Dans un petit poste de police municipale, une jeune femme a été appréhendée pour kidnapping... Et parce qu'en plus, avec la petite qu'elle a kidnappé, elles couraient nues dans la montagne... Camille (Alice de Lencquesain) est très énervée, assez atypique, et pour tout dire obsédée par un désir d'enfant, qui passe obligatoirement par le kidnapping. D'une part, c'est plus rapide, et de son point de vue ça peut lui permettre de "sauver un enfant" de l'influence néfaste de ses parents... Ce sera la mission de Clément (Anthony Sonigo), policier stagiaire, de la remettre, si possible, dans le droit chemin...
C'est une jolie comédie, qui passe par des chemins assez loufoques, confrontant un policier timide et effacé et une personne sans filtre, dont il va évidemment tomber amoureux... Le film s'amuse de les placer ensemble, et de montrer Clément se charger de la "rééducation" impossible de sa nouvelle amie. C'est frais, parfois brut de décoffrage, et les deux acteurs sont excellents...
1840, dans le Sud profond, les maxwell, père (James Mason) et fils (Perry King) ont une plantation certes d'aspect miteux, mais ils ont une réputation; ils ont aussi beaucoup d'esclaves à revendre... Littéralement: le vieux Maxwell se sent une âme d'éleveur, et a une philosophie qui lui permet d'avoir réponse à tout concernant les relations entre maître et esclaves: pour chaque faute commise, une punition sera vite trouvée; pour éviter que les esclaves soient trop savants, il faut à tout prix les empêcher d'avoir de la religion; les jeunes esclaves se doivent d'être déflorées par leur maître, et... il est important de garder une esclave pour les besoins sexuels, parce que les blanches n'aiment pas ça!
Et justement, il est temps pour Hammond Maxwell, son fils, de se marier, et son père a décidé que ce sera avec Blanche (Susan George), sa cousine... Mais Hammond (qui n'a jamais eu de rapports avec une blanche) découvre qu'elle n'est pas vierge. La zizanie s'installe dans le couple, poussant Hammond à se consoler avec la jeune Ellen, une esclave, et Blanche à boire plus que de raison, et à chercher un moyen d'atteindre son mari qui la néglige...
Père et fils ont une ambition, celle d'élever un "mandingue", soit un esclave-étalon: durant son voyage pour aller chercher sa fiancée, Hammond est tombé sur la perle rare, Ganymede (Ken Norton): non seulement sa carrure le rend particulièrement attractif, mais en prime il est doté de qualités qui en font certainement, aux yeux de tous ces obsédés de la "race", un excellent géniteur.
Bon, je pense qu'on peut arrêter de tourner autour du pot: aujourd'hui, en argot Américain, mandingo est l'un des 457 surnoms donnés au pénis, et je ne serais pas étonné que ce film puisse être à l'origine de ce fait linguistique! Pourtant le film évite d'être trop explicite sur le sujet, et le personnage de Ganymede, surnommé Mede, va surtout être exploité pour sa force physique globale... Par Hammond qui le fait combattre; par le vieux Maxwell qui lui impose de s'accoupler avec une autre esclave physiquement avantageuse; et enfin par Blanche pour sa vengeance...
Le film se repose un peu sur Gone with the wind, dont on se sert ici comme d'un repoussoir. A la plantation de grand standing des O'Hara, se substitue donc une demeure sale et négligée, aux pelouses qui ont pris leur indépendance. Aucune noblesse chez les Maxwell, qui ont depuis longtemps fini par s'accommoder de leur vie de maîtres d'esclaves en ne faisant absolument plus rien; le vieux se perd donc en considérations variées, tenant des conversations hallucinantes sur le pouvoir animal des esclaves pour absorber les rhumatismes (d'où une impressionnante partie du film dans laquelle Mason s'assied, les pieds sur un garçonnet...), et ne manquant pas une occasion de rappeler que pour eux les esclaves sont des animaux, rien de plus... Quand une adolescente est malade, on appelle même le vétérinaire. C'est principalement dans les 20 premières minutes que toutes ces notations dérangeantes sont placées.
Néanmoins, il n'échappera à personne qu'à côté des tant convoités Mandingos, les Maxwell sont un bien piètre échantillon humain! Le père est gâteux et perclus de rhumatismes, le fils est boiteux, et la belle-fille est alcoolique et s'est formée à sa sexualité avec son frère... Du coup, la possession d'un super-esclave devient plus qu'un enjeu de société (car c'en est un, au vu de la façon dont les prix s'envolent quand un "Mandingue" est mis aux enchères), mais un reflet de leur force et de leur humanité perdues... un reflet aussi de leur frustration. Un reflet enfin d'une civilisation destinée à disparaître dans le chaos, car il n'échappera à personne que dans ce film, les esclaves sont tous nommés de noms historiques européens, grecs et romains, de Cicéron à Lucrèce Borgia, en passant par Agamemnon, ou encore Ellen (Hélène)... Oui, cette société est condamnée à... être emportée par le vent, bien entendu.
C'est aussi la dimension Shakespearienne du film qui se manifeste d'ailleurs, à travers cette famille dont le père souhaite maintenir une lignée, contre l'avis de son fils qui souhaiterait tant se contenter de ses esclaves. Il est d'ailleurs atypique, car il développe des sentiments pour elles, et est perturbé quand il doit punir l'esclave Agamemnon. Et le scandale viendra de Blanche, la si opportunément nommée, qui se comportera de telle façon que personne ne discutera quand il sera question de la tuer en douce. Tout ça, se finir dans le chaos, dans le sang: fin de règne, filiation contestée, épousée qui devient le ver dans le fruit... du Shakespeare, je vous dis!
Mais du Shakespeare scandaleux. La réputation désastreuse de ce film est peut-être forgée à partir de ses nombreuses provocations (nudité à gogo, scènes sensuelles, discussions franches sur la sexualité, discours racial immonde) mais aussi sur une certaine tendance à l'exploitation pure et simple (Fleischer qui venait du Hollywood des années 50 s'est bien accommodé du ton libre des années 70, au point que le film subira de nombreuses coupes dans de nombreux pays, et même en Scandinavie! )... Un autre aspect est son interprétation souvent excessive, qui devient assez vite agaçante! Pourtant, il aborde la question de l'esclavage en refusant le pittoresque auquel tant de films nous ont habitués. Il y situe bien le troublant double standard de l'interdit (un noir avec une blanche) et de la tradition (un blanc avec une noire) comme le montre bien l'affiche ici présente... Il est sans doute le premier film à montrer avec autant de précision l'exploitation systématique de l'homme par l'homme, l'obsession de l'animalisation des êtres humains par le système économique de l'esclavage...
Autour d'un strip-club de Toronto, nous faisons la connaissance d'un certain nombre de personnages: Francis (Bruce Greenwood) travaille pour le trésor, et semble tromper son ennui en se rendant au club Exotica, où il est obsédé par la jeune danseuse Christina (Mia Kirshner)... Un jour, il a un geste déplacé, et il est mis dehors sans ménagement; Christina, de son côté, à un lien étrange avec Eric (Elias Koteas), le DJ du club, qui la protège assez agressivement, et l'observe depuis les coulisses, surveillant en particulier ceux avec lesquels elle danse en privé... Thomas (Don McKellar), un zoologue qui trafique des oeufs d'oiseaux rares qu'il fait entrer en contrebande dans le pays, séduit des hommes en les invitant à l'opéra et au ballet. Mais un jour, il séduit un douanier qui lui confisque des oeufs qu'il était en train de faire incuber. Francis qui fait un audit de son magasin lui propose de l'aider si Thomas accepte d'entrer en contact avec Christina et de lui demander pourquoi elle a réagi de façon négative. Enfin, pour couronner le tout, Francis a une étrange relation avec une jeune fille (Sarah Polley) qui vient faire du baby-sitting chez lui, alors qu'il n'y a pas d'enfant...
Le film se pose en énigme, sans explication, en nous livrant de façon assez arbitraire le vécu des personnages en situation, dans une narration qui les met presque accidentellement en contact, parfois directement (Christina et Francis, bien sûr, dont on comprendra assez vite qu'ils se connaissent) et parfois avec une impressionnante dose de subtilité subliminale, par exemple à travers un motif: Francis parle à son beau-frère d'un oiseau, il va ensuite poser une question à Thomas sur l'espèce et on apercevra quelques minutes plus tard Eric, à son pupitre de DJ, un oiseau empaillé à son côté, réplique exacte de celui qu'on a vu. Un costume de collégienne, porté par Christina, s'avèrera aussi être l'une des clés de l'énigme contenue dans le film, et apparaît par bribes lors des passages chez Francis. Enfin, un flash-back unit Eric et Christina lors de leur rencontre, à une battue organisée pour retrouver... pour retrouver qui, ou quoi?
C'est intéressant de constater qu'au final le film évoque dans les grandes lignes de se concentrer sur ce qui est supposé être le nerf de la guerre dans le business du strip-tease: le sexe. Pas de sexe, ou plutôt plus de sexe pour Christina et Eric qui sont séparés, et la jeune femme semble même avoir refait sa vie avec la patronne (Arsinée Khanjian)... qui attend un bébé d'Eric, c'est effectivement compliqué! On craint une entourloupe, voire des tendances pédophiles, chez Francis, mais son problème est ailleurs: sa relation avec la jeune Tracey semble dénuée de toute équivoque, et son obsession pour la strip-teaseuse habillée en écolière est bien plus profonde qu'il n'y paraît... Enfin, Thomas tente des approches pour séduire des hommes, mais n'y réussit qu'une fois... et ce sera une mauvaise pioche! Ironiquement, le strip-club devient le reflet d'une société qui est passée par le sexe, mais n'a pas pu s'y attarder, et cherche une échappatoire dans le souvenir, la recréation, et des fantasmes vides... Un film en forme de passage dans des vies brisées qui semble ne prendre de sens que les unes en fonction des autres...
Au nord de l'état de New York, c'est l'été; Ned Merrill (Burt Lancaster) s'introduit chez des voisins qu'il n'a pas vu depuis longtemps pour piquer une tête dans la piscine. Tout le monde est ravi de le voir, mais il ne souhaite pas rester: se rendant compte que toutes les propriétés situées entre celle où il se trouve et la sienne ont des piscines, il prend la décision de "rentrer chez lui à la nage" en utilisant les piscines présentes sur le chemin! Il part donc, et va croiser beaucoup de gens. Certains seront vaguement accueillants. D'autres hostiles. D'autres, enfin, très agressifs. Et sur le chemin, on va apprendre que Ned n'est pas en très bonne posture financière: tous ses voisins le savent...
Côté face, une allégorie: celle de l'homme qui va de piscine en piscine pour se mesurer d'abord à la fraternité, puis à l'hospitalité, et pour finir à l'hostilité et la méchanceté des gens qui, après tout, ne lui ont pas forcément donné le droit de franchir les limites de leur propriété! Le film utilise l'eau, et la quasi-nudité permanente de Burt Lancaster (qui tombe le maillot de bain à un moment, si ce genre de vision joufflue vous intéresse, d'autant que le monsieur est musclé: presque autant que moi!) pour faire de ce périple étrange une série de révélations progressives d'une vie ratée.
Côté pile, c'est... raté, justement. Je ne vois pas comment on peut un seul instant regarder ce film sans hurler de rire devant la bêtise des dialogues, et l'air inspiré de Burt Lancaster quand il annonce qu'il va nager pour rentrer chez lui. Cette métaphore d'un naïf chez les richissimes est bavarde, et on pourra toujours me dire que c'est la naissance du nouvel Hollywood, rien n'y fera: c'est d'un ennui...
Ne dit-on pas d'une femme qui a eu des expériences sexuelles qu'elle "a vu l'ours"? Justement, ce film parle de nymphomanie et de Pyrénées, c'est une expression appropriée...
Surtout qu'Aurore Lalu (Sabine Azéma), elle l'a vu, l'ours...Avec son mari, Alexandre Dard (Jean-Pierre Daroussin), acteur comme elle, ils sont venus faire un séjour au fin fond des Hautes-Pyrénées, pour régler un problème: Aurore est devenue récemment nymphomane depuis un voyage à Rome, et non seulement Alexandre voudrait que ça cesse, mais aussi il voudrait la reconquérir, parce qu'affectivement ils sont au régime sec depuis trop longtemps... L'idée lui a été inspirée par un souvenir: quand il se sentait devenir un obsédé sexuel, à la fin de l'adolescence, une visite en montagne l'avait guéri, dit-il; il souhaite donc fournir cette possibilité à son épouse.
Seulement, la présence d'un ours (d'origine Bulgare, nous dit-on) va tout bouleverser, mais aussi aider considérablement le couple, qui dans l'ensemble tend plutôt à se défaire encore plus dès son arrivée en vallée de Troumouse... Privilégiée d'avoir vu la bête dès la première nuit, Aurore va singulièrement ressentir l'appel de la nature, et disparaître, vivant nue en "femme sauvage" durant quelques jours, ce dont Alexandre va découvrir que ça lui fait le plus grand bien...
Les frères Larrieu aiment bien opposer une certaine forme de fantastique à des crises (s)existentielles: ici, la rencontre avec un ours particulièrement faux (ce que les personnages eux-mêmes soulignent quand Aurore remarque qu'il "fait pipi debout") va aussi être accompagnée d'un certain nombre d'extases d'un genre plus sûrement spirituel (quoique) que sensuel, et une étonnante et loufoque transformation du couple qui échangent leurs corps sous l'impulsion de la foudre sera le point d'orgue de l'aventure. Et le tout se fait dans les Pyrénées, mais pas n'importe où: en vallée de Troumouse, où souvent nous apercevrons le Cirque du même nom; à Gavarnie, pour un autre Cirque plus célèbre encore. A Gèdre, situé un peu plus au nord, et même à Luz St Sauveur, grande station thermale située sous le massif d'Ardiden. Amoureux de leurs Pyrénées, les frères Larrieu réussissent à échapper à la carte postale en plantant un décor qui change constamment et en y plaçant deux touristes, acteurs de surcroît, tellement imbus d'eux-mêmes qu'ils ne remarquent rien. Comme le dit Alexandre à un moment (il se ravisera): "deux jours en pleine nature, ça suffit!"...
Mais le film, comme 21 nuits avec Pattie ou Peindre ou faire l'amour, est une quête de soi, une sorte d'ode au laisser-aller, au mélange social et surtout une illustration rigolarde de la nature des acteurs, qui sont justement des gens qui ont oublié ce que c'est que d'être: confrontée à l'exacerbation extrême de son désir, Aurore ne sait plus qui elle est, et Alexandre, qui reste en contrôle, prononce chaque phrase comme s'il s'agissait d'une réplique dans une série de France 2 (ce qui, venant de moi, est tout sauf un compliment)... Mais la confusion des genres qui les attend, et qui les sauvera, était-elle vraiment si inattendue? Car dès les premières minutes, Alexandre lui-même dit qu'il "était nymphomane" en racontant ses vingt ans! Et le phénomène naturel qui va rabibocher les héros tout en les mettant sans dessus dessous, n'est-il pas un coup de foudre?
Il y a beaucoup de plaisir à prendre dans ce film de deux réalisateurs qui aiment eux aussi à se laisser aller, à semer le doute dans leurs films. Il apparaît assez clairement que le film ne s'est pas tourné sur une semaine, par exemple, le temps change brutalement dans la montagne, mais ici il est clair qu'on est situé entre la fin de l'été et le milieu de l'automne... Mais ils soulignent en permanence, par l'intrusion salutaire voire salace du loufoque (trois moines qui chantent les chansons les plus niaises de tous les temps, pour célébrer le fait d'avoir fait la rencontre de la "femme sauvage", et Sabine Azéma, vue au loin en faisant des galipettes, toute nue dans la nature), par des gags idiots mais efficaces (le pauvre Alexandre Dard, qu'on appelle "André Dussolier" à quatre reprises), et par un ton gentiment absurde (non seulement Aurore parle Bulgare sans crier gare, mais un cuisinier venu du Tibet pour s'installer dans le hameau d'Héas donne des champignons hallucinogènes à Alexandre, qui se rend compte que désormais il parle Tibétain...
Accessoirement, on verra ici les beautés et les charmes de l'un des plus beaux coins des Pyrénées, et ça me suffira toujours! Même quand les montagnes sont, littéralement, à l'envers, comme une façon ironique, justement, d'éviter l'effet "Carte postale".
Arthur Martin et Baia Ben Mahmoud. C'est le nom des gens qui sont en fait les principaux protagonistes du film: Arthur (Jacques Gamblin), fils d'un couple qui a passé la vie à tout enterrer: drames, émotions, sentiments... C'est que madame martin mère, née Cohen, a vécu le drame de tant d'enfants juifs rescapés: ses parents, eux, un couple de juifs grecs fraîchement immigrés en France, ont péri dans un camp de concentration. Alors les Martin ont fait comme tant de français dans les trente glorieuses, un voile sur la passé... Baia (Sara Forestier), elle, en revanche, n'a pas peur de dire les choses, même si il y a une ombre terrifiante dans son enfance. Fille d'un immigré Algérien longtemps clandestin et d'une militante de la militance (quelle que soit la cause, on se battra), elle utilise sa sexualité comme une arme de destruction de ceux qu'elle appelle les Fachos... Tous ceux qui sont à droite d'elle, et ça fait du monde! Elle couche avec eux pour les changer...
Arthur, qui a passé sa vie à adopter les méthodes de déni de ses parents, est de gauche, car il est jospiniste: en 2010, soit huit années après la débâcle de 2002 qui a vu un opportuniste vaguement de droite se faire réélire président face à un nostalgique du nazisme, écartant celui qu'Arthur considère comme l'homme politique le plus intègre, il n'a jamais abandonné sa foi en lui. Il fait un métier assez peu courant, puisqu'il est épidémiologiste animal, allant sur les plateaux télé pour alerter l'opinion aux dangers du H5N1, la grippe aviaire. Il fait aussi la tournée des oiseaux morts, et c'est lors de son passage à la télévision qu'il rencontrera la bombe Baia Ben Mahmoud, venue brièvement faire un petit boulot de standardiste. Leur rencontre est explosive, et si Baia sera peu changée par sa rencontre avec le très effacé Arthur, en revanche, celui-ci ne sera plus jamais le même après avoir fait la connaissance de l'explosive petite brune...
Le titre se justifie pleinement: pour Baia et Arthur, en effet, le nom des gens va toujours jouer un rôle dans leur vie. En l'appelant Baia, les parents de la jeune femme ont non seulement célébré un héritage, ils lui ont offert aussi une occasion de défendre son identité: car à tous ceux qui émettront l'idée que son prénom puisse être d'origine Portugaise ou Brésilienne, elle peut rétorquer qu'elle est, en fait, Algérienne. Mais Arthur n'est pas aussi bien loti derrière son prénom banal, puisqu'il n'a qu'à répondre au questionnement incessant de ceux qui croient qu'il est de la famille des cuisinistes Arthur Martin!
Et le film, entre ses deux narrateurs (le début est brillant, avec Gamblin et Forestier qui nous font revivre leur jeunesse en s'adressant directement à la caméra), nous invite à une petite promenade dans un certain pan de l'âme française, entre ses prénoms banals et ceux plus spectaculaires de ceux qui par millions, depuis la nuit des temps sont venus changer un peu notre patronymie, e beaucoup notre caractère, parce que n'écoutez pas les affreux obsédés de l'Hidentité française, tant qu'il y aura un peu d'étrangers dans le melting pot franchouillard, nous serons collectivement moins cons. Et 9a Michel Leclerc (qui a du souvent, dans sa vie, expliquer qu'il n'avait aucune relation avec la chaîne de supermarchés) et Baya Kasmi la scénariste (de Baia à Baya, il n'y a qu'un pas) l'ont sans doute non seulement compris, mais aussi vécu.
Et si le film n'est pas toujours parfait (certes, la scène du supermarché est drôle, mais est-il vraiment possible que le déshabillage intégral de Sara Forestier, distraite, qui a oublié qu'elle était nue avant de sortir de chez elle, était-il vraiment nécessaire, ou bien ne serait-ce pas plutôt un argument de vente? ...dans le doute, je vais les suivre, voir plus bas) il affiche une constante tendresse, que ce soit de Baia vers son admirable père (Zinedine Souallem) ou même à l'égard des parents coincés d'Arthur. Et à côté, les auteurs s'attaquent aux conservatismes de tout poil (les fameux fachos qu'il s'agit de "convertir" par l'orgasme) avec une belle insistance. Quoi qu'il en soit, le film est donc un beau moyen de contrer la tendance générale, en rappelant avec humour certaines vérités et en se promenant aussi dans la confusion idéologique des années 2000. Et en compagnie de l'authentique Lionel Jospin, le seul, l'unique. Et aussi, avec Arthur Martin, le seul Jospiniste.
Jean-Louis (Laurent Lafitte) a 42 ans, il est marié et avocat. Dans ces trois domaines, il sent qu'il y a quelque chose qui cloche: il ressent un certain désoeuvrement plutôt que le démon de midi (comme en témoigne un début de rencontre tarifée avec une jeune dame au bois de Boulogne, qui s'avère être un homme, ce qu'il n'avait pas vu venir), le mariage s'essouffle, et le métier bat de l'aile. Il ne semble plus vraiment convaincre ses clients. C'est ce moment que son coeur a choisi pour cesser de battre. Non qu'il soit mort, mais son coeur refuse obstinément de battre et de fonctionner, comme le lui confirme son ami Michel (Vincent Macaigne), le vétérinaire...
Conseillé par son épouse Valérie (Karin Viard), il va se confier à Margot (Nicole Garcia), une coach de vie un rien gourou sur les bords, qui voit tout de suite la solution: bien qu'il n'ait pas communiqué avec elle depuis 4 ans, il va lui falloir aller voir sa mère (Hélène Vincent) et... prendre son vagin en photo. Il a trois jours, sinon Margot (qui est redoutablement efficace, comme elle le prouve en devinant toute sa vie rien qu'en regardant un patient) prédit qu'il mourra...
Laurent Lafitte, pensionnaire de la Comédie Française, a rédigé lui-même une adaptation de la pièce de Sébastien Thiéry. Si on excepte le fait que le film repose sur peu de personnages, et qu'il est construit en actes, il a aéré l'intrigue et on ne ressent pas trop cette origine théâtrale... Bien sûr, le sujet est propice aux débordements, mais si Lafitte se permet de provoquer avec aplomb, il reste quand même attaché à une comédie de caractères, avec des duos fabuleux (Lafitte-Viard, Lafitte-Macaigne, Macaigne-Vincent) et des trios hilarants (Lafitte-Macaigne-Vincent, mais aussi Lafitte-Viard-Garcia, dans des scènes allègrement dominées par cette dernière en gourou autoritaire!). Les scènes drôles sont accumulées, et la comédie est tempérée d'une part par un sujet dont le fond reste grave, et par la justesse et le talent des acteurs.
Tout n'est pas que dosage savant ici, le sujet est grave et plus profond qu'il n'y paraît... Chez Jean-Louis, tout tourne autour de la peu du sexe féminin, symbolisé par l'absurde quête d'une photo d'une octogénaire qui n'avait certes pas demandé à être traitée comme elle va l'être à travers une série hallucinante de stratagème tous plus délirants les uns que les autres. Et Lafitte va au fond des choses, y compris dans une scène où pour pousser la mère à se déshabiller, le couple et leur ami accueillent la vieille dame dans le plus simple appareil...
Mais au-delà de cette peut de la féminité, se cache un traumatisme plus profond (qui explique les allusions plus qu'insistantes au fait que Karin Viard, plus âgée que Lafitte, joue plus une mère de substitution qu'une épouse!): la faille de Jean-Louis, c'est en fait sa mère, et une scène de révélations toutes plus horribles les unes que les autres, nous l'expliquera. Bref, on n'a pas vraiment le temps de faire la fine bouche, même si au dernier acte, les provocations prenant la place des gags, le rythme se tasse un peu. Ca reste une belle surprise, pas si éloignée que ça des films d'un Dupontel qui lui aussi a traité du problème de la mère avec Le Vilain...
Linnea, dite Bella Cherry (Sofia Kappel), est une jeune Suédoise déterminée à réussir dans l'industrie pornographique Américaine; sitôt émigrée, direction Los Angeles où elle va tout faire pour devenir une star dans la voie qu'elle s'est choisie. Mais il va lui falloir composer avec un élément qu'elle n'avait pas prévu: le porno, c'est tout sauf... du plaisir.
Pourtant, le titre est justifié par la toute première scène, lorsque la novice débarque et qu'un agent de l'immigration lui demande si elle est venue pour raisons professionnelles ou par plaisir, elle répond... "Pleasure". A partir de là, son parcours va être assez classique: un premier agent, un premier bout d'essai prometteur, des copines bienveillantes, puis les premiers écueils: il y a manifestement une hiérarchie dans la pornographie, et pour une jeune femme ambitieuse, il n'y a de place que si on montre qu'on est prête à tout faire, tout subir, tout encaisser.
Et c'est là que le film, illustration du monde de la pornographie, se distingue de tous ceux qui l'ont précédé: Boogie nights, notamment, réussissait à envelopper la pornographie d'une sorte de bulle nostalgique, et cédait de loin à la démonstration suggestive. Pleasure en revanche va droit au but de l'explicite, en montrant mais de trop près pour que ce soit vraiment confortable, et si la nudité masculine abonde, la nudité féminine est souvent partielle et protégée par la caméra. Car ici, c'est d'une part l'expérience d'un point de vue féminin au pays du "male gaze", et d'autre part chaque expérience sexuelle tarifée et/ou filmée, devient une sale expérience, un monument d'inconfort, et plus on monte les échelons, pire c'est.
Ninja Thyberg a tenu à son sujet, d'autant que c'est la deuxième fois qu'elle le filme: la première fois, c'était pour un court métrage du même titre. Mais cette fois-ci le film repose sur les épaules de Sofia Kappel, une jeune actrice dont c'est le premier rôle, et forcément ça pose question, dans la mesure où pour un premier rôle, elle doit subir beaucoup de choses. Mais c'est intelligemment fait et si le personnage subit une descente aux enfers, pas l'actrice, c'est évident. La façon dont la réalisatrice (qui a fait appel à des professionnels du genre, pourtant) décrit la pornographie est sans ambiguité: elle est fascinée, mais ne trouve aucune excuse à l'objectification des femmes, la standardisation de la sexualité, le conservatisme, le sexisme, le racisme inhérent au domaine.
Et elle montre que ça reste, y compris quand la 'star' s'est faite toute seule, y compris quand une réalisatrice est aux commandes, un domaine mené par les hommes où les femmes sont appelées à souffrir, comme dans une scène abominable où Bella, venue pour un tournage dont elle savait qu'il allait lui demander des sacrifices, se retrouve entre les mains de deux types adorables entre les prises, mais qui la brutalisent, l'humilient et la poussent finalement dans la position d'une femme violée. Elle voudra raconter la chose à un agent, qui lui dira "attention aux grands mots"...
Conçu sur le mode strict d'une descente aux enfers, le film s'accompagne, hélas, des codes esthétiques du porno (photo flashy, rap de la pire espèce à fond les basses, non-vêtements supposés sexy de la pire vulgarité), se situe dans le monde si répugnant et décérébré de 2022 (un petit selfie après la double pénétration?) parachevant l'inévitable confusion entretenue par Ninja Thyberg entre son réquisitoire et l'objet de sa fascination.
Harper Marlowe (Jessie Buckley) vient de subir deux expériences traumatisantes: une rupture compliquée avec James, son mari, qui a très mal pris la chose, puis sa défenestration alors qu'il lui faisait un chantage au suicide... Pour se reconstruire, elle a réservé deux semaines dans un manoir éloigné de Londres, en pleine campagne. Un endroit où rien ne peut lui arriver... Sauf que très rapidement, elle va être confrontée à un déferlement d'ennuis, de danger et de rappels de sa situation: d'abord, lors d'une promenade, elle rencontre un homme nu... Puis elle se rend compte qu'il est dans la propriété, et qu'il l'espionne, toujours totalement nu, depuis la terrasse. Elle fait appel à la police, mais le vagabond sera relâché. Puis un pasteur avec lequel elle discute lui fait comprendre que son traumatisme est entièrement de sa faute, et qu'elle est responsable de la mort de son mari violent ("vous savez, les hommes, des fois, frappent les femmes, c'est dans l'ordre des choses"). Enfin, après avoir tenté une sortie au pub, elle constate que l'ensemble des hommes du conté en a après elle, et la situation prend une tournure surnaturelle...
Alex Garland, dès ses deux premiers longs métrages (Ex Machina et Annihilation) refusait déjà la facilité, et construisait sa narration de façon linéaire, en infusant les parcours de flash-backs pertinents (Annihilation) ou pas (Ex Machina). Il prenait le soin d'installer une certaine lenteur, poussant le spectateur à se tenir prêt. Il n'aime pas, c'est manifeste, les effets faciles de jump-scare (tout faire pour vous faire sursauter), mais va plutôt vers, d'une part, l'installation d'une atmosphère angoissante dans toute sa logique, fut-elle tortueuse (et ici, elle l'est), et bien sûr des scènes dans lesquelles il pousse la dite logique dans ses derniers retranchements, y compris si c'est visuellement très dur. Ainsi une scène qui voit Harper planter un couteau de cuisine dans un bras qui s'est introduit par une fente dans la porte (destinée au courrier): cette main ensuite se retire, entraînant le tranchage du bras dans le sens de la longueur, jusqu'aux doigts.
Et là, forcément, on sent bien qu'il y a une forte thématique sexuelle, même si la sexualité en tant que telle fait tout pour être absente de l'intrigue: Harper a d'autres chats à fouetter, fatalement, mais pas les multiples stalkers et assimilés: disons-le tout de suite, ils sont certes plusieurs, mais ils ne font qu'un puisque le choix de Garland a été de confier tous les rôles d'homme à un seul acteur, souvent méconnaissable: Rory Kinnear. Une similarité malgré tout entre les visages subsiste, qui sert le propos. Le seul autre homme aperçu est donc Paapa Assiedu qui joue le rôle de James. Donc dans le film, non seulement il est question de l'introduction d'un bras dans une fente, mais il y a aussi un tunnel, dans lequel s'engage Harper juste avant que les ennuis ne commencent...
Et ce film d'horreur, situé en pleine campagne du Sud de l'Angleterre (c'est d'ailleurs très beau), se pare très vite des habits du folk tale, faisant aussi bien penser à The Wicker man, qu'à Midsommar d'Ari Aster. On pourrait même fredonner à l'occasion les chansons Green man, d'XTC, ou Folklore, de Big Big Train, ce serait totalement dans le ton d'une sorte de revanche venue du fonds des âges, d'une masculinité glorifiée par la nature: une sorte de crise durant laquelle, face à un jury constitué uniquement d'hommes, et pas des plus fins, Harper doit de toute façon payer pour son crime vis-à-vis de la communauté: car d'une part rompre est ici une offense faite à l'homme, et en offenser un, c'est tous les offenser... Je ne sais pas si ce film est un film d'horreur, après tout, ou une sorte de voyage psychologique au pays d'un deuil impossible à faire. En tout cas c'est manifestement féministe, glorieusement, et pas sans humour!
Une jeune femme, Danny (Hadar Katz) arrive à une fête nocturne, dans un appartement où tout le monde danse, sniffe des trucs ou des machins... Avant d'entrer, elle verra un papillon mourant qui peine à voler, et elle en parlera même quelques minutes plus tard, pour masquer sa gêne. C'est que Danny, dans le premier chapitre de ce film, a une lourde tâche: elle doit annoncer au garçon avec lequel elle a eu des relations récemment, qu'elle est enceinte... Avant de le trouver, elle a une discussion avec des copines, propre à la dégoûter à tout jamais de l'avortement... Max (Leib Levin), donc, le garçon, est bien là, mais il n'est pas seul, il est avec Avishag (Elisheva Weil), sa nouvelle petite amie...
Dans le deuxième chapitre, nous assistons au quotidien de Max et Avishag. Chez cette dernière, il passent beaucoup de temps au lit, et Avishag demande à Max de ne pas hésiter à épicer un peu leurs rapports. Il va le faire, et y mettre tellement de zèle que ça en deviendra gênant... Toute idée, décidément, n'est pas forcément à mettre en application.
Dans le troisième chapitre, Avishag (qui arrondit ses fins de mois en prenant en charge et en promenant des chiens dont les propriétaires ne peuvent pas s'occuper 24 heures sur 24) rend un service à l'un de ses "clients": elle vient faire du dog-sitting chez lui... Mais elle est troublée par ce qui s'est passé avec Max, et elle préfère s'endormir chez le propriétaire de Blanca, plutôt que de rentrer chez elle...
Trois tranches de vie, toutes marquées par une mise en scène au plus près des acteurs: la caméra au plus près, et des plans-séquence privilégiés. On apprécie dans la mesure où ce dispositif permet aux acteurs d'habiter leurs personnages. Dans le deuxième segment, le fait que les amants soient un couple "à la ville comme à l'écran" permet à Hadas Ben Aroya d'y aller franchement, et on est pantois devant le naturel des scènes charnelles... Dans lesquelles la douleur et la violence vont s'installer tout doucement. Et si on constate que l'épisode de Danny est finalement assez réduit par rapport aux aventures d'Avishag, il est essentiel: elle raconte une anecdote qui éclaire la relation des deux autres protagonistes: elle a eu une relation lors d'un voyage, avec quelqu'un, et a regretté dès le lendemain d'avoir eu des mots d'amour avec lui... Il semble qu'après avoir (à sa demande) expérimenté l'amour brutal, Avishag se soit trouvée complètement guérie de son affection pour Max...
Cette fable qui montre la façon dont ces jeunes israéliens sont complètement déboussolés malgré leur ouverture d'esprit, leurs opportunités, et leur liberté, se résoudra de façon inattendue, entre Avishag et un quinquagénaire ventripotent, étonné tout à coup de séduire une jeune femme qui s'émeut de le voir ému...
Moralité: il ne faut pas jeter les vieux avec l'eau du bain!