Scorsese prévient dès le départ: son film est une fiction, adaptée d'un roman, et non un reflet de la vérité, dit-il. Cette annonce est intéressante, parce qu'elle dit tout ce qu'il y a à dire sur le film et surtout sur la supposée attaque de Scorsese et ses collaborateurs sur la chrétienté: rappelons que ce film a déclenché en France une polémique sans précédent, qui a revitalisé tout un courant de l'extrême droite, avec alertes à la bombe dans les cinémas et autres bêtises du même genre; la faute de ce film? Le blasphème, rien que ça! Pourtant cette annonce en exergue est clairement celle d'un cinéaste croyant, qui ne met pas en doute l'histoire du Christ, et a juste voulu le temps d'une fiction prendre au pied de la lettre l'une des spécificités du Messie, justement...
Jésus est un homme, et c'est dans ce sens que Willem Dafoe l'incarne: empli de doutes, d'une certaine lâcheté face à une force interne qu'il ne comprend pas, il collabore avec les Romains puisqu'il est charpentier et doit occasionnellement fournir les autorités en croix pour les condamnés. Judas (Harvey Keitel) le lui reproche, et est prêt à le tuer; il est attiré par la prostituée Marie-Madeleine mais ne sait pas pourquoi il ne peut se résoudre à coucher avec elle.C'es pour mettre de l'ordre dans ses tourments qu'il se rend au désert, et il en revient autre: l'homme en lui a accepté cette part de divin qui est en lui, et le Divin laisse de la place à l'homme afin de mieux ressentir et voir l'injustice. C'est justement cette part humaine de Jésus, et à travers elle cette part humaine de toute personne qui s'engage dans la foi, que questionne le roman de Nikos Kazantzakis et le film de Scorsese. Si Jésus est bien un homme, si Dieu a choisi de faire de son envoyé un être de chair et de sang, il doit non seulement souffrir mais aussi être soumis à la tentation, y compris e en particulier au moment le plus propice, c'est à dire au moment de mourir... cette logique élémentaire a échappé à tous les poseurs de bombes et autres fondamentalistes bas du bulbe, mais la vérité est pourtant bien là: scénarisé par Paul Schrader, mis en scène par Scorsese, ce film est empreint d'une profonde foi, et d'une logique Catholique...
Scorsese a souhaité faire d'une pierre deux coups, lui qui a toujours été un fan de péplums et de films sur l'antiquité pour des raisons diverses, notamment parce qu'il estime qu'un film comme Land of the Pharaohs (Hawks, 1956) donne à voir le monde tel qu'il était sans doute à l'époque qu'il dépeint... Il s'est donc attaché à créer un Israel plausible, en accumulant les recherches et la documentation... C'es inévitablement le meilleur de son film aujourd'hui, même si c'est partiellement gâché par la représentation irritante des habitants de Nazareth et Jérusalem en W.A.S.P. , dominés par la quasi blondeur de Jésus, qui tranchent tous de façon criante avec les figurants Marocains très 'couleur locale'... Au moins ce film n'a-t-il pas commis la même erreur que la Passion de Mel Gibson, de plonger dans l'Antisémitisme. Mais on n'attendait pas Scorsese sur ce terrain...
Reste, une fois de plus, à constater que le cinéma est décidément bien plus avancé que ses détracteurs, et que ce film qui a malgré tout avancé des arguments provocateurs mais plausibles, avec respect et dans la ligne (Parce que cette idée d'un Christ humain est qu'on le veuille ou non justement dans tous les Evangiles: elle est dans des épisodes de la tentation dans le désert, ou dans la grosse colère contre les Marchands du temple, ou dans la fameuse plainte de douleur "Père, pourquoi m'as-tu abandonné?". Ces trois épisodes sont d'ailleurs repris dans le film... Un sage précaution, qui n'a pas empêché les bombes, les manifestations, les élucubrations contre le film ou l'extrême droite de prospérer. Il y a des gens qui n'évolueront jamais, du moins jamais en avant.
/image%2F0994617%2F20230722%2Fob_341084_1aczzqpairxo7xusx9zugi8dpti30z-large.jpg)