Au moment ou Dollhouse accède au prime time sur une chaîne hertzienne de grande écoute, il est paradoxal de rappeler que cette série s'est arrêtée, au bout de deux courtes saisons, en janvier 2010. Les raisons? D'abord, le fait que les séries sont un marché, qui plus est encombré, et que désormais il s'agit de séduire aussi rapidement que possible, et tout le monde n'a pas la chance de bénéficier d'une carte blanche sexe et violence sur une chaine comme HBO, ou Showtime. Donc, la nouvelle série de Joss Whedon, après ses succès Buffy the vampire slayer et son spin-off Angel, après le rare Firefly, a rejoint la cohorte des séries tuées dans l'oeuf. Gageons que la récente grève des scénaristes a suffisamment énervé les networks, ces chaînes nationales qui font la pluie et le beau temps, et qui depuis exigent des séries un rendement maximal pour un pilote. Parmi les victimes récentes, on compte des séries fabuleuses, telles Pushing daisies ou encore le superbe Wonderfalls, de Tim Minear.
Quant à Whedon lui-même, il a déjà vu ça, et s'attendait même à le revivre dès la fin de la première saison de Dollhouse: Firefly, peut-être le bébé dont il était le plus fier (avec raison), n'a pas survécu à son treizième épisode, et seuls quatre ont été programmés à la télévision aux Etats-unis... Quoi qu'il en soit, l'équipe qui a fait Dollhouse saison 1 s'attendait à une annulation rapide, et a donc maintenu un certain ordre, relativement raisonnable, alors que l'équipe de Dollhouse II, enhardie par la commande d'une nouvelle saison, a été beaucoup plus loin, mais sans se faire d'illusions. On peut donc argumenter du fait que Whedon et ses auteurs ont rempli ces 13 épisodes avec des péripéties qui auraient pu tenir normalement sur 45 ou 60 heures... D'où un certain sentiment de trop plein. Mais avec Whedon, on a l'habitude que ça aille loin, très loin...
Dollhouse tourne autour d'une idée, relativement simple: un nouveau service existe, de façon secrète, protégé par une corporation de recherche pharmaceutique: la "maison de poupée" est un endroit ou un client fortuné peut demander à bénéficier d'un être humain qui lui est prété pour une durée donnée, entièrement formaté à ses désirs: si on veut une fiancée, un collaborateur hyper-doué, un spécialiste dans quelque champ que ce soit, ils peuvent fournir, grâce à une technologie ultra-sophistiquée: les "poupées", toutes et tous volontaires, sont privés de leur personnalité, stockée à part, et sont dotés, pour chaque mission, d'une "empreinte", une cartouche complète de personnalité. Parmi les clients, on trouve aussi bien un veuf qui souhaite avoir sa femme auprès de lui lors de ses anniversaires, qu'une femme décédée qui se doutait qu'on voulait la tuer, et souhaite enquêter post-mortem... Les "véhicules", soit les poupées, sont tous jeunes, et supposés être dociles et vides de toute pensée, de toute intelligence, jusqu'au jour ou on s'aperçoit que les plus brillants d'entre eux commencent de plus en plus perceptiblement à développer une sorte de culture, une intelligence, des souvenirs, et se rendent compte du traitement qui leur est infligé. Adelle de Witt (Olivia Williams), la dame Britannique qui tient l'établissement dont il est question (Il y a plusieurs succursales de cette société secrète) est ambigue, et semble à la fois travailler pour ou contre ses employeurs; d'autres histoires se greffent sur ce canevas, la plus notable étant l'histoire de Paul Ballard (Tamoh Penickett), un agent du FBI qui enquête sur la disparition de Caroline (Eliza Dushku), une jeune activiste alter-mondialiste, et qui a entendu parler de la légende urbaine des Dollhouses. Il n'a d'ailleurs pas tort de faire le rapprochement, puisque Caroline, sous le nom d'Echo, est la plus populaire des Poupées... Sous la direction de Boyd Langton, son superviseur, elle mène à bien dans la première saison des missions dont elle s'acquitte de façon exceptionnelle. D'autres poupées apparaissent au gré des épisodes, tous et toutes clairement identifiées: Sierra (Dichen Lachmann, qui cache un lourd secret; Le très versatile Victor, très prisé des dames (Enver Gjokaj); November (Miracle Laurie) ou encore Whiskey et Alpha. Le personnel de la Dolhouse de Los Angeles est aussi très détaillé, outre DeWitt et Langton, on fait la connaissance de Topher Brink, le responsable des machines, un génie sociopathe interprété de façon hallucinante par Fran Kranz: a mon sens, il faut sans doute y voir le double de Whedon lui même. Pour compléter ce casting, le chef de la sécurité (dont on apprend très vite à se méfier), Laurence Dominic (Reed Diamond), mais aussi le dr Claire Saunders (Amy Acker), au visage marqué de cicatrices, souvenir d'un accident qui restera longtemps inexpliqué, ont des rôles récurrents.
On est en pleine science fiction, donc, versant manipulation des consciences, mais avec une bonne dose de militantisme personnel de la part de Whedon qui décidément n'aime pas les corporations tentaculaires. Dans sa ligne de mire, ici, un groupe de recherche pharmaceutique, Rossum, qui n'apparait qu'en filigrane dans la première saison pour revenir de façon plus menaçante dans la deuxième. afin de rendre la partie plus intéressante, Rossum est non seulement l'employeur de la Dollhouse, c'est aussi leur ennemi. Il est montré dans la deuxième saison que Rossum se doute de l'esprit de résistance de la Dollhouse de LA, et a infiltré ses murs, mais aussi qu'ils sont attentifs à la technologie de Topher Brink, dont la scientifique équivalente de Tucson (Summer Glau) souhaite voler les principales inventions. Comme dans la cinquième saison d' Angel, Dollhouse II nous montre les héros aux prises avec le mal dont il sont eux-mêmes les employés... Comme Buffy et Angel, ils vont devoir affronter une menace d'apocalypse, déjouer les pièges de leurs propres amis, et bien sur dénouer quelques fils sentimentaux qui sont typiques de Whedon: quand tout va bien, c'est que tout ne va pas tarder à aller mal, qu'on se rappelle du destin de Tara et Willow (Buffy), de l'amour entre Fred et Wesley (Angel), ou de la mort du pilote de Firefly dans le long métrage Serenity, etc...
La famille: c'est LE thème de Joss Whedon, qu'on retrouve de façon explicite ou symbolique dans toutes ses séries. celle-ci ne fait pas exception à la règle, avec sa mère protectrice (DeWitt), son père dysfonctionnel (Brink) et ses enfants turbulents (les poupées). Il y a aussi le fils maudit, Alpha, qui est souvent cité dans les premiers épisodes, et dont on apprend très vite qu'il est à la source de beaucoup de problèmes passés: c'est une "poupée" qui s'est rebellé, et s'est chargé de quarante personnalités différentes. Alan Tudyk l'interprète avec, eh bien, génie. Mais on voit dans cette série aussi un goût pour les causes perdues, tout comme dans Angel: c'est Paul ballard qui a pour mission de l'incarner dans la première saison: seul contre tous, il enquête à la risée de ses collègues sur les "Maisons de poupées", et va bien vite se rendre compte qu'il est lui-même le jouet de l'organisation, avec sans doute la complicité du FBI. Arroseur arrosé, il va prendre à la fin dela première saison une décision radicale et inattendue, riche en conséquences. La "cause" est perdue d'avance...
Le principal thème, le pus surprenant, c'est bien sur de voir comment les personnages de poupées peuvent évoluer, apprendre, fixer des mémoires, sensorielles ou autres; cela apparaît bien sur dans les personnages de Victor et Sierra qui s'aiment au-delà de tout, sans prendre en compte leur condition; Mais c'est Echo, et Alpha qui montrent les dispositions les plus spectaculaires: ils réussissent à devenir de vrais êtres humains, avec leurs aspirations et une intelligence au-dessus de la moyenne (Ainsi que de vrais symptômes de serial killer en ce qui concerne Alpha bien sur...). Comment un être humain se forge-t-il, quelles sont les chances de véritablement effacer toute trace d'humanité, telles sont les questions posées par la série... En plus d'autres, notamment un regard sur la prostitution, qui fait écho à un personnage de Firefly, la "Compagne" Inara: les poupées sont-elles des prostituées? Certains répondent non, puisqu'elles ne sont amenées à n'accepter les rapports sexuels que si elles ont programmées pour, et ce n'est pas toujours le cas. Mais lorsque les souvenirs commencent à exister dans les enveloppes supposées vides, la question revient immanquablement à la surface; la série est d'ailleurs ambigue, jouant le chaud et le froid sur la question du traitement et du conditionnement infligé à ces êtres humains...
Si la série n'est qu'un demi-succès, elle le doit principalement aux circonstances, qui en ont précipité la diffusion, et qui ont accéléré son développement. on aurait aimé que la dose ne soit pas aussi forte dans la deuxième saison, que Whedon puisse faire comme avec Buffy ou Angel et bénéficier de temps... Il faut sans doute remercier la Fox d'avoir au moins laissé la série se développer sur 26 épisodes, et se demander pourquoi elle ne l'a pas fait sur Firefly. Au moins, la série nous laisse-t-elle apprécier une fois de plus le merveilleux monde noir et tordu de Joss Whedon, et nous permet aussi d'entendre ce merveilleux langage, ces dialogues, et voir ces personnages aux prises avec le mal, mais si souvent drôles: une conversation hallucinante entre Topher Brink et "Victor" doté de la personnalité de Topher, une Eliza Dushku devenue une dame morte, tentant de résister aux avances de son fils, la surprise de voir Adelle DeWitt cliente de sa propre succursale, le plaisir de voir ou revoir les "habitués": Alan Tudyk (Firefly), Amy Acker (Angel), Summer Glau (Angel, Firefly), Eliza Dushku (Buffy, Angel), Alexis Denisof (Buffy, Angel), Felicia Day (Buffy, Dr Horrible)... La "famille" fonctionne bien dans ce sens là aussi. Sinon, elle s'étend aux collaborateurs, qui sont tous là, de Tim Minear à Marita Grabiak, en passant par David Solomon: auteurs et réalisateurs, ils secondent Whedon comme ils l'ont toujours fait, même si la trame principale porte totalement sa marque, ainsi que des bribes de dialogues, et certains personnages: Topher Brink et sa consoeur Bennett, en particulier. Whedon n'a réalisé et écrit en solo que deux épisodes, mais l'affaire est entendue: il était constamment présent sur le plateau de toute façon.
Voilà, on ne peut qu'encourager, en leur enjoignant d'être patients, à tous ceux qui souhaitent en savoir un peu plus sur l'âme humaine, si elle laisse des traces sur notre enveloppe corporelle ou pas, et passer du temps en compagnie de l'âme de Joss Whedon, de regarder ce qui est une série ambitieuse, belle, prenante, compliquée, et glorieusement ratée. Bref: un chef d'oeuvre maudit, de la part d'un auteur fou dont la présence à la télévision est décidément indispensable...