Dans les belles provinces du Canada, un certain nombre de pilotes licenciés se font une concurrence acharnée pour transporter vivres, biens et personnes depuis les grandes villes jusqu'aux rivages des lacs... Mais Brian MacLean (James Cagney) casse tellement ses prix et est tellement rapide qu'il provoque un ressentiment particulièrement vivace chez ses concurrents. Ce sont les mêmes, pourtant, qui vont s'allier pour tenter de se faire enrôler dans l'armée Canadienne, afin de prêter main forte à l'effort de guerre...
Tout ce qui précède n'estque folklore, ce film est surtout l'histoire de quatre ou cinq fiers à bras à la date de péremption un peu passée qui veulent absolument remplir leur devoir patriotique. Le technicolor resplendit, et le film oscille entre scènes de camaraderie un peu forcée, frasques généralement malhonnêtes de James Cagney, démonstration de la décence générale de l'armée (air connu) et propagande pure et simple. Il sera beaucoup question de sacrifice, ici, jusqu'à l'obsession, et on constate que Michael Curtiz, même en piltage automatique, fait quand même bien son travail... Pas plus.
Dans le Sud profond, un brocanteur un rien excentrique, Hank Martin (James Cagney), se marie avec une institutrice venue de Pennsylvanie: c'est un coup de foudre... Sauf que la jeune femme va très vite se rendre compte du comportement parfois imprévisible de son mari, qui s'emporte contre les gros propriétaires locaux, qu'il accuse de vouloir escroquer les petits fermiers. Il se lance en politique pour faire face à une menace (bien réelle, et bien motivée aussi) de procès en diffamation. De plus en plus, la population suit Hank, qui va se lancer dans la course au poste de gouverneur. Mais est-il vraiment insensible à la corruption?
C'est un film passionnant, tant par ses qualités indéniables que par ses défauts. Cagney joue un personnage comme il en a existé des dizaines, souvent interprétés par Lionel Barrymore (You can't take it with you, de Capra): des hommes qui sont une incarnation excentrique mais parfaitement valide du bon sens populaire... Walsh, en conteur, s'amuse beaucoup de faire glisser son film dpuis le début, de la comédie pittoresque à la fable politique, tout en nous montrant la façon dont un politicien peut faire évoluer son discours et son action publique d'un bon sens, justement, de bon aloi, vers un populisme de plus en plus douteux, et aller jusqu'au fanatisme. Le film, de fait, est parfois étonnant (le procès d'un homme en train de mourir au tribunal), et souvent très amer.
Nous n'allons pas jouer au jeu stérile des analogies, mais ce film arrive à point nommé pournous rappeler à la prudence, et pour montrer qu'on a besoin d'un gouvernement, de régulation, sinon comme dans le film, les petites gens seront à la merci de ceux qui vont les écraser... Et c'est bien de gangsters qu'il s'agit. Cagney, on n'y échappe pas, en fait vraiment des tonnes, mais il adopte une truculence Sudiste, ou du moins ce qu'il en traduit... Le film possède une énergie prenante, et quelques audaces aussi: comment s'attendre à ce que cette aventure extra-conjugale (avec la petite Anne Francis, tant qu'à faire) passe comme une lettre à la poste, au point que l'épouse légitime n'en saura finalement rien: comme un clin d'oeil au public, en quelque sorte. C'est paradoxal, puisque c'est un péché que Hank Martin n'expiera pas; mais aussi, Verity, la très comme il faut épouse quaker de Hank, est aussi notre "laisser-passer" dans le film, à nous tous qui ne sommes pas sudistes...
A propos de Sud, c'est une fois de plus une version idéalisée de la région qui nous est montrée, mais si on s'étranglera un peu d'entendre la foule reprendre massivement l'air du John Brown's body, qui fut l'un des hymnes du Nord durant la guerre civile, Cagney envoie quand même un message subliminal, quand il prend à témoin un majordome Afro-Américain, en demandant à son interlocuteur si le domestique est "suffisamment un être humain", sous-entendant que pour celui qui parle, soit Hank Martin lui-même, n'en croie pas un mot. Tiens donc... Et c'était deux ans avant le boycott des bus qui allait créer l'étincelle du combat pour les droits civiques.
Reste un aligator tellement faux, que je pense que ce vieux briscard de Walsh, qui nous montrait Gary Cooper aux prises avec ces bestioles dans les Everglades (Distant Drums) et plaçait Douglas Fairbanks face à un dragon (The Thief of Bagdad) nous avait habitué à moins cochonner sa ménagerie!
C'est un film plusieurs fois paradoxal: à la fois un film de prestige et un tournage bâclé, un casting prestigieux et une note en bas de page de la plupart des filmographies de ses protagonistes, un film de John Ford ET un film de Mervyn Le Roy... Avec avantage évident au premier, mais ce n'est pas clair...
Le film conte la vie sans enjeu à bord d'un bateau stationné dans le Pacifique, sous la responsabilité d'un capitaine despotique (James Cagney) et détesté de tous: l'équipage, mais aussi son lieutenant Doug Roberts (Henry Fonda), le médecin du bord (William Powell) et un jeune officier qui en quatorze mois a réussi à éviter de croiser son supérieur tellement il lui fait peur (Jack Lemmon)... Roberts reste la mascotte de l'équipage, à force de faire tampon entre les hommes et leur capitaine... Pourtant il souhaite ardemment quitter le navire, non seulement pour échapper à son officier, mais surtout parce qu'il souhaite faire son travail de soldat, ce que la vie indolente du bateau ne lui permet pas de faire. Seulement, en conflit permanent, le capitaine refuse de l'aider à se faire muter.
Le tournage n'a pas été de tout repos: Ford a, paraît-il, été infect sur le plateau, en cherchant constamment des poux dans la tête de Fonda et surtout de Cagney. Pour Fonda, on peut sans doute l'expliquer, puisque le réalisateur vétéran le considérait, comme John Wayne, comme une de ses propres créations à tort ou a raison, et appréciait sans doute peu le fait d'avoir été engagé sur un projet qui venait de l'acteur. Ca ne justifie en rien, mais ça explique... Pour Cagney, en revanche, ça a l'air particulièrement gratuit, et l'acteur ne s'est pas gêné pour opposer une fermeté face à son metteur en scène, que Ford a rarement eu face à lui... Au final, Ford a quitté le plateau, d'autant qu'il était sujet à de sérieux ennuis de santé. Deux metteurs en scène l'ont remplacé, Mervyn Le Roy (qui selon ses dires à imité le style de Ford!) et Joshua Logan, auteur de la pièce, qui a retourné des scènes à la demande de Fonda.
Le résultat porte deux empreintes: une, anonyme, qui peut être aussi bien celle de Logan que de Le Roy, puisqu'il s'agit d'une stricte tendance à filmer les acteurs récitant le texte de la pièce (Le Roy avait tendance à le faire à cette période). On s'apprête à bailler, mais... Fonda, Powell, Cagney, Lemmon. L'autre marque stylistique est du pur Ford: des premières prises, bonnes ou mauvaises, remplies de santé comme pétries de menues erreurs techniques, assez typiques de ce que le vieux réalisateur pouvait faire y compris dans des projets plus personnels (il y a de éléments de ce genre y compris dans The searchers)... Et il y a des moments où certains acteurs, Fonda en particulier, sont de façon évidente saouls. C'est donc du Ford, brut, mal poli, grossier et sans filtre. Y compris, donc, quand c'est du Le Roy imitant Ford!
Pourtant, dans cette comédie de caractères, située sur un bateau en plein Pacifique, il y avait vraiment de quoi attirer le metteur en scène: c'est l'univers dont il se réclamait, et ça se voit aussi dans la façon dont il a mis en valeur les anecdotes pendables, les farces, les resquillages de toutes sortes sur le bateau, où désobéir devient un art. Le temps devient suspendu comme dans la vie au fort dans les films du cycle de la cavalerie... Ford, qui tenait son passage dans la Marine comme le point culminant de sa vie, a quand même du apprécier un peu ce tournage.
Après, tout est affaire de goût: bien sûr que c'est un film mineur, ce n'est pas pour autant un film indigne (il y en a chez Ford, ils s'appellent What price Glory? avec... James Cagney, et The rising of the moon, qui est l'un des pires moments de sa carrière): on y retrouve cet univers foutraque et sympathique, ce sentimentalisme aviné, ce refus de la sophistication qu'on trouve dans tant de ses films. Et puis... il y a Ward Bond, Harry Carey Jr, Jack Pennick et Ken Curtis!
Lemmon y a gagné ses galons de future vedette, Fonda y fait des adieux probablement très douloureux à son mentor et ami John Ford, et William Powell y fait ses adieux au cinéma avant de prendre une authentique retraite bien méritée... Ce n'est pas rien.