Un film dans lequel un prêtre fornicateur et contestataire se fait brûler vif dans une manipulation politique, orchestrée par les sbires du Cardinal Richelieu exploitant sans vergogne les dires d'une nonne bossue, hystérique et frustrée interprétée par Vanessa Redgrave: comment résister à tant de beauté, à tant de blasphème? on fonce, forcément. Au final, c'est du Ken Russell, donc c'est lourd, mais on en a pour des années de souvenirs de scènes folles furieuses. Plus exagéré qu'un clip de Marilyn Manson, sans pour autant avoir besoin de sacrifier des poulets, ce film est sans doute encore plus célèbre pour l'histoire compliquée de sa post-production que pour ses audaces. Et pourtant, après censure, il en reste...
Ken Russell, qui souhaitait après quelques envolées romantiques, variations autour de la vie d'hommes illustres ou adaptations fortement médiatisées d'oeuvres de D.H. Lawrence, souhaitait selon ses dires faire un film politique; afin d'y parvenir, il a eu l'idée de s'inspirer de l'affaire compliquée des possédées de Loudun: quand en 1632, l'église Catholique avait procédé à une série d'exorcismes de masse sur des religieuses supposées possédées, et dont l'une avait accusé le prêtre Urbain Grandier d'être un envoyé du démon. Accusé de sorcellerie, condamné avant même son jugement, le dit Grandier, certes coupable aux yeux de la hiérarchie religieuse (il professait l'abandon du célibat des prêtres et avait montré l'exemple, il se dressait contre la collusion entre l'église et l'état) n'a pour sa part jamais confessé quelque crime que ce soit.
Pour interpréter Grandier, Russell savait qu'il pouvait compter sur son copain Oliver Reed, qui, comme chacun sait, est capable de donner sa personne jusqu'au bout des extrémités. le reste du casting est à l'unisson, formé essentiellement d'acteurs chevronnés Britanniques, généralement habitués des tournages du provocateur Russell. Fidèle à ses habitudes, il se livre à des excentricités phénoménales, des réinterprétations qui feraient passer le Marie-Antoinette de Sofia Coppola pour du Dreyer: tout ici résonne puissamment des années 70. Le film bénéficie par ailleurs du climat d'allègement de la censure, mais pas assez, d'où les coupes: il est vrai qu'entre une scène de masturbation de Vanessa Redgrave, un certain nombre d'orgies, de scènes de lit impliquant un prêtre, une série de blasphèmes particulièrement assumés (dont l'un n'a pas encore été autorisé pour remontage, c'est à ce point), et une scène d'hystérie de masse qui dégénère en partouze, on peut comprendre un peu que les censeurs se soient émus.
Mais quand même: et alors? Que ce soit de mauvais goût, certes. Qu'il y ait mieux à faire, évidemment. Que e résultat ne soit pas forcément à la hauteur des attentes de Ken Russell, c'est assez évident: on se perd un peu dans le dédale surréaliste de ses visions, et on ne sait plus trop s'il vise une critique violente du mélange des genres politico-religieux, ou le simple fait de choquer le bourgeois. Mais...
Mais justement, il a le droit de faire les deux, et y compris de rater sa cible: si le film se veut une charge de la religion en collusion avec l'état, n'oublions pas que Russell, qui depuis quelques temps est sur a sellette pour chacun de ses films en raison de leur supposée immoralité, en a plus qu'assez de vivre dans un pays dont la Monarque est aussi la personne la plus élevée de la religion d'état. Et en tant que Catholique, il ne se sent pas concerné. Oui, vous avez bien lu: converti dans les années , c'est en catholique que Russell s'est attaqué à ce film, en catholique qu'il y dénonce l'inquisition et la pudibonderie des prêtres qui militent ouvertement pour le célibat forcé, tout en se livrant aux pires turpitudes dans la sacristie (Murray Melvin est fantastique), en catholique qui souhaite que le religion revienne sur ses fondamentaux. En Catholique protestataire (je n'ai pas dit "protestant", je suis quand même à un jeu de mots près!), donc... Et si son but n'était que de choquer, après tout cette histoire a quatre cents ans, et son Loudun rock'n roll avec grand inquisiteur qui ressemble à une star du rock, est quand même plus pittoresque qu'autre chose. Russell, fidèle à son style flamboyant, s'est autorisé des variations religieuses qui renvoient cet imbécile de Lars Von Trier à ses quilles, et avec l'actrice engagée Vanessa Redgrave en soeur illuminée par l'amour et la luxure, ça ne pouvait qu'être intéressant!
Donc à voir, à condition d'accepter le sérieux d'un film qui va souvent plus loin en absurdie que certains comiques anglo-saxons vendus par packs de six (et qui ont certainement vu ce film!)...