En visite près d'une ferme, Daffy Duck observe les chamailleries de Foghorn Leghorn le coq Sudiste, et du chien de la maison. Au vu de la radicalité des moyens employés, il se dit que c'est le moment de placer sa marchandise: il vend du matériel pour blagues méchantes...
C'est pendre l'idée de Acme, dans les dessins animés consacrés au Coyote, à l'envers, et après tout pourquoi pas? Mais si le chien est à demi plaisant, le coq ne l'est pas: je ne comprendrai jamais, non seulement qu'on ait confié un budget à McKimson pour ces films consacrés à ce héros, un coq insupportable et qu'il n'a jamais rendu drôle, ne serait-ce qu'au point de nous arracher un vague sourire... Mais je ne comprendrai jamais non plus comment McKimson a pu s'imposer en tant que metteur en scène à la Warner, avec l'indigence de ses films, sans odeur, sans saveur, sans conviction, torchés vite faits et mal faits...
Elmer n'a pas chassé, mais il ramène un lapin chez lui, et très rapidement, Bugs Bunny déjoue sa tentative de le transformer en civet... Mais il revient, parce qu'il estime que le bonhomme est une cible trop facile, donc à ne pas rater! Gratuitement donc, le lapin lui-même motive les deux derniers tiers du dessin animé!
Il y sera question d'une maladie fictive, la rabbitite, et comme l'univers se plie le plus souvent aux caprices de la star Bugs Bunny, on se doute qu'elle risque fort de devenir authentique avant la fin de ces 8 minutes...
Visuellement, le film est assez curieux: si le crédit est donné à Chuck Jones (ce dont le design d'Elmer fait foi, d'ailleurs), des bribes d'animation ne s'intègrent pas tout à fait à l'ensemble. Bugs Bunny y passe d'ailleurs de son design tel que Chuck Jones le représentait, à des vues plus gauches, qui donnent l'impression d'une animation pas toujours finie. Il se peut, c'est arrivé parfois, que le film ait changé de main pendant la production, et qu'il soit (c'est une hypothèse) passé par celles de l'animateur Bob McKimson. Celui-ci a débuté la réalisation à peu près à cette époque, et il avait une façon assez distinctive de dessiner Bugs, différent dans ses proportions.
Bob Clampett a quitté son poste d'animateur sur les films de Tex Avery en 1937, pour devenir réalisateur à part entière. Il est resté au studio de Leon Schlesinger jusqu'à 1946, partant faire des films ailleurs, des films qui à mon sens n'ont pas grand intérêt. Par contre, les neuf années d'activité au service de la WB sont d'une richesse impressionnante, et nous sommes nombreux à le considérer comme le plus grand des réalisateurs de cartoon, devant les deux stars incontestées du genre, Chuck Jones (Dont la longévité reste impressionnante, dans un métier qui ne pardonne pas!) et Tex Avery (Adoubé par tant d'historiens de par le monde que plus personne ne semble remettre en doute son importance). Clampett était pour moi le meilleur, parce qu'il ne s'interdisait rien, n'avait donc aucune limite, et était sans doute parmi les réalisateurs de cartoon traditionnel celui qui était le plus éloigné de la philosophie Disney: à un Bambi qui tentait de reproduire la vie par l'animation (Mais... Pourquoi faire?), Clampett opposait en permanence un univers animé fou furieux et motivé par l'absurde, mal dégrossi, parfois agressivement différent, dans lequel les gags étaient parfois invisibles à l'oeil du spectateur (Il faut procéder à des arrêts sur image souvent si on veut profiter pleinement d'un film de Clampett!). Bref, un génie trop grand pour le médium, qui le lui a assez bien rendu.
Et ce génie a, comme tous ses copains de chez Schlesinger, "dirigé" Bugs Bunny... Et ce qui n'est pas banal, c'est qu'alors que de nombreux films de Clampett sont aujourd'hui totalement invisibles pour cause d'attitude politiquement-incorrecte aggravée (Le plus joyeusement navrant de ces exemples étant l'ineffable Coal Black and de Sebben Dwarfs de 1943, qui réactualise Snow White avec tous les clichés possibles et imaginables des Afro-Américains, assumés dans un maelstrom de mauvais goût impossible à visionner au premier degré), les 11 films dans lesquels il met en scène Bugs Bunny sont aujourd'hui disponibles sous une forme ou une autre via la belle collection de DVD et de Blu-rays parue chez Warner dans les années 2000-2010... On peut donc se pencher sur ces onze joyaux et découvrir sur pièces ce qui les différencie de l'univers habituel de Bugs Bunny, car oui, les autres réalisateurs ont joué le jeu et tenté de créer un personnage cohérent: Hardaway et Dalton ont créé le mythe du lapin et du chasseur dépassé par le comportement de l'animal, Avery a créé et raffiné le personnage d'Elmer, ainsi que le rythme particulier des films, tout en trouvant la phrase d'approche définitive ("What's up doc?"), Friz Freleng l'a utilisé comme prétexte à des défilés de losers magnifiques (D'Elmer à Daffy Duck en passant par Hiawatha et bien sur Yosemite Sam), Chuck Jones a joué sur tous les tableaux, par des extensions inattendues de l'univers de Bugs, ou des variations infinies sur la situation de base, et enfin Bob McKimson a tenté une fusion malhabile entre le personnage et une version plausible de notre monde. Clampett, lui, a exploré le reste: la folie de Bugs Bunny, sa méchanceté, ses défauts voire son côté obscur. Il l'a rendu plus humain que les autres en n'hésitant pas par exemple à le voir craquer devant l'hypothèse de sa propre mort (Bugs Bunny Gets the boid), perdre complètement la face devant l'inconnu (Falling hare), et le Bunny qui perd à cause d'une tortue (Tortoise wins by a hare) est autrement plus affecté chez Clampett que chez Tex Avery... Et si tout cela ne suffisait pas, Clampett a tout transgressé, en proposant le plus absurde des meta-Bugs Bunny, une spécialité de Chuck Jones, mais qui n'a jamais été aussi loin que Clampett dans l'admirable The Big Snooze, le (Comme par hasard) dernier des films du réalisateur pour la WB.
The old grey hare(1944) confronte donc Bugs Bunny une fois de plus à Elmer, mais cette fois avec une variation inattendue: les deux vont être amenés à voyager dans les époques: Elmer est transporté à l'an 2000 pour voir si enfin il va y triompher du lapin, et un vieux, très vieux Bugs lui rappelle leur jeune temps.
La pirouette vertigineuse permise par la situation, est la présence d'un album photo que le vieux Bugs montre au vieil Elmer : les images des deux bébés s'animent... Bien sûr, le résultat sera plus sadique et cruel que mignon, rassurez-vous. Les pires horreurs sont bien sûr les ignominies faites par le bébé Bunny au bébé Elmer...).
Moi qui n'aime pas les chiens (sales bêtes) je suis servi: un énorme chien exploite de façon éhontée un chat en l'envoyant faire des grâces dans plusieurs familles, pour ramener de quoi manger, mais l'abominable bestiole n'est jamais contente ni jamais rassasiée... On compatit, et on se demande comment un animal aussi intelligent qu'un chat peut se faire mener par le bout du museau par un roquet, fut-il au format yack...
Mais tout vient à point à qui sait attendre: la fin sera morale et félinophile, ouf!
C'est un film assez typique de l'autre veine des films de Chuck Jones, à l'écart donc de ses Bugs Bunny et Daffy Duck souvent drôles mais souvent redondants, et de la part plus expérimentale de son oeuvre, dont les aventures malencontreuses du coyote maudit étaient sans doute la partie émergée de l'iceberg. Ici, il s'agit d'une veine plus linéaire, logique et familiale, dans laquelle l'auteur se plait à jouer sur le caractère des personnages et leurs attitudes; et pour ça, l'auteur du génial Feed the kitty ne craint personne...
Un camp militaire Allemand est survolé par des avions... Un parachutiste se lance: c'est Daffy Duck... S'ensuit une lutte sans merci entre des nazis et un canard.
Ce dernier n'est pas la créature veule et malchanceuse (a faute à Chuck Jones qui en a fait un anti-Bugs) des dessins animés futurs: Freleng utilise encore les côtés incontrôlables et parfaitement cinglés du personnage tel qu'il a été créé par Bob Clampett sous la responsabilité de Tex Avery. Et son personnage a une légitimité dans ce contexte, en outsider venu semer la pagaille dans l'armée des nazis...
Freleng, dont le forte allait bientôt devenir de réaliser des courts métrages dont l'ingrédient unique serait une confrontation entre une figure d'autorité menaçante mais défectueuse (Yosemite Sam ou Sylvester) et un personnage ayant tout pour être une victime, mais infiniment supérieur intellectuellement (Bugs Bunny, Tweety ou Speedy Gonzales), s'essaie ici à cette figure, avec un officier nazi qui s'en prend plein la figure, mais il est flanqué malgré tout d'un troisième larron, un aide de camp nommé Schultz, qui donne d'ailleurs lieu à un running gag.
Quoi qu'il en soit les nazis ne sont qu'une proie facile pour la folie furieuse de Daffy Duck, qui donne ici son meilleur gag avec une cabine téléphonique... Et un gag autour de la traduction qui débouche sur du loufoque. Notons une allusion à une mystérieuse Myrt, au téléphone, qui vient tout droit de Blitz Wolf de Tex Avery, aussi...
Et puis Hitler s'en prend plein la figure, littéralement d'abord, mais aussi dans un gag sublime, qu'on rêve d'essayer avec Eric Zemmour Eric Ciotti ou Eric Dupont-Aignan: l'officier Nazi passe près d'une tente, et se fend d'un salut agrémenté d'un "Heil Hitler" retentissant... Mais c'est un putois qui sort de la tente. L'erreur était bien compréhensible. L'officier, gêné mais fataliste, nous prend à témoins de sa méprise...
Ce film est une fois de plus un de ces faux documentaires contenant anecdotes et vignettes autour d'une thématique: cette fois, il s'agit de l'armée et de ses nouvelles recrues, le décor est donc une base d'entraînement, avec ses tentes, et ses jeunes aspirants. Tous les gags tournent autour de cet aspect, et le ton est bon enfant... Un avant-goût inoffensif de ce que la production des courts métrages d'animation allait devenir chez Warner, après Pearl Harbor...
C'est d'ailleurs certainement symptomatique d'une nation entière qui devait bien se douter vers quoi le pays allait, l'intervention devenant inéluctable. La production de ces courts métrages le reflète: même sans déclaration de guerre, et en dépit d'une forte attente de non-intervention, le sujet de l'armée, de ses forces, de la préparation des recrues actuelles et futures, tous ces sujets étaient dans l'air...
Ca reste pourtant typique de Freleng: léger, sans la méchanceté caractéristique ou le délire absolu des films de Bob Clampett, sans la dent dure des films de Tex Avery. Freleng observe, transcrit ou illustre, il se fait constamment plaisir avec le rythme et la musique, mais son film n'a pas de possibilités d'interprétations idéologiques, et son absurde reste, aussi inattendu que ce soit possible, très premier degré. Bref, c'est de la rigolade...
Dans une ferme, deux canards attendent un heureux événement... L'oeuf est noir, et quand il se rompt, le nouveau né a une petite moustache carrée... Devenu adulte, la chose confirme toutes les craintes de son entourage: violent, intolérant, méchant et agressif, il va malgré tout devenir copain avec une oie énorme qui parle avec un abominable accent italien, puis ils seront rejoints par un canard Japonais.
Le film multiplie les allusions aux conflits en cours, à la politique expansionniste et dictatoriale des peuples alliés à l'Allemagne, et tant qu'à faire les piques les plus osées aux trois dictateurs. Accessoirement, on pourra toujours objecter, devant la force de l'attaque, que la représentation des Japonais effectuée dans le film est odieuse, mais... Propagande oblige, sans doute. Quoi qu'il en soit, voici un film hautement inflammable, à l'animation survoltée...
Pour finir, bien sûr, le film s'inscrit de plain-pied dans l'effort de guerre, en finissant sur un rappel: si on veut (comme c'est le cas dans le film, et de manière radicale) se débarrasser du problème des dictateurs visés par ce court métrage, on peut participer en achetant des bons de la défense.
Un narrateur passe en revue divers aspects de la préparation des fermiers Américains face à une hypothétique attaque des forces de l'axe: le film accumule les gags visuels autour des possibilités, et oui, fatalement, il y aura un jeu de mots autour de la race de chiens Spitz, de l'avion Spitfire et du fait de cracher! C'est généralement idiot, facile, et assez loufoque.
C'est surtout impressionnant, de constater que Clampett, y compris en participant à l'effort de guerre, maintient bien vivant son mauvais esprit triomphal. Un film à la fois anecdotique et indispensable, donc.
Un chien jaloux de sa position chez ses maîtres mène une vie infernale au pauvre chat qui devient facilement le bouc émissaire de son mauvais esprit...
Enfin! Un film qui ose dire la vérité sur les chiens et les chats, nous présentant ce dernier comme la victime évidente des pires saletés, et le chien comme un être corrompu, vil, calculateur, menteur et malhonnête. Ca fait du bien...
Sinon, c'est aussi un film qui arrive à la fin de la première partie de la carrière de Jones, qui avait un graphisme superbe à l'époque, avant de s'égarer dans une recherche de la stylisation angulaire... C'est donc fort beau.
Le film s'intéresse uniquement aux enseignes en néon et autres lumières intrusives de la vie citadine en 1942, en s'adonnant à moult jeux de mots et autres visualisations loufoques...
Ca fait partie de ces courts métrages géniaux et irracontables, dans lesquels les équipes de Leon Schlesinger se faisaient plaisir sans pour autant s'obliger à suivre ou animer un héros... Des films hautement inventifs, dont Tex Avery et Bob Clampett étaient les maîtres. On attendait moins Freleng sur ce terrain, mais il s'en sort très bien... C'est très rythmé, très musical, sans l'ombre d'une goutte de bons sentiments.