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21 mars 2021 7 21 /03 /mars /2021 09:16

Deux tueurs se planquent en Belgique, à Bruges, et doivent attendre les instructions de leur commanditaire: Ken (Brendan Gleeson), le plus âgé, veille sur son copain Ray (Colin Farrell), qui est en essence, un vrai gamin... Pourtant il souffre d'avoir commis une faute très grave dans l'exercice de son "métier". Alors que Ken, aussi ignorant que Ray de la finalité de leur présence dans la ville médiévale, profite des lieux en se livrant à des visites touristiques, Ray s'ennuie ferme, jusqu'à ce qu'il fasse une rencontre nocturne, sur un plateau de tournage en pleine ville: une jeune femme locale, Chloé (Clémence Poésy), avec laquelle il va fixer un rendez-vous. 

Le lendemain, alors que Ray et Chloé dînent en ville, Ken apprend par un coup de téléphone de leur commanditaire Harry (Ralph Fiennes) que la mission est de tuer Ray...

C'est d'abord un film noir, qui raconte comme les meilleurs du genre le crépuscule d'un ou plusieurs truands (je vous laisse découvrir qui et dans quel ordre), dans un lieu inattendu et habité par des siècles d'histoire. La ville y est le théâtre de la violence paradoxale qui ne va pas réussir à y changer le cours des choses... Mais le film noir se pare d'une merveilleuse comédie de caractères, qui associe mots qui font mouche, et rigueur filmique. McDonagh est un paradoxe dans le cinéma actuel, puisque dans ses scripts les mots ont tant d'importance qu'il refuse de laisser improviser les acteurs à la virgule près. C'était déjà le mode de fonctionnement de Wilder, donc c'est en soi une idée intéressante. Les acteurs, d'ailleurs, s'en sortent admirablement, avec pour chacun d'entre eux un autre terrain de jeu, celui de la comédie physique, à travers un jeu d'expressions formidables. On constate qu'en Gleeson, Farrell et Fiennes, McDonagh a choisi des cas particuliers! L'utilisation fréquente de gros plans permet de détailler le jeu tout en tranquillité de Gleeson, celui tout en tics nerveux de Farrell, qui est ici à son meilleur, entre le tragique de la culpabilité et le comique de son personnage; enfin Fiennes fait merveille avec son accent cockney, et le jeu irrésistible de ses yeux, sans parler de son impayable grossièreté langagière.

Les clés du film sont dans l'utilisation de ces décors magnifiques, la cohérence de l'intrigue qui nous annonce à sa façon la suite des événements en utilisant des sous-intrigues et des balises de sens: les personnages de tueurs sont tellement diserts qu'ils nous racontent non seulement leur vie, mais aussi leur principes: ça permet d'anticiper! Et mine de rien, confronté via l'oeuvre de Hyeronimus Bosch au Jugement dernier, les tueurs se préparent à affronter la mort...

Mais le dernier mot semble, dans ce film époustouflant, revenir à la morale, car au départ, s'il y a la mort d'un homme, un décès commandité pour de basses raisons économiques, mais donc prévu par le code des truands, il y a aussi la mort d'un enfant, un crime inattendu, imprévu, que Ray n'en finit pas de souhaiter expier. Le film va se rythmer sur des reprises de cette tâche indélébile: par exemple, Chloé dit à Ray que le tournage sur lequel il l'a rencontrée était un hommage à Don't look now. Il ne connaît pas le film de Nicolas Roeg, et donc ne sourcille pas, mais c'est l'histoire de deux parents hantés par la mort de leur enfant, dont ils s'estiment responsables, et qui se rendent à Venise; Venise, Bruges... 

Bref: des acteurs au plus haut de leur art, tous amenés à donner une interprétation hors de leurs clichés personnels, des accents ciselés pour accentuer le pittoresque, un endroit saisi dans tous ses avantages, une intrigue prenante et racontée avec expertise, et une mise en scène faite de la plus grande précision, sans un gramme de graisse: c'est le premier film d'un metteur en scène débutant, et c'est un chef d'oeuvre.

 

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Published by François Massarelli - dans Martin McDonagh Comédie Noir
7 mars 2021 7 07 /03 /mars /2021 10:24

Sur la frontière Américano-Mexicaine, un magnat de la construction qui sortait d'un bar avec une conquête explose à cause d'une bombe dans sa voiture... Dépêché sur les lieux, le capitaine Hank Quinlan (Orson Welles), policier local dur et à la morale élastique, va passer plus de temps à essayer de chercher des ennuis à un témoin, Mike Vargas (Charlton Heston), un homme politique qui monte au Mexique, et qui vient juste de se marier, qu'à essayer de résoudre l'affaire... Et ça va aller loin, très loin, et aussi salement que possible...

J'allais même écrire "aussi salement que la censure de 1958 pouvait le permettre", mais ce ne serait pas tout à fait vrai puisque le film tel qu'on peut le voir actuellement, dans la version qui fait (plus ou moins, car il y a débat) autorité, va justement un peu plus loin, en étant particulièrement franche en matière de sexualité. Il y est aussi beaucoup question de drogue, mais sans jeu de mots volontaire, c'est un peu de la poudre aux yeux! On ne peut de toute façon pas faire l'impasse sur un aspect de Touch of evil qui est partagé avec tant de films de son auteur: dès que le tournage a débuté, les ennuis ont commencé pour Welles et le compte à rebours vers son éviction a été enclenché... Ca avait pourtant bien commencé, cette fois: un film noir, un genre donc dans lequel on attendrait forcément cette touche artistique et expressionniste que Welles ne peut s'empêcher de donner à tous ces films... Un acteur en vue, qui n'hésite pas à recommander Welles, et d'autres acteurs (Janet Leigh, mais aussi Marlene Dietrich) qui sont prêts à suivre les instructions du réalisateur à la lettre...

Seulement Welles ne pouvait pas se contenter d'un produit formaté. Il suffit de comparer le film avec n'importe quel film noir de la Universal en 1958 ou environs... Le studio ne brille pas par son originalité... Touch of evil, si: et dès le départ: un plan-séquence de près de cinq minutes dans lequel le metteur en scène cimente la véracité de son univers, la présence d'un couple (un Mexicain, une Américaine, ça n'avait pourtant rien de scandaleux, mais Welles sait qu'on peut lire entre les lignes) et il se paie même le luxe de commencer en très gros plan sur la bombe qui va détonner cinq minutes plus tard... Le deuxième plan, une explosion, est celui qui va précipiter le chaos dans une mécanique frontalière bien huilée: des gentils touristes, des gentils gens locaux, des gentils douaniers... Qui vont faire place à un chaos dans lequel on reconnaîtra un médecin lassé et blasé de tant de violence (Joseph Cotten), et surtout un policier odieux, véritable reflet de ses turpitudes (excès en tous genres, et on n'ose pas trop creuser): Hank Quinlan, un nouveau rôle à transformation pour Welles. Et le film est un festival de tentatives de mise en scène, de techniques, car Welles veut profiter du film noir pour TOUT expérimenter, le montage, la profondeur de champ, les plans-séquences, le clair-obscur mais aussi le son, et le tout en simulant un temps réel sur une journée puis une nuit...

Des frères ennemis de la frontière, des tentatives de fraternisation, des complots sous la table, des liens de famille dévoyé, des seconds couteaux dévoués jusqu'au sacrifice, une voyante, un couple à l'amour solaire et absolu, et un idiot en renfort: on est plus chez Shakespeare que chez Raymond Chandler, et cette particularité est plus Wellesienne que tout. On sait que quoi qu'il fasse, et dès Citizen Kane, le metteur en scène a tenté de faire comme Ford, élever le cinéma à a hauteur du barde. Une passion personnelle qui transparaît dans le film, et qui débouche inévitablement sur un constat amer: de par les ambitions de Welles, le film souffre d'un déséquilibre entre les intentions délirantes du metteur en scène, et le pulp assumé du sujet, jusque dans un viol contenu en ellipse, qui est du plus haut sordide... D'autant qu'il est l'objet d'un suspense crapuleux qui distille encore aujourd'hui un malaise certain. Mais cette insistance trouve aussi un écho dans les nombreuses promesses que le couple Leigh-Heston se fait, car cette nuit étrange, ne l'oublions pas, est supposée être la nuit de noces, et ils ont hâte... Janet Leigh ne s'en cache pas dans la voiture qui les conduit au motel fatal. Je ne vais pas pouvoir retenir la phrase suivante: on a presque envie d'ajouter que cette pauvre Janet Leigh devrait se tenir à l'écart des motels.

C'est doc devenu un classique par la force des choses, mais je pense qu'il est temps de le dire: je continue à penser que Welles s'est perdu après le massacre des Ambersons, et ce film a beau être un relatif retour en grâce, il n'est pas un très grand film. Il est un laboratoire dans lequel une certaine idée du cinéma s'expérimente sous nos yeux, et nos oreilles (le son, dans certaines versions, est du plus haut révolutionnaire), mais le fait qu'aucune version du film, il y en a trois en circulation, ne puisse totalement fonctionner sans référer aux deux autres, est gênant. Bien sûr, ce ne peut être imputé au metteur en scène. C'est le principal problème de Welles: on ne l'a plus laissé, après Kane, faire son cinéma comme il l'entendait. Et ça se voit. 

 

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Published by François Massarelli - dans Orson Welles Noir
14 février 2021 7 14 /02 /février /2021 10:45

Ted Crawford (Anthony Hopkins) tire sur son épouse, qui commet un adultère avec un policier. Il a tout, mais alors tout prévu, y compris que le policier qui sera en charge de l'affaire dès la première seconde, sera justement l'amant de son épouse... Il se dénonce donc tranquillement, et commence donc à jouer au chat et à la souris avec la justice... Celle-ci est incarnée par Willy Beachum (Ryan Gosling), un jeune assistant procureur aux dents longues, qui vient juste d'apprendre qu'il allait être embauché par la firme la plus prestigieuse de Los Angeles: l'affaire Crawford, pour laquelle le mari tueur annonce qu'il va se représenter lui-même, devient à ses yeux quantité négligeable, et il va cochonner le travail. Mais pas Crawford...

On est toujours plus ou moins facilement capté devant un film de procès, et on sent dans ce film comme une volonté de suivre les préceptes hitchcockiens: nous avertir d'un maximum de choses avant de nous asséner quoi que ce soit, afin de cultiver le suspense; et tenter de créer un méchant particulièrement carabiné, mais attention: plus le méchant sera réussi, meilleur sera le film, disait le maître... Et c'est là que le bât blesse.

D'ailleurs, quel méchant? Le meurtrier, ou la belle avocate (Rosamund Pike), qui sera le chef de Willy (on dit "la cheffe"?) et qui n'attend pas trop avant d'avoir une aventure torride avec lui? Car pour Beachum, le choix entre continuer une affaire de plus en plus problématique par principe de justice, et partir pour le privé et se faire plein d'argent en mettant ses principes par dessus bord, va devenir le dilemme... Un dilemme d'ailleurs mis en valeur par le fait que Beachum entretient aussi, en quelque sorte, une relation avec Mrs Crawford, dans le coma, qui se bat contre la mort. IL la visite souvent, et cette belle endormie devient assez simplement le symbole d'une justice en laquelle il faut croire. 

Gosling est-il un peu trop vert pour le rôle? Je pense, en effet, et c'est dommage car il est dans l'ensemble très juste dans son jeu, et il a su éviter les pièges de la caractérisation trop facile du jeune banlieusard aux dents longues. Bon, en même temps ce n'est pas Will Smith... Mais plutôt que de souligner son appartenance à un milieu plus populaire que ses futurs employeurs, le choix de Hoblit a été de charger la barque avec Rosamund Pike, qui affecte un accent assez marqué, de dame de la meilleur société, la première fois qu'on la voit. Ce qui tranche aussi avec le regard très bleu de Zoe Kazan, qui joue un minuscule rôle de secrétaire qu'elle fait exister en regardant Gosling avec une tendresse particulièrement forte!

Reste Hopkins: si on se réjouit d'entendre son accent Gallois, qu'il ne mobilise pas souvent, son criminel parfait, maniaque, omniscient et omnicapable finirait par faire passer les maîtres du crime des épisodes de Columbo pour des andouilles... Ce n'est plus du machiavélisme, ça deviendrait presque Voldemort. Et ça, c'est quand même un peu trop... 

 

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Published by François Massarelli - dans Noir Ryan Gosling Zoe Kazan
16 janvier 2021 6 16 /01 /janvier /2021 11:33

Deux policiers, également boxeurs, vont être confrontés à une mystérieuse affaire, lorsqu'une femme coupée en deux sera retrouvée dans un marais derrière un quartier mal famé. Pendant que l'un d'entre eux y consacre tout son temps au risque d'y perdre sa santé (Aaron Eckhart), l'autre (Josh Hartnett) adopte une démarche plus subtile, et va au devant de gros risques...

Quant à nous nous allons au devant de bâillements intempestifs et d'un ennui tel que l'on peut encore se demander, décidément, ce qu'on trouve à De Palma. Après un exceptionnel premier long métrage (Carrie) dans lequel il avait complètement capté toute l'essence du roman de King sans nécessairement lui être à 100% fidèle (ce qui serait franchement casse-bonbons, au vu de toutes les lénifiantes adaptations "approuvées" par le maître!), il avait commencé à se servir de ce qu'on avait appelé son style pour en faire de sales manies...

Par exemple: ici, il accumule (sans doute en référence au roman de James Ellroy qu'il adapte) les sous-intrigues au point de devenir illisible au bout de cinq minutes; il jongle avec les styles, fait semblant de demander à ses acteurs et actrices (dont Scarlett Johansson, priée de "faire 40s", avec sa blondeur et son rouge à lèvres, et il mélange tout, tout le temps, trop, et trop vite. Les acteurs sont à peu près tous mauvais à force de dire des dialogues du 21e siècle avec ce que le pourtant très cinéphile metteur en scène perçoit comme la diction des années 40, et on finirait, attention c'est un missile de méchanceté, par croire qu'on est devant un film de Luc Besson: pouah.

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Published by François Massarelli - dans Navets Noir
30 décembre 2020 3 30 /12 /décembre /2020 17:25

Les Hilliard sont une famille petite-bourgeoise qui vit une petite vie bien pépère dans une banlieue d'Indianapolis... Le matin, le père, la mère, la fille, le fils se lèvent, prennent leur petit déjeuner, et se chamaillent un peu. Ralph (Richard Eyer), le fils, décide qu'on ne l'appellera plus Ralphy, parce qu'il est un homme... Donc il refuse d'embrasser son père avant de partir pour l'école, et prétexte qu'il n'a pas le temps de ranger son vélo qui orne insolemment la pelouse. La fille (Mary Murphy) aussi, qui a 19 ans, affirme qu'elle a grandi et laisse entendre qu'elle considère le mariage, avec son petit ami Chuck. Au moment où le père (Fredric March) s'apprête à sortir pour se rendre à son travail et déposer sa fille, Madame Hilliard (Martha Scott) lui fait promettre de ne pas aborder la question des amours avec sa fille, car elle sait que le jeune avocat Chuck l'agace. Puis la mère reste seule et s'adonne à ses tâches ménagères.

Elle ne prête aucune attention à ce que raconte la radio, sur une évasion spectaculaire non loin de là. Elle aurait du, car pendant que la police cherche des pistes pour retrouver les trois évadés, ils décident de se réfugier en banlieue, avisent une maison: elle plaît au chef des trois bandits, Glenn Griffin, car il sait qu'en cas de coup dur il aura besoin d'otages, et il n'y a rien de mieux qu'une famille avec enfants, en cas de prise d'otages. Et il sait qu'il y a des enfants, puisqu'il y a un vélo abandonné sur la pelouse...

Wyler ne perd pas de temps à faire se rencontrer les deux univers antagonistes qui vont cohabiter durant quelques heures. Les Hilliard, si conventionnels dans leur douceur de vivre un brin terne, et les trois bandits évadés, pas des rigolos: les frères Griffin, donc, Glenn (Humphrey Bogart) et Hal (Dewey Martin) et Simon Kobish (Robert Middleton): le premier, un dur de dur, qui n'avait pu aller en prison qu'une fois qu'il avait descendu un policier; le deuxième, son petit frère, encore un peu tendre; et le troisième, un type à moitié fou, dangereux et sans limites... Même Glenn souhaite éviter qu'il ait une arme! Si le réalisateur nous laisse suivre les efforts du détective Bard (Arthur Kennedy), en charge du dossier, qui doit lutter contre tous les services possibles afin d'être efficace, l'essentiel de la prise d'otages sera vue depuis la maison même des Hilliard. L'enjeu est simple: les bandits n'hésiteront pas à tirer, la famille doit donc tout faire pour qu'on ignore la situation, et le suspense est à son comble.

C'est un très grand film, parfaitement maîtrisé à tous points de vue. Le metteur en scène nous accoutume aux lieux du drame sans qu'on s'en rende compte dans les dix premières minutes, avant de nous montrer l'arrivée des évadés. Afin de laisser monter le suspense, il nous fait voir le choix de la maison des yeux même de Griffin, avant qu'on ne l'ait vu. Par contre, on savait que le vélo était présent: un signe du destin. Le metteur en scène tisse de façon magistrale des liens entre les hommes, les faits, les lieux, et joue aux montagnes russes avec les nerfs de ses personnages, tout en explorant avec une rare acuité le thème si cher à son coeur de la difficile (re) conquête de la liberté. Ce ne sera pas facile: accroché au mur de la chambre de Ralph, et bien en vue, il y a un cadre avec des papillons, comme dans The collector... Enfin, l'interprétation est fantastique, à commencer par la rencontre au sommet de deux monstres sacrés, Fredric March, formidable dans le rôle d'un homme d'âge mûr, et Humphrey Bogart avant la chute, magistral en homme qui n'a plus rien à perdre... Enfin, si, même s'il ne l'avouera pas: son petit frère...

 

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Published by François Massarelli - dans Noir William Wyler
22 décembre 2020 2 22 /12 /décembre /2020 16:11

Le premier film de long métrage d'Anderson, une extension d'un court métrage (Cigarettes and coffee, 1992), ressemble à première vue à un film noir modèle... Un homme d'âge mûr, Sydney (Philip Baker Hall), secoure un jeune type paumé qui est assis sur un trottoir: John (John C. Reilly) n'a plus rien, il revient de Vegas où il a tout perdu, et il lui faut $ 6000 pour enterrer sa mère. Sydney le prend sous son aile, et ils deviennent inséparables. Quelques années plus tard, à Reno, ils rencontrent Clementine (Gwyneth Paltrow), une hôtesse d'un établissement de jeu: Sydney qui a repéré que la jeune femme plaisait à John, décide de les rapprocher: une bonne idée, mais qui aura des suites malheureuses... Pourtant en dépit du fait qu'ils vont tous les deux faire une grosse bêtise, Sydney les soutient. C'est alors qu'entre en piste un maître chanteur, Jimmy (Samuel L. Jackson): il sait quelque chose sur le passé de Sydney...

C'est limité à quatre personnages, si on excepte de rares apparitions de personnages; le plus développé est sans doute l'insupportable joueur qui agresse verbalement Sydney dans un casino: c'est Philip Seymour Hoffmann, qui va développer une relation importante avec le metteur en scène, apparaissant dans quatre autre films. 

Hard eight, pourtant, est plus qu'un simple exercice de style en film noir: Anderson y fait ses gammes, stylistiques d'abord (ce mélange de plan immobile à froid et de plan-séquence virtuose qu'il perfectionnera encore plus dans Boogie nights et Magnolia avant de calmer le jeu), et thématiques ensuite. Dans ce film, on retrouve des figures qui reviendront de film en film, à commencer par celle du mentor qui est au coeur de l'oeuvre (Boogie nights, Magnolia, There will be blood, The master, Phantom thread); Sydney est un brave homme qui donne tout à son protégé, contre toute logique: pourquoi? quel est son secret? On en saura, ou du moins en soupçonnera beaucoup plus avant la fin du film... Sinon, les amours contrariées, gauches et mal fichues comme cette étrange relation entre John et Clementine sont aussi au programme de bien des films, dont bien sûr Punch-drunk love et Inherent vice... 

Mais ce n'est pas un film vers lequel on pourra diriger la même tendresse que ses oeuvres plus accomplies, justement. A travers cet univers du jeu, qui semble être le seul lien un tant soit peu objectif qui unisse ces personnages, on devine surtout une humanité qui est coincée dans une sorte d'Hotel California du jeu, un sentiment de claustrophobie qui rend parfois le film malaisé. Les plus grandes qualités sont peut-être à la fois dans les non-dits et autres ouvertures (une tache de sang à la fin du film qui pourrait avoir des conséquences) et dans les moments rares où, pour reprendre une terminologie du jeu, les cartes sont sur la table: Samuel L. Jackson est bien évidemment l'homme de la situation, celui par lequel on va enfin en apprendre un peu plus! 

John C. Reilly, qui jouera un policier conservateur et amoureux dans Magnolia, y aura une chance d'être sérieusement bien moins obtus et enfantin que son personnage n'apparaît ici...

 

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Published by François Massarelli - dans Paul Thomas Anderson Noir
28 novembre 2020 6 28 /11 /novembre /2020 18:08

Avec son troisième court métrage (à ne pas confondre avec le long presque du même nom qui en reprendra certains aspects), Kassovitz déplace les curseurs: après deux comédies, dont une bien noire, et après deux intrigues situées dans les cours des banlieues, il tourne un cauchemar dans un petit appartement où deux hommes vont commettre un crime...

Deux hommes, un plus âgé (Marc Berman) et un novice (Mathieu Kassovitz), s'introduisent dans l'appartement d'un vieil homme pour "un boulot". Mais ce que le jeune ne sait pas, c'est d'une part que le boulot n'est pas un cambriolage, mais un meurtre; et en prime, c'est lui qui doit le commettre...

C'est glauque, et si parfois à travers son personnage de gamin peu assuré Kassovitz retrouve le ton moqueur de Fierrot le pou, le rire s'étrangle... paradoxalement, on finit sur une réplique sensée être drôle, mais c'est peine perdue... Le metteur en scène rode son style rentre-dedans, avec son premier film en couleurs.

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Published by François Massarelli - dans Mathieu Kassovitz Noir
23 novembre 2020 1 23 /11 /novembre /2020 17:07

Ancien agent des services secrets, Stefan est rangé: il a un travail "décent", une épouse, et une vie tranquille... Jusqu'à ce qu'un ancien collègue ne le débusque et ne l'embobine dans une sombre affaire d'espionnage, avec d'autres anciens agents: des combines pas nettes, qu'il serait fastidieux et inutile de résumer ici... D'autant que ce n'est pas ce qui compte.

Lautner en est à son deuxième film, et il a déjà une assez bonne idée de ce qu'il veut faire: du cinéma de genre, dans l'ombre du film noir, mais sans pour autant faire pareil. Le roman adapté par Pierre Laroche est une occasion pour lui de détourner une intrigue sans grand intérêt pour y réaliser des scènes paroxystiques, toutes différentes. Il compte sur ses acteurs pour incarner ses personnages et sur ses personnages pour faire tenir l'intrigue: le reste est affaire de sensations, d'émotions, et de timing... 

D'une part, si Jacques Riberolles n'est a priori pas à la hauteur (il fait un peu sous-sous-Delon) dans le rôle principal il a l'avantage d'un certain anonymat. Dans les rôles des deux femmes (la frêle blonde, et la brune fatale) Lautner fai appel à Gisèle André et Juliette Mayniel respectivement, et on est en plein cliché du film noir. Non, plus intéressants, forcément, sont les deux facettes de l'agent manipulateur représentées par Daniel Sorano et Bernard Blier. Ce dernier surtout est exceptionnel... Comme d'habitude.

Le metteur en scène rôde son style et se fait plaisir avec des moments de tension, des scènes nocturnes très soignées et un moment de suspense fort bien traité. Ca manque d'humour, certes, mais ça viendra: deux ans plus tard, Le monocle noir et Paul Meurisse vont offrir cette échappatoire à Lautner...

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Published by François Massarelli - dans Noir Georges Lautner
17 octobre 2020 6 17 /10 /octobre /2020 13:41

Le titre, cet "acier bleu", est en fait une allusion à une arme de poing et à la fascination qu'elle engendre, ce qui va précipiter l'un des personnages importants de ce film vers l'horreur...

Megan Turner s'est faite toute seule, et contre l'avis de sa famille, surtout celui de son père, une brute, elle est devenue policière. Lors de l'une de ses premières missions, livrée à elle -même, elle improvise une intervention contre un malfrat qui cambriole un supermarché, avec une arme. Du moins, elle a vu une arme...

Nous aussi, et un témoin fort discret également...

Lors de ce hold-up, Megan a tiré contre l'assaillant, plusieurs fois, et le bon droit a triomphé; mais l'arme du malfaiteur a disparu, et comme aucun des témoins interrogés ne l'avait vue, les supérieurs de la jeune femme sont particulièrement peu motivés pour lui confier de nouvelles missions. Jusqu'au jour où un crime est commis, avec une arme à feu: la balle retrouvée dans la victime a la particularité d'avoir le nom de Megan Turner gravé sur son côté...

Jamie Lee Curtis porte tout le film avec son interprétation d'une femme à la fois forte (ses convictions, son engagement, mais aussi la force de ses attaches affectives: sa mère victime des coups de son père, et sa meilleure amie chez laquelle elle se réfugie pendant la "crise"...) et fragile: elle est novice et lors du hold-up, c'est d'une voix mal assurée que la jeune recrue intime à l'assaillant l'ordre de jeter son arme... C'est que Megan a plus encore à gagner que n'importe quelle recrue, finalement. En plus de souhaiter faire régner l'ordre, l'agent Turner souhaite en effet rééquilibrer sa vie, expier pourquoi pas pour son père brutal, et affirmer aussi un vent de changement dans la police... Car même si Kathryn Bigelow a décidé de ne pas se vautrer dans un commentaire anti-sexiste, il est visible en creux, à travers la facilité déconcertante avec laquelle les supérieurs de Megan non seulement mettent en doute sa parole, mais aussi la rapidité avec laquelle ils la considéreront comme une recrue à éliminer...

C'est paradoxalement lorsqu'arrive son ennemi invisible, dont nous connaissons nous l'identité et dont nous avons presque assisté à la gestation dans des scènes parfois excessives (dont le baroque est pour moi inhérent à la période et aux films néo-noirs: on en trouve d'autres, plus fortement appuyées encore, dans Manhunter de Michael Mann) que Megan Turner va voir le vent changer, comme si l'existence d'un double maléfique (ce qu'il revendique en tout cas) était précisément la mission attendue par la jeune femme. Celle-ci devient par bien des aspects la détentrice d'une quête féminine à accomplir... 

Le film ressort intégralement des codes et de l'esthétique du néo-noir, comme je le disais plus haut; Bigelow est très forte dans sa reprise d'un style très fortement stylisé, qui alterne des plans courts et d'autres, volontairement étirés, dans lesquels les personnages peuvent vraiment exister: Jamie Lee Curtis en tête, bien sûr... Elle use du ralenti, et se garde d'en abuser, même si au fur et à mesure de l'avancement de l'intrigue, elle va s'ingénier à brouiller justement cette piste là, en ayant de plus en plus recours à des ralentis, qui ne sont pas des ralentis de tournage mais ils ont été effectués au montage... Enfin, elle n'a pas son pareil pour filmer au plus près des corps, que ce soit dans des séquences d'action absolument époustouflantes, ou pendant une unique scène de tendresse amoureuse, qui réussit a rester relativement pudique... D'autant que pendant cette relation torride, les amants ne savent pas qu'il y a un homme tout nu et armé dans la salle de bain. 

Caché dans la douche, sans doute...

 

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Published by François Massarelli - dans Noir Kathryn Bigelow
30 septembre 2020 3 30 /09 /septembre /2020 17:38

C'est le dernier film de Lumet, au terme enviable d'une carrière cinquantenaire marquée par de très grands films, et souvent c'est la justice et ses dérivés qui est au centre de ses oeuvres. Mais ici, c'est tout autre chose... Pourtant par certains côtés, on peut penser, un peu à Dog day afternoon: c'est l'histoire des ramifications autour d'un hold-up qui a mal, très mal tourné...

Pas grand chose à voir pour autant avec le brûlot de 1974... Deux frères qui ont des ennuis, chacun les siens et ils sont différents, mais ils sont au moins d'ordre financier, et pour les résoudre, ils vont cambrioler une bijouterie familiale... Ou plutôt LA bijouterie familiale, et la nuance est importante! Donc Andy (Philip Seymour Hoffman) un cadre qui se veut le cerveau de l'opération, réussit à persuader son petut frère Hank (Ethan Hawke) de voler les bijoux de leurs parents... Mais lui qui se veut le commanditaire, et ne va pas faire le hold-up proprement dit, n'a pas envisagé qu'Hank pourrait faire appel à un complice, genre tête brûlée avec un flingue; ou que leur propre mère (Rosemary Harris) serait exceptionnellement à la bijouterie pour y remplacer l'employée. Le complice va donc tirer sur elle, et elle va le tuer avant de sombrer dans le coma... Le père (Albert Finney) va se décider à faire justice lui-même, sans savoir que ses propres enfants sont directement responsables de la mort de leur propre mère...

Le mot "justice" mentionné ici sert surtout de prétexte pour une notion qui est tout, sauf la justice: il s'agit plutôt de vengeance... Car Lumet place son film sur deux points, en réalité, et la justice me semble bien étrangère au film. D'une part, il y est question de morale, car si les deux frères vont jusqu'au bout, avec les funestes conséquences que nous savons, il aura fallu du temps à Andy pour convaincre Hank; celui-ci a des scrupules... Il a aussi des ennuis,je le disais. L'autre terrain est inévitablement celui du portrait d'une famille en crise, crise profonde, en effet... Car Andy a une vengeance à assumer, lui aussi, vis-à-vis de son père qu'il accuse de l'avoir négligé... Il le dit d'ailleurs crûment: il aurait préféré que ce soit le père qui meure.

Andy n'est pourtant pas une victime: le début du film est très troublant, car nous y voyons les ébats d'Andy et son épouse Gina (Marisa Tomei), en pleine escapade d'amoureux à Rio. Ils sont heureux, et complices, mais... le premier plan nous montre Andy fasciné par sa propre image dans les miroirs situés de part et d'autre du lit de leur chambre d'hôtel. Nous apprendrons aussi qu'il a fauté dans son entreprise, en détournant de l'argent, pendant que Hank, lui, trime dans la même boîte à un poste subalterne... Mais Lumet brouille les pistes, en nous montrant que Hank et Gina ont aussi une relation dans le dos d'Andy.

Pour mener à bien son entreprise d'exposition des dysfonctionnements de cette famille, Lumet change constamment de point de vue, en bouleversant la chronologie, et en retournant à des moments déjà aperçus mais avec un nouvel angle d'approche... C'est extrêmement bien fait, et avec les acteurs, il repose sur du velours... Et ça a l'avantage de mettre l'accent sur le cambriolage raté, ses tenants et aboutissants, tout en nous montrant une caractérisation qui s'affine au fur et à mesure des retours en arrière et changements de points de vue. Ceux-ci sont d'ailleurs au nombre de quatre: Hank, Andy, Le père et Gina... Les acteurs de ce sombre drame, tragédie minable d'une famille mal foutue, vouée, manifestement, à l'échec... ou d'un homme narcissique jusqu'à l'absurde, qui a le chic d'entraîner après lui tous ceux qu'il aime dans une fuite en avant mortelle, mais fascinante... Donc, pour résumer en une seule formule: un film noir de grande, grande classe, qui vous laissera sur les genoux.

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Published by François Massarelli - dans Noir Sidney Lumet