Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
12 novembre 2023 7 12 /11 /novembre /2023 08:55

Avant-dernier film de son auteur, The devil doll est un peu à part dans l'oeuvre de Browning: d'une part parce que le film, relativement long pour cet habitué des films d'une heure (78 minutes) semble avoir bénéficié de plus d'attention et de moyens que le reste de son oeuvre. Ensuite parce qu'il reste, comme Dracula, un film fantastique, au premier degré: contrairement aux autres films situés souvent autour de la manipulation et de l'escroquerie. Certains, comme The mystic ou bien sûr London after midnight, en font même le sujet même du film.

Paul Lavond (Lionel Barrymore) et un autre bagnard, Marcel (Henry B. Walthall), s'évadent. Ils se sont mutuellement aidés, mais leurs motivations sont bien différentes: le banquier déchu Lavond souhaite recouvrer la liberté afin de se venger des trois hommes qui l'ont envoyé au bagne et en ont profité pour le soulager de sa fortune, et ce faisant de sa réputation. Et Macel, un scientifique génial mais fou, veut retrouver son épouse Malita (Rafaela Ottiano) pour poursuivre avec elle ses recherches. Ils sont en effet sur le point de miniaturiser de façon convaincante des êtres vivants, qui répondent à la pensée. Ils ont déjà fait des expériences sur des animaux, et rêvent de tenter leur chance sur des hommes.

Comment la quête de vengeance et de réhabilitation de l'un va croiser et utiliser les recherches folles furieuses de l'autre, c'est que qui fait l'intrigue de ce film étrange. Il faut aussi ajouter une sous-intrigue qui humanise Lavond, et qu'on a déjà vue dans des films de Browning: Lavond a une fille, qui vit dans la haine de son père: il souhaite changer son point de vue. Mais comment concilier tout ça? Comment approcher une fille qui vous hait, comment chercher à évoluer dans la société, quand la police vous recherche activement? Réponse, bien sûr, de Tod Browning: le déguisement, et le plus délirant sera le meilleur... Donc pour l'essentiel de ce film, Barrymore sera madame Mandilip, une charmante vieille dame dont personne ne se méfie. On a pourtant bien tort, car ses étranges poupées ne sont pas très catholiques...

Ce n'est pas du côté de la vraisemblance qu'il faut chercher le sel des films de Tod Browning, loin de là! Cette histoire, qui combine beaucoup de choses (le savant fou affublé d'une épouse illuminée, à la coiffure sous l'influence de Bride of Frankenstein, et leurs recherches bizarres; les "poupées" et tous les truquages nécessaires à leur représentation: la machination autour de Madame Mandilip et de ses cambriolages délirants) ressemble beaucoup à un florilège, dans lequel beaucoup de réminiscences passent, en particulier de The unholy three; il y manque toutefois l'amputation pour être complet! Le film, je pense, a bénéficié de la bienveillance de la MGM en raison justement de son improbabilité, et du fait qu'après tout, le fantastique était revenu sérieusement à la mode. Mais un fantastique mis en perspective dans un contexte qui a bénéficié d'un soin particulier, le film ne ressemblant que très peu aux autres films de l'auteur, avec ses décors supposés Parisiens... Lavond et son double Madame Mandilip évoluent dans un univers bien plus tranquille que les autres héros de Browning.

Le film est étrangement riche en épices à problèmes pour un film postérieur à 1934, avec son héros qui se situe quand même de l'autre côté de la loi: après tout, il s'est évadé de prison même si c'était un bagne indigne! Mais sa quête de rédemption ne passe pas que par la vengeance, ily a un souci de réhabilitation, et le désir de retrouver l'amour de sa fille, qui l'humanisent considérablement. En "double" de Lon Chaney, disparu en 1930, Barrymore est d'une grande efficacité... Cet étrange film est quand même, mine de rien, une somme de ce que Browning pouvait offrir, et avec ses qualités et ses défauts, l'un de ses films les plus attachants...

Et sinon, pour en finir, le nom de Eric Von Stroheim est au générique... Comme celui d'Orson Welles associé à M. Verdoux, je pense: Stroheim, qui avait certainement des traites à payer, a participé au scénario, et on lui doit selon les historiens qui se sont penchés sur les états du script, un certain nombre d'idées bien dans sa manière; la plus intéressante étant la présence de Rafaela Otiano, qui interprète le personnage de Malita, la scientifique qui travaillait avec Marcel, le personnage jouré par Henry B. Walthall. Et à propos de ce dernier, c'est son dernier film...

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Tod Browning
27 octobre 2023 5 27 /10 /octobre /2023 16:53

Le capitaine Singapore Joe (Lon Chaney) a perdu son épouse lors d'un voyage en mer, quand elle est morte en donnant naissance à leur fille Rose-Marie. A Mandalay, le capitaine a laissé la petite aux bons soins du père James (Henry B. Walthall), son frère... Les années ont passé; Joe est devenu l'un des trois associés dans une entreprise plus que louche, en l'occurrence un bordel à Singapour. Souvent, il rend visite à sa fille (Lois Moran), à laquelle il fait peur: Joe n'a jamais accepté les demandes répétées de son frère qui souhaitait raconter la vérité à Rose-Marie... Joe a deux partenaires dans son affaire: un alcoolique, surnommé "L'amiral" (Owen Moore), et un Chinois, English Charlie Wing (So-Jin Kamiyama). La relation est compliquée entre Charlie et Joe, mais la crise viendra de L'amiral: quand celui-ci rencontre Rose-Marie, il tombe amoureux et ne désire rien d'autre que de s'amender...

C'est à la fois le vilain petit canard, le pire de tous les films survivants de Browning et Chaney, et un fantôme de film plus qu'autre chose: il n'en subsiste qu'une copie tirée d'un fragment incomplet (une édition 9.5mm, probablement Pathé-Baby, tirée et éditée en France). Les rares versions disponibles (Patrick Brion l'a montré à plusieurs reprises dans le Cinéma de Minuit) sont d'une définition épouvantable, ce qui n'aide pas le film... L'absence de nombreuses scènes n'aide pas non plus... Mais il est rapide de constater que le film est essentiellement une affaire de remplissage, une de ces oeuvres de second ordre que Chaney et Browning tournaient parfois entre deux films plus importants. Ici, ce serait entre The Blackbird (avec Chaney) et The Show (avec John Gilbert).

On y retrouve de nombreux motifs, d'abord des clichés du cinéma d'aventures, une certaine ambiance de conflit ethnique, avec comme souvent hélas un asiatique qui a le mauvais rôle; deux frères, Walthall et Chaney; l'un tourné vers le bien, la religion, le spirituel, et l'autre vers le crime... Un alcoolique, proxénète, bandit (Owen Moore), qui va se comporter de façon odieuse avec Rose-Marie avant de gagner sa confiance et finalement de trouver la rédemption... Et le metteur en scène ne se lassait pas d'explorer les bas-fonds sous tous les angles, mais... ici, que de clichés! 

Beaucoup des aspects de ce films seraient de toute façon recyclés dès 1928 avec West of Zanzibar, plus intéressant que ce film, qui allait en particulier mener à de nouvelles extrémités la relation père-fille dans de nouvelles variations. Le personnage de l'acloolique indécrottable serait également explorée de nouveau. Et Where east is east (pas beaucoup plus intéressant) en 1929 serait une autre occasion de confronter Chaney, vieillissant, à une progéniture.

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Muet Tod Browning Lon Chaney 1926
26 octobre 2023 4 26 /10 /octobre /2023 22:20

The unknown occupe une place à part dans le corpus de dix films réalisés par Tod Browning avec l'acteur Lon Chaney... Souvent cité comme étant le meilleur par beaucoup d'amateurs, il est sans aucun doute le plus troublant de leurs films, celui dans lequel l'acteur et le réalisateur font converger leurs univers à travers une thématique commune qui aura rarement été aussi riche en sens et en interprétations...

Lon Chaney, acteur à transformations, appréciait le défi représenté par la recréation du handicap, et avait à plusieurs reprises utilisé ses capacités de jeu pour la caractérisation de personnages comme Blizzard (The penalty, Wallace Worsley, 1920), amputé des deux jambes (Et tourné d'une hallucinante façon frontale), ou comme Dan, le faux infirme de The blackbird (Tod Browning, 1925), qui soumettait son corps à une impressionnante et dangereuse gymnastique pour faire croire qu'il était difforme...

De son côté, Browning était fasciné par le bizarre, certes, c'est souvent dit. Mais il était surtout issu du milieu du cirque, et avait transposé dans son univers cinématographique cette expérience, non seulement par des films situés dans ce monde-là (The unholy three, The mystic ou The show, pour s'en tenir à des films tournés avant The unknown), mais aussi en mettant souvent l'accent sur la mystification. Et son style en venait aussi: chez lui, on trouve peu de mouvements de caméra, peu de montage savant. Il lui importait d'installer une atmosphère par un décor approprié, et de demander aux acteurs de mettre en place la situation d'une manière aussi claire que possible. Les séquences reposaient ensuite beaucoup sur l'exposition de la scène à l'écran, avec une tendance justement à s'attarder, qui est surprenante aujourd'hui, par ce qu'elle enlève de rythme, mais qui est totalement inhérente à tout son cinéma (Ce qui donne parfois des résultats embarrassants, je pense à son adaptation ratée de Dracula en particulier). Mais surtout, Browning cherchait constamment à reproduire de lui-même vis-à-vis du public le bon vieux lien de mystification, en pointant le spectateur dans la mauvaise direction... 

Donc, un illusionniste qui aimait à créer de toutes pièces des univers décalés et situés aux frontières du convenable, et un acteur fasciné par la différence et qui cherchait par tous les moyens à la représenter au mieux, en faisant tout pour être convaincant, et même au-delà, à créer entre lui et son spectateur un lien émotionnel fort: ces deux-là étaient faits l'un pour l'autre...

Le défi de The Unknown était important pour l'acteur, dont la publicité de l'époque cachait qu'il avait été doublé. Rien de déshonorant pour lui pourtant: Chaney, fait-il le répéter, était un acteur, et son personnage d'homme qui fait croire qu'il n'a pas de bras, avant de prendre la décision de se faire amputer, est un exemple particulièrement significatif de son talent... l'intrigue est la suivante: Alonzo (Chaney), homme sans bras, est une attraction du cirque de Zanzi (Nick De Ruiz). Tous les soirs, il effectue avec ses pieds un numéro de lanceur de couteaux... Son assistante est la jolie Nanon (Joan Crawford), dont il est amoureux... Celle-ci est obsédée par l'insistance des hommes à vouloir la toucher, en particulier ce grand nigaud de Malabar (Norman Kerry), le costaud de la foire, qui revient à la charge en lui déclarant sa flamme tous les soirs: irritant, même si l'intention du bonhomme reste noble.

Le problème d'Alonzo, c'est qu'il a un secret: il a des bras, qu'il dissimule évidemment, et ceux-ci sont célèbres dans la police: car avec les deux pouces de sa main gauche, le bandit laisse des empreintes particulièrement reconnaissables. Si sa couverture (Il a un corset et utilise ses pieds avec la même dextérité qu'un authentique amputé) peut tenir un temps, comment pourrait-il devenir l'amant de Nanon? ...Surtout quand celle-ci surprend une silhouette mystérieuse qui étrangle son père, et possède deux pouces à la main gauche. Malgré les conseils de Cojo (John George), son ami et complice qui lui propose de prendre du champ, Alonzo s'entête et prend la décision la plus folle possible: se faire amputer, afin de définitivement détourner les soupçons, et de pouvoir conquérir Nanon. 

Avant son départ, Alonzo a une idée qui débouchera sur un désastre: il conseille à Malabar d'insister, espérant provoquer chez Nanon un dégoût plus intense encore... C'est bien sûr le contraire qui arrivera, car dans l'univers de Lon Chaney, l'amour est hors de portée. C'est l'un des ingrédients qui permettent à l'acteur de provoquer une forte sympathie de son public, assez paradoxalement: car Alonzo est une fieffée canaille, qui résout cette histoire dans une tentative sadique que je vous laisse découvrir par vous-même... Un acte qui, bien sûr, lui coûtera la vie. D'autres éléments visant à diaboliser le personnage ont disparu des copies actuelles (le film n'a survécu que dans une copie réduite à cinq bobines, dénichée dans les collections de la cinémathèque Française): le meurtre soit montré, soit fortement suggéré du médecin qui l'ampute, et la disparition plus que louche de Cojo, seul témoin survivant des actes criminels d'Alonzo... Mais ces actes avaient probablement été coupés avant la sortie de la version définitive.

Browning est à son aise dans ce film, situé dans son monde si particulier, fait de roulottes et de coulisses du cirque; les personnages y sont à la fois des illusionnistes, car une bonne partie du travail artistique du cirque repose sur le faire croire, et de véritables créatures d'un monde parallèle; comme dans la plupart de ses films de cirque, Browning nous montre des gens qui gardent leur identité en permanence: d'ailleurs, Malabar est toujours Malabar, avec le costume idoine. J'admets au passage que Norman Kerry n'est probablement pas la meilleure raison de voir le film... Et Chaney y trouve son personnage idéal, un infirme qui est à la fois un criminel, un escroc, un manipulateur et un amoureux éconduit. Sa prouesse est impressionnante, qu'il soit doublé (dans des plans travaillés au millimètre, puisque on le voit vivre avec les pieds d'un autre, sa doublure...), ou que l'illusion repose sur son jeu irréprochable. Et il joue, littéralement, sans les mains, donc avec son exceptionnel visage.

Pour finir, comment ne pas penser à l'interprétation la plus fréquemment associée à ce film, qui voit en The Unknown une métaphore à forte connotation sexuelle, faisant de Nanon une femme qui a été violée, et d'Alonzo, un homme qui pour la posséder va décider de se faire castrer. Il est vrai que si Malabar convoite Nanon sexuellement (Ce gros tas de muscles a un regard de collégien salace dès qu'il la voit), on peut s'interroger sur le lien qu'Alonzo cherche à établir. D'autant que Chaney joue ici un homme d'âge mur... Un tel scénario, impliquant une métaphore de la castration comme seule chance de se faire aimer est excessif, mais pas au regard de l'étrangeté de l'univers de l'acteur, et encore moins du réalisateur. Beaucoup, au sujet de ce film, veulent d'ailleurs voir un rapport avec la rumeur insistante selon laquelle Browning, dans l'accident de voiture dont il a été victime en 1915 (Qui coûta la vie à l'acteur Elmer Booth) aurait subi beaucoup plus qu'un traumatisme, et que son obsession de l'amputation, voire de l'impuissance, en viendraient en droite ligne. Spéculations, théories, qui ne font qu'ajouter au sordide... ou au fascinant. Ou aux deux... Tout ça pour dire que The unknown, en dépit de son air de ne pas y toucher, est un sacré morceau de l'univers de Browning. Enfin restitué dans une version qui rend justice à a progression, et au sens de l'atmosphère de son réalisateur: une copie plus complète du film ayant été retrouvée à Prague, on a enfin la possibilité de l'apprécier dans une version de six bobines plus proche (à 30m près!) de sa durée initiale...

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Muet 1927 Tod Browning Lon Chaney
26 octobre 2023 4 26 /10 /octobre /2023 21:35

En Hongrie, dans un petit cirque, une troupe de gitans se livre à un numéro bien huilé: une jeune femme, Zara (Aileen Pringle), réussit à faire croire à la foule, en plein jour, qu'elle convoque des esprits... Un Américain (Conway Tearle) présent dans le public s'intéresse à eux et décide de les ramenr avec lui pour une escroquerie de haut niveau: prétendre que Zara est médium et qu'elle peut permettre à de riches clients de communiquer avec leurs défunts... Et tant qu'à faire, s'ils amènent leurs bijoux, il y a moyen de s'en charger aussi!

Ceci est l'un des films les plus méconnus de Browning, qui pourtant est lié à son courant le plus connu, ses films situés autour du cirque, ou du carnaval. Cette escroquerie élaborée mais totalement incroyable au sens strict du terme, nous en rappellera d'autres: les criminel(le)s repentis ou non de The wicked darling et The exquisite thief (1919), Outside the law (1920), The White tiger (1923), Drifting (1923), ou The unholy three (1925) pour s'entenir aux films tournés avant celui-ci...

Derrière cet intérêt pour les malfaiteurs organisés et imaginatifs, se cachent plusieurs aspects de son oeuvre, on hésite à écrire "de sa vie" car on n'est pas sûr que les légendes qu'il a lui-même colportées avec application soient vraies, et qui n'en sont jamais parties: le fait de baser une vie entière sur le mensonge, par exemple, comme Alonzo (The unknown); le goût pour le mise en scène, qu'elle soit sur un tréteau ou dans la vie d'un bandit (The unholy three); et puis une véritable fascination pour les trucs qui servent à duper le public (comme le dit un de ses personnages en mourant, dans The blackbird: I'm fooling them): on verra ainside quelle manière on fait croire tout et son contraire au piblic dans The show, mais aussi dans The mark of the vampire, ou dans Miracles for sale, qui mettra en colère une armée de prestidigitateurs en révélant des trucs de la profession! Toute une conception de la vie dans ces obsessions, qui renvoient à toute une profession, qui n'est pas vraiment éloignée de celle du cinéma...

Et ici, le truc qui repose autant sinon plus sur la crédulité des clients, que sur de véritables techniques, reste quand même l'un des plus élaborés, et improbables de son oeuvre. A des morceaux d'explication, telle l'utilisation savante de l'ombre et de la lumière, Browning ajoute des trucs cinématographiques, des mattes, du flou, des surimpressions... C'est sans doute l'un des plus techniques de ses films, et l'un des plus intéressants tant cette fois aucun personnane ne renvoie à ce qu'aurait pu en faire Lon Chaney!

Et ce qui reste, c'est que cette fois, les bandits resteront sans doute des bandits. On voit en effet une escroquerie élaborée, dans laquelle une troupe de voleurs prennent vraiment les gens pour des imbéciles pour mieux leur soutirer de l'argent, et le tout est vu de leur point de vue... Les acteurs sont largement oubliés, voire des seconds couteaux, mais ils sont convaincants et prenant, menés par Aileen Pringle, une actrice énergique qui nous rappelle un peu Priscilla Dean. Bref plus qu'une rareté, c'est un film qui devrait être à la tête du canon de Tod Browning. Dommage qu'il soit resté si méconnu...

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans 1925 Muet Tod Browning
19 décembre 2020 6 19 /12 /décembre /2020 10:20

Browning fonctionnait à la formule... De la même façon qu'il va développer une série de films souvent très semblables dans les années 20, autour de la personnalité de Lon Chaney, et souvent identifiables à un gimmick (Par exemple The road to Mandalay est "le film dans lequel Chaney est borgne", ou The Unknown "celui dans lequel Chaney n'a pas de bras", pour situer), les films de gangsters qu'il a développés autour de l'actrice Priscilla Dean dont il était le réalisateur attitré, obéissent tous à un certain ombre de règles... Y compris celui-ci, leur dernière collaboration: une femme de mauvaise vie, des choix humains, des collaborateurs malfaisants et un amour rédempteur, le tout dans une ambiance criminelle et nocturne prononcée.

Cassie Cook (Dean) est une trafiquante d'opium qui travaille dans un bouge à Shanghai, en compagnie de l'escroc Jules Repin (Wallace Beery). Une menace sur leur petit trafic se précise en la personne de Jarvis (Matt Moore), un contremaître Américain d'une mine locale, qui est en vérité un agent des services secrets dont la mission est de démanteler le trafic local, partagé entre Repin et Cassie, et le maléfique Dr Li (William Mong). La fille de ce dernier, Rose (Anna May Wong), est amoureuse de Jarvis, mais elle ne sera bientôt pas la seule, puisque Cassie va elle aussi succomber au charme du  bonhomme, ce qui va sérieusement mettre en danger les plans des trafiquants d'opium...

Comme d'habitude: c'est un fatras mélodramatique, dans lequel Dean incarne une fois de plus une femme qui a fait des mauvais choix, mais dont une partie des codes moraux qu'elles a conservés lui permettra de passer de nouveau du bon côté. Comme dans Outside the law, ce sont des facteurs humains qui vont jouer dans sa rédemption, puisque outre l'amour de Jarvis, elle va bénéficier de l'aide inattendue de sa rivale Rose Li, mais aussi elle va s'ouvrir à l'humanité en aidant un gamin d'origine Américaine lors d'une émeute. Elle est aussi montrée exprimant de la compassion pour une de ses compatriotes victimes de ses trafics... Le casting principal (Dean, Beery, Moore) est intégralement repris du film précédent, White Tiger.

Mais peu importe, car dans ce film bien fait (la Chine de Browning est parfois plus crédible que le Chinatown de Outside the law, ou le Limehouse de The blackbird), ce qui compte c'est d'une part que ça vire au chaos et que le metteur en scène qui sommeille depuis quelques années en Browning entre deux bouteilles, se réveille sur les trois dernières bobines, et il fait preuve d'une énergie, d'un sens du montage et du découpage, qui font plaisir à voir, dans des scènes d'incendie et de panique...

Enfin, il bénéficie dans ces sept bobines de suffisamment d'espace filmique pour y développer des personnages intéressants, dont un vieil homme, Murphy, qui parvient à être tour à tour comique et touchant (J. Farrell McDonald), et surtout Rose Li... On sait aujourd'hui que le temps d'écran dévolu à Anna May Wong par Browning dans son film n'était sans doute pas lié au hasard ou à la simple réalisation du talent de l'actrice (qui est réel, de toute façon), mais probablement plus à des turpitudes que Browning ne devait sans doute pas partager avec son épouse. Mais comme on dit, cela ne nous regarde pas: ce qui compte, c'est que Rose Li ajoute une dimension inédite et excitante au film, en prenant sur elle une importante partie de la charge émotionnelle du grand final spectaculaire, où elle se sacrifie tout en réglant tous les problèmes d'un ou deux coups de feu vengeurs... Alors que clairement, dans le film Browning ne s'était pas beaucoup intéressé à Priscilla Dean! Il faut dire que cela faisait 6 ans qu'il  était son metteur en scène quasi exclusif.

Une dernière note: en dépit de sa relative réussite, Drifting est le dernier film de la première période Universal de Browning, qui va connaître les vaches maigres avant de repartir sur The unholy three à la MGM grâce à deux hommes: Lon Chaney et Irving Thalberg. Dean, elle, était lessivée... une dernière chose qui intéressera les collectionneurs de cinéma "physique": le film est disponible chez Kino aux Etats-Unis dans une édition Blu-ray qui contient aussi White tiger, ainsi que la seule bobine survivante de The Exquisite Thief (1919), et c'est un disque toutes zones...

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans 1923 Muet Tod Browning
24 août 2020 1 24 /08 /août /2020 15:51

Calcutta, dans une maison Britannique cossue: un homme a été tué, et une medium est invitée à diriger une séance de spiritisme qui pourrait permettre à la bonne société de mettre la main sur le ou la coupable. Bien sûr que le ou la coupable est justement parmi eux, et en prime durant la séance il y aura un deuxième meurtre, et l'étau se resserre sur une jeune femme que la médium essaie de protéger. Pendant ce temps, l'inspecteur Delzance (Bela Lugosi) mène l'enquête d'un sourcil inquisiteur...

Ce film, le premier parlant de Tod Browning, a une épouvantable réputation: mal foutu, mal joué, mal synchronisé... C'est non seulement vrai, mais si ce n'était que ça il se conformerait à la vaste majorité des films parlants d'avant 1930, tant la technique du cinéma parlant n'était pas au point! Mais c'est en fait bien pire: en dépit d'efforts notables pour bouger la caméra, ce qui n'était quasiment plus fait du tout à cette période, Browning s'est endormi sur son tournage, au point de laisser monter un plan d'ensemble spectaculaire... avec le micro quasiment au milieu du champ. Et le monteur a du le rejoindre dans sa sieste réparatrice, tant les transitions entre les plans donnent lieu à d'embarrassants moments de sur-place.

Quant au whodunit qui a lieu sous nos yeux, eh bien comme d'habitude, on s'en fout que ce soit ou non Leila Hyams qui a tué. Browning aussi a l'air de ne pas s'en inquiéter. Par contre il s'est amusé à nous montrer la medium dévoiler quelques-uns de ses trucs dans une séquence... Décidément, c'était son péché mignon! Bref: un film pour rien, donc.

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Tod Browning Pre-code
18 avril 2019 4 18 /04 /avril /2019 10:00

Avant-dernier film muet de Tod Browning, ce film taillé pour choquer un maximum, montre à la fois les caractéristiques de l'univers tout entier de Tod Browning, et ses limites de plus en plus flagrantes. Marqué par un montage serré et très sec, il fait preuve d'une mise en scène réduite à l'essentiel, et tout y est question d'atmosphère: la photo bien sûr, le jeu des acteurs: en pleine jungle, ils sont sales, suants, malades et on est en plein réalisme brutal. Et toutes les péripéties vont délibérément vers le sordide...

Phroso (Lon Chaney), un prestidigitateur de foire, est fou amoureux de sa jeune épouse, mais se rend compte qu'elle souhaite partir avec l'aventurier Crane (Lionel Barrymore). Celui-ci le lui explique, et dans la bagarre qui s'ensuit, Phroso se blesse et restera paralysé en dessous de la ceinture. Ce qui ne l'empêche pas de se mouvoir: quand il apprend quelques mois après que son épouse a trouvé refuge dans une église, il s'y rend, et c'est en rampant qu'il vient constater qu'elle est morte... dans l'église, il y a une petite fille, et Phroso jure alors devant Dieu qu'il fera payer Crane et sa fille...

Près d'une vingtaine d'années plus tard, "à l'ouest de Zanzibar", en pleine jungle, Phroso dirige un petit trafic de vol d'ivoire. Il ourdit une machiavélique vengeance qui implique d'attirer Crane, et de méthodiquement transformer sa fille (Mary Nolan) en une épave alcoolique. Mais il souhaite aller plus loin, en prenant appui sur une loi indigène qui décrète que quand un homme meurt, ses épouses et filles doivent l'accompagner dans la mort...

Tod Browning, illusionniste jusqu'au bout, utilise tous les écrans de fumée possibles et imaginables pour nous faire passer la pilule de cette "loi ancestrale" susceptible de sérieusement dépeupler les villages, et d'ailleurs noie tout son film dans la fumée, la boue, la nuit. C'est l'un des films MGM les plus désespérément noirs de toute la décennie... C'est aussi, probablement, une épure du style,ou du non-style de Browning. On constate que trois années avant le tournage de son Dracula, il installe son atmosphère particulière en multipliant les images d'animaux qui grouillent, garde ses distances face à tout ce beau monde, et laisse faire ses acteurs qui tout adoptent un jeu fait de grimace et d'excès: on est loin de la machine à glamour, et on voit que le studio commençait à ne plus trop savoir quoi faire, ni de Chaney, ni de Browning.

L'acteur commençait d'ailleurs à opérer une transition vers une carrière à la Lewis Stone, et désormais n'était plus l'amant délaissé, mais bien le père frustré (même s'il avait joué un peu les deux dans Laugh clown laugh); et dans Thunder, son dernier film muet, il jouerait un vieil homme sur le point d'être mis de côté... Avec West of Zanzibar, c'est un peu à un baroud d'honneur que le comédien nous convie: il y interprète pour la dernière fois un infirme qu'il doit jouer aussi physiquement que possible et joue avec force de son visage extraordinaire...

Et le metteur en scène oscillait entre succès et films problématiques. Je pense que West of Zanzibar n'ajoute rien à sa légende, et se contente de faire semblant de renouveler une formule en poussant au plus loin le bouchon de la cruauté, du bizarre et du malaise. ...le tout dans l'illusion, bien entendu. Et encore, le film a la réputation d'avoir été sévèrement coupé par la MGM avant sa sortie (ce que prouvent des photos de scènes qui sont absentes du film, dont une troublante apparition de Chaney avec un costume d'homme-poule, quatre ans avant Olga Baclanova)! Cela étant dit, cet avant-dernier muet de Browning vaut bien mieux que son film suivant, Where east is east, un film absolument et résolument vide du moindre intérêt.

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans 1928 Tod Browning Lon Chaney Muet
20 février 2019 3 20 /02 /février /2019 18:12

Peut-être serait-il plus honnête de titrer cet article: The Exquisite Thief, deuxième bobine... Car c'est bien sûr tout ce qu'il reste de ce film, situé dans la carrière du futur réalisateur de Freaks, juste après The Wicked Darling, film assurément très important aussi bien pour le metteur en scène que pour sa star Priscilla Dean, mais aussi bien sûr pour Lon Chaney dont le rôle était limité, mais inoubliable. L'acteur n'est pas présent ici, mais pour le reste on est dans le même univers de proto-film noir, excitant et novateur, que pour le film précédent.

Dans l'extrait donc conservé, Dean est une cambrioleuse de luxe qui s'introduit dans un dîner de la haute société avant de prendre le large avec tout un butin qu'elle a subtilisé à ses "hôtes"... Sans savoir que dans sa fuite elle emmène aussi sans le savoir l'un des convives, un lord Anglais de passage qui doit avoir, j'imagine, un faible pour elle... Il va devenir son prisonnier, à moins que...

C'est formidable: en un peu plus de huit minutes seulement, on peut voir un fragment extrêmement frustrant de ce qui a du être un sacré bon film. Priscilla Dean y joue un personnage déjà rodé, mais qu'elle tient remarquablement bien, et paie de sa personne en permanence. Les autres acteurs sont aussi remarquables de subtilité, et la réalisation est une constante démonstration du génie de Browning pour les ambiances noires, avant sa chute alcoolique vertigineuse... Inquiétante poursuite nocturne, clair-obscur, science de la lumière, silhouettes: tout y passe, et on en redemande. On pourra aussi noter, quelques secondes seulement sur l'écran, un acteur anonyme qui porte le costume que portait Chaney dans The Wicked Darling et qu'il allait de nouveau utiliser dans Outside the law: un signe que sa contribution avait été remarquée, et en son absence (son contrat avec Universal se terminait justement avec le film précédent) le réalisateur envoyait au spectateur une sorte de souvenir subliminal...

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans 1919 Muet Tod Browning
4 novembre 2018 7 04 /11 /novembre /2018 20:32

Bon, autant le dire tout de suite: Fast workers, le film qui a suivi l'extraordinaire Freaks dans la carrière du metteur en scène, n'est pas un bon film. Ni dans sa conception, ni dans son accomplissement, et le fait de confier un tel scénario à Browning était sans doute plus ou moins une insulte, une façon de plus ou moins remettre à sa place non seulement l'auteur du bide le plus gênant de toute l'histoire de la MGM, mais aussi sa star, l'acteur John Gilbert, qui n'en finissait pas de payer, par sa participation à des films de série B, le bourre-pif qu'il avait allongé à Louis B Mayer en 1927...

L'histoire est hautement improbable, et concerne deux travailleurs du bâtiment (ils sont sur des poutrelles métalliques en plein New York, bref ils participent à l'élévation... des autres), qui ont une drôle d'habitude: l'un d'entre eux (Robert Armstrong) tombe amoureux toutes les cinq minutes, alors l'autre (John Gilbert) s'emploie à séduire l'élue pour prouver à son copain que la fille ne vaut rien. ca marche, ça a toujours marché, ils restent copains comme cochons... Jusqu'au jour où Armstrong tombe amoureux d'une femme que Gilbert connaît...

On le voit, cette intrigue semble déplacée dans la carrière d'un metteur en scène qui a passé sa vie entière à réaliser des films d'aventure, des films fantastiques, et ces nombreuses bizarreries, qui ont fait sa renommée. Mais après tout, pourquoi pas? Mais voilà, le film a beau être vendu comme une comédie, le jeu constamment amer de John Gilbert (qui a un sérieux problème d'alcool, et ça se voit) rend la chose désagréable, la naïveté du personnage de Robert Armstrong fait que tout le film se joue contre lui. Maintenant, le "truc" des deux hommes, connu de leurs copains, vire parfois à la représentation, ce qui occasionne des scènes curieuses, mais attachante, et les deux personnages, brièvement, rejoignent les professionnels du spectacle qui abondent dans l'oeuvre de Browning... Mais par endroits seulement.

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Tod Browning Pre-code
12 août 2018 7 12 /08 /août /2018 00:31

C'est le troisième film tourné en 1925 par Browning et le troisième aussi pour la MGM: le metteur en scène revient de loin, et The unholy three et son succès, plus les retrouvailles avec Lon Chaney, connu à la Universal en 1919, ont été décisifs: il allait sombrer dans l'alcoolisme, il ne travaillait plus que pour des petites compagnies. Irving Thalberg, en lui offrant un contrat, lui a remis le pied à l'étrier, et lui a redonné confiance: c'est bien.

Seulement... j'ai déjà dit ailleurs que je n'étais pas convaincu outre mesure par The unholy three, le premier d'une série de thrillers MGM bizarres avec Lon Chaney, qui vont souvent virer au grand n'importe quoi. Je le suis encore moins par The Mystic, le deuxième film MGM, sur lequel on ne va pas s'étendre, pou l'instant du moins, par charité élémentaire! The Blackbird en revanche a une bonne réputation...

Limehouse, à Londres, est un peu comme le Barbary Coast de San Francisco: un endroit où tout est criminel, et les seuls riches qui y viennent entendent justement s'encanailler... Ou bien y travaillent. C'est le cas de West End Bertie (Owen Moore). Dan Tate (Lon Chaney) ne le porte pas dans son coeur, et pour cause, les deux voyous en ont après la même femme, une jolie petite française du nom de Fifi Lorraine (Renée Adorée). Tate va tout faire pour la conquérir, mais c'est Bertie qui va gagner la partie.

Il faut dire que Dan Tate, c'est tout sauf un parti enviable: violent, profondément craint et soupçonné de se livrer à tous les crimes possibles et imaginables. Pas comme son frère jumeau, qu'on a surnommé "L'évèque". Il est le dirigeant d'une mission située en plein coeur de Limehouse; on vient chercher une protection rare chez lui, et il en a remis plus d'un sur le droit chemin... Tout le monde l'adore... Et on vient souvent se plaindre de son frère, justement.

Et ça tombe bien: car le bon, handicapé sérieux, homme bon et ouvert, qui trouve des solutions et prend sous son aile toute la misère du monde, et l'ordure criminelle, ne sont évidemment qu'un seul et même homme, qui a trouvé la planque de rêve: c'est pas moi, c'est mon frère jumeau! Et j'ai renoncé à essayer de comprendre en quoi ça fournit un alibi à Dan Tate, d'avoir un frère jumeau estropié, qui est aussi bon que lui est fourbe. L'intérêt, évidemment, est ailleurs: dans la complicité morbide qui s'installe entre le film, le personnage et les spectateurs qui savent dès la première bobine la vérité; dans la réflexion qui s'engage alors sur la bonté et la criminalité: Dan Tate n'est donc pas si pourri? Et "L'évèque" est donc, fondamentalement, un criminel? pourtant les crimes de l'un sont réels, et la bonté de l'autre a des effets bénéfiques sur la communauté... C'est troublant, et on comprend que Lon Chaney qui aimait pousser son public dans ses derniers retranchements, ait pu être attiré par l'idée.

Seulement, une fois brillamment établi le début, il faut attendre la dernière bobine pour que le film, largement situé dans les bouges sans véritable vie de Limehouse, reprenne enfin vie, avec cette scène hallucinante durant laquelle Dan Tate meurt en essayant une fois de trop de forcer ses membres à adopter la posture tordue de l'évèque. Il lui importe de continuer jusqu'au bout à tromper son monde, et devant son ex-épouse, qui vient avec horreur de comprendre la vérité Dan Tate meurt sous l'identité d'un homme qui n'existe pas, son propre frère: il est satisfait: "I'm foolin' em", dit-il, je les trompe... Mais autour de lui,, c'est la tristesse: le seul homme qui faisait le bien est parti...

Ironique, cynique et sérieusement inquiétant, donc, le film va au bout de son étrange logique, mais déçoit: a trop vouloir développer une intrigue sentimentale très convenue, Browning perd l'intérêt pour son film. Et nous aussi...

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Muet Tod Browning Lon Chaney 1925