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30 octobre 2024 3 30 /10 /octobre /2024 16:28

Le petit pays de Freedonia, situé quelque part (par là-bas), entre ici et là, fait face à une crise: sa bienfaitrice, Madame Teasdale (Margaret Dumont), menace de retirer ses avoirs des finances du pays, ce qui aurait pour effet de ruiner l'économie, et toute chance de retrouver le bonheur... A moins qu'on n'offre la direction du gouvernement à un homme de confiance: Rufus T. Firefly (Groucho Marx)...

Une fois annoncé le nom de l'acteur, et le nom du personnage qu'il interprète, on sait que tout est joué: un film de Frères Marx, généralement, c'est une structure savante concoctée par un studio, confiée à un yes-man en guise de réalisateur, peuplée d'acteurs qui font tous pour surnager, alors que les quatre stars font tout (et réussissent, généralement) pour dynamiter, hâcher menu, détruire le film de l'intérieur. 

Ce qui est amusant dix minutes, rarement plus... Pourquoi maintenant ce film se distingue-t-il tant des autres? Ne cherchez pas: on l'a confié à Leo McCarey, qui n'est pas un yes-man... Et il a déjà installé à la Paramount, après avoir bifurqué entre Roach, Pathé et Fox, un style de comédie musclé, sûr, et à l'écoute des comédiens... Mais à la condition de pouvoir faire un film, ce qui est toujours le problème avec les quatre frères cités plus haut...

Pourtant, le fait est que ce film est réussi: en maintenant évidemment un dosage des clowneries de Groucho et de ses frères (au fait, Zeppo, le plus "normal" des quatre, est le secrétaire de Firefly, et Chico et Harpo interprètent deux espions complètement farfelus, qui changent d'ailleurs d'employeurs comme de chemise), McCarey a réussi à tourner un film. Un film qui se tient, sans doute pas parce qu'il reste sérieux (il ne faut pas trop en demander), mais juste parce qu'il a élargi la palette des gags du quartet: en convoquant Edgar Kennedy, en confiant à Louis Calhern un superbe rôle de méchant dans lequel il réussit à survivre au chaos, en donnant une logique burlesque qui ne tient pas qu'au dialogue, au n'importe quoi de Harpo et à l'accent Italien abominable de Chico, il a fait un classique. 

Un classique qui doit sans doute autant à l'univers de Charley Chase, qu'à la Veuve Joyeuse, l'opérette (d'ailleurs elle fut l'objet de deux films, l'un de Stroheim, l'autre de Lubitsch) qui tenait lieu de classique à parodier... Pour ce qui est de Charley Chase, voir le film Long fliv the king (1926), de... Leo McCarey. 

Un classique du n'importe quoi assumé, ça en revanche, c'est sûr...

Et il y a la scène du miroir, qui est exceptionnelle... et muette. Et pourtant, cet insupportable moulin à paroles de Groucho Marx en est l'un des interprètes! Elle a une longue histoire tortueuse, car elle apparaît sous une forme ou une autre dans les oeuvres de Roscoe Arbuckle, Charles Chaplin, Max Linder, et... Charley Chase, dans un film réalisé par McCarey là encore: Sittin' pretty, dans lequel Charley et son frère James Parrott se livraient à la routine du miroir absent, en tirant profit de leur ressemblance impressionnante... Sans surprise, cette version reste la principale influence de celle contenue dans ce film.

 

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Published by François Massarelli - dans Marx Pre-code Leo McCarey
23 août 2024 5 23 /08 /août /2024 14:06

C'est l'été, dans une rue très populaire. Les dames prennent le frais, ou tentent de le faire. La conversation est gouailleuse, aimable, parfois un peu perfide: cette voisine d'une famille anglo-saxonne, par exemple, mme Maurrant (Estelle Taylor), se fait regarder de travers parce que tout le monde a repéré son manège... Dès que son mari, un dur de dur (David Landau) a le dos tourné, elle reçoit des visites d'un autre homme... Les gens se côtoient, partagent le même immeuble, mais ils sont d'origine différente: une famille Irlandaise, une autre Italienne, une Suédoise... Une famille qui n'en est plus une depuis que le mari est parti, et une famille composée d'un père juif d'Europe centrale (Max Montor), qui prêche le socialisme (ce qui irrite ses voisins) et de ses deux enfants qui font des études...

Sinon les enfants des uns et des autres sont plutpot jeunes. Parmi eux, les enfants Maurrant sont deux, la plus grande (Sylvia Sidney) en âge de travailler (et de se faire courtiser par son patron), et un jeune garçon qui doit essuyer les quolibets de ses copains en raison du comportement de plus en plus visible de sa mère... Les Jones, pour leur part, ont un fils (Matt McHugh) qui est un voyou, et qui partage l'antisémitisme décomplexé de sa mère (Beulah Bondi)... 

Le drame ne couve plus, il éclate sous nos yeux. En quelques jours, quelques heures même, le sang aura coulé entre deux joies, deux danses, deux engueulades, deux mensonges ou deux considérations sur le temps...

On ne quitte jamais la rue, qui devient le théâtre des vies souvent médiocres et sur le fil durasoir de ces personnages que la vie force à vivre ensemble. Le metteur en scène qui avait, c'est le moins qu'on puisse dire, largement la capacité à changer cet état de fait, a choisi au contraire de rester totalement fidèle à cet aspect de la pièce d'Elmer Rice. Ce dernier a été engagé par Goldwyn pour adapter lui même son scénario... Et Vidor, qui aime placer les goupes humains sous son microscope, réussit un miracle de direction d'acteurs, en donnant une même épaisseur à chacun des protagonistes, dans un film sans aucune concession...

 

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Published by François Massarelli - dans King Vidor Pre-code
18 août 2024 7 18 /08 /août /2024 19:12

Gar Evans (William Powell) est un homme de son temps: lessivé, enclin à la débrouille, il se laisse aller aux opportunités les plus inattendues, devenant en un clin d'oeil un homme d'affaire qui saute sur les inventions les plus saugrenues pour les présenter comme les idées les plus géniales possibles: sa dernière lubie est un caoutchouc supposé révolutionnaire, fabriqué à partir de déchets... Il a ses ennemis, mais aussi ses soutiens: parmi ces derniers, Francine (Evelyn Brent) est en passe de devenir son ennemie, car elle en a plus qu'assez de ses frasques. Mais si elle le lâche, il ne sera plus bon à rien...

William Powell en vendeur de tout et de n'importe quoi, habité par le démon de l'entreprise... Rien que ça c'est vendeur, et il se déchaîne... Mais le film reste quand même une oeuvre mineure, surtout qu'à l'époque et en quatre films, Mervyn Le Roy (Gold diggers of 1933, Little Caesar, Three on a match et I am a fugitive from a chain gang) avait admirablement résumé la période et ses incertitudes... 

Mais au-delà du pittoresque de la comédie et du faux suspense (Gar Evans va-t-il être rattrappé par la réalité? Va-t-il voir ses affaires péricliter lamentablement? La réponse à ces deux questions est assez évidente!), le film séduit par le grand n'importe quoi, le cirque de Powell, qui rejoint ici d'autres héros de la Warner, de William Powell lui même dans Fashions of 1934, de William Dieterle, à James Cagney dans Jimmy the gent, de Michael Curtiz, qui sont autant de sympathiques fripouilles qui tentent de surnager avec comme principe "plus c'est gros, plus ça passera"... Une sorte de portrait en creux d'une époque de grande débrouille, qui masque surtout une grande incertitude: tous les personnages, ici, ont une visibilité sur leur vie qui ne va pas au-delà de six mois...

C'est plus cet aspect du film qui le rend sympathique, que l'absence totale d'alchimie entre Evelyn Brent et William Powell...

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Published by François Massarelli - dans Mervyn Le Roy Pre-code William Powell
4 août 2024 7 04 /08 /août /2024 10:16

Sur un paquebot qui fait route vers Singapour, le playboy Hugh Dawltry (William Powell) rencontre une jeune femme, Philippa (Doris Kenyon), qui ne se laisse pas approcher... Elle est en partance vers son mariage avec le médecin George March (Louis Calhern), un chirurgien tellement accaparé par son métier que très vite, Philippa repense à l'homme qu'elle a croisé...

C'est la deuxième incarnation de William Powell, après ses rôles de méchant à répétition au temps du muet; si le rôle de Philo Vance pour Paramount (trois films) allait précipiter une autre mutation de ses personnages, ce type de film dans lequel il incarnait un playoboy irrésistible allait quand même beaucoup marcher! Une formule qui est ici intéressante, car elle provoque un conflit interne entre le ton, délibérément léger, de comédie (le pauvre George, qui n'a rien compris aux aspirations sensuelles de son épouse, ou encore la petite soeur délurée interprétée sans grande imagination par Marian Marsh), et la sensualité de la fable exotique...

Une scène en particulier est frappante, et a donné lieu à une mise en scène très élaborée: délaissée une fois de plus dans un des lits jumeaux (!) par son mari, Philippa se laisse aller à une rêverie érotique, sur la terrasse de son bungalow, alors qu'à 100 mètres, le voisin Hugh Dawltry semble partager ce moment. Green a utilisé avec bonheur des maquettes pour créer un plan séquence qui montre la caméra s'éloigner d'elle pour le rejoindre lui...

Doris Kenyon, qui était dans le métier depuis un certain temps (elle a tourné pour Alice Guy en 1916!), est une intéressante héroïne pré-code, dont l'érotisme est réel. Dommage que sa carrière n'ait pas pu être relancée au delà de quelques rôles...

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Published by François Massarelli - dans William Powell Alfred E. Green Pre-code
7 juin 2024 5 07 /06 /juin /2024 18:52

Un agent de change plus ou moins corrompu est assassiné dans sa maison, lors d’une réception. Il se trouve que le procureur Markham, un ami du défunt, avait amené une connaissance, Philo Vance (William Powell), dandy, homme du monde, et… détective amateur.

Sans doute le moins intéressant des trois films Paramount avec William Powell, celui-ci est situé dans le milieu de la finance, entre corruption et gangstérisme… Un montage particulièrement adroit, au début, présente aussi les conséquences d’un krach boursier… Une façon comme une autre de laisser l’actualité rattraper le film!

Pour le reste, William Powell est fidèle à lui-même, et il est toujours flanqué d’Eugene Palette, qui n’a pas son pareil pour incarner un sergent obtus, qui voit l’intégralité de l’affaire se dérouler sous ses yeux… avec un train de retard. Avec ses allusions, la présence d’alcool en pleine prohibition et celle d’un authentique bandit parmi les protagonistes, c’est aussi celui des trois qui se conforme le plus au climat des films pré-code.

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Published by François Massarelli - dans William Powell Pre-code
7 juin 2024 5 07 /06 /juin /2024 18:47
La famille Greene vit dans un vieux manoir, où tous les membres se boudent avec application : la vieille mère est absolument persuadée que tous ses enfants n’attendent que sa mort, les deux filles se jalousent mutuellement, les deux fils, des oisifs, affichent une inutilité de concours… Bref, c’est à mourir. D’ailleurs, ça va commencer par l’un des deux fils. Qui l’a tué ? Heureusement que le procureur Markham, en charge de l’enquête, est copain avec Philo Vance (William Powell).
C’est tout un style, déjà en place grâce à The Canary Murder Case : établir un univers, fait de médiocrité et de ressentiment, y introduire subrepticement un meurtre, illogique et même absurde, puis multiplier les morts violentes jusqu’à ce que Philo Vance, presque sans sourciller, n’assène la vérité. En attendant, le jeu de massacre est inévitable. C’est d’ailleurs pire que dans le film précédent, puisqu’ici, tout le monde se déteste et bien entendu sans la moindre cordialité.
C’est un petit film très soigné, qui gagne de l’idée de l’avoir situé dans une vieille demeure familiale… Le lieu est gorgé de caractère et le film se joue aussi du fait qu’il est situé en hiver, avec l’omniprésence de la neige, et du froid, qui vont tous deux jouer un rôle fondamental dans le dénouement…
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Published by François Massarelli - dans Pre-code William Powell
6 juin 2024 4 06 /06 /juin /2024 19:01

Le "Canari" a été tué... cette artiste de Music-hall s'appelait en réalité Margaret O'Dell (Louise Brooks) et le moins qu'on puisse dire, c'est qu'elle avait des "amis", des riches ou moins riches hommes qui la couvaient de leurs affections... Et qui dit amis, dit aussi ennemi(e)s... Qui, donc, a tué le Canari? La police étant perdue, c'est Philo Vance (William Powell) qui mène l'enquête...

On n'a pas vraiment vu ce genre d'intrigue à l'époque du muet, le film policier de déduction semble taillé sur mesure pour le parlant! Et justement, ce film a été tourné en muet avant que la décision ne soit prise d'en faire un film totalement parlant. Pour la plupart des acteurs ça a pu être fait sans aucn problème... Pour Louise Brooks en revanche, c'était plus compliqué.

D'une part, le studio n'a jamais vraiment su quoi faire d'elle: seconde rôle, utilité, ou comme ici victime d'un meurtre, et donc condamnée à disparaître à la deuxième bobine. Ensuite, elle a eu l'outrecuidance de demander une augmentation. Qui lui a été refusée aussi sec... Enfin elle a refusé de renouveler son contrat et est donc partie pour l'Allemagne où elle a tourné quasiment sans attendre, dès son arrivée, le film Die Büchse der Pandora pour Pabst. Ne la revoyant pas venir pour retourner ou post-synchroniser ses scènes, le studio l'a remplacée pour des retakes (de dos) et un travail de doublage, par Margaret Livingston... ce travail de chirurgie de précision a été effectué par Frank Tuttle...

C'est un film hybride, aux images qui sont très proches d el'atmosphère du muet, mais avec des dialogues. On appréciera le fait qu'un film parlant de 1929 soit aussi soigné au niveau de sa mise en scène, mais le parlant des premiers temps est, inévitablement, daté... Surtout avec l'absence totale de musique, évidemment. William Powell, qui sortait enfin de ses rôles de villain magniifique, est excellent, bien sûr, mais Louise Brooks illumine l'écran sous l'objectif de Harry Fishbeck.

 

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Published by François Massarelli - dans Mal St.Clair Pre-code William Powell Louise Brooks
25 mai 2024 6 25 /05 /mai /2024 17:33

Durant la période "free-lance" de Borzage, entre son contrat à la Fox et son contrat à la warner, il a donc beaucoup tourné, pour un certain nombre de compagnies. Aujourd'hui, un sondage sur les préférences de ses admirateurs permettrait sans doute d'établir le fait que tous se retrouvent principalement dans ce film, tourné en 1933 pour la Columbia, qui était encore un bien petite entreprise en dépit des efforts de Capra pour lui faire voir plus haut. De fait, loin des films généreux et souvent basés sur une observation réaliste, transcendée par l'urgence de son style, de Capra, ce nouvel opus Borzagien est une nouvelle fois une somme de ses thèmes, qui renvoie à sa période faste, celle qui va de 1927 à 1930, et plus particulièrement à Seventh Heaven, The river, Lucky star et Liliom. Le film, qui ne fut sans doute pas un succès notable en 1933, est aussi devenu une grande date non seulement de l'oeuvre du cinéaste mais aussi de toute cette période qui se situe avant la renforcement en 1934 du code de production, c'est dire si l'on s'y exprime librement. Il y est question de la cohabitation hors mariage, de sexualité et d'adultère, et on y professe une vie à l'écart de tout y compris de la légalité. Pour en terminer avec ce préambule, ajoutons que les acteurs convoqués par Frank Borzage y sont tous absolument excellents, Spencer Tracy et Loretta Young en tête...

Trina, une jeune chômeuse au bout du rouleau, rencontre Bill, un homme dont les habits lui font croire qu'il est riche, et qui lui suggère avec dureté de faire face à la crise en prenant les devants, faisant allusion à la possibilité de se prostituer; il lui 'offre' aussi à manger, ce qui va vite révéler à la jeune femme qu'il est sans le sou, un apôtre de la débrouille, habillé comme un prince pour les besoins d'un boulot d'occasion. Il la ramène "chez lui", dans un taudis ou il partage la condition des plus défavorisés, et très vite ils partagent le même toit, formant un couple des plus étranges: elle se dévoue corps et âme à lui, mais il n'a jamais de mots autres que durs à l'égard de la jeune femme, qu'il menace d'abandonner. Bragg, un homme aux intentions peu honorables les surveille, afin de s'approprier la jeune femme le moment venu. Bill assume sa liberté, et tente de fuir la jeune femme lorsque celle-ci lui annonce qu'elle est enceinte.

http://2.bp.blogspot.com/_CLu8_jFPNZ4/TNA5UREyG7I/AAAAAAAAHP8/iKMX-Fu3xrw/s1600/10b+Man's+Castle.jpgA force de douceur, elle l'amène à s'interroger, puis à tenter de prendre ses responsabilités, lorsque sous l'influence de Bragg, il s'essaie à un cambriolage désastreux, comme Liliom, mais les deux amants, qui ont eu droit eux aussi à leur simulacre de mariage, vont pouvoir partir comme Allen John et Rosalee (The river); leur "péniche", par contre, sera un train, ce même train qu'Allen John ratait à chaque fois qu'il souhaitait le prendre dans The river, et qui est ici le fil rouge de l'envie d'ailleurs de Bill, qui se vante de choisir sa destinée, mais semble bien coincé à New York...

On le voit, on retrouve beaucoup des traits et des obsessions de Frank Borzage, accumulés de film en film, depuis la rencontre fortuite entre Bill et Trina et la réticence de Spencer Tracy à l'égard de toute expression de tendresse, ce qui nous renvoie à la cohabitation entre Chico et Diane dans Seventh Heaven. Borzage va ici plus loin dans la peinture du couple, en donnant clairement à leur amour une dimension sexuelle, qui apparait par le dialogue, par la promiscuité évidente (Cette conversation sublime, menée par Loretta Young, lorsqu'ils sont tous les deux sur un lit, et que par pudeur, Tracy se cache le visage dans un oreiller, par exemple, trahit l'incroyable intimité du couple), et bien sûr par ce vieux truc mélodramatique mais aussi terriblement réaliste, de faire tomber la jeune femme enceinte. De même, les intentions de Bragg sont évidentes et renvoient à Wrenn dans Lucky star, sauf que là encore si Trina ne souhaite pas aller vers Bragg pour avoir des rapports avec lui, c'est plus parce qu'elle est pleinement satisfaite de ses amours avec Bill.

Mais ce film n'est pas, en aucun cas, une simple accumulation de morceaux douteux (Pour l'époque). si le réalisateur a su ouvrir les yeux et appeler ocasionnellement un chat un chat, il le fait avec naturel, avec cette tendresse qu'il sait habituellement témoigner à ses personnages. A ce titre, les personnages secondaires du vieux pasteur déchu et de sa compagne alcoolique, ou de la chanteuse qui veut l'espace d'un instant s'approprier un homme parce qu'elle en a les moyens et qu'elle le désire, sont très intéressants; superbement campés (Walter Connelly, un acteur versatile souvent utilisé dans les films de Capra, Marjorie Rambeau et telle qu'en elle-même, la grande Glenda Farrell enpruntée à la Warner), ils sont aussi aimés par le réalisateur qui nous communique sa tendresse et son insatiable curiosité pour l'humain... Sauf que cette fois-ci, en Bragg, il a trouvé un os: le personnage est irrécupérable, et il va en mourir, et le film suggère d'ailleurs que son meurtre, rendu juste par la situation, sera impuni... De plus, la palette choisie pour le film est toute en douceur, avec un clair-obscur qui renvoie une fois de plus à ses glorieuses années, à l'écart du réalisme brutal, dans un monde presque parallèle, une marge ou la normalité serait celle du monde de Bill et Trina, et toute scène située en ville ressemblerait presque à un rêve. Disons que le film partage cette idée d'un monde à part, avec les films Les Bas-Fonds et Dodes'Kaden de Kurosawa, ou encore avec Freaks, et bien sur avec Lazybones, Seventh Heaven ou Lucky Star...

Les touches Borzagiennes sont légion, depuis ce point de départ en trompe l'oeil, avec ce banc sur lequel un Spencer Tracy en habit observe la jeune femme qui louche sur les miettes de pain qu'il donne aux pigeons, jusqu'à la fin qui voit les deux amants (elle est en robe de mariée) partir vers leur destin, cachés dans un wagon dont il faut laisser la porte ouverte afin de ne pas entraver leur liberté, tout comme Bill dormait en permanence sous une fenêtre ouverte, afin de préserver l'illusion de sa liberté. On peut aussi citer la scène durant laquelle Bill se baigne nu dans l'Hudson, invitant tout simplement la jeune femme qu'il vient juste de rencontrer à le rejoindre, ce qu'elle fait sans se faire prier, ou encore les petrites anecdotes qui font de Bill, sous son côté bourru, un coeur d'or. Oui, ce film est bien l'un des plus beaux de son auteur, et désormais, une restauration lui rend enfin justice, en restituant l'ensemble de ses scènes et développements, sur 78 superbes minutes.

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Published by François Massarelli - dans Frank Borzage Pre-code
3 mai 2024 5 03 /05 /mai /2024 20:44

Ann Dixon (Helen Foster) est une jeune femme très comme il faut, qui a rencontré dans son lycée des jeunes gens de son âge, mais qui vont la pousser à se dévergonder un peu: alcool, tabac, puis son petit ami va lui imposer des rapports... La descente aux enfers, toujours plus loin, toujours plus bas, va se poursuivre, jusqu'à l'irréparable...

Ce résumé est exactement le même que celui du film de Willis Kent et Norton Parker de 1928, avec la même actrice principale... Foster, donc, reste, il est vrai qu'à 29 ans, elle a encore un minois qui lui permet de jouer les lycéennes... Mais le film, pas plus que sa version muette, ne s'adresse pas à la jeunesse, loin s'en faut! Cette nouvelle version est réalisée par Dorothy Davenport, qui signait "Mrs Wallace Reid" et s'était fait une spécialité paradoxale, suite à la mort de son mari, tué par son addiction à la morphine: produire, écrire ou réaliser des films qui alertaient sur les dangers de la société Américaine...

Elle a donc ici co-signé le script avec Kent, et il reprend fidèlement les développements du premier film: donc, la descente aux enfers pour la jeune femme va passer par la pression des copines, l'attrait de l'interdit, l'alcool, le tabac, le sexe... La sexualité, dans ce film comme dans le précédent, est principalement considéré comme un rite de passage, un moyen de s'imposer en accédant aux désir de l'homme, et non comme un désir assumé.

Une tendance qui rend le film assez prude, derrière ses provocations: la franchise de ce qui est montré, la façon dont dès que les adultes ont le dos tourné les jeunes se lissent aller, et une scène de plouf-tout-nus dans la piscine, le tout sous couvert d'éducation des masses... Le film est sans doute beaucoup plus démonstratif que son prédecesseur... Il est aussi beaucoup moins soigné, et le rythme en est vraiment beaucoup plus lent.

 

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Published by François Massarelli - dans Pre-code Mettons-nous tous tout nus Dorothy Davenport
13 mars 2024 3 13 /03 /mars /2024 17:44

Clyde Griffiths (Phillips Holmes) est un jeune Américain qui a découvert, en effectuant les tâches qui incombent à un groom dans un hôtel chic, qu'il ne déplait pas aux dames... Mais lors d'une soirée un peu trop arrosée il se trouve sur les lieux d'un accident (le conducteur de la voiture dans laquelle il se trouve provoque la mort d'un enfant, et tous les jeunes fêtards, dont Clyde lui-même, s'enfuient... Prenant la fuite, il enchaîne petit boulot sur petit boulot avant que son oncle aisé ne lui donne un poste à responsabilité dans son entreprise de confection... Là, en dépit des règles très strictes sur la "fraternisation sociale" dans l'entreprise, il séduit la jeune Roberta Alden (Sylvia Sidney), qui va vite tomber enceinte de lui... Problème: il a entretemps rencontré et séduit une jeune et riche héritière et n'envisage pas aussi facilement de lâcher cette proie pour épouser Roberta, qu'il n'aime pas spécialement. La tentation de la tuer commence à faire son chemin. Sauf que la tentative sera en quelque sorte un échec. Reculant sur son envie de l'éliminer, il provoque sans le vouloir sa mort accidentelle... La justice se met vite en route.

Sternberg n'aurait jamais fait ce film de son plein gré, il ne lui a pourtant pas été imposé, il s'girait plutôt d'un concours de circonstances. J'y reviendrai, mais pour commencer peut-être faudrait-il commencer par situer la raison d'être de l'existence de ce film... Et du crédit de Sternberg. A la base, le film est adapté donc d'un roman important de 1925, écrit par Theodore Dreiser, l'un des principaux auteurs du courant naturaliste, avec un petit quelque chose en plus: un socialisme militant, qui explose de page en page dans le roman! Le livre ayant été un énorme succès de librairie, la Paramount en a acheté les droits, et comme à l'époque ils étaient en contact avec Eisenstein, il a semblé naturel de confier l'adaptation au grand cinéaste soviétique, qui s'en réjouissait: Dreiser et lui s'entendaient comme larrons en foire. Mais l'adaptation proposée par Eisentstein, basée sur un traitement par le britannique Ivor Montagu, déplaisait tellement à Adolph Zukor, qu'il a bien fallu se rendre à l'évidence, il y avait erreur de casting! 

Si on a confié le film ensuite à Sternberg, c'est tout simplement parce que depuis 1927, le metteur en scène avait été l'un des principaux atouts du studio pour sauver les films du désastre: il avait par exemple pu intervenir dès son arrivée pour des retakes, aussi bien sur It (Clarence Badger) que sur Children of divorce (Frank Lloyd) et était aussi responsable du remontage d'une partie de The wedding march (Stroheim) en 1928... Et Marlene Dietrich étant partie pour un séjour en Allemagne, le réalisateur avait les mains libres. Dreiser a détesté son adaptation, dont il estimait qu'elle trahissait le roman... en particulier pensait-il, en enlevant complètement une thématique autour de la corruption par le rêve Américain, ou encore l'importante filiation du héros, fils d'une mère rigoriste et à la morale religieuse omniprésente, et rejeton d'une bonne famille de petits bourgeois!

Sauf que justement, si Sternberg a atténué la teneur sociologique de ce film, en plaçant moins d'emphase sur ces aspects chers au coeur du romancier, il ne les a pas occultés pour autant, rééquilibrant son film en en faisant la trajectoire d'un lâche militant, un homme qui passe son temps à fuir aussi bien la réalité, l'altruisme, que ses désirs quand ils ne l'arrangent pas: ainsi il pourrait sauver Roberta de la noyade, mais il choisit de ne pas le faire parce que trois minutes avant il voulait qu'elle disparaisse... Griffiths est un anti-héros particulièrement négatif, une belle ordure même, et il est bien le produit d'une certaine vision de l'éthique Américaine.

Si Sternberg a moins montré dans ce film assez réaliste son talent pour une certaine vision éthérée des répports humains, située habituellement dans des cadres plus artificiels, il le signe malgré tout par son impeccable photographie qui prend particulièrement soin de nous montrer de superbes paysages et des environnements qui sont autant de représentations en miniature de la douceur de vivre Américaine dans les années 20 avant le réveil douloureux de la crise (Que Dreiser n'anticipait pas), et il utilise un procédé qu'il affectionnait depuis ses débuts en 1925, des fondus enchaînés qui nous montrent le parcours lamentable de Griffiths comme étant une émanation de son destin.

...Un destin américain.

 

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Published by François Massarelli - dans Josef Von Sternberg Pre-code