement suivi d'une scène durant laquelle l'homme en question demande à des clients potentiels noirs de quitter les lieux... Enfin Zelda (Octavia Spencer), la meilleure amie d'Elisa sur son lieu de travail est une forte femme, mariée (à un bon à rien, dit-elle) et noire (elle doit subir les remarques acerbes de Strickland) mais elle est surtout la voix d'un bon sens largement accompagné de résignation: non, décidément, dans l'Amérique de 1961, il n'est pas aisé d'être différent... Quelle que soit la différence.
Del Toro adopte dès le début un style fait de nombreux plans-séquences surtout dans les scènes d'exposition qui nous donnent l'impression d'assister à la cohabitation impossible de plusieurs mondes: la première "rencontre" entre Elisa et l'amphibien, par exemple, est un long plan durant lequel nous voyons bien de quelle façon le microcosme du laboratoire fonctionne, avec d'un côté les fonctionnaires, de l'autres les femmes de ménage qui leur semblent invisible, et au milieu, un coffre mystérieux qui attire l'oeil d'Elisa... Car l'essentiel du film, bien que raconté par Giles, est le développement de son point de vue à elle, et c'est une différence qui s'établit entre le film et l'un des ses modèles, The creature from the black lagoon (un film que je ne peux m'empêcher de considérer comme très, très moyen...).
Si on peut sans aucun problème, et je pense que c'est totalement assumé, considérer le cas de chaque personnage secondaire, de Strickland à Zelda comme une exploitation d'une série de clichés savamment intégrés, Elisa échappe à cette classification. On le doit bien sûr à Del Toro, mais surtout à Sally Hawkins, la fantastique actrice Britannique qui joue le rôle: différente, Hawkins n'a pas la beauté de princesse qu'un casting Disney aurait immanquablement recherché. Ca ne l'empêche ni d'être belle, bien sûr, ni de vampiriser l'écran. Le tout début du film nous attache à elle en nous détaillant sa vie quotidienne dans toute sa banalité: son réveil peu glamour sur un canapé trop petit, ses ablutions, son petit déjeuner, sa solitude, sa promiscuité avec Giles... Et son envie d'autre chose, un romantisme exprimé de multiples façons, notamment par son goût pour la comédie musicale (elle fait des claquettes dans un couloir vide) et par le rêve qu'elle fait en guise de prélude au film: elle dort, en suspension dans l'eau, au dessus de son canapé... Ce rôle muet et chorégraphié va loin, et "l'amitié"/amour qu'elle va éprouver pour la créature va n'être platonique qu'un temps... Car la jeune femme nous a inclus dans son quotidien, et nous savons que son romantisme n'est pas dénué de l'envie d'une vie sexuelle: ce qui va provoquer deux scènes de rapprochement audacieuses, et d'une grande beauté formelle. Littéralement, d'ailleurs, elle va accomplir son rêve. Et surtout, elle va trouver en l'étrange amphibien (dont Del Toro nous montre qu'il a effectivement des pouvoirs, mais ceux-ci ont le bon goût de ne pas prendre toute la place) une personne qui l'écoute (paradoxalement) et dont elle va prendre en charge l'éducation...
En 2018, on ne fait pas un film comme The shape of water de façon anodine. Passionné de cinéma fantastique (Il connaît bien l'oeuvre de Tod Browning et par ailleurs cite volontiers Vampyr de Dreyer comme l'un de ses films préférés), Del Toro a déjà réalisé deux films-contes qui étaient des réflexions sur le fascisme, L'échine du diable et Le labyrinthe de Pan. Qu'on ne s'y trompe pas: l'Amérique de 1961, recréée dans ses moindres détails, est un reflet peu aimable de notre monde, que nous soyions Américains ou non: plaidoyer pour la solidarité, l'ouverture à la culture et la différence, le message est clairement assumé, même caché derrière les oripeaux du film d'horreur ou du conte. La beauté formelle impressionnante du film, le suspense particulièrement travaillé, l'humour, et la poésie, tout concourt à faire de ce film une éclatante et singulière réussite, un film qui nous garantit qu'il n'y aura pas de Shape of water 2, malgré sa fin si élégamment ouverte. Un film classique dès sa première minute, qui mérite ses Oscars dès sa première seconde, et qui est une merveille, de bout en bout: voila.