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  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
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16 janvier 2011 7 16 /01 /janvier /2011 16:07

 

Noir comme le charbon... A la base de Black fury, plusieurs choses: d'une part, la mort en 1929 d'un mineur en grève, battu à mort par la milice; un roman, qui partait de ce faits-divers;  ensuite, la volonté affichée par la Warner de coller au plus près de son époque, en rendant compte des problèmes de la crise, et des éventuels progrès sociaux observés: la réputation du studio durant les années 30 était d'être plus Rooseveltien que le gouvernement. Enfin, l'émergence d'un cinéma de plus en plus ambitieux, malgré le frein à toutes les audaces qu'était la désormais stricte observation du code de production, les années sulfureuses ayant pris fin avec l'arrivée du deuxième semestre 1934. A ces titres, Black fury est de toute façon un film exceptionnel, participant évidemment de la tendance sociale et progressiste du studio, au même titre que les sensationnels Three on a match (1932), I was a fugitive from chain gang (1932) ou They won't forget (1937) de Mervyn Le Roy, Cabin in the cotton (1932) et 20,000 years in Sing-sing (1932) de Michael Curtiz, ou encore Heroes for sale (1933) de William Wellman, sans oublier l'omniprésence des thèmes sociaux (crise, chômage, vétérans qui meurent de faim, etc) dans les comédies musicales du studio. Mais cette oeuvre essentielle d'une major est aussi un très grand film de Michael Curtiz, portant de façon spectaculaire sa marque.

 

Pennsylvanie dans les mines de charbon, années 30. Joe Radek, un mineur d'origine Est-Européenne (Paul Muni) est un ouvrier modèle, peu attiré par le syndicalisme. Son seul souhait: continuer à faire de l'argent afin de se marier au plus vite avec Anna (Karen Morley), acheter une ferme, élever des cochons, et avoir des enfants (L'ordre est celui dans lequel il fait lui-même cette énumération). Jusqu'au jour ou Anna s'enfuit avec un policier qui a eu une aventure facile avec elle et a cru la fuir en se faisant transférer à Pittsburgh. Saoul, dégouté de tout, Radek se fait manipuler par Croner, un agitateur louche (J. Carroll Naish) qui souhaite entrainer les mineurs syndiqués, jusqu'ici modérés, dans une lutte plus radicale. Contre l'avis de son meilleur ami, Mike (John Qualen), radek devient vite le président unanimement acclamé de la grève, qui conduit un beau jour les patrons de la mine à fermer l'accès de celle-ci aux ouvriers, et à faire appel à une milice d'une part, et des ouvriers fournis par une entreprise extérieure, celle qui a justement payé Croner pour fomenter cette agitation... Tout le monde rejette la faute sur Radek, et celui-ci réalise l'étendue de sa faute quand la milice assassine froidement son meilleur ami Mike Shemanski...

 

Curtiz a donc pris la décision de mettre son immense talent au service d'un réalisme lyrique, sui doit finalement autant à son style baroque, son sens du cadrage et de la composition, qu'à la présence de décors exceptionnels. On se rappelle de 20,000 years in Sing-sing et de sa prison suggérée, mais si noire et effrayante. Dans ces décors qui sont ici plus réalistes, le metteur en scène nous rappelle quel directeur de foules il peut être, avec des armées de figurants, tous typés, et tous plausibles. La force du film est de ne reculer devant aucune possibilité, et nous montre une Amérique contemporaine et tangible, dans laquelle les immigrants, reconnaissables parfois à leurs accents, leurs différences, se mélangent avec d'autres personnes; on voit des noirs et des blancs travailler côte à côte. Le racisme n'existe pas, et les fêtes du samedi soir sentent le vin, la bière et la sueur, en plus de la fumée, et de la suie qui ne semble pas devoir se décoller aussi facilement que ça des visages... le lyrisme de Curtiz est au plus fort dans ce film aux moments de grève, de trouble, durant lesquels il se place, systématiquement du côté des obscurs et des sans-grade.

 

Le message du film peut apparaitre ambigu au début, avec ce syndicat modéré qui tente d'empêcher les ouvriers les plus impétueux de se mettre en grève, une impression momentanément confirmée par la présence du pousse-au-crime Croner qui agit en véritable Bolshevik avec couteau entre les dents. Mais celui-ci, on l'apprend bien vite, est payé par une entreprise qui vise à s'enrichir sur le dos d'une grève à briser. Lorsque la seule solution pour se sortir de la crise sans que les ouvriers perdent la partie est de se radicaliser encore plus, afin d'alerter l'opinion, on se rappelle tous ces films micro-utopistes qui pronent un arrêt du système, quel qu'il soit, afin de repartir à zéro, et les titres de grands films défilent: Mr Smith goes to washington (Capra, 1939), Our daily bread (vidor, 1934) ou encore Gabriel over the white house (La Cava, 1932)... Black Fury est donc en bonne compagnie. Et le film se paie le luxe, par des voies détournées, de dire du mal d'un texte pourtant sacro-saint: Le deuxième amendement à la constitution, celui par lequel jurent tous les fous de la gâchette aux Etats-Unis, n'est pas que l'autorisation a priori d'utiliser les armes pour se défendre: une partie de cette proposition des amis de Jefferson prend appui sur l'expérience des Révolutionnaires de 1776, qui se seont soulevés, pour affirmer haut et fort l'importance de la notion de milice aux Etats-Unis, dans le but de maintenir l'ordre. Le film nour montre coment la police privée recrute des malfrats afin d'assurer la bonne tenue des opérations de retour au travail. Pire encore, les miliciens sont des brutes épaisses, et se livrent à des actes criminels, en groupe, dont un meurtre. Au deuxième amendement, qui nous dit qu'une "milice est nécessaire à la securité d'un état", Curtiz et la Warner nous rapellent qu'en 1929, un ouvrier mineur, John Barkoski est mort tué par des miliciens.

 

Dans ce film très très noir, donc, à tous les sens du terme, puisqu'il se pase le plus souvent dans le milieiu de la mine de charbon, la nuit, curtiz a trouvé un sujet qui lui permet d'épancher son lyrisme particulier, avec des acteurs qui sont en phase avec lui. On peut trouver (C'est mon cas) Muni excessif, mais son excès d'enthousiasme est à mettre sur le même plan que le volontarisme enfantin d'un Victor McLaglen dans The Informer, de Ford, un film sorti la même année, d'ailleurs. Ce n'est là que l'un de leurs nombreux points communs, mais Curtiz, contrairement à Ford, n'a pas choisi la voie du symbolisme, pour faire avaler la pilule amère de son film, même s'il se termine par un happy ending, il a préféré recréer à sa façon un univers cohérent, qu'il a ensuite contrôlé avec sa poigne de fer. Et les acteurs autour de Muni, de Qualen à Tully Marshall en syndicaliste modéré qui en a vu d'autres, sont tous admirables, et en plus, on reconnait de ci-de là de nombreux acteurs: Qualen, enfin privé de son faux accent Suédois, Ward Bond, en flic, bien sur, ou encore Mae Marsh qui joue la mère d'Anna. (Tiens? Ils étaient tous des acteurs en contrat avec Ford.)

 

...L'un des meilleurs Curtiz, un très grand film, trop rare.

 

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Published by François Massarelli - dans Michael Curtiz
15 janvier 2011 6 15 /01 /janvier /2011 09:48

 

En Europe, donc, Michael Curtiz s'appelait Mihaly Kertesz. Passé en Autriche en 1919, le cinéaste Hongrois est vite devenu à jeu égal avec Alexander Korda le plus important cinéaste de son pays, mais la principale difficulté rencontrée par les deux hommes et par le producteur Sascha Kolowrat sera d'exister dans une Europe dominée par les cinémas Français et Italiens, pour un temps, puis par les Allemands et dans une moindre mesure les Suédois. la concurrence était rude, et bien sur l'agressivité conquérante du cinéma américain créait un défi de plus, dont on verra que Curtiz a essayé de le relever...

 

Voici donc un apercu des 9 films muets de Curtiz que j'ai pu voir; un Hongrois, 7 Autrichiens ou Allemands, et un Américain... Tous ou presque sont des mélodrames, et beaucoup sont centrés sur un personnage féminin, joué par Lucy Doraine, Lily Marishka, Maria Corda  ou Lily Damita. peu de ces film dépassent le cadre du film "important pour des raisons historiques", mais leur ensemble est, au moins, une source de curiosité pour qui s'intéresse aux débuts d'une oeuvre qui, dans son versant Américain, sera un apport essentiel du 20e siècle.

 

JON AZ OCSEM(1919)

Ce court film de propagande se met au service d'une idéologie socialisante dans laquelle on a du mal à reconnaitre le cinéaste, mais il est vrai qu'il était le plus en vue des réalisateurs Hongrois, et qu'il devait sans doute déja songer à l'exil. Les troubles politiques, et les changements de régime nombreux dans cette période chaotique suite à la débâcle, vont pousser le jeune réalisateur à son premier exil.

Le film est donc à prendre comme un exercice de style, le plus ancien qui nous soit abordable. le jeu des lumières et de l'ombre, et le goût pour la représentation de la nuit ne doivent pas nous tromper, si les personnages s'enflamment pour des idées, des idéaux, le metteur en scène est déjà ce pessimiste invétéré que nous connaissons si bien grâce à sa période Américaine.

 
WEGE DES SCHRECKENS/LABYRINTH DES GRAUENS (1921)

 

Cet incroyable mélodrame développe un rapport troublant avec son époque: situé dans un contexte moderne et urbain, il joue sur les moyens de transport (Voiture et train notamment), et nous présente des personnages en fuite permanente. Les péripéties, exagérées et grandioses, sont un flirt poussé avec le baroque.Le film n'est pas sans défauts, et Lucy Doraine, Madame Kertesz à l'époque, est insupportable. Mais dans ce film dominé par la vitesse, l'accumulation de drames (train enflammé, crime, tricherie, prostitution...) tourne toujours autour de l'héroïne, et nous sommes devant le premier d'un ensemble de films centrés sur une femme.

Un film excitant, pour moi le meilleur film muet de son auteur...

 

SODOM UND GOMORRHA(1922)

 

Enorme production dans laquelle la Sascha Films a mis tous ses espoirs, le film est à la fois le principal classique muet de son auteur, et un monument poussiéreux et bien encombrant. Lucy Doraine y interprètre une jeune bourgeoise dont les turpitudes font tourner toutes les têtes, notamment celles de deux futurs acteurs Américains, Michael Varkonyi et Walter Slezak. la production louche sur le faste DeMillien, dont certaines péripéties, et les flash-backs symbolico-bibliques sont bien sur un démarquage sans honte ni remords. ce film a été l'une des deux raisons pour lesquelles la warner a fait venir Curtiz aux Etats-Unis...

 

DER JUNGE MEDARDUS(1923)

 

1812: Un jeune Autrichien (Michael Varkonyi) décide de tuer Napoléon. Sa mission devient difficile lorsqu'il est pris entre le sens du devoir et du sacrifice, et les scrupules, la culpabilité (Tuer un homme) et la peur des conséquences: culpabilité, justice, sens de l'histoire. un autre film pesant, plus austère que le précédent, avec un intérêt pour nous, qui connaissons ce thème souvent présent dans les films de Curtiz de 1935 à 1945, de la difficulté à s'engager.

 

DIE LAWINE(1923)

  

Retour au mélodrame, retour au mouvement. ce film est un petit film d'aventures, situé en montagne, un prétexte pour Curtiz qui s'amuse du contraste entre les grands espaces et une petite cabane dans laquelle les héros vivent, souffrent et s'aiment. Un film qui est l'un des meilleurs de sa période muette, pour les mêmes raisons que Labyrinth des Grauens: décérébré, tout en mouvement et en émotions, le film ne s'attarde pas à nous embêter avec des flash-backs bibliques.

 

DIE SLAVENKöNIGIN(1924)

 

Plagiat des Dix commandements, dont il semble nous conter les coulisses, ce film est le dernier effort de la Sascha-films pour exister au niveau Européen. Maria Corda y incarne une nouvelle femme ballottée entre les amants et les évènements, et si on s'exaspère devant la pesanteur du film, et le fait qu'il n'est pas à la hauteur du film de DeMille, au moins, on notera une première incursion de Curtiz dans un thème qui sera rare, paradoxalement: l'exil des Juifs. Un élément qui le concernait pourtant au premier chef, lui qui avait fui sa famille pour suivre un cirque, puis avait embrassé la carrière d'acteur et de cinéaste avant de fuir son pays. il s'apprêtait d'ailleurs à fuir l'Autriche.

"L'esclave reine " est aussi le second film qui a déterminé les gens de la Warner a le faire venir...

 

DAS SPIELZEUG VON PARIS (1925)

 

Arrivé en allemagne, il tourne, avec Lily Damita, un petit mélodrame dans lequel une jeune vedette tourne la tête d'un certain nombre de membres de l'élite Parisienne. on voit bien, dans cette nouvelle co-production, la mise en oeuvre d'une tentative de création d'un film Européen: Equipe Autrichienne, vedette et sujet Français, capitaux et moyens techniques Allemands. La tentative fera long feu, mais il y aura d'autres essais.

Le film est très soigné visuellement, ce qui ne nous surprend pas. Pour le reste, c'est sans intérêt, et Lili Damita n'est pas une grande actrice...

 

FIAKER N°XIII (1926)

 

Meilleur que son prédecesseur, et tourné dans les mêmes circonstances, le film tourne plus autour du mélodrame classique et tire-larmes, tout en développant une intrigue liée au milieu du spectacle. Lily Damita y est meilleure, et on soupçonne l'amour naissant du metteur en scène qui l'aurait incité à préter, une fois n'est pas coutume, plus d'attention aux acteurs. Cet honnête mélo, histoire d'enfant trouvée, d'adoption, de père retrouvé est donc le dernier film Européen de Curtiz.

 

NOAH'S ARK (1928)

 

Le "DeMille Autrichien" a fait ses gammes de 1926 à 1928, le temps que se monte cette production. Sorti trop tard, à l'époque du parlant, ce film est de toute façon un ratage, une histoire symbolique, d'un genre auquel DeMille lui-même ne touhchait plus en 1928. dans cet ahurissant mélange (Scènes parlées dans un film muet, histoire contemporaine appuyée par des séquences bibliques) on voit bien ce qui fait l'essence du cinéma du jeune Curtiz: il tourne ce qu'on lui donne à tourner, y trouvant ou non son intérêt, mais fait de l'image à tout prix. un cinéma donc de l'émotion, de la séquence, dans lequel l'élément humain est balloté, maltraité. Bien sur, on le sait, la légende honteuse de ce film fait de Curtiz un fou dangereux, responsable d'un nombre mal défini mais hélas réaliste de morts de figurants. Une étrange façon de prendre congé du cinéma muet, que ce film qui est mal fichu, mais condidéré comme un classique... On peut se rassurer en imaginant que la version intégrale sans doute perdue était plus cohérente, mais j'en doute fort. En même temps, ce film raté qui fut un échec reste symboliquement un bon moyen de clore une période de la vie d'un cinéaste marquée par le baroque, l'énorme, la grandiloquence, au moment-clé ou un nouveau type de cinéma, moins ambitieux, allant à l'essentiel, plus proche des gens va commencer à exister, dont paradoxalement le hautain Michael Curtiz sera l'un des plus intéressants artistes durant le début des années 30.

 

Un autre Curtiz Américain de la période aurait survécu, The third degree. Cétait son deuxième film Américain, tourné en 1926, et ce serait, selon les témoins, un excellent petit film policier. En attendant de le voir, on va pouvoir maintenant s'amuser à fouiller dans la période excitante des films pré-codes de Michael curtiz, probablement ses meilleures années.

 

...à suivre.

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Published by François Massarelli - dans Michael Curtiz Muet
13 janvier 2011 4 13 /01 /janvier /2011 11:44

Situé au tout début de la période dorée durant laquelle Curtiz devient l'un des incontournables de la Warner (les autres "grands" sont William Wellman, et Mervyn Le Roy. Sinon, les solides artisans que sont Archie Mayo, Roy Del Ruth ou Lloyd Bacon sont souvent mis à contribution, et bien sur d'autres vont et viennent, dont un jeune Howard Hawks....). C'est aussi cet étonnant moment durant lequel les studios louvoient constamment entre une tentative de censure tatillonne et leur envie de repousser les limites permises. Peu de choses pourtant affleurent dans ce drame un peu raide, adapté d'un roman de james Oliver curwood, et situé comme il se doit dans le Nord Canadien: Deux hommes (Un "mountie", Connie, interprété par Charles Bickford et un civil, J. Farrell Mc Donald) sont à la poursuite d'un meurtrier, Keith. Ils le trouvent, il leur sauve d'ailleurs la vie. Mais il est surtout le sosie de Connie. celui-ci meurt durant le voyage de retour, et Part (McDonald), pris de sympathie pour le héros, accepte d'être complice de son changement d'identité, qui permet à Keith de prendre momentanément la place de Connie. Ce qu'il n'a pas prévu, c'est que la place de Connie lui conviendrait tant, mais aussi que la jeune fille que Connie aimait puisse être aussi jolie; devenu amoureux de Mimi (Evelyn Knapp), Keith prend peu à peu la place de Connie, et d'ailleurs tout le monde aime mieux Connie "depuis qu'il a changé". C'est compter sans un autre prétendant de Mimi, qui va trouver de quoi gêner son rival...

1931, c'est l'année de M, et de beaucoup d'autres films parlants valides, dont les acteurs ne semblent pas engoncés dans leur costume, raides comme des piquets. Le film souffre cruellement de cette fadeur, de ce manque cruel de vie. L'histoire aurait pu être plus intéressante en y concentrant plus d'action, dans la mesure ou les dialogues peu inventifs lus par des acteurs qui articulent de façon exagérée deviennet la rêgle dès que J. Farrell Mc Donald disparait de l'écran. la faute à Curtiz, ou à son "dialogue director"? Tant pis: River's end n'est après tout que l'un des nombreux films de 1931 dirigés par Curtiz, et il fera bientôt bien mieux...

Sinon, l'histoire ridicule de sosie, que personne ne semble questionner dans le film, et la romance avec Mimi (Evelyn Knapp est atroce, si vous voulez mon avis) gâche donc une aventure qui présentait quand même des avantages dont Curtiz pouvait tirer parti/ Keith, après tout, est en perpétuelle fuite, et le film joue, surtout au début, la carte d'insister la-dessus, en montrant dès le départ les deux hommes qui cherchent le criminel en plein mouvement. le film se terminera sur un bateau, en partance pour... pour où, au fait?

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Published by François Massarelli - dans Michael Curtiz Pre-code
23 décembre 2010 4 23 /12 /décembre /2010 17:47

Etre metteur en scène, à Hollywood en 1940, c’est un bien curieux métier, à mi-chemin entre celui de contremaître et celui d’artiste. Sous la houlette des studios, les artistes qui sont nommés à ce poste se doivent d’obéir à un certain nombre d’injonctions tout en usant de leur autorité sur les équipes qui leur sont confiées. Ils ont un cahier des charges particulièrement drastique à remplir, avec en tête la menace permanente du renvoi, ou du remplacement : ils sont sous contrat, et ne seront pas licenciés aussi facilement, sauf faute grave ou dénonciation du contrat, mais les films qui leur seront confiés dépendront de leur capacité de travail : s’ils déméritent, ils seront désormais des tâcherons auxquels échoueront les basses besognes ; s’ils se révèlent à la hauteur, les films de prestige leur seront confiés : Casablanca, Captain Blood, Yankee Doodle Dandy, Mildred Pierce, Angels with dirty faces, The sea hawk, The adventures of Robin Hood…. C’est dans ce contexte que Michael Curtiz, l’auteur de tous ces classiques va travailler pour la Warner Bros à partir de 1926.

Né Mihàly Kertész en 1886 à Budapest dans la communauté Juive de Hongrie, metteur en scène de premier plan pour le jeune cinéma Hongrois à partir de 1912, et jusqu’à son départ en 1919, le metteur en scène était réputé pour des films lyriques et « artistiques » (Entendre par là d’une grande beauté picturale) qu’il nous est impossible de voir aujourd’hui : seul le dernier a survécu, un court métrage à la gloire de la révolution communiste : Jon Az Ocsem, ce qui pourrait se traduire par Le petit Jean ou Jean le Cadet.

 

voir Jon Az Ocsem

 

Après un exil compliqué, du en grande partie à des changements politiques répétés, il fera une partie de sa carrière à Vienne, ou ses associations avec Sascha Kolowrat ou avec le réalisateur Hongrois exilé Alexandre Korda feront de lui le plus important des réalisateurs Autrichiens : ses films, effectués entre 1919 et 1926, seront par choix des productions flamboyantes, financièrement risquées, et proches en cela des films réalisés par les Russes exilés à Paris en ces années 1920 : des films pour le grand public, apparemment commerciaux, mais traités avec panache et grandeur. Néanmoins l’influence immédiatement reconnaissable lorsque l’on voit les films qui nous sont parvenus est plus celle du cinéma Américain, même si pour survivre, les producteurs de ces films, notamment la firme Sascha Films, vont devoir s’allier avec d’autres pays : L’esclave Reine est une coproduction Austro-Allemande, et Fiacre n°13 , situé à Paris mais tourné à Berlin,bénéficiera en plus de capitaux Français, tout en présentant une actrice Parisienne, Lily Damita. Les films Autrichiens de Curtiz sont assez étonnants à voir aujourd’hui, et si aucun ne montre une vision précoce du génie légendaire dont Curtiz saura faire preuve dans de nombreux films Américains, ils sont suffisamment riches pour qu’on y reconnaisse au moins la patte de leur auteur. Ce qui les caractérise, c’est d’abord le goût du spectaculaire et de l’énorme: histoires bibliques (L’esclave Reine, 1925) , mélodrame larmoyant (Fiacre n°13, 1926), Chronique de mœurs bourgeoises inspirée par Cecil B. DeMille (Sodome et Gomorrhe, 1922), avec séquence onirique tirée de la Bible comme dans les films Américains Manslaughter ou The ten commandments , Film d’aventures trépidantes avec trahisons, enfant illégitimes et portes qui claquent (Les chemins de la terreur , 1921, L’avalanche,1923) ou encore film historique qui s’interroge sur les tourments d’un officier Autrichien tenté par l’assassinat de Napoléon (Le Jeune Médard , 1923) tous ces longs métrages qui nous sont parvenus n’ont rien d’intimiste, et représentent bien le genre d’oeuvre par lesquelles le jeune metteur en scène se fera connaitre. Les raisons de son départ pour Hollywood, après un court déplacement par Berlin, sont assez nombreuses. D’une part, divorcé de sa première femme, l’actrice Lucy Doraine, et d’autre part ayant du mal à se faire une place en Autriche puis en Europe (A Vienne, il est en compétition avec Korda, un autre grand metteur en scène de gros films, et il doit partager sa place avec Sascha Kolowrat, qui revendique sa part des films de Kertész ; à Berlin, il est forcément relégué au second plan d’une industrie dominée par Fritz Lang ou G. W. Pabst.), Curtiz va répondre favorablement à une offre de la Warner.

En 1925, la firme Warner Bros est, sinon mal en point, en tout cas pas au beau fixe : un nouveau studio parfaitement organisé, la Metro-Goldwyn-Mayer, fait la pluie et le beau temps à Hollywood en débauchant tous les metteurs en scène de talent et en attirant tous les acteurs avec de luxueux contrats de sept ans. La Paramount et la Fox, plus anciennes, leur emboîtent le pas en adoptant, bien que de manière distinctive, les méthodes de la MGM. Un plus petit studio comme la WB ne peut que difficilement entrer en compétition : c’est bien de compétition qu’il s’agit lorsque les frères Warner engagent Mihàly Kertész : d’une part, la MGM a déjà attiré vers elle les metteurs en scène Dmitri Buchowetzki, un exilé Russe venu d’Allemagne qui a réalisé un couteux Danton à Berlin, Mauritz Stiller, le réalisateur de La Saga de Gösta Berling, ou encore le grand metteur en scène Suédois Victor Sjöström, dont la présence à la MGM est héritée de son contrat avec la Goldwyn pictures. D’autre part la Paramount a établi une tradition de prestige et de qualité, notamment lors de la domination de Cecil B. DeMille sur la firme, et ses productions impressionnantes sont encore, en 1925, un modèle convoité pas les autres studios. En faisant venir l’auteur de Sodome et Gommorhe à Hollywood, les frères Warner ont désormais le metteur en scène idéal pour entreprendre Noah’s ark, L’arche de Noé, un film au canevas franchement inspiré par DeMille et ses Dix commandements de 1923.

Arrivé à Hollywood, devenu Michael Curtiz (Une copie Française de L’Esclave reine l’a déjà rebaptisé Michael Courtice), le cinéaste va d’abord faire ses classes avant de s’attaquer au grand œuvre. La Warner veut prendre le temps de préparer la production, toutes les attentions des dirigeants du studio sont tournées vers la révolution du sonore, dont WB est à la pointe avec The jazz singer, et il faut du temps à Curtiz pour s’adapter aux règles du studio, bien différentes de celles qui étaient les siennes en Europe. Il va donc « faire ses classes » et réaliser 5 films avant Noah’s ark : The third degree (Sorti en décembre 1926) , A million bid (Mai 1927), The desired woman (Aout 1927), Good time Charley (Novembre 1927), et Tenderloin (Mars 1928). La superproduction, quant à elle, sera présentée au public en novembre 1928, puis sortie en juin 1929. Il s’agit d’un film hybride, des séquences parlées et sonores venant s’ajouter aux séquences muettes ; le film est rare aujourd’hui, n’a pas bonne réputation et est un mélange pas toujours digeste; au moins, il en existe une copie, ce qui n’est le cas que pour un seul des autres films muets de Curtiz à la Warner: The third degree. La lecture des scénarios de ces 5 premiers films donne pourtant envie d’en savoir plus ; invité à venir à Hollywood pour tourner des spectacles grandioses dans la lignée de ses superproductions Autrichiennes extravagantes, Curtiz va d’abord s’atteler à des films de genre, des petites productions policières vite tournées et vite rentabilisées. Cela va désormais, jusqu’à 1935, être son ordinaire, et il va devenir le principal metteur en scène de la Warner Bros, et assurément le plus efficace : entre Noah’s ark (1928) et Captain Blood (1935), qui sera sa deuxième grosse production pour la Warner, il tourne ainsi 33 longs métrages, de 6 à 8 bobines, ne dépassant donc jamais les 85 minutes ; il y a dans la liste des comédies musicales (Le genre roi des années de transition entre le muet et le parlant), des films fantastiques, des mélodrames, des films de gangsters, d’espionnages, des films policiers traditionnels avec enquête, suspect et devinettes à la clé, des comédies, des films d’aventure… Il s’essayera aussi, avec bonheur, à la couleur avec l’utilisation du procédé Technicolor bi-chrome (Développé depuis 1919 et expérimenté sur de nombreux films muets) sur trois films entiers, ainsi que dans des séquences éparses de certains films. Il serait vain d’imaginer que ces petits films soient purement alimentaires : nombre d’entre eux sont de véritables chefs d’œuvre, et tous sont la marque d’un authentique talent unique en son genre : on peut considérer que l’essentiel de la manière Curtiz s’est définitivement consolidée durant ces années tumultueuses. Pour s’en persuader, il suffit peut-être de comparer le style de Curtiz avec le style des autres auteurs maison : Mervyn LeRoy, William Wellman, et Howard Hawks pour citer les plus importants, tournaient à cette époque pour la WB, et Roy Del Ruth, Lloyd Bacon et William Keighley étaient des seconds couteaux souvent employés sur des petits films, à l’instar du Hongrois. Ce qui caractérise le style de Curtiz, dès cette époque, c’est un sens particulier du mouvement, avec une tendance à rythmer ses films en fonction de déplacements de véhicules ; une propension à peupler ses films de figurants tous plus authentiques les uns que les autres, et un sens extraordinaire du cadre : là ou des metteurs en scènes Américains, comme Hawks, favorisaient des placements de caméra frontaux et simples, Curtiz aimait placer des obstacles entre la caméra et l’action, cadrer les actions les plus importantes sur l’ombre des personnages, et aimait gonfler le budget de ses plans en transformant le plus petit plan de transition en un plan-séquence épique avec des dizaines de figurants: il a établi une bonne fois pour toutes l’idée qu’il était un artiste à Hollywood.

Parmi les films importants de cette période féconde, on peut retenir les excellents mélodrames 20,000 years in Sing-Sing (1932), avec Spencer Tracy, et Cabin in the cotton(1932), avec Richard Barthelmess et Bette Davis. Dans les deux cas, il nous montre des personnages en errance, qui sont en conflit grave avec leur environnement ; l’esprit de la crise est très présent dans les films de la Warner de l’époque, mais chez Curtiz, le pessimisme le plus noir tend à l’emporter. Si les comédies, policières (The kennel murder case, 1933) ou autres (Jimmy the gent, 1934), ne s’attaquent pas à des sujets aussi graves, les deux films fantastiques réalisés par Curtiz en couleurs, en 1932 et 1933, sont exemplaires d’un style « Curtizien », d’une part, mais aussi des thèmes qui sont chers à l’auteur : les personnages y sont en proie à leurs démons : le cannibalisme dans Doctor X (1932), et une certaine folie créatrice et meurtrière dans Mystery of the wax museum (1933). Le choix du Technicolor complique encore les choses : ce procédé bi-chrome avait des limites telles qu’il privilégiait des couleurs passées, peu naturelles, qui accentuait la grandiloquence de ces films, et le choix de situer ces histoires dans l’Amérique nocturne des années 30 en exagérait le coté cauchemardesque. On remarque en plus dans l’un et l’autre de ces films une utilisation des ombres, décidément la marque de fabrique de Curtiz, très spectaculaire. En tout cas, la plupart de ces films, tous genres confondus, renvoient l’image d’exilés, d’accidentés de la vie (Gregor, le sculpteur de cire de Mystery of the wax Museum) , généralement d’origine Européenne, qui sont troublants tant ils sont souvent des démiurges, des créateurs, des artistes (The mad genius, 1931) dans lesquels il est tentant de voir un autoportrait du metteur en scène. L’errance, sous toute ses formes, renvoie par ailleurs au thème du mouvement, et la plupart de ces films commencent par la vision d’un véhicule en action : le monde est en marche, nous dit Curtiz, et les personnes se déplacent en permanence, pas forcément parce qu’ils le veulent, mais parce que c’est leur destin.

Captain Blood, qui fit une star de Erroll Flynn tout en assurant un grand succès à Curtiz, va inaugurer une période prestigieuse durant laquelle la WB, qui est restée prudemment à l’écart des superproductions pendant quelques années, va désormais s’attaquer à des films épiques, à nouveau : William Dieterle en particulier va tourner un certain nombre de films, souvent biographiques, qui vont assurer un certain prestige à la firme. Le rôle de Curtiz dans cette nouvelle donne sera le plus souvent de se charger des films de distraction, avec des moyens accrus, mais sans apparente ambition : bref, du grand spectacle : Westerns (Gold is where you find it, 1938; Dodge City,1939 ; Virginia City,1940 ; The Santa Fe trail, 1941), film de pirates (Captain Blood, bien sur, mais aussi The sea Hawk, 1940), film d’aventures (The adventures of Robin Hood, 1938, coréalisé par William Keighley.) vont donc se succéder, sans pour autant que Curtiz ne cesse sa production courante : après Captain Blood, il tourne en effet un petit film de terreur d’une grande qualité, The walking dead (1936), avec Boris Karloff, il tourne aussi un excellent film qui mêle boxe et film noir, Kid Galahad (1937). Il se trouve enfin aux commandes de trois films familiaux, dont le but est sans doute de faire de la concurrence à la MGM et à se Andy Hardy : Four daughters(1938), sa suite Four Wives(1940), ainsi que le film Daughters courageous (1939)qui reprend les mêmes acteurs que Four daughters, et les mêmes situations, avec des noms différents. De cette période d’activité une nouvelle fois intense, qui dure jusqu’à la deuxième guerre mondiale, il faut bien convenir que les films n’ont pas tous la même importance, mais tous sont réussis : pour prendre le plus improbable des exemples, les trois comédies charmantes tournées avec les soeurs Priscilla, Rosemary et Lola Lane et l’omniprésent Claude Rains, citées plus haut, sont encore aujourd’hui parfaitement distrayantes alors que l’équivalent, produit par la MGM, est assez franchement insipide et insupportable ; Curtiz a su insuffler à ces films, comme d’ailleurs dans tous ses films, une inquiétude, une mélancolie, qui les rend terriblement humains. C’est d’ailleurs à cette époque que Curtiz, ainsi que d’autres cinéastes de la Warner (Walsh en tête), va redéfinir le film de gangsters, et donner naissance à un nouveau genre, qui va dominer le cinéma Américain des années 40 : le film noir. Chez Curtiz, le fameux Angels with dirty faces(1939), qui prolonge le film de gangsters en le dotant d’un aspect nostalgique, en montrant des gangsters rattrapés par leur passé, est un fleuron du genre, en même temps qu’un film empreint du profond pessimisme de Michael Curtiz. C’est ce pessimisme, déjà largement présent dans d’autres films de ce metteur en scène, qui va désormais prévaloir. On retrouve l’errance perpétuelle, déjà présente avant 1935, qui dominait les premier films avec Erroll Flynn, dont Captain Blood (Capitaine d’un bateau, décidément une métaphore bien pratique pour dépeindre l’exil et l’insatisfaction qui en découle) ; l’un des films les plus personnels de cette période, The sea wolf (1941), nous montre Edward G. Robinson, en capitaine de bateau en butte perpétuelle aux courants du monde, ne trouvant sa place nulle part… La résonnance de ce thème omniprésent dans la propre vie du double exilé Curtiz est très forte. Un autre thème en demi-teintes fait son apparition avec la difficulté à choisir son camp, un problème si crucial en temps de guerre, qui est au centre de Casablanca(1943) , Passage to Marseille(1944), avec Humphrey Bogart, mais aussi du plus anecdotique Yankee Doodle Dandy (1941)ou de Captain of the clouds(1942), tous les deux avec James Cagney. La décennie, marquée par des temps forts (Casablanca ; Mildred Pierce, 1945 ; Flamingo Road, 1949, The Unsuspected,1947)dans la carrière de Curtiz, est aussi entachée par quelques films de propagande, qui s’ils sont souvent impeccablement mis en scène, sont aussi d’une portée moindre (This is the army, 1942. Mission to Moscow , 1943), et par des films de commande dans lesquels le metteur en scène s’est mis en pilotage automatique (Night and day, 1946,un « biopic » fantaisiste et sympathique, sans grande envergure, de Cole Porter, avec Cary Grant, ou encore Life with father, 1948, un film d'une grande qualité dans la lignée des petites comédies familiales de la fin des années 30). C’est que la relève est déjà la, que Curtiz fait partie des grands anciens, et peut-être qu’il est fatigué d’être un exécutant, de luxe, mais qui doit encore au bout de vingt ans faire ce qu’on lui demande. Par ailleurs, si les succès de Curtiz sont nombreux durant ces vingt années, il y a des rancoeurs accumulées, par exemple le refus d’Erroll Flynn de tourner pour Curtiz après Dive Bomber (1942), le peu d’estime dans lequel des acteurs comme Cagney ou Bogart tiennent ce Hongrois gauche et parlant encore très mal l’anglais, la réputation de dictateur des studios que Curtiz conserve après avoir aboyé pendant 20 ans dans un Anglais approximatif sur les acteurs, tout ceci concourt à une certaine lassitude. Cela pourrait expliquer la production de The Unsuspected, tourné pour la Warner, mais dont Curtiz était l’instigateur, un film très personnel, c'est-à-dire noir : un homme de radio, très populaire, se révèle être l’auteur de crimes sans nom. Dans ce film baroque, avec un Claude Rains très inspiré, Curtiz semble une fois de plus s’identifier ironiquement à un criminel, et nous donne une vision quasi cannibale de l’activité artistique. S’il tournera encore durant plus de dix ans, jusqu’en 1953 à la Warner, puis pour d’autres studios, de film en film, le fait est que Curtiz ne fera pas d’autres Casablanca, et il est évident que le plus beau de son œuvre est derrière lui. Ses films des années 50 sont malgré tout de bons films, tant pis s’ils ne sont plus visités par le génie…

La plus grande surprise dans l’œuvre de Curtiz tient peut-être dans le fait que ce metteur en scène, souvent soucieux de trouver se place via ses personnages, qui n’avait pas froid aux yeux devant les missions les plus impossibles (Mission to Moscow est à ce titre un film poids lourd, puisqu’il y est question d’apporter son soutien à la Russie de Staline, nouvel allié des Etats-Unis en ces temps de guerre.), n’a jamais vraiment pris le temps de consacrer des films à ce qui lui était sans doute cher, la base de son errance : il était juif et exilé. Deux films y font toutefois allusion, mais l’un et l’autre sont des commandes, et n’abordent la question des origines que de façon anecdotique : véritable décalque de la partie Biblique des Dix Commandements(1923) de DeMille, L’esclave reine évoque le destin des Juifs en Egypte à l’époque de Moïse, mais sans vraiment y apporter de veine personnelle. Sinon, The sons of liberty (1939) nous montre de façon didactique la part qu’ont pris les Juifs dans la lutte pour l’indépendance Américaine avant 1776. C’était un court métrage qui faisait partie d’une série de films patriotiques et didactiques de la Warner, qui fleurissaient à la veille de la guerre. Le ton y est un peu trop sentencieux, et malgré l’interprétation du fidèle Claude Rains en Haym Solomon, le propos est bien distancié. Le Judaïsme était sinon, il est vrai, un sujet tabou dans le Hollywood des années 30 et 40 : le film consacré par William Dieterle à Zola ne prononçait pars une seule fois le mot « Juif » malgré son évocation de l’affaire Dreyfus, et Casablanca éludait totalement la question. Tout porte à croire que Curtiz ait eu plus de cœur à parler de son exil que de ses origines, qu’en exilé aguerri il avait du dissimuler très vite : l’antisémitisme n’a sans doute pas été pour rien dans son départ de Hongrie dès 1919…

A la lumière de ces constatations, il peut ainsi paraître malaisé de juger de l’implication d’un tel metteur en scène dans ses films, puisqu’après tout, Curtiz était finalement un technicien, un metteur en scène sui apprenait le dimanche qu’il commençait le tournage le lundi, un réalisateur qui ne lisait le script de fond en comble que s’il en avait le temps… L’auteur d’un film n’est pas nécessairement l’auteur de l’argument, le scénariste ; avec Curtiz, on voit bien que créer, c’est reprendre à son compte, et enluminer un film, en souligner les aspects qui semblent les plus importants. La comparaison avec Raoul Walsh, qui sera un grand metteur en scène de la Warner à partir de 1939, et qui tournera aussi des films noirs avec James Cagney et Humphrey Bogart ainsi que des films d’aventure avec Erroll Flynn, est à ce sujet particulièrement féconde : elle nous éclaire sur l’apport essentiel de chacun ces artistes. Disons, que si le film dans son entier était pour chacun des deux cinéastes le but d’un tournage, Walsh privilégiait la scène sur le plan, et en parlait avec ses acteurs, et ses figurants, afin de rendre une vue d’ensemble aussi efficace que possible ; il agissait ainsi en raconteur d’histoires, et contait des aventures généralement de façon énergique et sans temps mort, avec la complicité de ses acteurs. Curtiz pour sa part agissait hors de portée de ses acteurs, il privilégiait le plan sur la scène, estimant que tout plan dans toute scène avait son importance. Il dirigeait plus facilement les figurants, qu’il choisissait aussi souvent que possible lui-même, à plus forte raison dans son chef d’œuvre Casablanca dont le thème (L’errance de personnages qui ne seront jamais chez eux nulle part, la difficulté à choisir entre le confort de la survie et l’idéalisme de l’idéologie) lui était plus proche. IL racontait des histoires, oui, mais il montrait aussi un univers qu’il souhaitait, à l’instar de Cecil B. DeMille ou Erich Von Stroheim, recréer dans ses moindres détails. Cela passait en particulier par une profusion de luxe, comme en témoignent de nombreux plans et de nombreuses scènes de Robin Hood : rien n’obligeait Curtiz, pour un plan de la tablée ou trônait Claude Rains en Prince Jean et Olivia de Havilland en Marianne, à faire débuter la prise de vue par un panoramique de la salle de banquet, incluant le passage de nombreux figurants marmitons et la représentation de victuailles fumantes, et donc authentiques. Les comptables de la Warner râlaient souvent au vu des sommes astronomiques dépensées par l’initiative de leur metteur en scène le plus prestigieux sur ce genre de caprices. Néanmoins, d’une part les films rapportaient, donnant raison a posteriori au metteur en scène et d’autre part, il en avait besoin, lui, pour croire au monde qu’il avait ainsi dépeint. Il agissait bien en auteur, rendant personnel tous les films auxquels il s’attelait, et les signant d’une manière essentiellement visuelle : par des ombres. Les jeux d’ombres de Michael Curtiz, auxquels j’ai déjà fait allusion ici et là, sont la caractéristique la plus visible de l’art baroque de ce grand metteur en scène, une signature qui n’a pas une signification, mais plusieurs suivant les films. C’est un reste de la période durant laquelle Curtiz était l’un des représentants les plus prestigieux du cinéma Européen, une période justement marquée par les jeux visuels Allemands, dans lesquels la lumière et le noir jouait un rôle déterminant ; c’est une façon élégante de montrer sans montrer, comme le cinéaste l’a fait dans Doctor X , nous faisant comprendre que des actions terrifiantes avaient lieu(Un plan nous montre Fay Wray interrompant une séance de dissection, par exemple : l’actrice ouvre une porte, et s’adresse à son père hors champ ; la caméra se dirige alors vers la droite, et on aperçoit les ombres de plusieurs hommes s’affairant autour d’une table d’opération ; on ne verra pas plus, mais le message est passé.) ; d’autre part, c’est un moyen utilisé par Curtiz pour donner plus de force et plus de résonnance aux images : Dans Captain Blood, une autre opération, vue en ombre chinoise et interrompue par la police aura l’effet de provoquer l’accusation de Peter Blood, entrainant sa vie de hors-la-loi ; Enfin, c’est aussi une façon pour Curtiz de donner une vision de l’absolu: Dans The adventures of Robin Hood, une fois que leur duel a lieu, Erroll Flynn et Basil Rathbone s’affrontent à l’épée de pièce en pièce , et ce à la lumière de bougies. Leurs ombres les suivent, prenant de plus en plus de place dans le champ : le duel, d’inévitable rencontre final entre deux ennemis, devient un choc de titans… Pour Curtiz, ces jeux d’ombres sont nécessaires puisque il leur attribue une importance variable, de film en film, une place pas toujours énorme (Certains, notamment les films tardifs, en sont dénués : manque d’enthousiasme ?) mais systématiquement pleine de sens. Ils constituent une marque de fabrique, et j’en suis persuadé, ils sont la signature visuelle de l’artiste, au même titre que la main de Fritz Lang qu’il plaçait en, gros plan dans la plupart de ses films, ou que les célèbres apparitions de Hitchcock dans ses films… Une preuve de plus que Michael Curtiz, cinéaste singulier, était beaucoup plus qu’un simple artisan doué, mais bien le père de ses oeuvres, qu’il avait en dépit des difficultés rencontrées avec tel acteur ou tel technicien décidé de signer de la seule façon qu’il pensait possible : avec panache.

 
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Published by François Massarelli - dans Michael Curtiz