
Après The tower of lies, son troisième film MGM hélas perdu, The scarlet letter ressemble à une nouvelle tentative du metteur en scène de retrouver un petit bout de la Suède qu'il avait quittée... Non qu'il soit particulièrement nationaliste! Mais The Tower of lies, comme Körkarlen (La charette fantôme, 1921), était une adaptation d'un roman de Selma Lagerlöf.. Le metteur en scène y retrouvait Lon Chaney et Norma Shearer, ses interprètes de He who gets slapped. Et The Scarlet letter lui offrait l'occasion de travailler avec Lars Hanson, qui avait été l'interprète de Mauritz Stiller, dans Erotikon (1920) et Gösta Berlings Saga (1924), qui lui avait valu une invitation pour se rendre à la MGM... Et The scarlet letter, adaptation d'un roman publié en 1850 par Nathaniel Hawthorne, a beau être l'un des premiers classiques Américains majeurs, son contexte (L'univers rigoriste des puritains de la nouvelle Angleterre au beau milieu du XVIIe siècle) le rend presque cousin de certains films Suédois.
Et Sjöström s'en est donné à coeur joie!
Mais soyons juste: y compris quand on admire le metteur en scène, ou quand on est sensible à la réussite éclatante d'un film muet Américain, ou qu'on se passionne pour les évocations de ce passé lointain de l'Amérique, on ne peut pas passer sous silence le fait que la principale attraction de ce film, un authentique chef d'oeuvre, est en réalité son actrice principale, dont d'ailleurs un grand nombre d'historiens estiment qu'on tient avec The scarlet letter son meilleur film...
Lillian Gish a souhaité fortement que ce film se fasse, elle a été celle qui a porté le projet, dès son arrivée au studio, et après le galop d'essai de La Bohème. Elle savait que le film risquait de poser problème auprès du comité Hays, qui était en charge de la censure interne aux studios. Elle a donc plaidé la cause du projet, qui incluait en réalité une critique féroce de la religion telle qu'elle était pratiquée à l'époque des Puritains à Boston et dans toute la Nouvelle-Angleterre. Il y était question d'adultère, un sujet qu'on n'allait en aucun cas pouvoir édulcorer, car la lettre dont il est question dans le titre, c'est le A de Adultère...
A Boston, un dimanche, la population se rend à l'office, mais la couturière Hester Prynne est en retard: elle a vu son oiseau s'échapper de sa cage, et elle souhaite le rattraper. Quelques braves citoyens l'ont vue courir, les cheveux d"faits, et portent le message au pasteur: le révérend Dimmesdale n'est pas forcément du genre à s'offusquer, mais prenant acte de la demande de ses paroissiens, il fustige son inconséquence en public... Et la retrouve le lendemain, au pilori, pour avoir enfreint une règle de bienséance religieuse. Il prend sur lui de la relâcher, et la raccompagne jusqu'à son perron. Quelques temps plus tard, ils se rencontrent par hasard dans les bois, et la jeune femme lui déclare son amour. Il hésite, et...
Quelque temps plus tard, en hiver, il vient lui annoncer qu'il a été désigné pour se rendre à la cour d'Angleterre afin de porter des messages à la couronne de la part de la colonie. Il lui propose de l'accompagner, après un mariage en bonne et due forme, mais la jeune femme lui annonce être mariée: avant de quitter l'Angleterre, elle a été forcée à accepter la main du chirurgien Roger Prynne avant de partir, mais lors d'un voyage, celui-ci avait disparu. Elle ne l'a jamais revu, et l'union n'avait jamais été consommée... Dimmesdale part donc seul, mais il est décidé à ce qu'à son retour les choses changent.
Quand il revient, Dimmesdale va devoir constater qu'effectivement les choses ont changé. C'est l'été, et Hester a accouché d'une petite fille, qui s'appellera bientôt Pearl, et que la population de Boston regarde avec un dégoût insurmontable. Sa mère est désormais prie de vivre à l'écart, et de porter jusqu'à la fin de ses jours, brodée sur ses vêtements afin que chacun puisse la voir, une lettre A, pour la marquer de son adultère. Mais Hester refuse de nommer son amant, et demande au Pasteur de ne pas se dénoncer... Les choses vont encore plus se compliquer quand, délivré d'un séjour forcé chez les indiens, le chirurgien Prynne revient. Et on ne peut pas dire qu'il soit très satisfait de voir ce qui est advenu de son épouse.
Dès les premiers plans, Sjöström semble avoir installé ses caméras dans une communauté de la nouvelle-Angleterre au XVIIe siècle, et nous la montre en action: c'est dimanche, et tout le monde se rend à l'office. Avec leurs costumes en noir et blanc et leurs grands chapeaux (Les garçons dès leur plus jeune âge sont habillés à la mode de leurs pères), ils y vont tous comme un seule homme, et tout le village passe dans la même direction. Deux plans s'insèrent dans cette belle ordonnance, qui nous renseignent sur la teneur de cette folie religieuse: la caméra cadre un parterre de fleurs, et monte doucement, incorporant, derrière les fleurs, la vision d'un homme qui se morfond derrière des barreaux. Puis un plan nos montre les cloches qui sonnent à toute volée, se balançant joyeusement... Mais la caméra descend et nous montre un autre homme qui est mis en cage au beau milieu de la place publique, forcé d'exhiber un carton qui annonce la couleur: Drunk (Ivrogne). Puis dans l'église, un autre homme qui a contesté un passage des écritures est tenu à l'écart. Mais Dimmesdale (Lars Hanson) est déterminé à ne pas l'exclure, lui promettant un retour dans la communauté... C'est cet esprit de tolérance qui le fait passer pour un saint auprès de la communauté, et qui va justement le précipiter dans les bras d'Hester.
Hester, parlons-en: c'est l'un des rôles les plus riches et les plus beaux de Lillian Gish, qui a été fascinée par la femme-enfant, qui découvre l'amour pur dans un monde qui est fait de la plus pure intolérance... Et qui a beau savoir qu'elle va pécher, le fait en petit bout de bonne femme déterminée à ne pas laisser échapper une occasion de parler à l'homme qu'elle aime depuis le moment ou il l'a soulagée de son supplice, au début du film. Elle l'aime, d'ailleurs, comme beaucoup de paroissiens, car il est cet homme si rigoureux et si bon... Mais quand elle le tient, c'est elle qui le suit, le colle même, jusqu'à ce qu'il accepte de lui parler. Le metteur en scène joue sur les ruptures de ton, en montrant les lois de la colonie, imposant aux femmes de laver leurs effets intimes à l'écart de la société. Hester, comme les autres, doit donc laver ses culottes en cachette, ce qu'elle est en train de faire... Mais elle entend le bruit des pas d'un homme, et tente de se cacher. La voyant s'enfuir, le pasteur s'imagine qu'elle est à nouveau en train de contrevenir aux règles de la communauté, et la scène se déroule dans le pur style de la comédie, jusqu'au moment ou Dimmesdale courroucé intime l'ordre à Hester de lui montrer ce qu'elle cache derrière son dos... Et est particulièrement gêné quand la jeune femme s'exécute, en pouffant de rire. Mais la scène se mue en un tendre jeu amoureux, Dimmesdale reprenant son pas afin de se donner une contenance, mais n'ayant nulle part ou aller... Et chaque pas, dans un sens ou dans l'autre, le voir suivi par Hester qui le regarde avec la douceur d'une petite fille. Finalement, Hester jette, fort symboliquement, la culotte dans les buissons, et les deux amoureux s'éloignent littéralement des sentiers battus, pour une conversation sur les sentiments, avant qu'ils ne s'abandonnent.

On pourrait citer tant de choses dans ce film à la construction riche, et avec son personnage de femme amoureuse qui se sacrifie à la cause de son amant, alors que celui-ci montre, de plus en plus, des signes physiques de délabrement, qui sont aisés à expliquer, car on voit à un moment, le pasteur de dos qui approche un tison de son torse... Sans savoir l'implication de ce geste, ni la totalité de ses conséquences. Mais Sjöström a pris le parti de ne pas nous donner à voir un film qui joue de quelque façon sur le coup de théâtre, tout est inscrit dans un narration fluide, et les annonces de ce qui va arriver abondent... Du moins dans une copie intégrale du film. L'exemple le plus frappant est sans doute la scène de l'hiver, quand Dimmesdale apprend de la bouche d'Hester la vérité sur son passé. Durant toute la scène, les ombres jouent un rôle pour donner à la séquence un ton beaucoup plus noir que prévu. Et quand il est parti, l'ombre d'un rouet se détache sur la robe de Lillian Gish, et son centre est situé sur son ventre... Dans la séquence suivante, l'été est là, et l'enfant aussi. L'arrivée de Roger Prynne, interprété par Henry B. Walthall en mode sinistre, est l'occasion de montrer la menace qu'il représente sur Hester et Pearl: Sjöström nos le montre, silhouette inquiétante qui rode dans la nuit, se confondant avec la lande inhospitalière.
Des scènes qui contrastent avec la comédie fournie par Karl Dane: l'acteur Danois, star mineure à la MGM de comédies, révélé par sa participation à The big parade aux côtés de John Gilbert, est utilisé pour moquer de façon légère le rigorisme protestant au quotidien, et fournit parfois son aide désintéressée à Hester Prynne dans le rôle du barbier Giles. Mais la cible des scènes dramatiques reste bien sur la religion et sa folie de rigueur et d'intolérance; je pense d'ailleurs que le spectateur de 1926 a probablement décodé l'intention du metteur en scène, de montrer l'un des péchés les plus sévèrement réprimés comme étant l'ivrognerie. Ce n'est certainement pas un hasard...
Mais le meilleur moyen de ranger les spectateurs à ses côtés dans cette critique de la religion à tout prix, était de donner le premier rôle à Lillian Gish, et de réussir l'impossible: car Sjöström a réussi là ou tant d'autres se sont cassé les dents: il incorporé la notion d'amour physique à son personnage, et donné de la véracité à l'idée que la jeune femme puisse vouloir coucher avec Lars Hanson, sans perdre sa sainteté! Et l'un des moyens utilisés par l'actrice et le metteur en scène sont une denrée rare à l'époque de la coupe "garçonne": la chevelure de Lillian Gish, car l'actrice ne s'était pas fait couper les cheveux depuis les années 10. Deux scènes, situées l'une au début et l'autre à la fin du film. La première scène la voit perdre sa coiffe en courant pour rattraper son canari, mais la dernière nous la montre arracher sa lettre rouge, et défaire ses cheveux, pour affirmer sa liberté à Dimmesdale et lui redonner du courage... La femme-enfant, et la femme aimante, réunie dans une cohérence thématique exemplaire.
Le film a eu du succès, ce qui n'était pas gagné: car après un démarrage de la MGM en fanfare (Voir He who gets slapped, le premier film -tragique et sans ambiguïté- de la firme du lion), le studio fuyait quand même de plus en plus clairement les fins tristes. Ici, Sjöström a réussi à incorporer une fin inattendue, qui permet à l'ensemble d'assumer la tragédie tout en laissant la porte ouverte à un futur plus heureux. A ce titre, une fois de plus il est important de voir la version complète de ce film dans laquelle on assiste au rapprochement inattendu, dans la foule qui s'est pressée pour assister à la mort inattendue d'un homme, de "Maître" Giles, le barbier comique, et de la femme qu'il avait sans succès essayé de séduire dans une scène située au début du film. L'avenir, nous dit Sjöström, passe par la vérité des sentiments, pas par des règles rigoristes intolérantes et haineuses. Et Sjöström a signé là l'un de ses plus beaux films...