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31 mai 2014 6 31 /05 /mai /2014 17:47
Dr Strangelove, or How I learned to stop worrying and love the bomb (Stanley Kubrick, 1963)

Des accouplements en plein ciel... Continuant son oeuvre de pilonnage de la censure amorcée glorieusement avec Lolita, Kubrick commence sa comédie apocalyptique par des images d'avions se faisant ravitailler en plein ciel, de canons qui se dressent... Comme il le termine par des explosions en cascade, accompagnées ironiquement d'une balade nostalgique de Vera Lynn (We'll meet again, la chanson qui symbolise l'esprit de résistance de la Grande-Bretagne sous le Blitz), on se doute que ce qui se trouve entre ces deux pôles tient au moins de l'orgie... Et c'est à peu près ça. Le film nous montre comment un général de l'armée Américaine, dirigeant la base de Burpelson, a pris l'initiative de lancer une attaque sur l'Union Soviétique, parce qu'il a été pris d'un coup de folie subit, persuadé que les Communistes ont déjà attaqué en s'en prenant à l'eau des pays libres... Nous suivons l'évolution de la situation en cette journée noire: dans la base de Burpelson où un officier Britannique, collaborateur du général fou, essaie de le raisonner afin de renverser la situation; dans la salle de guerre du Pentagone ou se sont réunis le président des Etats-Unis et des personnalités importantes (Dont un ambassadeur Russe); dans un avion qui fait route vers un objectif Soviétique avec à son bord deux bombes nucléaires...

Farce noire, satire sublime, Dr Strangelove est sans doute le premier film extrême du à Kubrick, totalement maîtrisé, n'ayant pas eu à subir d'autre censure que le perfectionnisme délirant de son auteur. Le ton très particulier du film est né d'un constat inévitable: en construisant son adaptation du livre Alerte Rouge de Peter George, en compagnie de Terry Southern et de l'auteur, Kubrick a été frappé du niveau de délire représenté par la situation, et a décidé de traiter son film en comédie, sans jamais s'interdire le plus scrupuleux réalisme. C'est ainsi que la séquence tant discutée de bataille de tartes à la crème sensée terminer le film a été tout bonnement retirée du film par son metteur en scène, car elle se conformait certes au ton d'ensemble, mais n'était pas crédible. Tout le reste, d'une certaine façon, l'est: le film épouse la forme d'un mécanisme d'engrenage, si prisée par Kubrick. Ainsi, le général Jack D. Ripper(!) profite -t-il donc d'une disposition votée par le congrès pour autoriser l'usage de la force sans l'apport du président, pour lancer une attaque nucléaire sans que le résident Muffley puisse intervenir. Ainsi, chaque aspect de l'attaque est verrouillé jusqu'à l'extrême, et il devient bien vite impossible de tenter quoi que ce soit pour empêcher la destruction du monde, puisque non content d'utiliser une machinerie diaboliquement efficace, Ripper a malgré lui déclenché aussi une réaction de destruction des Etats-Unis, automatiquement enclenchée par l'URSS en cas d'attaque! La peur de l'apocalypse nucléaire, si présente dans l'Amérique des années 50, engendre ici son pire cauchemar!

En plus de cette machinerie impossible à enrayer, Kubrick semble revenir à ses premières amours, en livrant une fois de plus une situation souvent envisagée sous l'angle de l'hyper-réalisme: que ce soit la description détaillée des objets contenus dans la mallette de survie des soldats de l'AAF qui accompagnent les bombes vers l'URSS, commentée comme un documentaire par la voix et l'accent Texan de Slim Pickens (Qui joue le major Kong, commandant le B-52), ou les scènes de l'attaque de la base de Burpelson, caméra au poing, Kubrick est passé de l'autre côté depuis ses documentaires du début des années 50, et il sait maintenant en réaliser de faux, qui donnent à voir au spectateur l'urgence d'une situation de façon très véridique. Le film étonnera d'ailleurs les services de l'armée par la véracité de ses décors et de son sens du détail...Mais aux antipodes de cette tendance fascinante au réalisme, qui rappelle dans le film à quel point on est près de la vérité, le choix des noms par Kubrick est une façon de verser dans la comédie la plus grasse, en s'y vautrant allègrement: à la base de Burpelson (Burp, onomatopée censée représenter un rot), on a déjà fait la connaissance de Jack D. Ripper (Jack l'éventreur, en gros), général Américain devenu fou par fanatisme anticommuniste, interprété par Sterling Hayden; il est secondé par Le capitaine Mandrake (Peter Sellers); l'acteur joue aussi le président Merkin Muffley, et le personnage énigmatique qui donne son titre au film. On a déjà mentionné le major Kong, et je m'en voudrais de ne pas parler du dirigeant Russe Dimitri Kissoff, ou de l'incroyable performance (Excessive selon les uns, géniale selon les autres) de George C. Scott en Buck Turgidson, un gradé du Pentagone, consommateur de sucre et de filles, totalement fanatique dans son anticommunisme, qui semble après tout se réjouir de la destruction de l'Union Soviétique, minimisant les pertes humaines, y compris celles subies par son pays si les Russes répliquent, estimant que la victoire est après tout une belle conséquence de l'initiative d'un fou!

Le Général Turgidson possède comme d'autres dans le film un nom sans ambiguité: Turgide, il est gonflé et sexuellement prêt à l'emploi; une trace parmi tant d'autres de l'obsession sexuelle de tous ces gens engagés dans une affaire sérieuse. Lorsqu'on le voit pour la première fois, Turgidson est en plein rendez-vous galant avec sa secrétaire, et s'apprêtait à coucher avec elle. L'ambassadeur s'appelle De Sadeski, soit Sade plus une vague consonance Russophone... Lorsque le président Américain (Merkin Muffley, un nom dans lequel on note des allusions au sexe féminin) tente de joindre son homologue soviétique, l'ambassadeur Russe signale que celui-ci est probablement chez une maîtresse... C'est en "commettant l'acte physique de l'amour" que Ripper a pris conscience de la perte de ses fluides corporels, une perte qu'il va désormais mettre sur le compte du complot communiste! Mais le pompon revient, forcément, à Peter Sellers: loin de son flegmatique capitaine Mandrake, ou du très mou président Muffley (Qui a droit à une réplique hilarante, lorsqu'il empêche l'ambassadeur et Turgidson de se battre comme des gosses: "Messieurs! Cessez de vous battre, ceci est la salle de guerre!"), sa composition en Dr Strangelove est hallucinante, cauchemardesque, et tellement extrême! Lorsqu'on l'interroge sur l'avenir de l'humanité, il a déjà pensé à tout, et propose sa vision d'une société eugéniste et phallocrate dans laquelle il y aurait 10 femmes pour un homme, des femmes sélectionnées pour leur attractivité, et leur capacité érotique afin de rendre le repeuplement de la terre par une race de seigneurs possible... C'est peut-être ça aussi la force de ce film, cette soudaine apparition d'un homme qui est clairement un nazi (Sellers ne fait pas dans la dentelle, loin de là, au point de déclencher un début de fou rire visible chez Peter Bull qui joue De Sadeski), qui appelle parfois son président main Fuhrer... La supposée présence de nazis du côté occidental durant la guerre froide se pare ici e'une franchise désarmante (Augmentée par l'apparté de Turgidson, apprenant que Strangelove est le nouveau nom de celui qui s'appelait auparavant Merkwürdigliebe. La composition hilarante de Sellers est du plus haut comique, mais elle pointe du doigt une réalité probablement gênante en son temps...

Le film drôlissime de Kubrick (Encore une fois, d'où vient donc cette réputation de pisse-froid qu'on lui prête?) inaugure une nouvelle ère pour le metteur en scène, qui va probablement être pour beaucoup dans l'émergence d'une nouvelle génération de réalisateurs (Ceux que Wilder va, sans trop d'affection, appeler dans Fedora les jeunes barbus...), dont beaucoup vont se réclamer de son influence; ceux-là, Scorsese, Coppola, Lucas ou Spielberg ont tous vu Dr Strangelove, et comme d'autres ils ne s'ont sans doute pas remis. Le film est une immense réussite, une comédie après laquelle beaucoup ont essayé de courir sans jamais l'égaler. Et c'est aussi le film définitif sur la guerre froide, haut la main.

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Published by François Massarelli - dans Stanley Kubrick Science-fiction