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30 décembre 2010 4 30 /12 /décembre /2010 13:06
12 Monkeys (1995)
 
Ce film est selon moi le chef d’œuvre de Terry Gilliam, au mépris de tout: de la politique des auteurs ; du fait qu’en 1995, personne ne se rappelait qui il était alors que lorsqu’il a réalisé Brazil, il faisait partie du cercle très fermé des deux ou trois réalisateurs les plus en vue; du fait qu’il n'est de bon ton d’admirer un réalisateur Américain que s’il tourne en Grande-Bretagne, par exemple Brazil ; du fait que Bruce Willis était une énorme star en 1995, donc le film est louche auprès d’un grand nombre d’intellectuels; du fait que 12 Monkeys est un remake d’un film, vénéré par les intellectuels Français, et dont Gilliam a fait un film ludique, de science-fiction, et en apparence très commercial.
 
Bref, pour le critique moyen, il faut applaudir la réussite de 12 Monkeys, mais ce n’est pas un grand film, contrairement à Brazil, bien sûr. Bon, j’aime Brazil, justement… Mais il me semble que l’ensemble du projet 12 monkeys va plus loin, propose une histoire dont je ne me lasse pas, et que certaines de images obtenues sont tellement imprimées dans ma mémoire que leur seule évocation réussit à déclencher une émotion qui dépasse le simple sourire de satisfaction. Et puis, surtout, 12 monkeys est un film sur l’amour fou, comme mes films préférés. Il en fait d’ailleurs partie, tout simplement.

Au commencement du projet, le film La jetée de Chris Marker détonne sur tous les films de sa génération, mais aussi reste un projet unique dans l’histoire du cinéma: il conte un bizarre voyage dans le temps, raconté en voix off par un acteur, sur des photos. Seule une séquence très courte bénéficie de mouvements, mais ça va très vite. Mais le scénario inclut dans ce quart d’heure étrange de cinéma un petit coup de théâtre qui n’est pas passé inaperçu, et dont je ne vais pas parler, puisqu’il fait le sel de la fin. David et Janet Peoples, scénaristes, ont adapté le script de Marker, et en ont fait un script de long métrage :

James Cole, prisonnier dans une communauté souterraine vers 2025, est désigné volontaire pour une mission : la terre ayant subi une attaque virale, orchestrée par des mains humaines, en 1996, les hommes survivants sont désormais condamnés à vivre sous terre, sous la surveillance des scientifiques, en état d’urgence permanent (C’est à dire en dictature, mais ce n’est jamais dit), Cole doit retourner dans le passé pour collecter des informations sur le virus avant qu’il ne soit lâché dans la nature. Il doit aussi enquêter sur place afin de déterminer le degré d’implication d’un groupe supposé terroriste, qui s’est autoproclamé ‘L’armée des douze singes'. Le problème, c’est que le système de voyage dans le temps, ne fonctionne pas comme il devrait, et donc Cole est envoyé trop tôt. L’autre problème, c’est que Cole est un esprit simple, doté du QI d’une mandarine, et les effets des voyages répétés dans le temps vont vite changer ses repères, à plus forte raison lorsque la jolie psychiatre qui s’occupe de lui (Ben oui ; si vous voyagez dans le passé, nu, il y a de fortes chances que vous échouiez dans une institution mentale à un moment ou un autre…) s’avère être particulièrement plus intéressante que les scientifiques qui comptent sur vous…

Le film est donc basé sur le paradoxe temporel, ce vieux classique de la science-fiction; j’en rappelle le principe: toute personne qui voyage dans le passé pour rencontrer sa maman jeune risque de devenir son propre père. Ce n’est bien sur pas ce qui arrive à Cole, mais ce qui lui arrive est nettement plus élaboré; il est hanté par un rêve, ou un souvenir: enfant, il est dans un endroit public, et il voit un homme abattu par des policiers, et une femme qui court pour le rejoindre. Elle se penche sur lui, et exprime toute la douleur du monde. Ce rêve sert de fil rouge, et évolue de façon intéressante au fur et à mesure du film. La fin révèlera la raison d’être de ce rêve aux spectateurs, et la séquence est d’une grande beauté. Mais elle informe tout le film, qui pour le reste, réussit à se promener de façon cohérente d’époque en époque sans aucun souci de compréhension pour le spectateur.

La mise en scène repose sur une construction savante, élément important pour Gilliam. Même si un monde entier n’a pas été construit en studio, comme c’était le cas pour ses films les plus spectaculaires (Brazil et Münchausen, bien sur), il a au moins pu recréer des endroits emblématiques : la prison souterraine, les laboratoires des scientifiques, la pièce ou l’on a entreposé la machine à remonter le temps…. Contrairement aux films classiques du voyage dans le temps, on n’a pas un endroit aseptisé: le futur est sale, encombré, et bien sur les gens y sont entassés les uns sur les autres, puisqu’ils ne peuvent aller à la surface. Par opposition, Gilliam se plait à montrer « notre » monde (1990/1996 dans le film) aussi moche qu’il est, avec ses SDF entassés dehors, et ses ghettos en ruines, mais ces rues en décadence apparaissent à Cole toujours plus belles que son présent à lui, si bien qu’il va « désirer » être fou, afin d’effacer la vérité, et être autorisé à vivre, même enfermé, dans notre présent. Les scènes tournées en pleine rue sont bouillonnantes d’une urgence, d’un dynamisme qui faisait défaut à The Fisher King.

La mise en scène de Gilliam, très classique dans son film précédent, s’appuie sur une grande maîtrise de l’image et du son, à tel point que les techniques utilisées pour accentuer la folie des personnages (le leitmotiv, c’est vraiment « youpi, on est fou »... même la psy le dit à un moment: « It’s okay, James, we’re crazy! »). Les angles de caméra, obtenus au moyen d’objectifs bizarres, l’un des péchés mignons du graphiste Gilliam, sont combinés à des disruptions étranges du continuum filmique: la bande-son est souvent parasitée par les bruits venant des multiples télévisions dans les séquences de l’asile, ou la bande-son d’un film vu au cinéma. Ainsi, la folie sonore des dessins animés de Tex Avery (Little 'Tinker), ou des films des Marx Brothers (Monkey business), la musique hantée de Bernard Herrman pour Hitchcock (Vertigo), se substituent aux sons naturels, viennent enrichir la thématique (Little 'Tinker parle après tout d'un putois qui se déguise pour séduire, Monkey business possède un mot-clé dans son titre, et Vertigo fait le chassé-croisé temporel dans son histoire d'amour...), et souvent en rajoutent sur la folie des personnages. Folie bien sur parfaitement interprétée en particulier par Bruce Willis et Brad Pitt, ce dernier ayant droit à se lâcher totalement. Madeleine Stowe est comme à son habitude, c’est-à-dire lorsqu’on l’emploie, excellente: fidèle à son habitude, Gilliam a limité sa direction d’acteurs au choix des interprètes, auxquels il fait ensuite totalement confiance, comme Clint Eastwood.

Ce film faussement bonhomme, au rythme sûr et étonnant, qui demande bien sûr une grande attention au spectateur multiplie les fausses pistes afin de ménager une fin grandiose, faite de beaucoup de poésie (Citons juste les girafes aperçues sur une autoroute de l’Est Américain), d’allusions au cinéma (Hitchcock, dont un ensemble de 4 films est projeté dans un cinéma permanent), et de plans magnifiquement préparés durant tout le film. Willis a un rôle difficile: James Cole n’est pas McClane, loin de là; physiquement, il est très capable, mais il n’est pas intelligent: sa vie a semble-t-il cessé en 1996, lorsque avec les autres survivants du virus, il est parti vivre sous terre. On sent qu’il n’a jamais fait d’études, il ne sait que très mal écrire (« bootiful »), et est lent à comprendre ce qui lui arrive. Son atout ? Sa mémoire, dit-il, mais il ne comprend pas toutes les données qu’il a emmagasinées. Discrètement, les auteurs lui ont donné une identité secrète de prophète, avec le truc de scénariste vieux comme le monde de lui donner les initiales J.C., mais d’autres indices vont dans ce sens: une conférence donnée sur la poésie et la prophétie, le complexe de Cassandre justement étudié par la psychiatre Kathryn Railly, et les plans tout droit sortis de Life of Brian, qui montrent des «prophètes» annonçant l’apocalypse dans les rues de Philadelphie renforcent ce thème. Mais fondamentalement, Cole est un enfant, et Willis joue à fond cette carte, aidé en toutes scènes par la mise en scène, et le recours aux motifs du rêve: si ce rêve dans lequel il est un enfant de huit ans revient sans cesse, c’est peut-être pour nous dire que Cole a, pour l’éternité, cet âge. Mais que s’est-il passé à cet âge ? Voilà la question troublante à laquelle le film va répondre, donnant tout son sens douloureux, et magnifique à ce film qui feint d’être un film de science-fiction pendant 129 minutes, mais qui est bien plus que cela… La construction efficace de ce film vous prend à la gorge dès le premier plan, et ne lâche son spectateur qu’au dernier plan. Ce sont, d’ailleurs, les mêmes images: les yeux, en gros plan, d’un enfant.
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Published by François Massarelli - dans Terry Gilliam