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24 avril 2019 3 24 /04 /avril /2019 19:16

La Russie Tsariste vit ses derniers jours: sur le front, le Grande Duc Eugene (Charles Farrell) commande des soldats de moins en moins motivés; à l'arrière la famille impériale est sous l'influence d'un "moine noir" qui ne sera jamais nommé, mais il est inutile de nous faire un dessin. Dans la campagne, une jeune femme, Tasia (Dolores Del Rio) a été recueillie par des paysans, suite à l'assassinat de sa mère maîtresse d'école, et l'emprisonnement de son père qui souhaitait éduquer les paysans aux arts. Tout ce petit monde va se retrouver embarqué dans la même tempête, dans la même "danse rouge"...

Après son spectaculaire What price glory? de 1926, et le vénéneux Sadie Thompson qui le voit diriger Gloria Swanson en 1927, Walsh s'est donc illustré à la Fox, avec ce véhicule pour les deux stars de la firme. L'idée d'opposer cet éternel enfant de Charles Farrell et la sculpturale actrice mexicaine Dolores Del Rio promettait d'aboutir à des scènes intéressantes, et nous ne sommes pas déçus. La belle actrice a beau avoir publiquement regretté les rôles qu'on lui donnait à la Fox (Principalement à cause de la légèreté de la garde-robe), elle est assez proche de Garbo en un sens: elle rend n'importe quel personnage intéressant...

Par ailleurs, c'est du pur mélodrame, situé entre dénonciation des conditions sous les tsars, d'une part, et démonstration d'autre part des horreurs d'une révolution qui fait semblant de donner le pouvoir à des paysans alcooliques. A ce titre, je pense que Walsh n'a pas cru une seconde, et qu'il a traité le tout comme un film à mener tambour battant en s'amusant du mieux qu'il pouvait. Je préconise qu'on fasse de même.

N'empêche! le talent du metteur en scène pour nous embarquer dans une aussi improbable histoire, son sens de la composition qui éclate en particulier dans les séquences révolutionnaires (pas un paradoxe quand on connaît le tempérament du metteur en scène qui a appris à Griffith a gérer les scènes de bataille), et la façon dont il obtient de chaque acteur, particulièrement Farrell, Del Rio et Ivan Linow, un naturel reversant: tout ça, pour un petit film de rien du tout, est renversant.

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Published by François Massarelli - dans Muet 1928 Raoul Walsh
24 avril 2019 3 24 /04 /avril /2019 19:15

Adapter la pièce Rain, elle même dérivée d'une nouvelle de W. Somerset Maugham, était un défi à la censure: en 1926, Lillian Gish avait réussi à faire en sorte que la MGM, sous la houlette d'Irving Thalberg, se lance dans une version d'un roman pourtant classique, The scarlet letter, de Nathaniel Hawthorne. Il avait fallu batailler, et c'est avec toute la ténacité qui la caractérisait que l'actrice avait finalement obtenu gain de cause: The scarlet letter parlait d'un adultère, vécu et assumé comme un amour. Sadie Thompson de son coté allait irriter les ligues de décence en présentant le couple habituel de la jeune femme "perdue" et du réformateur religieux, mais en donnant un point de vue inédit.

 

Le film a pu se faire, sans doute d'une part parce que par rapport à la pièce initiale, des modifications ont été acceptées... ensuite parce que le système de censure des studios Américains, chapeauté par un fantoche, n'était peut-être pas si drastique. Sadie Thompson est une jeune femme qui vient de San Francisco pour travailler dans une île des mers du Sud; elle est assez clairement venue des bas-quartiers, porte des tenues vulgaires, et semble éprise de sa propre liberté. Elle débarque pour une escale sur une autre île en même temps que deux couples, les Horn, de paisibles touristes tolérants et compréhensifs, et les Davidson, un pasteur rigoureux et sa femme, tous deux obsédés par le péché au point d'en faire de salaces cauchemars. Bien sur, Sadie est empêchée de se rendre à sa destination, le bateau devant l'emporter étant mis en quarantaine. Elle doit donc attendre son départ en cohabitant avec le pasteur qui ne tarde pas à l'accabler de tous les maux du monde. Elle trouve un certain réconfort auprès des soldats de la base Américaine proche, en particulier le sergent O'Hara, en qui elle trouve vite l'âme soeur, au point que celui-ci lui propose vite le mariage, afin qu'elle puisse refaire sa vie. Mais c'est compter sans le pasteur Davidson, qui a décidé d'empoisonner la vie de la jeune femme...

 

Sadie Thompson est-elle une prostituée? Peu importe, mais pour Davidson, c'est une évidence: elle fume, boit, se complaît dans la promiscuité masculine... Gloria Swanson incarne avec génie un personnage défini à travers un cocktail de comportements aujourd'hui plus pittoresques que scandaleux, mais l'intérêt, c'est que pour Sadie comme pour O'Hara, il semble qu'il n'y ta là rien de foncièrement immoral. Sadie provient de quartiers de San Francisco ou elle a subi la tyrannie des hommes, qui l'ont prostituée, ou associée malgré elle à des manigances criminelles. Cela importe peu, donc, car ce qui est important, c'est que pour Davidson, incarné par un Lionel Barrymore génial, elle porte sur elle tous les stigmates de la "femme perdue". Le film est de fait une attaque en règle de ces hypocrites et réformateurs de tout poil, et se sert de cette image de femme transcendée par un père-la-pudeur en réalité obsédé par sa propre concupiscence...

 Walsh, qui interprète le sergent O'Hara, nous donne ainsi plusieurs points de vue croisés, au lieu de se contenter du point de vue moraliste du mélodrame à la Griffith. Et de fait, entre O'Hara, qui comprend instinctivement que Sadie et lui viennent du même type d'environnement, et Horn qui apprécie peu l'aveuglement de Davidson, ou Sadie elle-même qui fait comprendre au public qu'elle a subi beaucoup de la part des hommes, c'est le procès des idées reçues qui est fait ici. Les "filles perdues" ne le sont pas de leur propre fait, et ce prédicateur aveugle qui voue Sadie à l'enfer fait fausse route. Plus grave, il rejoindra à la fin du film la liste des hommes qui ont fait du mal à Sadie, après avoir réussi à l'embrigader dans sa croisade... Barrymore joue le rôle tout entier, en prêtant son physique qui était encore modulable à cet inquiétant personnage. Walsh joue sur sa stature, en le présentant de dos, face à un O'Hara de face: le message est clair, le loup avance masqué... Et il prolonge ce type de plan qui joue sur l'anatomie en montrant Sadie aux pieds du prédicateur, peu de temps avant ce qui est bien un viol; elle est soumise, mais il va aller trop loin. Le titre de la pièce a donc changé, afin d'éviter les foudres de la censure, mais le territoire ou se situe l'action est balayé du début à la fin du film par une pluie battante, qui s'insinue en permanence dans les vêtements des personnages, qui dicte aussi les comportements, comme cette jolie scène ou O'Hara et Sadie se découvrent, elle juchée sur les épaules du gaillard pour éviter les flaques d'eau... La pluie devient une métaphore de l'inéluctabilité sensuelle des sentiments, ceux des deux amoureux, mais aussi hélas, ceux plus troubles de l'homme qui est censé incarner une certaine moralité.

Le film est l'un des chefs d'oeuvre de Walsh, au même titre que Regeneration, The roaring twenties ou White heat. Il est le portrait d'une femme mise en marge, qui demande la reconnaissance mais n'aime pas qu'on la contraigne à la mendier; elle est vue ici en être humain, par un réalisateur qui a non seulement décidé de ne pas la juger, mais qui va jusqu'à interpréter un homme qui tombe fou amoureux d'elle, sans aucune condition, et qui va l'assumer la tête haute. Un geste symbolique de la part d'un des réalisateurs les plus attachants et les plus humains d'Holywood, pour un film qui présente Gloria Swanson dans son  plus beau rôle muet, c'est dire... Hélas, le film est partiellement perdu, la dernière bobine n'ayant pas été retrouvée. La reconstitution qui en est disponible permet au moins de se faire une idée pertinente du film, mais on enrage de ne pas en avoir l'intégralité.

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Published by François Massarelli - dans Muet Raoul Walsh 1927 *
22 avril 2019 1 22 /04 /avril /2019 15:56

Le grand déclencheur, ça a été The big parade: le film de King Vidor a changé pour toujours la façon dont le cinéma Américain allait désormais voir la guerre. Avant, c'était Hearts of the world, The four horsemen of the apocalypse ou Shoulder arms: la tragédie, l'opéra même, voire la comédie, mais quelque soit la teneur dramatique, il y avait toujours un "nous" et un "eux"... Avec The big parade, on a découvert, enfin, que la guerre est une souffrance partagée, un gouffre dans lequel l'homme perd son humanité. ce qui ne l'empêche pas de rester, occasionnellement, un héros. Après le film de Vidor, d'autres sont venus s'ajouter et confirmer cette nouvelle façon de voir. Dans cette période qui va de 1925 à la fin du muet, on peut évidemment compter Wings (1927) de William Wellman, et le magnifique film All quiet on the western front (1930) de Lewis Milestone. De façon moins flagrante, Seventh heaven (1927) et Lucky Star (1929) de Frank Borzage, et Four sons (1928) de John Ford, s'ajoutent par certaines séquences à la liste. Enfin, ce film de Walsh, l'un des rares à avoir survécu, est l'un des plus gros succès de la période...

Deux Marines, le capitaine Flagg (Victor McLaglen) et le sergent Quirt (Edmund Lowe) sont d'éternels rivaux, depuis toujours: à chaque fois que Flagg fait une conquête féminine, Quirt se débrouille pour la lui piquer... Mais c'est la guerre, et Flagg est le che d'un bataillon au repos sur l'arrière, dans un petit village: il est très bien, du reste, car le cafetier local a une jolie fille, Charmaine (Dolores Del Rio), dont Flagg est vaguement amoureux. Bref, tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes, si d'une part Quirt ne venait relever le capitaine de son commandement, le temps d'une permission à Bar-Le-Duc, et bien sûr, s'il ne fallait pas de temps à autre aller chatouiller les Allemands...

L'impression qui domine, est celle d'une fuite en avant. Flagg et Quirt n'ont pas d'attache, semble-t-il, ils vivent tout entiers pour leur mission... Mais ça ne les empêche pas d'avoir une vraie lucidité sur les hommes qui les entourent. Flagg en particulier est une vraie mère poule, du moins par derrière... Et Walsh divise son film en deux sortes d'épisodes: ceux consacrés à la vie qui continue, à l'arrière, malgré la menace permanente, et ceux-là sont de la comédie pure et dure. Les autres parties du film sont bien sûr les scènes de guerre, et elles tranchent sur les autres par leur dureté et leur réalisme...

Le propos de Walsh est de montrer que l'homme a besoin en temps de guerre d'une sorte d'espace neutre, et Charmaine est cette garantie pour les deux hommes... Pas que pour eux, car Charmaine, qui clame haut et fort qu'elle ne vendra pas son coeur, devient chez le sentimental Raoul Walsh une mère poule pour tous les soldats qui peuvent mourir un jour où l'autre. Elle agit même en mère de substitution pour un jeune artiste-peintre dont Flagg pense qu'il n'a rien à faire dans cette guerre.

Mais rien à faire: le côté bourru des hommes entre eux en attendant la bataille, le "repos du guerrier" incarné par une fille pas farouche, tout ça est daté, et pas vraiment concluant... Trop de picaresque finit par rendre le film un peu suspect, et puis on n'oublie pas qu'il y a une pièce à succès, justement. Walsh a mieux dépeint la guerre dans Objective to Burma, par exemple... Reste qu'on aimerait au moins voir ce classique jamais édité en DVD dans de bonnes conditions! 

Une dernière chose: je ne le trouve certes pas convaincant, mais ce What price glory? de Raoul Walsh, a au moins un avantage pour lui: il n'est pas l'immonde remake de 1952, l'un des films les plus atroces de John Ford.

 

 

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Published by François Massarelli - dans Raoul Walsh Muet 1926 Première guerre mondiale **
21 avril 2019 7 21 /04 /avril /2019 18:38

Après Hot water, en 1924, Harold Lloyd a pris la décision de ne plus jamais faire ce genre de film, une histoire dans laquelle il est marié. On peut toujours se perdre en conjectures sur les raisons de ce rejet pour un genre qu'il maîtrisait, et peut-être les raisons en sont-elles privées (à l'écran en 1924, c'était Jobyna Ralston, une comédienne avec laquelle les relations furent, pour faire court, compliqué, alors que Lloyd s'était marié avec son ex-leading lady Mildred Davis), ou peut-être sont-elles juste pratiques: on sait que Lloyd était non seulement le réalisateur officieux de ses films, il en était aussi souvent le financier, le producteur, et avait un certain goût pour l'efficacité... Quoi qu'il en soit, ce film est une comédie sur le quotidien, un style dans lequel décidément Lloyd excellait, et l'histoire compliquée de sa production ne l'empêche pas d'être réussie.

Nous suivons Mildred et Harold, jeune couple marié, qui se promènent avec un landau... pourtant il ne contient pas un enfant, mais une bonbonne d'un liquide dont il y a fort à parier (au vu des nombreux hommes qui courent dans tous les sens, avec exactement le même type de landau) qu'il s'agit d'un acte de résistance contre la prohibition. En tout cas, ils rentrent chez eux, où sans prévenir, le beau-frère d'Harold a apporté ses deux enfants pour que le couple les garde... C'est le début d'une nuit de cauchemar.

Le film commence par le mariage des deux héros, vu en trois plans, dont le dernier est... une animation. Les 23 minutes qui suivent concernent l'enfer quotidien du jeune marié, qui doit se coltiner le petit neveu, un insupportable garnement, et son petit frère, et la raison pour laquelle la soirée tourne à la nuit d'horreur est que les deux jeunes mariés croient la maison cambriolée par un homme patibulaire interprété par Noah Young.

Le manque d'unité de l'ensemble est assez peu problématique, mais Lloyd retentera avec succès le mélange des genres dans Hot water en 1924. Sinon, I do était à l'origine un moyen métrage, dont Lloyd a décidé de supprimer l'essentiel de la première bobine, celle qui racontait la rencontre et la cour des deux tourtereaux... Il est très probable que le reste du film a fait l'objet d'un raccourcissement net, afin de cadrer avec la durée d'un court métrage de deux bobines.

Pour finir, si Lloyd a consacré ainsi un film à l'angoisse de l'idée de devenir parent, il est à rappeler qu'il a eu des enfants, et que tous ont vécu une enfance très heureuse... Ouf.

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Published by François Massarelli - dans Harold Lloyd Muet Comédie
21 avril 2019 7 21 /04 /avril /2019 14:23

Au moment d'entamer la réalisation de ce film, Douglas Fairbanks triomphe: ses trois premiers films spectaculaires (The Mark of zorro, The three musketeers, Robin Hood) ont confirmé la validité de son intuition, et c'est en héros qu'il a été accueilli en Europe. Reçu en embassadeur partout, il a aussi pu vérifier la solidité de l'industrie Allemande du cinéma, et s'est porté volontaire pour faire distribuer un certain nombre de films par le biais de la United Artists... avec une idée derrière la tête. Il envisage de réaliser un film merveilleux, et va s'inspirer de ce qu'il a vu. C'est une sage décision, le film fantastique Américain étant à cette époque en l'état de voeu pieux, il fallait s'inspirer de ceux qui savaient y faire: en 1924, la révolution de Caligari est passée par là, et on a pu voir sur les écrans Allemands Der müde Tod (Les trois lumières) et Die Nibelungen, de Fritz Lang, ou Le cabinet des figures de cire, de Paul Leni: ces trois films en particulier fourniront l'inspiration visuelle du nouveau Doug... Et puis il peut se vanter de bien remplir les salles avec ses films, et comme la United artists a été créée en premier lieu dans la but de satisfaire aux désirs des artistes (Chaplin, Fairbanks, Pickford et Griffith) qui l'ont imaginée, c'est en toute confiance qu'il se lance dans le tournage d'un film unique pour les années 20: un film fantastique, extravagant, mais tellement bien pensé et tellement soigné qu'il est encore irrésistible 9 décennies plus tard... Pour accomplir cet exploit, Fairbanks s'attache les services d'un jeune réalisateur qui monte, Raoul Walsh, avec lequel la complicité sera des plus efficaces.

Ahmed, le voleur de Bagdad interprété par Fairbanks, rejoint la liste des héros typiques de l'acteur: valeureux, c'est dans l'action qu'ils se définissent; ils ne négligent pas le déguisement (Zorro), et seront le plus souvent aidés dans leur volonté de sauver autrui par l'amour. Une fois motivés, ils peuvent déplacer les montagnes, et l'énergie athlétique dont ils font preuve peut éventuellement s'accompagner d'une aide, venue au bon moment, des hommes et des femmes qu'ils ont fédéré: voir bien sur Robin Hood, et plus tard The gaucho, ou The black Pirate. Mais surtout, les films sont un peu des parcours initiatiques dans lesquels le personnage principal va définir sa vraie nature: A Don Diego, l'inutile nobliau ridicule, Fairbanks oppose la flamboyance de Zorro; le "pirate noir" n'est pas en réalité le chef dur qu'il semble être, c'est un prince, et le Gaucho sera sauvé par l'amour... Comme le voleur de Bagdad. Mais celui-ci sera aussi sauvé par un certain nombre d'accessoires magiques, importés d'Allemagne: objets venus de l'orient dont un tapis volant (Les trois lumières) bestiaire imaginaire fantastique dans lequel brille un dragon (Die Nibelungen); le tout sera situé dans un orient constamment stylisé, assumé comme faux (Inspiré du Cabinet des figures de cire), et dont le rendu va bénéficier d'une idée toute simple: c'est une immersion complète, on ne verra aucune couture, ainsi on pourra assumer que le décor de Bagdad est fait d'un sol ciré, y compris dans la rue, ainsi, il sera possible d'assumer cette fausse mer faite de toile... Le résultat est proche d'un décor d'opéra.

A l'expressionnisme de ses sources, Fairbanks va opposer une autre forme d'exagération, en accentuant le coté ballet de sa propre prestation, d'autant que les figurants sont tellement nombreux qu'il faut bien faire un effort pour que l'acteur s'en détache. Un bon exemple de cette gestuelle exagérée se trouve au début du film, lorsque Fairbanks est encore un simple voleur, et parcourt de balcon en toit les rues de Bagdad, en grapillant son déjeuner, et les bourses tentantes des passants. Voyant la démonstration d'une corde magique, il la convoite, et fait un geste de la main, qui fait d'ailleurs penser à un enfant. Ce geste répété n'a rien de naturel, mais est parfaitement clair. Autre avantage pour l'acteur, il peut, pour une fois, échapper au maquillage qui le blanchit considérablement habituellement, puisque Fairbanks est un adepte des activités sportives sous le ciel de Californie et sa peau constamment exposée a le plus souvent besoin qu'on l'assagisse un peu s'il veut jouer un D'artagnan ou un Robin Hood... Ici, c'est un Fairbanks au naturel, habillé de peu d'étoffe du reste, qui va exposer son corps d'athlète dans des gestes plus emphatiques encore que d'habitude. Enfin, l'exagération et l'exacerbation des mouvements sont étendues à l'ensemble du casting, dans lequel on reconnait Julanne Johnston en princesse, So-Jin en prince Mongol, Anna May Wong en traîtresse, et Snitz Edwards en copain du héros; Ahmed est donc un voleur militant, qui ne vit que par une seule philosophie: quand il a envie de quelque chose, il le prend. Lorsque c'est une belle princesse qu'il convoite, il va mettre au point un stratagème pour être l'un des princes qui s'alignent pour venir lui faire officiellement la cour. Et va du même coup être transformé par la révélation de l'amour... Mais parmi ses rivaux, il y a aura aussi le fourbe prince des Mongols, cruel et plein de ressources pour faire le mal et assumer son but: la domination...

On le voit, ça se gâte vers la fin du résumé, puisque cette sale manie de donner le mauvais rôle aux Asiatiques est ici présentée de façon spectaculaire, avec deux des stars Orientales les plus populaires. Mais dans le cadre du film, situé dans un imaginaire de carton-pâte (Avec les beaux décors en somptueux vrai-faux de William Cameron Menzies), cette odieuse convention s'accepte finalement assez bien... Et avec ses treize bobines, et 152 minutes de projection, le film s'offre le luxe d'être l'un des plus longs films Américains des années 20, je parle ici des durées de films en exploitation, non lors de premières, souvent plus longues. Cette longueur inhabituelle est sans doute l'une des raisons qui vont pousser le public à bouder le film, hélas... Dommage parce que non seulement c'est une fête visuelle, mais en prime les effets spéciaux sont très réussis, la cohérence des séquences merveilleuses un rare succès dans un pays qui, répétons-le, ne savait pas encore faire du cinéma fantastique... Et Walsh dans tout ça? Disons que d'une part, il peut s'enorgueillir d'avoir réalisé non seulement le plus long, le plus cher, mais aussi le meilleur des films de Fairbanks. Et sa réputation n'est aujourd'hui plus à faire, mais l'image du conteur génial est née de ce genre de films, dans lesquels le metteur en scène s'efface derrière l'efficacité de ses dispositifs. Et il fallait du talent pour réussir à rendre cohérent un mélange entre personnages bien définis, décors délirant et envahissant, et histoire de longue haleine; réussite, selon moi, sur toute la ligne: on ne perd jamais de vue les héros, et les allers-retours entre Ahmed et ses concurrents lors de la recherche d'un objet magique pour permettre de départager les "princes" afin de déterminer qui emportera la main de la princesse sont un conte qui se boit comme du petit lait. Quant aux idées d'importation (Dragons, tapis volant, boule de cristal, cape d'invisibilité), ils sont parfaitement rendus, et ne se contentent pas d'apparaître, le metteur en scène les a dotés de vie... Donc c'est un grand film de Raoul Walsh, autant qu'un grand Fairbanks... celui-ci va avoir du mal, d'ailleurs, à suivre ce film, c'est le moins que l'on puisse dire. En attendant, replongeons-nous dans l'un des plus beaux films des années 20, si possible avec la musique inspirée de Rimsky-Korsakov qui était déjà le principal choix en 1924...

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Published by François Massarelli - dans Muet Raoul Walsh 1924 Douglas Fairbanks **
21 avril 2019 7 21 /04 /avril /2019 11:57

Un Harold Lloyd prédisposé à la déprime rencontre dans un parc d'attraction une jeune femme (Mildred Davis) hélas courtisée par un autre jeune homme (le rival est Roy Brooks). Elle leur donne une épreuve afin de les départager, qui va les pousser à beaucoup de mouvements, tricheries, et même à quelques actes illégaux.

La vitesse, le jusqu'au-boutisme, la débrouillardise de chaque instant... Tous ces éléments sont du pur Lloyd, pour le premier film co-réalisé par Fred Newmeyer, un réalisateur qui a l'oeil. Le film, qui fait appel à toute la bande habituelle (Sammy Brooks, William Gillespie, et bien sûr Noah Young en policier en civil, particulièrement menaçant), aurait du être le dernier film en deux bobines, l'acteur et son équipe se sentant pousser des ailes, mais il y en aura accidentellement un autre...

Pourtant, tout ici pousse vers une durée plus longue, à commencer par le fait que ce court est en fait en trois parties: une première dans laquelle Lloyd est à la fête et finit par fare la connaissance de Mildred, qui finit par demander à ses deux amoureux de contacter sa mère, autant dire qu'elle sonne le début officiel de la confrontation! Dans la deuxième partie, Lloyd prend pour cible le téléphone, et c'est tout un univers de communication et d'incommunicabilité qui se met en branle. Derrière cette suite de séquences formidables, à la mécanique diabolique, je soupçonne le talent de Fred Newmeyer... Enfin la dernière partie située de nouveau dans le parc d'attraction est plus conventionnelle, et plus rythmée: ce sont les déboires de Lloyd avec des policiers soupçonneux, et il y a de quoi! En effet, le jeune homme a sur lui un sac à main volé... Qui plus est, c'est celui de Mildred Harris.

Voilà, à sa façon, ce film survolté dans lequel Harold Lloyd dit adieu  à un format qui lui a permis de refaçonner son art de façon intégrale, et pour lequel il a tout donné, y compris sa main... Et il y pose déjà les bases de la suite, sans parler du fait que le parc d'attraction est un lieu propice, dans ces années 20, à faire du cinéma: l'acteur y reviendra huit années plus tard, dans le superbe Speedy.

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Published by François Massarelli - dans Harold Lloyd Muet Comédie
21 avril 2019 7 21 /04 /avril /2019 11:47

Regeneration serait le plus ancien film de Walsh encore disponible. Le conditionnel s’impose : on en sait peu sur cette période et les films vraiment consultables… Quoi qu'il en soit, ce film tourné dans les quartiers de New York vient, trois ans après The musketeers of Pig Alley, de Griffith, donner la version de Walsh du film de gangsters. La comparaison des deux œuvres permet de constater que le point de vue, la méthode, le script, les efforts demandés aux acteurs, sont bien différents dans l’un et l’autre.

Walsh aborde son film en Irlandais, et en catholique : c’est une évidence, même s’il fait jouer à l’amour au sens sentimental du terme un rôle extrêmement important, il est clair que la rédemption comprise dans le titre naît d’un engagement personnel complet du personnage principal. Il peint une Amérique des bas-fonds dans laquelle certes les gens les moins aisés ont la solution de facilité du crime, mais ne les juge d’autant pas que son héros, Owen Conway (Rockliffe Fellowes), s’est fait tout seul après avoir fui le domicile de ses parents adoptifs, le père (James Marcus) étant une grosse brute avinée. Son caractère fondamentalement positif apparaît dans une anecdote, lorsque Owen sauve un jeune garçon handicapé des brimades d’un groupe de grosses brutes: il le suivra ensuite jusqu'au bout du monde par reconnaissance. Le déclic se fait lorsqu’ Owen rencontre Marie Deering (Anna Q. Nilsson), une jeune bourgeoise qui participe à une mission. Il l’aide, et bien vite va tomber amoureux, ce qui va le pousser à s’amender. Mais tous ses ex-copains ne l’entendent pas de cette oreille.

Le naturalisme du film est son meilleur atout : autant dans la reconstitution des bas-fonds, que dans la participation de vrais gangsters et de figurants authentiques, on retrouve la vision simple et directe d’un monde tangible. Les acteurs sont amenés à jouer d’une façon toujours juste; Walsh atteint ainsi une certaine vérité des sentiments qui permettent à la dimension sentimentale importante du film (On est Irlandais ou on ne l’est pas) de passer sans forcer. Et puis contrairement à Griffith, il se repose largement sur les images sans imposer une seule fois d’éditorial: c’est un film réalisé par un conteur qui a compris que les images sont son seul vecteur.

Et il me paraît, par rapport au style certes foisonnant du cinéma Américain des années 10, particulièrement en avance sur à peu près tout le monde: lui qui vient de participer à l'aventure de The birth of a nation pourrait même, avec son découpage dans lequel aucun plan n'est inutile, et chaque image frappe par sa beauté, son authenticité et les couches de sens qu'elle contient, en remontrer à Griffith soi-même: par exemple, à l'heure où son ancien patron tente avec plus ou moins de bonheur d'imposer des travellings lents, qu'il appelle ses "mouvements Cabiria" en référence au film de Pastrone, Walsh lui non seulement les utilise de façon formidable, mais il leur donne constamment du sens...

Et cerise sur le gâteau, non seulement Raoul Walsh sait recréer le monde naturel et complexe dans lequel il a largement vécu (la dimension personnelle de ce film si Irlando-Américain ne doit pas nous échapper), il sait aussi tirer parti de la vérité face à lui: j'ai fait allusion aux "acteurs" de fortune, vrais gangsters et vraies filles de joie, qu'on croise dans le film, mais il n'avait pas prévu qu'il y aurait un vrai incendie sur un vrai bateau, celui précisément sur lequel il était en train de tourner une fête organisée par la mission. Imperturbable, Walsh a demandé à son équipe de continuer à tourner: il a ainsi obtenu une vraie panique...

C’est donc un drame superbe dans lequel l’un des plus grands réalisateurs du siècle se révèle dans toute sa fraîcheur… La Fox avait en son sein un artiste sur lequel elle allait largement se reposer dans les années qui suivraient ; quel dommage que la plupart des films qui en résulteraient soient aujourd’hui perdus…

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Published by François Massarelli - dans Muet 1915 Raoul Walsh *
20 avril 2019 6 20 /04 /avril /2019 17:23

Comme Cocktails, de Monty Banks, ce long métrage est une curiosité tournée en Grande-Bretagne, mais ce sera la dernière fois que Harald Madsen et Carl Schenström tourneront si loin de chez eux. Ils feront de nouveau des films hors du Danemark dans les années 30 avant le décès de Schenström, mais ce sera en Suède ou en Allemagne. Pour le reste, il n'y a pas grand chose à dire de ce film, si ce n'est que c'est du grand n'importe quoi...

En perse, un magicien est appelé à retrouver un tapis volant qui s'est échappé. On le retrouve à Londres, où il est tombé: plus précisément dans un terrain vague, où un bus antédiluvien attend qu'on veuille bien l'utiliser... ce que vont justement faire Alf (Madsen) et Bill (Schenström), deux copains. Avec leur bus et "leur" tapis volant, ils vont aider une jeune femme et le petit ami de celle-ci à retrouver son père disparu...

Il est à noter que c'est le premier film (partiellement) parlant des deux comédiens, et que la publicité de l'époque vantait l'authenticité de l'accent cockney. Ce qui me fait penser qu'il y a probablement eu un doublage... mais pour s'en rendre compte, ce n'est pas avec les copies en circulation: la version raccourcie de la ZDF est comme toutes les autres: muette. Ce qui donne, du reste, un certain charme à un film qui en manque sans doute cruellement...

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Published by François Massarelli - dans Muet 1929 Schenström & Madsen Comédie
20 avril 2019 6 20 /04 /avril /2019 17:17

Quand Charley Chase (Bromo and Juliet, 1926) reçoit l'invitation par Katherine Grant de participer en public à une pièce de théâtre, c'est pour se promener en costume sur tout un court métrage, mais nous aurons quand même droit à un fragment de la pièce, qu'il marquera de son empreinte indélébile. Et justement, dans ce petit film, Mildred Davis, qu'il a l'intention d'épouser, lui demande de lui donner la réplique sur scène...

Mais ce n'est pas le même film, loin de là: ce qui compte vient, en effet, c'est que Harold Lloyd joue ici avec un accessoire typiquement associé aux années 20: la voiture individuelle. les personnages joués par Lloyd ne sont pas passés à coté de l'opportunité et du progrès, ils les ont adoptés. Dans ce film, le jeune homme a pour adversaire une voiture, généralement récalcitrante, alors qu'il est pressé: sa vie sentimentale en dépend. Du cinéma classique, qui n'adopte pas la forme que ce type de films prendra chez Laurel & Hardy, plus destructeurs...

Et cette folle équipée finit quand même par être un peu sage. Ce ne sera pas du tout le cas quand Lloyd devra empêcher le mariage de Jobyna Ralston dans le final grandiose de Girl Shy en 1924.

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Published by François Massarelli - dans Muet Harold Lloyd Comédie
20 avril 2019 6 20 /04 /avril /2019 09:43

Ce film est une véritable curiosité, dont l'existence même pose de nombreuses questions: qu'est-ce que Monty Banks, comédien Italo-Américain qui n'a jamais vraiment percé (disons qu'on ne l'associera pas avec Chaplin, Langdon, Keaton, Laurel ou Lloyd...) faisait à Londres en 1928? Pourquoi lui a-t-on confié ce film? Et par dessus tout, qui a laissé faire les transgressions contenues dans cette étrange comédie burlesque Britannique?

Sur un transatlantique, nous faisons la connaissance d'un certain nombre de personnes: un gentil jeune couple d'amoureux, la femme de chambre de la jeune femme, un escroc international et sa bande, trafiquants de drogue, et deux pickpockets alcooliques: concernant ces derniers, nous avons deux transgressions en une: que Fy Og Bi (Doublepatte et Patachon) soient des escrocs minables, passe encore, mais de redoutables pickpockets, ça ne leur va pas - et l'alcoolisme pratiqué par Madsen ici comme une religion et qui donne d'ailleurs son nom au film, ça fait très bizarre!

L'intrigue concerne le fait que pour écarter les soupçons, le bandit va se débarrasser d'un peu de cocaïne, en la cachant dans le vêtement du jeune amoureux, qui va immédiatement avoir des ennuis avec la justice. Les seuls témoins sont les deux vagabonds, mais ceux-ci sont débarqués dans un port par l'équipage: bref, course-poursuite, quiproquos divers, etc...

C'est plaisant, autant qu'une comédie décérébrée puisse l'être. Mais si on comprend très bien que la compagnie British International Pictures, qui souhaitait faire honneur à son nom, ait voulu faire du cinéma avec les deux immenses vedettes européennes qu'étaient Harald Madsen et Carl Schenström, j'aimerais savoir comment ce dernier a été amené à trahir son personnage et se laissant raser la moustache, et en apparaissant à la fin du film sous son vrai visage, celui d'un gentleman, certes grand, mais surtout élégant et semble-t-il désespérément normal. Oui: normal. Il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark...

 

 

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Published by François Massarelli - dans 1928 Muet Schenström & Madsen Comédie