War Horse appartient à la veine épique de Spielberg, celle qu'il a inauguré avec The color purple en 1985, et qui a produit des films souvent mal accueillis (Empire of the sun), parfois avec raison (Amistad), mais aussi des triomphes justifiés (Schindler's list, Saving Private Ryan). Depuis Munich, on avait le sentiment que cette facette du metteur en scène était en sommeil, d'autant que son grand projet sur Lincoln semblait ne jamais devoir aboutir... Et puis comme d'habitude tout a été très vite: spielberg a vu la pièce tirée du roman de Michael Morpugo, Dreamworks s'est saisi du film, Spielberg a travaillé en collaboration avec Richard Curtis, réalisateur mais surtout scénariste Anglais. Le travail avec Curtis a poussé Spielberg à ne pas se contenter de la casquette de producteur, et il est donc devenu le réalisateur, d'autant que le travail d'animation sur The adventures ofTintin le contraignait à attendre. Comme à son habitude, le metteur en scène a fait en sorte que les choses se fassent en grand, et très vite.
Et le 26e long métrage de Steven Spielberg, s'il n'a semble-t-il pas attiré les foules de ce coté-ci de l'Atlantique, est une nouvelle preuve de la maitrise de son cinéma. Bien sur, il faut un minimum de foi et de romantisme pour s'y abandonner, mais une fois dans le film, on est en belle compagnie, le cinéaste y payant sa dette envers les plus grands, ses maitres, David Lean pour le souffle épique ou John Ford pour le sentimentalisme comique du début, mais aussi d'autres distingués collègues, dont Terrence Malick. Enfin, il retourne un peu à l'implication personnelle qu'il a pu avoir dans d'autres projets plus connus ou plus personnels.
Dans le Devon, au début du siècle, une famille de fermiers (Dont la terre appartient à un riche propriétaire, David Thewlis) se retrouvent flanqués d'un cheval, un demi pur-sang, suite à une enchère au cours de laquelle le père de famille Ted Naracott (Peter Mullan) a acheté la bête par fierté, pour montrer à son propriétaire qu'il le pouvait. Mais leur situation financière ne le leur permettait pas, et pour pouvoir trouver l'argent du loyer, il va falloir que le cheval travaille, ce pour quoi il n'est pas vraiment taillé. Mais l'abnégation du jeune fils Albert (Jeremy Irvine) et sa complicité avec le cheval qu'il a nommé Joey vont accomplir un miracle. Mais ce miracle est de courte durée, la malchance et la météo ayant finalement raison des récoltes. La guerre arive et le père décide de revendre Joey à l'armée. Albert se jure de le retrouver...
Joey se trouve donc dans la cavalerie Britannique, attaché à la personne du capitaine Nicholls (Tom Hiddleston), qui a compris le lien fort entre Joey et Albert et s'est juré de respecter et aimer l'animal... mais la première charge est fatale à Nicholls.
Joey est alors recueilli par des fantassins Allemands, dont deux jeunes frères (Leonard Karow et David Kross); l'un d'entre eux est trop jeune, et son frère s'étant promis de veiller sur lui, ils désertent tous les deux en compagnie de Joey...
Puis Joey se retrouve pendant quelques temps dans une petite maison Française, à coté d'un moulin, recueilli en compagnie d'un autre cheval par un homme seul (Niels Arestrup) avec sa petite fille, Emilie (Céline Buckens). Joey et cette dernière auront une complicité proche de celle avec Albert; le cheval est de nouveau récupéré par l'Armée Allemande, en position de plus en plus difficile, et en 1918, le cheval et Albert, désormais engagé, sont à quelques mètres l'un de l'autre...
La ronde dont Joey est l'objet qui passe de main en main, permet à Spielberg de privilégier le point de vue du cheval. C'est son regard qu'on voit le plus souvent dans le film; on sait l'importance de ce sens dans les films de Spielberg, mais ici pour une bonne part nous assistons aux combats à hauteur de cheval... Mais d'autres scènes font appel à la fonction de voir, à commencer par une superbe scène située sur la fin, durant laquelle le cheval est coincé dans le no man's land, entre les tranchées, et les soldats Français comme Allemands s'efforcent de définir quelle est cette forme qui bouge, au milieu de la fumée et de la brume. Mais à la fin, c'est un Albert privé de sa vue par les gaz qui va "trouver" Joey... la ronde a pour objectif de placer le film du coté du conte, de la fable, et de fait le metteur en scène n'hésite pas à mêler le réalisme des combats avec la naïveté et les invraisemblances, principalement des coïncidences, dans l'histoire. Donc une fois de plus, il faut se souvenir d'Hitchcock et de ses diatribes contre ceux qu'il appelait des "Vraisemblants". L'essentiel dans ce film, c'est qu'il ne rate pas sa cible, ou plutôt ses cibles. Le fait que le film utilise le point de vue d'un cheval, considéré comme un être vivant par les uns, comme du matériel par les autres (les officiers notamment), permet à Spielberg de montrer l'évolution technologique de la guerre en même temps que son évolution dans le temps.
La première bataille est un modèle du genre, une scène lyrique, superbe, et profondément ironique: les cavaliers Britanniques vont se lancer, bénéficiant de l'effet de surprise, sur un cantonnement Allemand. Ils vont fondre sur eux, et tous sont persuadés que cela va être rapide, et que la guerre même sera finie en quelques semaines. L'attaque, magnifiquement orchestrée, se déroule comme prévue, avec des plans superbes qui renvoient au viol de la nature par l'armée dans les films de Malick, des cavaliers qui piétient un champ. Les chevaux se voient à peine. La caméra adopte le plus souvent deux points de vue: celui des Allemands que l'attaque surprend d'une part, et un mouvement de droite à gauche (C'est à dire le mouvement le plus souvent des antagonistes), ce qui fait effectivement des Anglais les agresseurs. Mais le mouvement de fuite des fantassins sou la puissance de la charge s'arrête... sur une mitrailleuse; et à partir de là, le processus s'inverse, et les cavaliers Anglais sont décimés. Ils avaient tort: les Allemands ont anticipé, ils ont tout simplement réfléchi, et contrairement aux cavaliers Anglais, qui vivent toujours au XIX' siècle, ...ils ont évolué. D'une manière générale, Spielberg évite le piège de la prise de parti, et nous montre les souffrances des deux cotés.
Le suspense intervient dans le film, mais jamais à des proportions essoufflantes comme dans War of the worlds ou Jaws. Il s'agit ici de scènes courtes, comme celle durant laquelle Albert croit être suivi dans une tranchée par un Allemand, alors qu'il s'agit d'un copain; ou lorsque Emilie monte Joey pour la première fois, et qu'elle disparait. Le grand-père se précipite, et de l'autre coté de la butte qui l'empêchait de voir sa petite fille, il la voit, montée sur le cheval, se démenant contre des dizaines de soldats Allemands (Cette scène est un écho d'une autre scène de War of the worlds, lorsque le fils quitte Tom Cruise pour rejoinde l'armée). Des moments fulgurants, donc. Mais les péripéties du cheval, qui se promène au gré d'un conflit dont nous connaissons de toute façon l'issue, sont surtout pour Spielberg l'occasion de révéler la nature des êtres: le fils du propiétaire, envoyé au combat (Un officier, bien sur) dans la même compagnie qu'Albert, et qui continue à se comporter avec condescendance, avant qu'Albert ne lui sauve la vie; les petits et les sans-grades, qui recueillent volontairement ou non Joey et en tombent amoureux; cette scène superbe et douce-amère, durant laquelle les tranchées s'impoent une trève, et deux troufions, un Allemand et un Anglais, fraternisent le temps de dégager Joey des griffes du barbelé... Joey traverse la guerre comme un révélateur, il renvoie les hommes à leur humanité. Et c'est là sans doute que le dernier miracle s'accomplit, le sens de cette dernière scène presqu'onirique, en silhouette. joey est un miracle, le garant de l'humanisme de ceux qui le cotoient. il est aussi sublime que peuvent l'être les moments forts des films de Frank Borzage, ces instants ou tout basculent, dans des films taillés pour regarder en l'air. Bref, il n'a pas grand chose à voir avec le cynisme ambiant, voilà la raison pour laquelle le film est à voir avec une âme d'enfant...
Peu de choses à regretter dans ce film, sauf peut-être cette manie qu'a le réalisateur d'utiliser la convention de langage de faire parler les acteurs en Anglais, mais avec l'accent (Allemand ou Français) de leur nationalité. Si c'est pour les faire parler Anglais, pourquoi faire intervenir des acteurs nationaux? On avait déja cette tendance dans Schindler's list. Mais c'est un petit détail, une goutte d'eau, dans ce qui est un film de Spielberg très accompli, fédérateur, qui nous parle d'une rencontre, d'un échange, et qui renvoie à sa vision du sacré, comme le faisaient E.T. et Close encounters of the Third Kind.