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14 juillet 2020 2 14 /07 /juillet /2020 09:58

Faire se rejoindre le souffle épique du cinéma, l'intimisme du drame, et le côté populaire de ce qu'on appelait à l'époque les ciné-romans... Quoi de mieux que Les Misérables d'Hugo pour obtenir ce résultat? C'est que Fescourt, qui participe à toutes ces entreprises, a sans doute à coeur de faire un film dans lequel il pourra exprimer toute sa sensibilité. Un roman qui, près de trois quarts de siècle après sa parution, incarne presque à lui tout seul la sensibilité particulière d'un siècle d'humanité: Chrétien mais pas servilement; révolté par l'injustice, mais pas injuste avec les grands de ce monde; un roman témoin d'un siècle de progrès humain autant que de la pérennité de l'oppression, et dont les justes comme les salauds étaient à leur façon des héros, témoins d'une expérience complète de l'humanité. Toute la sensibilité géniale, foisonnante, de l'indigné Hugo s'y trouvait, et chacun, lecteur ou spectateur, pouvait à son tour s'y retrouver... C'est exactement ce que l'on peut dire de cette version du roman par Henri Fescourt.

Ce n'était pas la première fois que le roman était adapté, Capellani s'y était attelé en 1912 et la Fox en avait produit une version de Frank Lloyd pour servir de véhicule à l'acteur William Farnum. Ce ne serait bien sûr pas non plus la dernière... Et si la version de Raymond Bernard de 1933 a la faveur des cinéphiles (à juste titre, elle est formidable), c'est cette version de 1925 qui porte la redoutable distinction d'être la première, et à ma connaissance, la seule à être aussi fidèle au roman, non seulement dans sa trame globale, mais aussi dans la multiplicité de ses rebondissements. Et donc dans sa durée... J'ai dit ici ou là que l'un des enjeux du cinéma muet des années 20 était d'y insérer la dimension romanesque. C'est ce qui a motivé des films comme Greed, aux Etats-Unis, avec le résultat désastreux que l'on sait, ou La roue en France, dont au moins une version témoigne de la réussite. En adaptant Les Misérables pour la Compagnie des Ciné-Romans, Fescourt s'est donc attelé à un film-fleuve de plus de six heures en quatre parties (inspirées par le découpage de son roman par Victor Hugo), une oeuvre qui se refuse à choisir entre l'attrait du cinéma populaire et l'exploration psychologique des personnages. Après tout, Hugo avait lui aussi situé son drame non seulement dans la réalité sociale d'un pays en proie à des bouleversements à répétition, mais aussi et peut-être surtout dans la tête en constante révolution de ses personnages principaux: Javert, le jeune Marius Pontmercy, et bien sûr Jean Valjean...

Le premier atout, considérable, du film, est dans ses personnages, justement. Une durée de six heures de film a permis au metteur en scène de développer les caractères, de laisser la chronologie et la suite des événements rendre les actes et les pensées visibles, logiques, motivées non par le recours aux types et stéréotypes, mais bien par un parcours psychologique, par un recours aussi à ce qu'on laisserait aujourd'hui dans la marge et qu'on appellerait "back story"; c'est vrai pour Marius (François Rozet) qui acquiert sous nos yeux de la maturité en raison du côté tortueux de ses origines qui nous sont d'ailleurs présentées en détail, c'est vrai évidemment pour Jean Valjean auquel Gabriel Gabrio confère une impressionnante force tout en jouant en permanence à l'économie. C'est vrai enfin pour Javert, que Jean Toulout (un acteur méconnu, que son physique condamnait à jouer des stéréotypes) interprète du début à la fin quasiment avec le seul recours à ses yeux... Complétant la galerie, on aura évidemment Monseigneur Myriel (s'il fallait absolument se plaindre, c'est ici: Paul Jorge interprète vraiment le personnage avec les clichés du bon ecclésiaste), Fantine et Cosette interprétées toutes deux par Sandra Milowanoff, le vieux Gillenormand, développé dans toutes ses contradictions fascinantes par Henri Maillard, puis toute une faune formidable, tirée de tous les coins et recoins de l'oeuvre adaptée... Et puis il y a les Thénardier.

C'est un peu devenu LE rôle pour un acteur ou une actrice... Jouer un Thénardier, surtout à l'époque du parlant, c'est marquer l'écran et les esprits avec toute la panoplie de l'ordure... On apprécie que Fescourt ait choisi ici une autre approche, dans laquelle les Thénardier vont se révéler par étapes. Quand Fantine voit la mère Thénardier (Renée Carl), seule avec ses filles devant leur auberge minable de Montfermeil, elle apparaît comme une mère, aimante et calme, qui regarde avec tendresse ses deux filles Eponine et Azelma jouer. De quoi donner confiance à Fantine qui lui confiera bientôt sa fille: c'est justement dès qu'on parlera d'argent que les Thénardier  vont se révéler. Et Georges Saillard, qui interprète le fameux "Sergent de Waterloo", va le jouer génialement, avec le corps, les yeux, et la puissance que lui confère son petit corps de planqué... Un personnage qui survivra du début à la fin sur un malentendu qu'il exploitera jusqu'à plus-soif... Deux autres Thénardier seront développés dans les deux dernières parties du film, bien sûr: Eponine devenue adulte est incarnée par Suzanne Nivette, une actrice rare et dont le physique (grande, maigre, brune, au profil saillant) sert à merveille un personnage fabuleux de jeune femme née du ruisseau et la tête dans les étoiles. J'ai toujours pensé qu'Orane Demazis gâchait toutes les scènes qu'elles jouait par sa diction dans le film de 1933, un défaut évidemment qu'on ne peut reprocher à cette actrice! Mais au-delà de l'absence de son, Fescourt enrichit le personnage en laissant à l'actrice le soin de la faire vivre aussi longuement que possible, et lui confère un authentique point de vue quand son chemin croise celui de Marius, Valjean et Cosette. Et puis bien sûr il y a Gavroche (Charles Badiole), auquel la continuité du film permet d'échapper au cliché que le personnage est devenu, ce gamin sorti de nulle part pour devenir un héros des barricades; ici, on sait que Gavroche est en fait un gamin qui n'a pas été aimé, ni probablement voulu, par ses parents, et condamné dès son plus jeune âge à vivre à l'écart, ce qui nous est expliqué en quelques secondes par un plan d'une rare efficacité. Et s'il demande le plus souvent de la subtilité à ses acteurs, parfois Fescourt va au contraire jouer la carte de l'excès, ainsi pour le personnage de Fantine (la scène de son arrestation par Toulout-Javert, sous les yeux de Madeleine-Valjean-Gabrio) il permettra à Sandra Milowanoff de se lâcher complètement, dans une scène qui atteint au baroque, mais dans lequel la déchéance de la jeune femme la fait aller jusqu'au bout de l'horreur de sa situation; ou encore favorise-t-il avec le jeu de Maillard l'excentricité de Gillenormand, qui trottine plus qu'il ne marche, voûté sur sa canne, dans sa propre maison. Tous ces excès, ciblés, sont à bon escient... Car c'est toujours le naturel qui domine, pas seulement celui des acteurs, mais celui des personnages... et du décor.

Dès le départ, Fescourt a décidé de tirer profit autant que possible des paysages et des villages Français, en particulier des petites bourgades pas encore forcément touchées par le progrès dans le sud de la France. La vision de Valjean, qui arrive à Digne, au beau milieu des montagnes, marchant en plein soleil sur des chemins rocailleux, montre à merveille ce parti-pris qui ne quittera jamais le cinéaste dans les trois premières parties du film, qui respirent en permanence. Le choix de tourner l'insurrection des trois jours en studio s'explique facilement: la révolution tragique qui reste l'événement phare de la dernière partie, celui dans lequel les caractères de tous les personnages vont se révéler, et pour certains mourir, implique une logistique phénoménale, une utilisation savante d'explosifs et d'armes, et devait sans doute être contenue par le studio afin d'être contrôlée. Donc ça se voit, mais ça reste grandiose grâce au souffle de la mise en scène, au montage, et à l'interprétation. J'irais même volontiers jusqu'à dire que Fescourt réussit avec bonheur à tourner une scène aussi spectaculaire (comme Raymond Bernard dans Le miracle des loups, ou dans Le joueur d'échecs) sans jamais se vautrer dans l'excès de zèle comme un Gance qui aurait sans doute demandé en permanence à ses acteurs de se serrer la main de façon virile, les yeux dans les yeux, entre chaque coup de fusil!

Les costumes, qui doivent couvrir le temps d'une génération et adopter les changements de la mode de 1815 à 1835, sont aussi étudiés jusque dans les moindres détails, entre culotte avec bas et escarpins, et bottes cachées sous d'austères mais élégants pantalons fuseaux... Et la mode devient non seulement indicatrice de l'époque, témoin du temps qui passe, elle est aussi évidemment une donnée sociale et parfois un reflet du caractère. Ainsi le vieux Gillenormand, un légitimiste aux idées raides qui contredisent son grand coeur, est-il du début à la fin du film habillé à la mode de 1815, alors que Javert adopte dès le départ l'habit fonctionnel qui sera le sien tout du long: parfait pour sa personnalité qui se refuse à tout changement, le conservatisme dans toute sa puissance...

La mise en scène est inspirée, directe, sans jamais dévier de la lisibilité pour le spectateur, et se reposant sur un nombre d'intertitres, le plus souvent didactiques, qui est remarquablement bas. Ils sont inspirés d'Hugo, bien entendu: ce sont les cartons qui chanteront à la place de Gavroche son fameux "la faute à Voltaire", mais la scène est bien dans le film! La photographie est due à quatre opérateurs (Raoul Aubourdier, Léon Donnot, Georges Lafont et Karémine Mérobian, tous inconnus au bataillon en ce qui me concerne) qui se sont succédés sur le tournage et Fescourt a réalisé avec eux des prouesses: je parlais des scènes solaires des premières parties, mais les scènes de nuit abondent, et non des moindres: la sortie de Cosette, avec ses visions monstrueuses d'enfant, les scènes crapuleuses des visites de Valjean au crapuleux domicile des Thénardier qui ont quitté Montfermeil... La scène des égouts enfin est formidable, et l'obscurité est utilisé avec un grand bonheur pour dissimuler de  probables artifices, car on s'y croirait vraiment... Le montage, bien sûr, est très maîtrisé, éloigné des exercices délirants à la Gance ou L'Herbier, Fescourt sachant exactement ce que le public des Ciné-Romans attend. Mais ça ne l'empêche pas de l'utiliser avec génie quand il s'agit de souligner une émotion (un gros plan de Cosette, de deux ou trois photogrammes qui servira à montrer la pensée de Marius quand il pense qu'il va mourir) ou de montrer, selon le mot d'Hugo, la tempête sous un crâne. Ce n'est pas du crâne de Valjean qu'il s'agit ici, mais bien de celui de Javert, qui vient de souffrir d'un geste de bonté de Valjean et pire, lui a témoigné lui-même de la bonté à son tour. Fescourt nous montre Javert, assis seul avec sa conscience au poste de police; son regard est désemparé, dans le vide. Un intertitre: "L'idéal, pour Javert, ce n'était pas d'être humain, c'était d'être irréprochable". Puis, il retourne au plan du personnage assis. Soudain, deux intertitres: "Autorité", "Loi"; retour à Javert, la caméra s'est rapprochée, le visage s'affaisse sous le coup du doute; deux intertitres, les caractères sont plus gros: "Devoir", "Justice". Nous retournons à Javert, la caméra s'est à nouveau rapprochée. Son regard glisse vers elle, comme s'il nous regardait dans les yeux. Un intertitre, en caractères énormes: "Bonté". Puis le visage, les yeux droit dans les nôtres, en très gros plan. Un intertitre: "Dieu"; un retour au même plan, mais cette fois, Javert baisse les yeux, troublé; le plan est devenu flou...

On pourrait encore y retourner, reprendre ces six heures méthodiquement et en retirer les trésors, qu'ils aient été dictés par la nécessité de traduire Hugo pour le cinéma, ou d'affirmer une sensibilité personnelle de Fescourt. Avec ce film de six heures, point culminant probable d'une oeuvre immense, mais si rare, il a réussi en tous points une adaptation essentielle, vision d'un classique autant que son illustration parfaite, dont je dois dire qu'elle m'apparaît comme la meilleure que j'ai vue tout simplement; peut-être parce que c'est la plus complète, et parce que Fescourt a compris comme d'autres à l'époque, que le cinéma pouvait bien s'accommoder de la durée; d'ailleurs, la mode n'est-elle pas au binge-watching, au fait de consommer des images par épisodes successifs, des heures durant? Ce qui permet à des personnages d'acquérir une profondeur, une vérité troublante, de par leur parcours. Gance, Stroheim, et manifestement Fescourt avaient tout compris. ...Et incidemment, Hugo aussi. Et ici, c'est au service d'un drame humaniste de haute volée que cette durée psychologique s'applique pour notre plus grand bonheur.

 

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Published by François Massarelli - dans 1925 Henri Fescourt Muet
7 juillet 2020 2 07 /07 /juillet /2020 13:16

C'est sans doute LE fleuron de ce qu'à défaut d'être un documentaire, on pourrait appeler le cinéma non-narratif des années 20... Une promenade dans Berlin, structurée sur une journée, du petit matin jusqu'à la tombée de la nuit, d'une arrivée en train (avec un montage enthousiasmant) à une célébration en forme de feu d'artifice... Le film était un gros projet du cinéaste Walther Ruttmann, un avant-gardiste qui avait fait ses premières armes dans l'animation expérimentales... 

Son film, structuré en 6 actes, et assez resserré (il ne dure pas beaucoup plus d'une heure), est si on en croit les historiens né d'une conversation avec le scénariste Carl Mayer: "Et pourquoi ne réaliserais-tu pas un film non narratif sur Berlin?". C'était la mode, il y a de nombreux exemples, mais la plupart des oeuvres étaient plutôt des courts ou moyens métrages... Avec rien moins que Karl Freund, Ruttmann a donc sillonné la ville à la recherche d'images à faire, avec parfois la tentation d'influer un peu sur son sujet: ici une bagarre jouée, là un faux suicide recréé... Mais dans l'ensemble le film est un montage de vues documentaires, aussi objectives qu'il était possible, ce qui vaudra d'ailleurs à Ruttmann d'être accusé de refuser toute lecture politique de la ville. Sans doute n'était-ce tout simplement pas le sujet.

Et puis, si Ruttmann lui-même, qui avait fait la première guerre mondiale, allait décéder en mission durant la deuxième, comment oublier que le film est exactement à mi-chemin entre ces deux guerres, et comment surtout ne pas souligner que la ville vivante, grouillante, vivace et joyeuse qui nous est montrée, dans sa diversité et sa modernité, au cours de ce film, n'existe tout simplement plus?

 

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Published by François Massarelli - dans 1927 Muet **
2 juillet 2020 4 02 /07 /juillet /2020 07:30

2026: un mariage se prépare... Le bel épousé, qui rougit et tremble à la pensée de ce qui va être le plus beau jour de sa vie, est Clyde Cook, bien protégé par sa maman... non, son papa James Finlayson. Et il épouse Katherine Grant, la businesswoman à succès. Mais dans l'ombre, une vile séductrice, toute cravate dehors, l'attend et lui fait de l'oeil... ça va mal finir: comment un mariage aussi mal parti peut-il évoluer?

Réponse: dans une comédie matrimoniale à la Hal Roach! Ce film de deux bobines appartient à une période de transition pour le studio, quand on testait de nouvelles combinaisons d'acteurs (ici, Finlayson sert de faire-valoir à Clyde Cook) alors que les seules séries en cours qui marchaient toutes seules étaient les films de Charley Chase (passé à un format de deux bobines) et les comédies Our Gang; Lloyd était parti depuis 1924, et les films hautement farfelus avec Stan Laurel, James Parrott, Snub Pollard, n'avaient pas rencontré le succès. C'est justement le nom de Stan Laurel, qui ambitionnait vraiment de passer de l'autre côté de la caméra et de devenir réalisateur-scénariste, qu'on retrouve parmi les responsables de cet étrange film d'anticipation qui s'amuse avec les codes masculins et féminins que les comédies de Roach véhiculaient... C'est donc assez joyeusement idiot, et on a mis les petits plats dans les grands comme on dit: il n'y a que du beau monde dans ce petit film...

 

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Published by François Massarelli - dans Muet Comédie
29 juin 2020 1 29 /06 /juin /2020 15:10

En Norvège, il y a bien longtemps, Söfren et Mari sont deux jeunes fiancés, et lui, étudiant en théologie, est candidat pour le poste de pasteur d'un petit village... Il gagne haut la main,, face à deux concurrents qui ne font pas le poids, face aussi bien à la rigueur de ses vues théologiques, que face à son humanité chaleureuse... Mais ils ignoraient un détail: le job a pour coutume d'impliquer le mariage avec la veuve du prédécesseur, et celle-ci, Dame Margarethe, n'est plus de la dernière fraîcheur. Söfren et Mari vont donc devoir composer avec cette nouvelle inattendue, et bien sûr, avoir hâte que le temps fasse son travail et rende le jeune homme veuf à son tour... Mais c'est que Dame Margarethe a épuisé déjà trois maris...

Le troisième long métrage muet de Dreyer nous change de l'atmosphère de tous ces films, par un ton de comédie inattendu et qui reste après tout totalement dans l'esprit d'un conte médiéval: il n'en reste pas moins un film situé dans un cadre très religieux, qui nous raconte l'histoire d'une vocation et d'un passage inattendu, dans lequel la foi joue le premier rôle. Ce passage, c'est celui de la passion et de la rigueur du métier, que ne pratiquait certes pas la vieille dame, mais dont elle est elle aussi garante, par son infatigable règne sur le presbytère! Elle n'hésite d'ailleurs pas à montrer par la menace physique à Söfren qui est la patronne, dans une scène dont le comique cuisant est fortifié par le côté frontal de la mise en scène...

Car Dreyer a rendu compte de l'intrigue d'une façon aussi directe que possible, sans fioritures, ni aucun filtre... Il laisse la comédie jouer son rôle et ça lui va bien. Le film bénéficie aussi du naturel de tous ses interprètes; la mention spéciale va, c'est inévitable, à l'extraordinaire Hildurg Carlberg qui joue le difficile rôle de la Veuve; celle-ci doit passer du statut de quasi-sorcière à celui d'une aïeule chérie et respectée, et est la cible de toute l'invention de Söfren, qui passe par bien des stratagèmes pour tenter de se débarrasser d'elle...

Söfren est un personnage précurseur dans l'oeuvre de Dreyer, un jeune frimeur qui avait semble-t-il, avec à peine vingt ans d'âge. Dreyer se moque gentiment du jeune coq, très sûr de lui, qui va se déballonner quand il apprendra le prix de son poste... Il nous montre aussi l'importance de la femme dans le foyer, avec la séquence mentionnée plus haut... Un photo de publicité existe d'ailleurs, qui montre comment Söfren a eu symboliquement les bras sectionnés en arrivant au village et en acceptant d'épouser la vieille dame. Il va subit toute l'épreuve comme une initiation, et devenir sans doute un bien meilleur pasteur à l'issue de l'expérience.

Ce film Suédois, tourné en Norvège dans des décors formidables (un village-musée qui reconstitue un hameau à l'ancienne, donc des décors aussi authentiques que possible) permet à Dreyer de questionner la trace de la foi dans une certaine vision d'un quotidien rigoriste; il est une première incursion dans l'intimité d'un peuple, avant son incursion dans la famille Danoise en 1925 (Le maître du logis)... C'est aussi la première fois que Dreyer sort du Danemark pour participer à d'autres cinématographies: il y en aura d'autres, bien sûr, et non des moindres.

 

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Published by François Massarelli - dans Muet 1921 Carl Theodor Dreyer Comédie *
24 juin 2020 3 24 /06 /juin /2020 13:56

La Roue, de Gance, est un film tellement énorme, tellement excessif, qu'il justifiait bien qu'on entame avec lui ce regard curieux et assez paradoxal du cinéma sur lui-même... C'est à Blaise Cendrars, assistant enthousiaste du projet durant tout le tournage (1919 à 1921), qu'incombait donc le privilège d'entamer l'existence des films documentaires consacrés au tournage des grands films, et allaient donc suivre, entre autres, Autour de Napoléon, Autour de L'argent (dans les coulisses du film de L'Herbier, vues par Jean Dréville), ou encore Autour de La fin du monde... 

C'est ici assez court (surtout si on compare avec les quasi sept heures de la version restaurée!) mais c'est surtout marqué par le souffle du film, qui rejaillit dans ces images de créateurs enfiévrés: car ne nous y trompons pas, Léonce-Henri Burel, chef opérateur, et Abel Gance, metteur en scène, même aperçus devisant gaiement et blaguant sans retenue sur le tournage, ont fait oeuvre de pionniers, filmant la course d'un train depuis la locomotive, filmant deux hommes qui se bagarrent au bord d'un gouffre à plus de trois mille mètres d'altitude, filmant enfin un homme qui meurt en faisant tout pour exorciser la bête qui est en lui; Cendrars entendait créer un souvenir de ce chef d'oeuvre qu'était La Roue, et de la fierté qui était la sienne d'y avoir participé; il en a mitonné un parfait prologue, une préface, qui aiguise notre appétit.

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Published by François Massarelli - dans Muet Abel Gance
18 juin 2020 4 18 /06 /juin /2020 18:31

C'est l'un des derniers films de Jasset, tourné comme de juste pour le studio Eclair, et c'est une somme, un festival: comme Bandits en automobile, comme sa série des Nick Carter, c'est une histoire policière, ou du moins d'espionnage, mais prise délibérément sur son versant improbable et riche en péripéties: Jasset, qui avait présidé à la destinée de la série Zigomar, en avait retiré deux enseignements: 

D'une part le public appréciait particulièrement les aventures délirantes d'un maître du crime auquel rien ne résistait et qui s'adonnait aux déguisements les plus délirants, un constat que ferait aussi Feuillade à l'époque des Fantômas. D'autre part, il avait apprécié de tourner de nombreux épisodes de Zigomar avec l'actrice Josette Andriot, et avait fini par conclure qu'il lui fallait concilier ces deux atouts. Protéa est donc l'histoire d'une belle espionne, confrontée à une situation sans gravité puisque située dans des pays qui n'existent pas: Jasset aurait-il aussi inventé le MacGuffin cher à Hitchcock?

Donc le gouvernement de Méssénie, qui craint que celui de la Celtie n'utilise un traité dangereux pour ses intérêts, fait appel à l'aventurière Protéa (Josette Andriot) pour le récupérer, mais celle-ci émet une condition: elle assure qu'elle ne pourra mener à bien sa mission que si on lui adjoint les services de son associé L'anguille (Lucien Bataille), qui se morfond en prison! Dont acte, et les deux compères vont en moins d'une heure battre le record du monde de rapidité du travestissement, trouvant à chaque occasion son déguisement... 

Par ailleurs, le film promettait du plaisir en forme de cascades et autres retournements de situations, et gagne à tous les coups: Protéa n'a aucune limite, aucune barrière ne la retient, et Jasset a le bon goût de ne jamais laisser un temps mort ni de ne jamais se prendre au sérieux. Ne cherchez plus le film ultime du serial français: c'est Protéa!

 

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Published by François Massarelli - dans Muet 1913 Victorin-Hyppolite Jasset Eclair
7 juin 2020 7 07 /06 /juin /2020 17:18

Duvivier se destinait au théâtre... Mais il n'a pas pu éviter le cinéma. Sous la houlette d'André Antoine dont il avait été le régisseur et l'assistant, il a été amené à réaliser ce film qu'il a signé littéralement, à la fin, dans un geste plein de panache et de naïveté. Un film où on retrouve une certaine forme de pudeur, un pessimisme profond, mais surtout un sens inné du cinéma comme étant l'art... du bon paysage.

L'histoire est profondément embrouillée, et concerne une série de personnages qui vivent, pour certains sans le savoir, dans les conséquences d'un drame qui s'est passé plus de vingt années auparavant: un homme s'est suicidé. Pourquoi? Nous le saurons plus ou moins, grâce au drame qui va lier son ancien ami Landry Smith (Séverin-Mars), et un jeune homme qui vient chez ce dernier pour des motifs mystérieux avant de lui sauver la vie et de courtiser sa pupille...

C'est un western. Et pourtant il a été tourné en Corrèze (le département au milieu d'un triangle formé par Limoges, Aurillac et Clermont-Ferrand sur les cartes de météorologie à la télévision!), qui était alors un pays encore plus sauvage qu'aujourd'hui... Et contrairement aux films de Jean Durand tournés en Camargue, aucun effort n'a été fait pour maquiller le terrain, l'intrigue étant objectivement située sur les terres du petit Père Henri Queuille... Le tour de passe-passe était finalement assez simple: Landry Smith est lui-même Américain, et sa domestique Kate Lockwood projette en effet de voler sa fortune, et a donc fait appel à un comparse de Santa Fe, qui arrive en Corrèze au début du film avec des manières de cow-boy. C'est naïf, mais pas plus que d'habiller comme le faisait dans Un flic Melville les gangsters de 1972 de trench-coats et de les faire rouler en Cadillac pour se donner l'illusion de tourner un film noir Américain!

Car c'est bien de ça dont il s'agit pour Duvivier: montrer lui aussi un film, un pastiche des westerns qui commençaient à envahir l'écran Français, et qui avaient l'air d'avoir tout compris à ce que devaient être le cinéma. C'est d'ailleurs bien dans la manière d'un cinéaste qui allait être remarqué pour son envie de toucher à tous les genres, tous les sujets, tous les pays: Russie (Anna Karenina), Afrique du Nord (Cinq Gentlemen Maudits, Pepe le Moko), France, Canada (Maria Chapdelaine)...ou Corrèze, même combat. 

La compagnie productrice de ce film, Burdigala films, était comme son nom l'indique située à Bordeaux, et Duvivier a pu faire des repérages soignés pour ce qui allait devenir le premier film de fiction de long métrage tourné en Limousin, avec des décors souvent superbes, et parfaitement en phase avec l'action: des villages et hameaux situés en pleine forêt, des routes situées sur les flancs de pentes parfois abruptes (longeant notamment les Gorges de la Dordogne avant que ne soient construits les barrages de L'aigle et d'Argentat. Certaines séquences ont également été tournées près de Bort-Les-Orgues, près de la superbe vallée de la Dordogne avant qu'un barrage ne transforme celle-ci en un gigantesque lac. Enfin, trois lieux emblématiques de la toujours sauvage région de la Xaintrie ont été mis à profit dans un magnifique final riche en suspense et en frissons: le viaduc des Rochers Noirs, aujourd'hui condamné parce que trop dangereux), les fantomatiques ruines des Tours de Merle, un site médiéval situé en pleine forêt, et les cascades de Gimel, un endroit où un bien méchant homme trouvera une fin mélodramatique à la mesure de ses crimes...

Il en ressort un film certes mélodramatiques, embrouillé, anecdotique dans son intrigue, au jeu parfois ampoulé... mais surtout un grand désir de cinéma, une sorte de rêve de film accompli.

 

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Published by François Massarelli - dans Julien Duvivier Muet 1919
2 juin 2020 2 02 /06 /juin /2020 16:37

Dans une exploitation minière qui vient de changer de propriétaire, un étrange homme venu d'ailleurs s'insère dans la vie de Robert Herne (Emil Jannings), mineur. Il lui confie un secret extraordinaire, une machine qui va pouvoir remplacer les travailleurs et leur donner une vie d'oisiveté tranquille... Herne va séuidre la propriétaire et s'atteler à changer le monde...

J'ai essayé de faire court, parce quoiqu'il arrive le synopsis de ce film ne peut pas faire autrement que de sonner bizarre... C'est qu'en cette aube des années 20, le cinéma Allemand n'en finissait pas de se chercher entre films d'aventures (Joe May), symbolisme (les films de Robert Reinert), et fantastique mâtiné d'expressionnisme (Caligari, Der Golem)... Algol, longtemps perdu, a été rangé dans cette dernière catégorie au hasard, et sans doute à cause de quelques photos. Mais c'est une oeuvre déroutante et surtout pesante...

Idéologiquement, c'est surtout une marque de confusion totale qui reflète asse bien l'état du pays, coincé dans une timide social-démocratie engoncée entre deux tentations extrême de la révolte. Jannings y interprète un homme tenté par le diable, qui lui a donné son pouvoir, mais dont il ne sait pas vraiment quoi faire. Et rien n'est clair dans cette étrange intrigue. Picturalement, on n'est guère mieux lotis...

 

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Published by François Massarelli - dans Muet 1920
1 juin 2020 1 01 /06 /juin /2020 08:02

On devait beaucoup aimer John Gilbert à la MGM en 1926: le principal acteur de The Big Parade passe du statut de jeune premier à celui d'un acteur polymorphe, montreur de monstres dans The Show, artiste amoureux transi dans La Bohême, et enfin bretteur et séducteur énergique dans Bardelys...

Le Marquis de Bardelys (John Gilbert), surnommé Le magnifique en raison de ses succès auprès des dames, accepte un pari avec un rival, le louche comte de Chatellerault (Roy D'Arcy): sous l'arbitrage du roi Louis XIII, il va devoir séduire Mademoiselle de Lavedan (Eleanor Boardman), la très difficile à atteindre fille d'un opposant au Royaume. Mais Bardelys n'avait pas compté sur trois imprévus: d'une part il va usurper l'identité d'un homme mort dans ses bras pour approcher la belle, et cet homme étant un anti-Royaliste notoire cela va lui porter préjudice; Chatellerault, l'infâme, va profiter de la situation pour tenter de se débarrasser de lui; mais surtout, surtout, Christian de Bardelys va pour la première fois de sa vie tomber amoureux...

Après The big parade qui montrait l'étendue de son talent, de son importance et de ses capacités, Vidor avait accepté La Bohême à contrecoeur, et je pense que c'était le cas aussi pour ce film. Il fera d'ailleurs un clin d'oeil appuyé dans Show People, quand William Haines et Marion Davies seront partagés lors d'une projection-test de Bardelys au studio, elle pleurant et lui prenant de très haut ce qu'il appelle un "punk drama"... Mais après la tragédie que Lillian Gish n'entend absolument pas atténuer par un happy-end, au moins Bardelys est-il l'occasion de se détendre un peu, et de s'amuser. Un film de vacances presque, qui permettra au metteur en scène de passer à autre chose (The Crowd), et à l'acteur, du moins le croit-il, d'acquérir un peu de contrôle sur ses films futurs, voire de les mettre en scène... ce qui n'arrivera jamais.

On est mitigé, finalement, tant le pensum semble s'être transformé en plaisir pour tout le monde: John Gilbert se fait un peu passer pour Douglas Fairbanks avec des duels à l'épée, bien réglés; Eleanor Boardman assume avec aise (elle qui dira jusqu'à la fin de ses jours garder un souvenir maussade de son admirable prestation de The Crowd) un rôle classique de jeune femme à marier doublée d'une "damsel in distress"; Roy D'Arcy accomplit son art ultra codifié de villain mélodramatique à souhait en ressortant exactement la même partition que dans The merry widow, ce qui le rend automatiquement impossible à prendre au sérieux; et en filmant une évasion spectaculaire, Vidor a bien du se faire plaisir lui aussi...

Maintenant si tout ça c'est pour rire malgré le budget conséquent et le soin apporté à la pièce montée par la MGM (Ars gratia artis, disaient-ils...), la principale raison pour laquelle le film est précieux aujourd'hui, c'est sans aucun doute parce qu'il a été longtemps perdu avant d'être miraculeusement retrouvé, amputé d'une seule bobine. Enfin, perdu, c'est un bien grand mot: il a été détruit. En 1936, pour libérer des places sur ses étagères, la direction de la MGM a sélectionné quelques-uns de ses films muets, et celui-ci était en tête de liste. On ne devait décidément pas aimer beaucoup feu John Gilbert en 1936 à la Metro-Goldwyn-Mayer... Mais le fait d'avoir été découvert dans des circonstances improbables (en France, et confié à Lobster) lui donne un petit je-ne-sais-quoi que le film n'aurait jamais eu autrement.

 

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Published by François Massarelli - dans KIng Vidor 1926 Muet
26 mai 2020 2 26 /05 /mai /2020 08:08

Le cinéma Français a très tôt raté le train du cinéma fantastique, malgré les efforts non négligeables d'un Méliès. Toujours cette idée que l'art devait rester réaliste, d'où un apport important en matière de proto-film noir... Mais la fantaisie, ce n'était pas suffisamment sérieux, ou alors ça entrait dans le cadre de l'avant-garde. Alfred Machin, qui n'était pas n'importe qui, s'est distingué essentiellement par un film pacifiste visionnaire en 1913, Maudite soit la guerre, des films animaliers et des films de safari (qui ont atrocement mal vieilli) ainsi qu'une envie de mettre en route la machine du cinéma en Belgique, ce à quoi il s'est employé. Mais en France, au milieu des années 20, il avait eu aussi cette envie de créer un cinéma du mystère à la Française...

Et pour bien faire, prêtons attention au deuxième nom qui est crédité ici en tant que réalisateur: Henry Wulschleger était aussi et avant tout un chef-opérateur, et cela se voit; le double crédit nous signale une collaboration parfaite entre un metteur en scène et un chef-opérateur qui fait un travail absolument remarquable dans ce film dont l'essentiel des scènes fut tourné de nuit, et qui en dégage un style très impressionnant.

Dans un petit village provençal à la quiétude trompeuse, un inconnu (Romuald Joubé) vient s'installer. La mine austère, un grand chapeau vissé sur la tête et ne se séparant jamais d'une grande cape, il intrigue puis fait peur: d'ailleurs, il s'est installé dans le grand manoir vide, derrière le cimetière. Des événements commencent à se produire la nuit, qui vont semer la panique.

L'intrigue se double aussi d'une histoire sentimentale, qui n'est pas le plus réussi du film: un jeune violoniste (Gabriel de Gravone) et une jeune femme du village (Lynn Arnell) mais le père de celle-ci ne veut pas de cette union. Et puis il y a l'acteur Cinq-Léon, acrobate, acteur comique et homme de cirque, qui joue un énigmatique (lui aussi) valet de l'homme en noir, gardant un chimpanzé. Il apparaît très tôt que cet homme poursuit un but malhonnête et que le chimpanzé est utilisé dans des cambriolages, ce qui a d'ailleurs pour tendance à affadir le mystère... Le fait qu'il y ait un animal, aussi, est à porter au crédit de l'intérêt de Machin pour toutes les bestioles, qui peuplaient ses films dans tous les genres.

Avec son histoire naïve, le film a le bon goût de rester relativement court, et de maintenir l'intérêt et la curiosité, jusqu'à une sombre histoire de poison qui va causer un accident ferroviaire, générant ainsi du suspense: rocambolesque, mais il est à porter au crédit des réalisateurs d'avoir réussi leur coup sans jamais perdre de vue le spectateur! Enfin, le film est certes assez mineur, avec ses personnages comme empruntés à Gance (Gabriel de Gravone et son violon comme dans La Roue) et Feuillade (Romuald Joubé en remake de Judex) mais franchement la photographie est une splendeur, avec ses trouvailles stylistiques qui feront date, comme cette vision d'un homme inconnu derrière la fenêtre...

 

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Published by François Massarelli - dans 1924 Muet Alfred Machin