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23 octobre 2017 1 23 /10 /octobre /2017 08:51

Paris, années 30; une épouse (Mireille Perrey) en a plus qu'assez d'être trompée par son serial coucheur de mari (Roger Blum), et prend une décision: elle va lui rendre la monnaie de sa pièce en achetant des ballons, auxquels elle accroche une carte de visite à son nom, sur laquelle elle précisera "Je serai seule après minuit" avant de les lâcher; Les ballons suivent la course que leur indique le vent, et tombent entre les mains de militaires, d'un saxophoniste, d'un homme qui se définit comme "gentleman-cambrioleur" (Maurice Rémy), de gratte-papiers et autres ronds de cuir, mais aussi du voisin et ami Michel (Pierre Bertin) de la belle dame, qui bien sûr n'attend qu'une occasion comme celle-ci!

Le film est adapté d'une pièce d'Albert Jean, et on doit les dialogues additionnels au jeune Henri-Georges Clouzot. Mais une bonne part du film est "dialoguée en musique", sur la base de chansons qui faisaient partie intégrante du spectacle. A la demande de Baroncelli qui avait sans doute peur de s'ennuyer, le film a été aéré, et de nombreuses scènes voient les personnages se déplacer dans Paris; certaines sont d'ailleurs quasi-muettes. Fatalement, ce sont les meilleurs moments du film, qui avouons-le est un joyeux bazar indiscipliné, qui louche volontiers du côté de Lubitsch et René Clair. Il faut avoir de l'ambition dans la vie.

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Published by François Massarelli - dans Comédie Henri-Georges Clouzot
21 octobre 2017 6 21 /10 /octobre /2017 19:02

Ernest, un camelot (Jim Gerald) arive dans un lieu à l'écart de tout, dans une petite localité Russe. Parmi les gens qui sont là, il a la surprise de découvrir un Français (Lucien Muratore), doté d'une voix de ténor, et qui est complètement amnésique... Il le ramène à Paris afin d'exploiter son talent. Mais à Paris, justement, on commence à entendre parler, et à entendre tout court, ce "chanteur inconnu", qui rappelle vaguement quelqu'un, mais qui?

Probable qu'Hélène Corbigny (Simone Cerdan) a la solution: dix années auparavant, son premier mari Claude Ferval s'est noyé durant une croisière, mais son corps n'a jamais été retrouvé. Mariée à un ami commun du couple, elle n'a pas l'air d'être très heureuse, d'autant que son nouveau mari ne supporte pas qu'elle ait la moindre nostalgie de ce passé...

On peut compter sur la jolie Pierrette (Simone Simon) pour fouiller un peu les journaux anciens et faire le lien entre le chanteur disparu et le chanteur retrouvé. Mais a-t-il disparu par accident, ou... à cause d'une tentative de meurtre?

Avec un sujet pareil, on peut au moins compter sur le film pour ne pas laisser indifférent! Solide routier du muet, Tourjansky ne s'encombre ni de logique, ni de scènes inutiles. Et il a la redoutable tâche d'illustrer un scénario de Decoin, Clouzot... et Diamant-Berger! Un scénario sans queue ni tête, aussi délirant que la tentative de résumé qui précède pouvait vous l'indiquer. Alors pour voir un film comme celui-ci, il ne fait avoir peur ni des trous (il y en a partout!), ni du jeu erratique (Gerald) ni d'un déséquilibre entre un bon rôle et un jeu catastrophique (Gerald et Simone Simon!), ni du ténor qui franchement ne casse rien, ni surtout des scories d'époque: Simone Cerdan est nulle, les dialogues sont parfois improvisés à coup de 'mon vieux', et il y a un sale type qui est une caricature dégueulasse de juif comme les nazis ne tarderont pas à en faire partout. 

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Published by François Massarelli - dans Henri-Georges Clouzot
14 octobre 2017 6 14 /10 /octobre /2017 16:40

"Un soir de rafle", donc, Georget, un marin démobilisé (Albert Préjean) rencontre une jeune femme, Mariette (Anabella) qu'il prend pour une prostituée, mais qui est en fait une chanteuse de music-hall, et une femme à la vertu irréprochable de surcroît. Ils sont amoureux, ils sortent, et se rendent un jour à une fête foraine, où pour répondre à une provocation, Georget se bat sur un ring de boxe, et... gagne haut la main. Le boxeur défait lui propose de l'entraîner et en deux temps trois mouvements, Georget devient champion de France.

Et c'est là que les ennuis commencent, car les honneurs de la victoire attirent manifestement les gens infréquentables. Dont une femme... Georget et Mariette se séparent, mais dans l'ombre,la jeune femme ne cesse pas de l'aimer... 

Autant je déconseille vivement le visionnage du film Ma cousine de Varsovie, de Carmine Gallone, autant je pense qu'avec Un soir de rafle, on a devant soi une très grande surprise. La réunion d'une certain nombre de talents, en fait: le scénario est dû entre autres à Henri Decoin, et adapté et mis en dialogue (Et ça se sent, cette fois) par Clouzot qui était particulièrement inspiré. Il est probablement responsable du découpage aussi, Gallone étant connu pour être un tâcheron qui enchaîne les tournages... ce qui ne l'empêchait pas de réussir un film, car ici la mise en scène est impeccable!

Gallone sait plonger dans le public s'il le faut, et la caméra se promène absolument partout. Le montage aussi est inventif, et le script a la très bonne idée de créer dans le cadre des matches de boxe les conditions d'un suspense, qui ne passe pas trop par des plans de bagarre: il fallait garder Préjean vivant, quand même. C'est la réaction du public qui donne le ton ici, comme dans The ring de Hitchcock! le film partage souvent avec le metteur en scène Anglais cette tendresse pour le public populaire des salles de sport et de spectacle, qu'on voit bien dans les films Britanniques du maître. Mais "le public", parfois, c'est Annabella dont le beau visage d'ancienne actrice du muet est bien mis à profit du début à la fin du film: on a eu le bon goût de ne pas la surcharger de dialogue. Même Préjean réussit à limiter ses "Oh ben mon vieux, tu parles, c'est pas un problème, t'sais" irritants, au minimum! Et est-ce une illusion, une sur-interprétation, ou l'auteur futur de Quai des orfèvres aurait-il glissé dans ce film une sorte de romance homosexuelle de contrebande entre Préjean et son manager, Constant Rémy? Il me semble qu'il est possible d'isoler leur dialogue et de systématiquement lui donner un autre sens. Clouzot raffinait son art, et mettait ici pour le meilleur son talent au service des autres... en attendant son tour, patiemment.

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Published by François Massarelli - dans Henri-Georges Clouzot
13 octobre 2017 5 13 /10 /octobre /2017 10:38

Circulez, il n'y a rien à voir...

Pas assez détaillé? Bon: disons que ce film est typique d'une certaine production française, à l'époque de l'arrivée du parlant, quand il fallait absolument faire passer le plus de dialogue possible au cinéma, et qu'on s'est résolu à simplement transposer les succès boulevardiers à l'écran. Malgré les efforts de l'adaptateur-dialoguiste (Limités, puisqu'on y reprend par ailleurs quasi in extenso une pièce de théâtre) pour sortir de l'environnement confiné de la pièce, ce film est d'un ennui mortel, et le doit à plusieurs facteurs: le style 'ciel mon mari' n'a d'intérêt que chez Lubitsch parce que lui n'a jamais oublié de faire du cinéma. Ici, c'est indigent. Carmine Gallone parle-t-il le français? J'en doute au vu des erreurs et auto-corrections que se permettent les acteurs dans ce film, et surtout on ne comprend pas un traître mot de ce que dit Elvire Popesco du début à la fin du film, ce qui est en réalité une prouesse: elle jouait le rôle au théâtre depuis 8 ans...

Enfin le personnage principal est interprété par l'un des plus mauvais acteurs que j'aie vus... A tel point que je n'ai même pas envie d'aller chercher son nom. 

Bref: le seul intérêt (relatif) de ce film est d'avoir été le baptême du feu de Clouzot au cinéma. Vous le trouverez peut-être ça et là dans une ou deux scènes... C'est bien peu.

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Published by François Massarelli - dans Comédie Henri-Georges Clouzot
11 octobre 2017 3 11 /10 /octobre /2017 15:39

Le premier film de Clouzot est un court métrage, qui porte un pedigree inattendu: le scénario est signé de Jacques de Baroncelli, qui n'était quand même pas n'importe qui au sortir de sa carrière muette distinguée par l'élégance de ses films... Justement, Clouzot et lui ont collaboré à l'occasion à l'aube de la carrière de ce dernier, mais Baroncelli y était metteur en scène et Clouzot scénariste, pas le contraire! Devant la rareté et le peu de ressources documentaires relatives à ce film, rien ne peut pour l'instant nous dire pourquoi et comment Clouzot, qui débutait une carrière de scénariste, a été amené à réaliser ces quinze minutes.

Par contre, il est intéressant de confronter cette "terreur" pour rire, avec le début soigneusement découpé de L'assassin habite au 21: ici, les premières minutes, à coup de plans muets, de lumières et d'ombres inquiétantes, donnent l'illusion d'un film à suspense, avant que par surprise, ne nous soit révélé qu'il s'agit d'une comédie. Un cambrioleur (Qui se présente lui-même comme "La terreur des Batignolles", mais il tremble un peu trop pour mériter un tel titre!) profite de l'absence d'un couple pour faire son métier dans leur appartement, quand un couple rentre, et... ne commence à mettre en scène son suicide. Depuis sa cachette, derrière un rideau, "la terreur" attend, gêné, que les deux se décident sur leur mode opératoire. Il commence à paniquer quand ils choisissent le gaz...

C'est court et l'interprétation n'est évidemment pas à noter pour sa subtilité: le cinéma n'est sonore que depuis peu, et pourtant la bande-son a été surtout travaillée afin de participer à l'illusion du début. Après, on assiste surtout à un numéro de vaudeville un peu absurde et conditionné par une fin qui vous surprendra... un peu.

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Published by François Massarelli - dans Comédie Henri-Georges Clouzot
26 juillet 2017 3 26 /07 /juillet /2017 21:08

Marcel et Odette se marient, Marcel (Serge Reggiani) et Odette (Romy Schneider) sont heureux... Les deux hôteliers tiennent un établissement sous le viaduc de Garabit, ils ont un charmant bambin, ils habitent un endroit où les touristes viennent se masser l'été... Donc tout va bien. Sauf que Marcel est épouvantablement jaloux...

Voilà ce qu'on peut dire de l'intrigue de départ de ce film qu'on ne peut pas voir, qui n'a pas été fini, et qui ne le sera jamais... Clouzot avait déjà évoqué la jalousie furieuse, celle qui vous fait faire des bêtises, avec Quai des orfèvres. Il se raconte qu'avec Vera Clouzot, le cinéaste vivait dans un enfer quotidien de jalousie mutuelle, qui avait fourni la base de l'étude contenue dans L'enfer... peu importe après tout: comme toujours avec Henri-Georges Clouzot, le sujet choisi devient une obsession, et comme avec tous ses films précédents, la rage de filmer emporte tout sur son passage, risquant d'entraîner la santé du maître et les engagements tenus... Sauf que cette fois-ci, justement, les engagements n'ont pu être tenus.

Selon certains témoignages, l'infarctus du metteur en scène, qui était en tain de filmer une scène surprenante de sensualité entre Romy Schneider et Dany Carrel, a mis fin au tournage, et c'était nécessaire, car plus personne ne savait où ça allait, pas même Clouzot: près avoir été au bout des possibilités classiques du cinéma avec La vérité, le metteur en scène partait vers l'inconnu, cherchant de nouvelles méthodes narratives, et essayant de mêler cinéma et art cinétique. Le résultat, parcellaire, est beau... mais plus que troublant!

C'est tout ça et même plus, que raconte un documentaire indispensable, fascinant et forcément un peu frustrant, réalisé par Serge Bromberg et Ruxanda Medrea, qui ont tenté de faire sens avec ce qui reste des trois semaines de tournage, et des périodes d'essai et de préparation. Ils offrent à la fois un reflet du film, et de son tournage, en faisant intervenir beaucoup de témoins. Mais surtout ils puisent dans l'énorme stock de bobines qui sont restées inutilisées depuis longtemps... Et même si on voit clairement, par ces images tellement différentes de tout ce qui existe, que le film n'aurait certainement pas pu se faire, les voir reste un privilège...

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Published by François Massarelli - dans Henri-Georges Clouzot
9 mai 2017 2 09 /05 /mai /2017 13:49

Ceci est le premier long métrage de Clouzot... plus ou moins. Entendons-nous bien: le metteur en scène n'a jamais signé un long métrage avant ce gros succès de la firme Continental, mais en 1942, il est tout sauf un débutant. Il a réalisé un court métrage qui reste encore bien mystérieux sur un script de Jacques de Baroncelli en 1931, La terreur des Batignolles; puis il a été engagé en Allemagne pour "superviser" la direction de versions Françaises de films musicaux, à une époque ou on ne doublait pas encore: pour être clair, sur trois films Allemands réalisés en 1933, Clouzot a été en charge de mettre en scène les passages en Français des versions destinées eu marché Francophone, ce qui fait de lui au moins le co-réalisateur de ces films par ailleurs signés par Joe May, Karl Hartl ou Geza Von Bolvary. Et on attribue à Clouzot (On ne prête qu'aux riches) la responsabilité d'autres oeuvres, notamment ces films qu'il a dialogués, ou même Le duel de Pierre Fresnay. Quoi qu'il en soit, si ce film policier est sa première réalisation officielle de long métrage, on pourra admettre qu'il connaissait déjà fort bien son métier. Et ça se voit!

Adapté d'un roman de Stanislas-André Steeman situé à Londres, L'assassin habite au 21 se déroule à Paris, et reprend les deux personnages d'une autre adaptation de Steeman dialoguée par Clouzot (Le dernier des six, de Georges Lacombe): le commissaire Wenceslas "Wens" Vorobiétchik (Pierre Fresnay) et sa maîtresse l'infernale Mila Malou (Suzy Delair), ce dernier personnage a été créé par Clouzot, et c'est l'un des motifs d'une certaine discorde entre l'auteur du roman et le metteur en scène: Steeman voulait, dans ses romans policiers, privilégier l'atmosphère noire et glauque, alors que Clouzot scénariste-dialoguiste a tourné le film vers la comédie. Maintenant il faut être sacrément bouché pour ne pas voir la noirceur du résultat...

Steeman faisait reposer son intrigue sur une énigme, qui est reprise dans le film: un tueur assassine des personnes seules, dans la rue ou chez eux, et leur dérobe de l'argent. Par bravade, il laisse sa carte de visite à chaque fois qu'il tue: "monsieur Durand". La Police Judiciaire est sur les dents, et on demande au commissaire Wens de résoudre le mystère le plus vite possible. Tuyauté par un indicateur, il se rend à la Pension Mimosas, au 21 de l'avenue Junot, pour y enquêter sur les personnes présentes, car... l'un d'entre eux est le tueur. Wenceslas Vorobiétchik, déguisé en pasteur, fait donc la connaissance de plusieurs suspects, parmi lesquels le docteur Linz, un vieux colonial aigri et misanthrope, ui professe une véritable affection à l'égard du tueur, mais aussi l'artiste de music-hall Lallah-Poor, un bien curieux personnage, et enfin Colin, un fabricant de marionnettes qui se fait de l'argent en confectionnant des figurines de bien mauvais goût inspirées de la vedette du moment, Monsieur Durand! Enfin, il y rencontre aussi mademoiselle Cuque... Une vraie jeune fille.

La tâche de Wens ne sera pas de tout repos, parce que bien sur, il sera malgré lui accompagné de celle qui, sous prétexte de l'aider, ne fait que lui compliquer la tâche: Mila Malou, chanteuse occasionnelle, et maîtresse enquiquineuse à plein temps. C'est Suzy delair qui se charge du rôle, et elle est pétillante... Un peu trop du reste, car si Clouzot est à l'aise sur son découpage impeccable, sur sa mise en scène qui se joue en permanence des ruptures de ton, et sur ses dialogues (un vrai bonheur), l'interprétation est encore à affiner: Fresnay, Larquey (Colin), Jean Tissier (Lallah-Poor) ou Noël Roquevert (Linz) font admirablement ce qu'on attend d'eux, mais Delair en fait des tonnes, et on a envie d'être ailleurs devant la prestation de certains acteurs, je pense en particulier à Jean Despaux, qui joue le second rôle anecdotique (Et pour tout dire assez inutile) du boxeur aveugle. Si les dialogues donnent parfois l'impression d'être plus destinés à être lus qu'à être joués, Clouzot sait déjà cacher son vitriol derrière la satire, et nous décrit un monde de crime et de noirceur, dans lequel tout le monde en prend pour son grade, à travers des vignettes toutes plus inspirées les unes que les autres: un entretien entre une aspirante chanteuse imbue d'elle-même et un impresario peu scrupuleux, la hiérarchie policière qi se renvoie la balle de la responsabilité de ses échecs, un café des faubourgs dans lequel se mêlent ouvriers, clochards et prostituées, un petit commissariat avec ses flics bonhommes et ses indics malins (Bussières, inoubliable) et enfin la pension de famille dans laquelle, tueur, innocent ou victime, tout le monde a un passé trouble et écrit au milieu de la figure, et tous les gens ont une saleté probable à cacher... Un thème qui anticipe déjà sur Le corbeau, qui viendra bientôt éclabousser les écrans et apportera des ennuis en cascade à son auteur.

...qui pour l'instant peut apprécier son succès avec cette petite histoire en apparence si anodine, à laquelle d'ailleurs on ne croit pas une seconde: ce n'est pas le but. C'est donc là le premier des deux films de Clouzot réalisés pour la firme Continental, le studio Allemand qui tournait uniquement des films Français, et se tenait à l'écart de la politique. Ce qui n'empêchait pas les metteurs en scène, occasionnellement, de peindre le monde avec une noirceur rigolarde... la preuve.

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Published by François Massarelli - dans Henri-Georges Clouzot
8 novembre 2016 2 08 /11 /novembre /2016 14:12

Après La Vérité en 1960, et la débâcle de L'Enfer en 1963, film inachevé, à cause essentiellement de ses ennuis de santé, on ne s'attendait sans doute pas vraiment à ce que Clouzot retrouve le chemin des studios. Il avait soixante ans, ce qui n'est pas vieux pour un cinéaste mais dans son cas et vu ses soucis chroniques, le fragilisait d'autant plus. Désireux de trouver un nouvel angle d'approche pour les recherches esthétiques qu'il n'avait pu faire aboutir en 1963, désormais passionné jusqu'à l'obsession par l'art moderne, l'art cinétique en particulier, le metteur en scène a profité de la nouvelle permissivité de cette fin de décennie, de sa proximité avec quelques grands noms de l'art moderne (Dont Yvaral et Vasarely) pour développer un script qui incorpore la nouvelle donne de l'art, en même temps que la nouvelle donne de la sexualité: car La prisonnière, qui parle d'une relation sadomasochiste qui tourne mal, n'est pas un film tiède... Une fois n'est pas coutume, le metteur en scène-scénariste, qui a tant collaboré avec des hommes durant sa carrière, se fait cette fois aider d'une femme, Monique Lange. Il faut dire qu'il va s'y attacher au point de vue d'une jeune femme.

Par contre, si c'est bien un film miraculé... pour autant il est loin d'être miraculeux.

On suit les journées de José (Elizabeth Wiener), monteuse à l'ORTF. Elle vit avec un artiste d'avant-garde, Gilbert (Bernard Fresson), qui expose à la galerie la plus en vue, celle de Stan Hassler (Laurent Terzieff). C'est entre ces trois personnages que le drame bourgeois va se dérouler: Gilbert et José ont un petit arrangement: ils s'autorisent mutuellement un peu de liberté dans leur vie amoureuse, à condition de se dire la vérité. Mais José, qui est fascinée par Stan, va en cachette s'intéresser à lui, et découvrir qu'il est passionné par une certaine forme de voyeurisme. Il fait venir des modèles, et les humilie en leur faisant prendre des poses érotiques. Un jour, José assiste à une séance durant laquelle la jeune modèle Maggy (Dany Carrel) pose pour Stan, et tout va basculer: elle souhaite elle aussi commander de façon rugueuse ces modèles qui prennent la pose, puis poser à son tour, et puis... elle développe une relation avec Stan. Mais elle n'en parle pas à Gilbert, qui devient terriblement jaloux...

L'intrigue est un ressort tiré du drame bourgeois dans lequel l'adultère le plus sordide s'épanouit une fois de plus en toute tranquillité.Pourtant cette construction quasi boulevardière contraste avec la réactualisation de son style par Clouzot, qui prend acte de l'évolution du langage, mais aussi de l'évolution des moeurs. Le sexe est omniprésent, dans le film, sans être représenté vraiment frontalement, mais les dernières limites à franchir ne sont plus très loin... On ressent une étrange impression d'un choc frontal entre ce film qui semble bien de son temps, une sorte de reflet de la France de 1968, mais qui parfois pense comme en 1935!

Et cette impression de choc malaisé est renforcé par le fait que la forme du film est ici envahie par les obsessions artistiques de Clouzot, qui laisse l'art cinétique envahir le film, comme il l'avait fait dans ce qui reste du brouillon de L'enfer. On se rappelle bien sur des jeux de lumière qui présidaient à la fameuse scène entre le docteur Germain et le docteur Vorzet dans Le Corbeau (1943), et l'interprétation qu'en avait donné Vorzet. On retrouve ici cette lubie des jeux de lumières, désormais privés de ce sens salutaire, qui s'ajoutent à de nombreuses scènes dans lesquelles formes géométriques, lignes, ondulations, décalages, fragmentation (Les miroirs brisés sont un cliché de ce genre de recherche) n'en finissent pas de remodeler, redéfinir notre rapport à l'image, comme Elizabeth Wiener qui se perd dans ses propres obsessions... mais Gilbert, dans une scène située au début du film, utilise ses mains pour brouiller sa propre vision, la morceler, et le fait en utilisant ses mains de façon un peu embarrassante. Mais je suis sur qu'il reproduit un geste que Clouzot lui a dicté, et qui est peut-être un geste personnel récurrent du cinéaste lui-même. On y retrouve son obsession de la façon dont un même objet, un même acte, un même personnage puisse être perçu différemment suivant la façon dont la lumière les met en valeur, ou selon le point de vue: La Vérité, Les espions, Les diaboliques, Le retour de Jean, Le Corbeau et Quai des orfèvres, ainsi que L'enfer dans les intentions de Clouzot, touchaient déjà ce thème, mais il est ici fondu dans la pratique de la mise en scène et dans les à-côtés de l'intrigue. par exemple, José, qui est monteuse, travaille sur un documentaire dans lequel elle entend justement des femmes parler de leur soumission aux actes violents de leurs compagnons... Elle entend avant de succomber aux mêmes obsessions, une litanie de témoignages sur les mêmes expériences dans lesquelles elle va s'abîmer.

D'ailleurs, il se projette dans les deux personnages masculins, l'un est un artiste qui souhaite ne pas faire de compromis, mais qui est prêt littéralement à coucher pour se vendre, et l'autre est un esthète vaguement passé à autre chose (Il s'adonne en privé à des photos autrement plus figuratives que l'art qu'il vend), qui ne semble plus motivé par l'art, mais par le mode de fonctionnement de sa commercialisation. Les deux tournent bien sur autour de la même femme, et leur confrontation est inévitable... Mais Clouzot nous montre essentiellement le choc entre deux impuissances: l'un étant tellement obsédé par sa carrière qu'il ne pense plus à faire l'amour à sa femme, et l'autre qui séduit une femme en l'avilissant, mais qui doit se faire mener par la main pour la toucher...

Donc, La prisonnière est un film hautement personnel, film auto-portrait, qui fait semblant de prendre acte de la nouvelle permissivité, et qui fait acte de modernité pour mieux recourir une fois de plus aux obsessions intimes du cinéaste. Le film est intéressant, oui, mais plus par son ratage et ses défauts que par ses audaces... Au moins peut-on se réjouir qu'un cinéaste exigeant, éloigné longtemps des studios par ses problèmes de santé, ait pu finalement retourner à son art, et finir un nouveau film... Pour une dernière fois.

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Published by François Massarelli - dans Henri-Georges Clouzot
30 juillet 2016 6 30 /07 /juillet /2016 22:01

Suite à une déconvenue amoureuse qui tient plus de la manipulation que du drame, Miquette veut faire du théâtre, et flanquée d'une mère plus délurée qu'elle, et d'un vieux marquis qui a des vues sur elle, elle intègre une troupe de comédiens miteux et sans scrupules menés par rien moins que Louis Jouvet, poursuivie par un fiancé plus benêt que possible...

Curiosité qui dépare dans le monde noir de Clouzot, cette petite comédie adaptée d'une vieille pièce éculée du début du 20e siècle est sauvée de ce qui aurait pu être un naufrage par la verve de Clouzot, qui s'est plu à souligner la dimension théâtrale en poussant les acteurs à s'adresser au public en permanence, ou par les gags inattendus (Intertitres intempestifs, représentation théâtrale piratée par le contexte des coulisses...). Tout en étant une comédie burlesque, un genre auquel décidément on ne l'attend pas, le metteur en scène s'est plu à caricaturer la mentalité fin de siècle, avec une verve rare.

C'est drôle, frais, enjoué, sans prétention, et pour une fois il faudrait être bien malintentionné pour y voir la moindre critique sociale, même si c'est bien un film d'Henri-Georges Clouzot. Saturnin Fabre en vieux coquin, Bourvil en jeune andouille (Le mot est effectivement prononcé), Louis Jouvet en acteur de seconde zone, sûr de son génie bien entendu, et Danièle Delorme en ingénue sont splendides. Et le dernier acte, qui se déroule à la fois sur scène et dans les coulisses, est étourdissant.

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Published by François Massarelli - dans Henri-Georges Clouzot Comédie
19 mai 2015 2 19 /05 /mai /2015 16:49

Las Piedras, Uruguay, dans les années 50, un petit, tout petit patelin particulièrement miteux ou échouent des dizaines d'occidentaux: Américains, Anglais, Italiens, Allemands, et Français cohabitent à la recherche du moindre travail qui leur permettra de réaliser leur rêve: partir. Tous sont des aventuriers, d'anciens soldats voire peut-être des bandits, pire encore: on est en Uruguay et on peut tout imaginer. Quoi qu'il en soit, le village est inhospitalier, et le travail est plus que rare: il n'y en a pas. Seule la S.O.C., une compagnie pétrolière Américaine qui a totalement colonisé la région, en offre, et elle est en position de force, donc elle est très regardante. Un jour,ils doivent justement embaucher quatre hommes pour arrêter un incendie sur un site. Les hommes doivent parcourir des centaines de kilomètres avec de la nitroglycérine, afin de la transporter sur le site, en deux convois. Chacun des deux camions sera conduit par deux hommes, et l'idée d'envoyer deux équipes se justifie rationnellement: les routes du pays étant particulièrement cahoteuses, les camions tellement vieux, une équipe peut aisément être amenée à finir le voyage seule. Les quatre hommes qui sont choisis ont tous un grand intérêt à partir. Bimba (Peter Van Eyvck), l'ancien résistant Allemand, souhaite revoir l'Europe maintenant que les nazis sont partis; Luigi (Folco Lulli), le maçon, sait que s'il continue son travail, la poussière finira de détruire ses poumons; les deux Français enfin voudraient revoir Paris: Mario le joli coeur (Yves Montand) en a marre de Las Piedras, et le dernier arrivé, l'inquiétant Monsieur Jo (Charles Vanel) a probablement la bougeotte lui aussi. Tous convoitent les deux mille dollars que le dangereux voyage pourrait leur rapporter...

Clouzot avait quitté le cinéma en 1949 sur un dernier échec, une comédie qui était fort éloignée de son style; d'une certaine manière, cet impressionnant récit achève lui aussi une forme de mutation pour le cinéaste, en lui permettant de raffiner une forme de suspense qui a rarement été aussi bien exploitée qu'ici. Le metteur en scène, qui va bientôt s'en faire une spécialité (Les Diaboliques, Les espions, La vérité), se plait à jouer avec nos nerfs dans des scènes d'anthologie qui à elles toutes seules justifient a posteriori le temps impressionnant (Une heure environ) consacré à l'exposition. Clouzot nous détaille avec talent et aussi une solide et habituelle dose de méchanceté, la vie à Las Piedras, le quotidien des vagabonds qui vivent en s'ennuyant ferme; l'un d'entre eux s'ennuie tellement qu'il s'occupe à cracher sur les pieds du patron de la taverne locale (Dario Moreno) uniquement parce qu'il n'y a rien d'autre à faire. Et omniprésents, dans les conversations ou par des apparitions furtive d'un sigle, les Américains de la S.O.C. sont un peu la promesse crapuleuse d'un ailleurs...

Pourtant le film est très critique à l'égard de cette présence Américaine, ce qui vaudra au film d'être longtemps censuré. Mais il n'y a pas que cet arrière plan politique qui le lui vaudra: à Mario, qui s'il s'ennuie et ronge son frein à Las Piedras, a au moins une consolation en la personne de la belle Linda (Véra Clouzot), le metteur en scène va donner une camaraderie pour le moins équivoque en la personnae de Jo, le dur à cuire, qui s'avèrera être finalement un lâche. Car Le salaire de la peur est un peu une étude des hommes entre eux, un voyage clandestin au pays encore secret, on est en 1953, de l'homosexualité, tout comme Les diaboliques posséde un sous-texte consacré au lesbianisme. Donc, entre le suspense à couper le souffle, la critique violemment anti-Américaine, et le parfum capiteux d'homosexualité qui souffle dans le film, on se dit que ça fait beaucoup... Mais ça fait surtout de ce chef d'oeuvre un gros, un pur classique...

Un film d'hommes, certes, mais une réflexion aussi sur l'entr'aide, la fraternité, l'image de soi, celle des autres; un film qui montre les limites de la possibilité de tenir compte des autres dans certaines situations extrêmes. Clouzot étant Clouzot, on sait que Vanel et Montand ont pataugé dans une mixture qui n'était sans doute pas du chocolat au lait lorsqu'il a fallu tourner la scène célèbre de la mare de pétrole, et le réalisme du film entier est d'une rare âpreté. Mais c'est un classique aussi de par sa forme si cohérente, avec cette intrigue qui passe par la description minutieuse et remplie de présages (La mare au milieu du village, les camions qui vous éclaboussent: rien n'est gratuit) de ce village dans lequel un drame futur va prendre naissance...

 

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Published by François Massarelli - dans Henri-Georges Clouzot Criterion