Le moins qu'on attende d'un film situé dans le milieu de la couture Parisienne, c'est qu'il soit élégant... Et heureusement, on est servi. Situé dans un monde cohérent, entre les salles de couture et les salons publics, entre restaurants et boîtes de nuits, le film e se noie jamais dans l'anecdotique et nous propose un mélodrame basé sur un triangle amoureux, caché derrière une comédie de moeurs enlevée et même parfois dynamique, le tout en 80 minutes...
Dans une maison de couture réputée, trois amis travaillent: Mady (Suzy Pierson) y est première couturière, Thérèse (Andrée Lafayette) modèle, la plus sollicitée de tous les mannequins, et Laurent (Malcolm Tod) est pour sa part dessinateur. Ils sont inséparables, d'ailleurs leurs appartements sont situés les uns à côté des autres, et leurs soirées sont communes. Mais Mady et Thérèse sont toutes les deux amoureuses de Laurent, qui lui n'a d'yeux que... pour l'une d'entre elles. A la faveur de l'arrivée à la maison de couture d'un riche collectionneur d'aventures (Léon Mathot), qui ne cache pas son envie de connaître mieux Thérèse, les choses vont se précipiter...
Un personnage en plus, on aurait presque pu dire en trop, mais il n'en est rien, vient se greffer sur cette intrigue: Bartlett, un Américain qui est l'homme de confiance d'un couturier de New York, est interprété par Armand Bernard, le grand acteur de théâtre que Diamant-Berger avait débauché pour interpréter Planchet dans sa version des Trois mousquetaires. Ici, il continue à jouer un rôle comique, mais il réussit une prouesse: tout en étant un faire-valoir, un imbécile de première, même, il réussit à être important... Et le timing impeccable de Bernard, qui cette fois n'a pas seulement à se prendre des coups de pied au derrière comme dans le feuilleton sus-mentionné, fait merveille. Et donne du même coup une dimension de comédie au film, qui oscille constamment entre mélodrame et bulles pétillantes.
Diamant-Berger fait ici deux choses particulièrement bien: d'une part, il filme dans Paris, pour de vrai, et offre une alternative intéressante à ses nombreuses scènes tournées en studio. Ensuite, il fait une grande confiance à ses acteurs, principalement les cinq premiers, qui font une grande partie du travail dans des gros plans très étudiés: le découpage et le montage de ce film sont particulièrement intéressants... Et Diamant-Berger est même très en verve, à sa façon: il installe très bien ses ambiances nocturnes, situe avec efficacité l'ambiance d'une boîte de nuit, et ne perd jamais ses personnages dans ses décors; il utilise à bon escient la profondeur de champ: son final est situé dans une pièce qui est une antichambre d'une maison de couture où une fête bat son plein, pendant qu'au premier plan le drame arrive à son paroxysme.
Bref, ce Rue de la Paix est le film qui prouve que le très estimable Henri Diamant-Berger, producteur heureux, affabulateur fripon (il affirme dans ses mémoires avoir inventé la bande-annonce, pourquoi pas? il ajoute avoir défini le rôle de la script-girl, et surtout il prétend avoir été le premier à faire des essais en Technicolor en 1925, ce qui trois ans après la sortie de The toll of the sea est un splendide mensonge, digne du reste de ceux que proféraient d'autres cinéastes: Ford, Hawks, Walsh ou Capra en étaient coutumiers) était aussi un cinéaste. Ben oui!


