Le "sujet de société" est depuis les années 10 l'un des prétextes les plus usités dans le cinéma américain pour donner une légitimité aux films, de façon parfois honteuse, parfois justifiée.
Si ce film est désormais un classique, cela n'a pas toujours été le cas. Grâce à James Mason, qui produit et interprète, et la mise en scène impressionnante de Nicholas Ray qui réussit à mêler cinémascope et intérieurs (Tout le film ou presque se situe dans un petit pavillon qui n'a rien de spectaculaire), on dépasse avec Bigger than life le cadre du simple film dénonciateur, et on va beaucoup, beaucoup plus loin...
Ed, professeur de lettres dans un petit collège, est marié, père et heureux, mais il est sujet à d'impressionnantes migraines, d'autant que le salaire de professeur ne lui suffit pas, et qu'il l'allonge en travaillant en guise de réceptionniste pour une société de taxis. Un soir, il s'effondre, et il lui faut être hospitalisé de toute urgence. On lui diagnostique une condition rare, et qui risque de lui être fatale, la douleur pouvant entrainer une attaque à tout moment. Un traitement à la Cortisone, alors expérimentale, lui est prescrit, mais Ed trouve les effets du médicament tellement efficaces, qu'il en abuse très vite, et tombe dans une spirale de paranoïa et de toute puissance, créant un enfer permanent pour sa famille.
L'aliénation est au coeur des films Américains des années 50, mais elle est souvent simpliste, limitée à un message suppliant les gens de ne pas se laisser attraper par les idéologies venues d'ailleurs, suivez mon regard... Mais le père de famille incarné par James Mason est aliéné certes, mais à l'intérieur: l'ennemi vient précisément de son être. Au-delà du film à message, ce qui est frappant, c'est la façon dont Ray réussit à rendre la psychose d'Ed visible. Le recours à l'ombre de James Mason, la façon dont il est cadré par une porte, au fond, la menace permanante qui pèse sur sa femme et son fils, tout y est visible, graduellement, de façon inquiétante.
Dans cette famille si gentille (Barbara Rush joue génialement une femme irréprochable), si conventionnelle, et si typique de l'esprit des années 50, se cache un monstre. Il serait bien naïf de croire que ce film a pris pour sujet la Cortisone... le sujet serait plutôt comment un simple médicament, mal utilisé, devient un révélateur de toutes les turpitudes et ignominies dissimulées dans l'Homo Eisenhowerus, ce parangon de vertu, de certitudes et de banalité. Ed n'est pas un cas exceptionnel, en quelque sorte, tout Américain contemporain du film est un monstre qui se contient... Jusqu'à quand?
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