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4 juin 2014 3 04 /06 /juin /2014 07:37

Pendant que la chanson qui donne son titre au film se fait entendre, des panneaux en bois, du type de ceux qu'on imagine annoncer les limites d'une ville typique du Far West qu'on aime, en bois vermoulu et troué de balles, déroulent un à un le générique du film... une entrée en matière absolument parfaite pour un film marqué d'une part par sa nostalgie westernienne magique, et d'autre part par son incursion définitive dans la légende de l'ouest, tellement belle qu'on la souhaite crédible... Il s'agit donc pour Ford de donner à voir une vision définitive de la fameuse escarmouche de Tombstone, durant laquelle (Selon la légende, s'entend) la famille Earp, aidée par "Doc" Holliday qui y perdit la vie, a une bonne fois pour toutes réglé leur compte aux bandits de la famille Clanton. Le film se situe entre une légende magnifique, rendue plus belle encore par un décor de ville qui se crée sous nos yeux, et une vérité forcément douteuse, relayée en particulier par l'ex-marshall, ex-hors-la-loi Wyatt Earp, que Ford dit avoir rencontré lors de ses jeunes années, et qui soignait lui-même sa légende. La rencontre entre Earp et Ford, deux menteurs patentés, donc, a du être haute en couleurs...

Pourtant, il y a de la véracité dans ce film, qui évite comme d'autres productions Fox de la même époque (Notamment le magnifique Ox-Bow incident de William Wellman sorti trois ans plus tôt) de tomber dans une imagerie d'Epinal un peu trop angélique: les Earp, après tout, sont avant tout des garçons vachers, pas des redresseurs de torts; ils sont crasseux, pas sophistiqués, mal dégrossis, et on ne saura pas grand chose de plus de leur passé (Je pense en particulier aux aînés, ceux qui survivent d'ailleurs à la fin) que ce qui nous est colporté par les gens de la ville de Tombstone lorsqu'ils croisent Wyatt: "Le Wyatt Earp? Celui de Dodge City?" Déjà légendaires, ils sont loin de se douter qu'ils vont replonger dans la lutte contre le crime. Le crime et la violence, parties intégrantes de tout western qui se respecte, sont situés ici dans une ville qui se pacifie à vue d'oeil, et est surtout représenté par les Clanton, une famille menée par un vieux fermier fascinant, peut-être le plus beau rôle de Walter Brennan, qu'on n'a rarement vu aussi glaçant. Les Clanton sont des gens qui se sont faits à un vieil Ouest, celui d'avant, et ne veulent pas lâcher leur civilisation de la violence: ils veulent, ils prennent, et en cas de litige, la solution est toute trouvée: comme le dit le vieux à l'un de ses fils après avoir distribué les coups de fouet, "Quand tu dégaines, tue un homme!"...

Mais comme on le sait d'autant plus depuis que Ford a concrétisé cette idée par un film superbe (The man who whot Liberty Valance, 1962), parfois la légende est plus belle et plus profitable que la vérité: Wyatt Earp, sous les traits d'Henry Fonda, est plus une idée qu'un homme, plus un symbole du cow-boy, saisi dans toute sa fascinante légende, avant sa disparition. Il ne fait, typiquement, que passer, et apporte avec lui la nostalgie d'une époque en voie de disparition, avec laquelle il s'évanouit au final, attiré un instant par la vie sédentaire que lui offre Tombstone et la perspective de miss Clementine Carter, la petite amie rejetée également par Doc Holliday, mais qui apparaît à Earp, comme à Holliday, comme trop belle et trop sage pour eux. En lieu et place, ils ont été condamnés jusqu'au bout à côtoyer les entraîneuses, les joueurs professionnels, les soiffards, et à tenir salon jour et nuit dans un bar d'ailleurs tenu par une grande figure du passé, J. Farrell McDonald, ancien metteur en scène passé aux rôles de vieil Irlandais bougon, souvent présent chez Ford jusqu'aux années 30... Tombstone, c'est l'émergence d'un futur pour l'ouest, ou tous les cow-boys, Marshalls, bandits et autres figures de l'ouest s'effacent devant une civilisation en marche, comme en témoigne la superbe scène de la danse, menée par une Clementine volontaire, et un Wyatt earp un peu gauche. Du début à la fin du film, les caravanes et les chariots arrivent, la ville se construit sous nos yeux, et Doc Holliday, consumé de l'intérieur par la maladie, ruiné par sa vie, rejoint à son tour les légendes du passé. Introduit par la chanson 'My darling Clementine', dont les paroles sont sans équivoques (You are lost and gone forever), Wyatt Earp est en sursis.

C'est sans doute, par sa lenteur calculée, le film dans lequel on verra le mieux les héros penser... Fonda en particulier, mais Ward Bond (Morgan Earp) aussi, qui voit s'éloigner le père Clanton seul, mais qui sait que le vieux renard a plus d'un tour dans son sac. Morgan, sans quitter le bandit des yeux, recharge son arme... Généralement nocturne, parfaitement dosé entre scènes d'action et de tension, et scènes de contemplation douce-amère, le film de Ford livre tout son sens par une confrontation entre Shakespeare et Tombstone: un acteur tente désespérément de livrer une interprétation de Hamlet, pendant que quelques brutes le harcèlent. C'est Doc Holliday qui l'aidera en remplissant les vides dans sa récitation. L'espace d'un instant, le western épouse les riches heures du passé, et la contemplation du bilan morbide de sa vie par le Prince Danois se confond avec le futur désormais vide de sens de toutes les figures du western qui s'agitent sous nos yeux. Et Ford, par ce film, acquiert la stature d'un Shakespeare Américain, dans une oeuvre sombre, belle et... légendaire.

 

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Published by François Massarelli - dans John Ford Western Criterion