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  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
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23 novembre 2024 6 23 /11 /novembre /2024 16:49

"Le cinéma est la musique de la lumière" disait Gance. A la vision embarrassée de Lucrèce Borgia, ou pire de La tour de Nesles, deux oeuvres indignes pour ne pas dire infectes de l'auteur de La Roue, on préférera bien sûr pour s'en assurer loucher du côté des années 20, et en particulier de Napoléon. Paradoxal: on a l'impression que ce film, systématiquement cité dans les listes des plus grands films muets de tous les temps (Oui, certains ont du temps à perdre) ou autres bêtises de ce genre, est en réalité surtout cité pour son importance historique, et a priori par des commentateurs qui ne l'ont pas toujours vu... Doublement paradoxal, même car le film est, comme chacun devrait le savoir, inachevé.

Ou plus compliqué encore: prévu à l'origine comme une saga en six films, Napoléon devait profiter de cet amas de métrage pour explorer toutes les facettes du personnages, du révolutionnaire au militaire visionnaire, du stratège et politique à l'autocrate fascisant... Afin de rentrer dans ses frais, le film a du se limiter à une partie seulement, couvrant environ les deux tiers de ce qu'il envisageait pour sa première partie (Qui devait aller de Brienne jusqu'à 1798, et la gloire militaire qui ouvrait toutes grandes les portes à une carrière politique) a du être montré en l'état, victime de la prodigalité ou du génie d'un auteur qui ajoutait une idée, une scène, un nouveau développement, par jour...

Une fois arrêté et montré, le film n'a pas repris, et Gance en a monté une version différente à chaque présentation, ce qui n'a pas arrangé le destin de l'oeuvre. Abandonné, détruit par les remontages incessants, trahi par les tripatouillages infâmes de l'auteur, il a été sauvé par l'historien du cinéma muet Kevin Brownlow, amoureux du film, qui a décidé un jour de tenter une reconstitution. Compte tenu de l'objet cinématographique, on peut dire sans rire que c'est l'oeuvre d'une vie, puisque Brownlow en a monté trois restaurations, et toutes ont elles-mêmes servi à d'autres reconstitutions... L'histoire ne s'arrête évidemment pas là. J'en reparle plus bas.

Revenons au film; pour commencer, rappelons le contexte et les faits: Gance a triomphé en 1919 avec J'accuse, un spectaculaire film d'environ trois heures dans lequel il s'attachait à donner sa vision du conflit qui venait de s'achever, relayé à l'écran par un héros-poète joué par Romuald Joubé. Il osait des images jamais vues auparavant et transcendait le ridicule par de la poésie cinématographique pure, qui lui permettait de nous montrer Vercingétorix en surimpression qui galvanisait les Poilus contre les "boches". Le film n'était pas exempt de patriotisme mal fichu, cette honteuse maladie si répandue durant les catastrophes récurrentes que sont les conflits armés et les coupes du monde de football... Néanmoins, l'inventivité géniale, et le fait d'oser aller très loin dans la fiction et l'allégorie permettaient au cinéaste de sortir un film, en effet, hors du commun.

Gance avait alors mis en chantier un film plus fort et fou encore, La Roue dans lequel il se frottait au mélodrame avec une intensité émotionnelle et une poésie (Le maître-mot, et ce n'est pas fini, il reviendra) cinématographique unique en son genre: en plus de cinq heures, La Roue était une oeuvre capitale, qui prit à Gance trois années et lui imposa bien des sacrifices, mais il était parvenu à occuper la place qui lui revenait: la première.

Lorsque le cinéaste prit la décision de se lancer dans Napoléon, une fresque en six films (Qui ne se feront jamais), il reçut des soutiens de tous les horizons de la production: des cinéastes (dont Viatcheslav Tourjansky, Henry Krauss, et Alexandre Volkoff sur les séquences de Brienne) se mettaient à son service pour être ses assistants, des acteurs de tout le cinéma Français, mais aussi des chanteurs (Vladimir Koubitzky, Damia), des techniciens de tous horizons allaient se mettre à ses ordres, et le rôle principal mettait en compétition Ivan Mosjoukine et Albert Dieudonné... On le sait, c'est ce dernier qui a obtenu le rôle, et le film a eu un tournage chaotique entre janvier 1925 et juin 1926. Le plan initial de six films a comme je le disais plus haut été abandonné au profit d'une oeuvre équivalente à La roue, et dont Gance envisageait de faire essentiellement une célébration du grand homme qu'était Napoléon Bonaparte entre sa participation comme témoin à la Révolution, et la campagne d'Italie qui lui a ouvert les portes du pouvoir. En somme, Gance choisissait de privilégier le héros au politique. Il faisait passer Bonaparte devant Napoléon!

On ne va pas le cacher plus longtemps: à ce titre, c'est ambigu. Gance ne pouvait pas faire dans le raisonnable, et son Napoléon semble lui avoir tourné la tête! Pourtant le metteur en scène avait choisi d'interpréter dans son film le rôle de Saint-Just, un politicien, un vrai, un homme qu'on ne saurait soupçonner de succomber au culte Napoléonien, voire Bonapartiste! Mais dans les mains du cinéaste visionnaire, on voit subtilement le personnage principal évoluer, et changer de bobine en bobine. Et ce changement est d'abord un détachement, celui d'un homme qui se place de plus en plus facilement à l'écart du reste de l'humanité, et à ce titre si Gance raconte son histoire et a donc choisi le jeune général comme héros, il n'oublie pas de nous rappeler par une foultitude de détails que cet homme trahira les idéaux qu'il s'est choisis ou qu'il a été choisi pour défendre... Mais il faut lire entre les lignes pour s'en rendre compte, en l'état, et l'inachèvement du film appuie très fort sur ce point, car le fait d'arrêter son film à la campagne d'Italie fait qu'on n'a qu'une vision parcellaire du personnage. Alors Gance a truffé certaines parties de son film de prémonitions... Mais sans aller jusqu'au bout, donc on reste devant un film qui ne cadre pas avec la vision complexe d'un Napoléon, le petit dictateur manipulateur et revanchard, qui avouons-le a servi l'histoire (Comme l'avait si finement prédit le philosophe Allemand Hegel, qui attendait de pied ferme l'arrivée d'un dictateur Européen qui unifierait enfin l'Allemagne... contre lui) mais qui était surtout motivé par le fait de devenir à sa façon le maître du monde, un autocrate ennemi des valeurs de la révolution, non parce qu'elles apportaient la terreur comme nous prétend Gance, non: parce qu'elles étaient ennemies de la dictature. Le petit général si sympathique, du moins au début, dans ce film ne ressemble en rien à ça... Je pense que Gance (Qui dédiera sa Vénus aveugle à Pétain en 1943) s'est un peu perdu en route. Et il persistera et signera même encore puisqu'il se rendra coupable en 1935 d'une version sonorisée, dialoguée et révisée dont les ajouts impardonnables virent à la débilité et la Napoléonolâtrie pure et simple. En clair, son Napoléon est aussi fictif que le Custer de Walsh (They died with their boots on).

En attendant, voilà qui est donc dit, on va pouvoir se consacrer à chanter les louanges du film, c'est pour ça qu'on est là!

Et pour commencer, Gance a donc retenu un certain nombre d'épisodes pour son film, qui sont tous traités avec une telle cohérence que ce sont autant d'unités, avec évidemment comme fil rouge la présence de Bonaparte (Presque partout, mais pas systématiquement); ces unités sont chronologiques, ont d'ailleurs été tournées en séquence dans l'ensemble sauf celle située à Brienne, et permettent par leur dimension d'appréhender le personnage dans toute la grandeur que Gance souhaite nous communiquer: le film commence ainsi à Brienne (Filmé à Briançon, et ça se voit pour quiconque a mis les pieds dans l'Aube...), là ou le jeune Napoléon (Wladimir Roudenko) a été élève officier. Il y fait preuve d'une science stratégique hors du commun lors d'une impressionnante bataille de boules de neige, et commence son parcours de jeune impétueux contre la meute, aidé par un cuisinier qui le suivra en fanatique toute sa vie, Tristan Fleuri, sans que Bonaparte s'en aperçoive jamais... Puis Gance saute les années, et le spectateur se retrouve dans le vif du sujet: Napoléon, au coeur de la Révolution, se pose en homme qui soutient le principe de la Révolution Française mais en désapprouve la violence et l'injustice. Gance nous propose d'abord une vision hallucinante de l'ambiance révolutionnaire lors d'une scène qui assiste à la naissance de la Marseillaise, en compagnie de Danton, Camille et Lucile Desmoulin, Robespierre et Marat, durant laquelle Rouget De Lisle est présenté à Bonaparte. Ce dernier est ensuite confronté au dilemme de son soutien à une cause trop sanguinaire, et on le voit rejoindre la Corse pour y retrouver sa famille. Lors de son séjour, les tensions nationalistes se déchaînent, et Pozzo di Borgo, un ennemi des Bonaparte tente d'intriguer pour pousser le vieux politicien Joseph Paoli à affilier la Corse à l'Angleterre. Bonaparte, qui a choisi la France, est hors la loi: Gance se permet un petit caprice, une poursuite à cheval échevelée, qui ensuite mène à une séquence célèbre par son montage: la "double tempête". Alors que Bonaparte fuit la Corse dans une toute petite embarcation et affronte une mer déchaînée, la Convention à paris est victime d'une autre tempête, politique celle-ci: les Girondins y sont dénoncés, arrêtés et vont être exécutés. Une scène magnifique nous conte l'assassinat de Marat par Charlotte Corday, et enfin, la première partie se conclut sur la longue séquence, largement nocturne, du siège de Toulon, durant lequel Napoléon Bonaparte, officier en charge de l'artillerie, sauve la mise de la Révolution en remportant une bataille contre l'avis de ses supérieurs, parmi lesquels un ennemi Corse, Salicetti. Celui-ci reviendra se venger en intriguant contre Napoléon aux côtés de Robespierre.

La deuxième partie est moins riche en longues séquences, et part de la terreur, dont Napoléon sera la victime: Gance nous montre l'oeuvre de Robespierre qui fait le vide autour de lui, puis l'influence de Saint-Just. Ensuite, on assiste à l'arrivée de Joséphine de Beauharnais à la prison des Carmes ou les prisonniers restent peu de temps en attendant d'être sélectionnés pour l'échafaud; Il nous montre Tristan Fleuri qui participe à l'escamotage de dossiers pouvant mener des innocents à la guillotine (Lui et un autre mangent littéralement les dossiers d'accusation de Joséphine de Beauharnais, et celui de Bonaparte); on assiste ensuite à Thermidor, une belle scène à la convention, durant laquelle les Robespierristes sont arrêtés, et Saint-Just/Gance fait un discours mémorable. Peinant à se faire accepter comme général, Napoléon rend un service important en défendant la république contre une insurrection royaliste. Il triomphe, et devient l'homme incontournable. Lors d'une fête organisée par les anciennes victimes de la Terreur, le bal des victimes, Napoléon Bonaparte rencontre Joséphine, et la ravit à Hoche. Après une courte période de séduction, il épouse la jeune veuve à la veille de partir pour l'Italie. Enfin, le film s'achève dans un maelstrom d'images qui nous montrent les premiers contacts avec les soldats débraillés de l'armée d'Italie, et leur départ pour la gloire.

Gance développe pour "son" Napoléon l'identité d'un homme visionnaire, qui a toujours raison contre l'ordre établi (Toulon, Paris, l'Italie: à chaque fois, ses visions stratégiques sont prises de haut avant qu'il ne triomphe); un homme qui s'impose par sa force de conviction, et qui marche constamment à l'impulsion. Jamais il ne calcule, jamais il ne complote. Il réagit, envers et contre tous. Si il a tendance à traiter la Révolution Française comme le font ses contemporains Hollywoodiens (Ingram et Griffith) plus influencés par la proximité de la Révolution Bolchévique que par l'histoire, Gance se rachète en quelques séquences fulgurantes: il fait de Danton un authentique orateur, presque un précurseur de "son" Napoléon lorsque il dirige avec l'aide de Rouget de Lisle les bancs de la convention dans une Marseillaise d'autant plus endiablée que c'est la première fois que la chanson est interprétée. Comme dans tant d'autres scènes, Gance utilise avec génie la caméra, ne laissant passer aucune occasion d'enrichir ses plans de façon novatrice, et insère un plan de Damia en liberté guidant le peuple durant une scène muette, mais réglée -et montée- au métronome! Plus loin, la tempête de la convention nous montre le clan de Robespierre qui prend le pouvoir, mais comme en écho, au milieu de la deuxième partie, Thermidor remet les pendules à l'heure: c'est Gance, à travers Saint-Just, qui prononce (Littéralement à l'écran, on peut le lire sur les lèvres du metteur en scène) une justification pour la République des actes de la Terreur. Enfin, Napoléon avant de partir pour l'Italie, visite les bancs vides de la convention, et reçoit des fantômes de tous les grands hommes la mission de continuer et d'exporter la République. Inversement, les petites gens sont représentées par la famille Fleuri: Tristan, l'ancien de Brienne (Nicolas Koline), et ses deux enfants accompagneront Napoléon physiquement ou en pensée, par hasard ou par dessein, dans toutes ses aventures sauf la Corse, et ne parviendront jamais à marquer son regard! Une façon de renvoyer à l'image du grand homme au dessus de tout, et de tous... Par ailleurs, Napoléon est parfois assimilé au héros Gancien de base, le poète ou l'artiste: Séverin-Mars, dans La Xe symphonie, était un compositeur inspiré par Beethoven, ce dernier est le héros d'un autre film, Un grand amour de Beethoven en 1938. Des poètes sont les héros de J'accuse et La Fin Du Monde, et le fils de Sisif dans La roue est un violoniste trop délicat pour affronter les foules, qui se reconvertit en un disciple de Stradivarius, bref un poète de la lutherie...). Toujours cette idée qu'il y a une certaine catégorie de l'humanité qui est au-dessus des autres...

Le film, tourné en séquence, est une occasion pour Gance d'aller plus loin encore dans ses expériences de cinéma émotionnel et total. Il continue à utiliser le montage rapide de façon enthousiasmante, ponctuant en particulier les fins de séquences de giclées d'adrénaline à l'effet encore impressionnant aujourd'hui. Il renouvelle complètement la surimpression, qu'il multiplie (Il a été jusqu'à réutiliser la pellicule 16 fois dans une séquence); il expérimente de nouvelles façons d'utiliser la caméra: à dos de cheval, fixée sur une voiture pour montrer l'armée d'Italie en mouvement ou installée sur un balancier durant les scènes de tempête à la Convention, portée à l'épaule pour s'approcher au plus près des corps gisant après les combats ou des hommes de l'armée d'Italie s'abîmant dans l'inaction: ces scènes ont un faux-air documentaire qui est encore très présent. Il utilise des procédés rares, dont l'iris blanc, qui nimbe de lumière blanche certaines scènes dont le prologue, il diffuse la lumière de toutes les façons, et utilise lors des plans de tempête en méditerranée des images en négatif... Mais surtout, il expérimente avec ce qu'il appellera la "polyvision": tout le tournage semble avoir été influencé par l'envie d'étendre le champ, d'où le recours à un grand nombre de surimpressions. Mais la multiplication d'images à l'intérieur du plan, si elle remplit sa fonction lors de nombreuses scènes, ne pouvait pas rendre cet élargissement extraordinaire de l'espace cinématographique rendu possible par le triple écran: pas disponible dans toutes les versions (Par exemple, la fameuse version de 1983 montrée à la télévision Britannique en était dépourvue). Mais vu avec les triptyques à la fin, le film atteint à une poésie cinématographique, un traitement de l'image à nul autre pareil: le plan du film reste le panneau central, mais il est appuyé à droite et à gauche par des prolongements, soit un élargissement de l'image elle-même dans une sorte d'écran large précurseur du Cinemascope et du Cinerama, soit un élargissement de l'idée directrice des plans, par une illustration qui complète ou apporte un contrepoint. La composition cinématographique en devient démultipliée, et Gance qui maîtrise parfaitement, instinctivement cette technique étonnante, en fait des merveilles. Une façon merveilleuse de terminer un film qui a accumulé tant d'images dans lesquelles le metteur en scène a joué avec l'ombre, la lumière, la vie et son illusion... Il peut, semble-t-il, tout faire avec de l'image. Du moins il le pouvait à l'époque de Napoléon...

J'en parlais plus haut, le film a plusieurs versions en circulation... Kevin Brownlow, historien et admirateur de Gance, amoureux fou du film, a pu aller jusqu'au bout d'une reconstitution qui semble rendre justice au film dans toute sa complexité, et a bénéficié de découvertes de la Cinémathèque Française en recouvrant les teintes du film, d'une part, ses triptyques de fin d'autre part (la fameuse séquence des "mendiants de la gloire"), mais surtout en retrouvant le personnage de Violine Fleuri: la jeune femme, interprétée par Annabella, est donc la fille de Tristan, et elle a pour Napoléon Bonaparte un amour inconditionnel, qui souffrira d'autant plus qu'elle côtoiera Joséphine de Beauharnais dont elle sera l'employée. Ses séquences, souvent coupées du film, permettent d'objectiver un peu plus Napoléon qui acquiert une distance supplémentaire, et une inaccessibilité plus grande encore. Elles donnent au personnage "humaniste" de Napoléon, celui qui motive l'amour de jeunesse de la petite Violine, une dimension de cause perdue, au fur et à mesure que le jeune Bonaparte se détache des autres humains. Et le personnage, qui donne lieu à un mélodrame assez classique, fait glisser le film vers un terrain plus poétique dans lequel l'image du grand homme deviendrait presque celle d'un salaud: un type qui va de l'avant sans se préoccuper de l'effet qu'il fait sur les autres. la jeune actrice de 17 ans est fantastique, et ces scènes cruciales rendent le film encore plus beau... C'est cette version qui fut longtemps la dernière restauration achevée (En 2000), qui fut éditée en blu-ray en Grande-Bretagne (2016) dans l'exigeante collection du British Film Institute...

Mais la Cinémathèque Française a repris en mains le destin du film. George Mourier, responsable de l'inventaire et restauration de La roue dans sa plus longue et compexe version, a commencé à travailler sur le film en 2008 par un inventaire des collections, et nous a donc concocté une restauration impressionnante de la dite "Grande Version", pour une durée de sept heures environ. Le film sortira aussi en format physique... Et a fait une petite carrière notable dans les salles, ce qui dut être compliqué compte tenu de sa durée hors normes...

Devant cette version, on apprécie que la restauration nous restitue de manière plus fournie encore la durée du film, son rythme, ses embardées spectaculaires, ses audaces. Soyons justes: Brownlow n'y a pas passé sa vie pour rien, et il a tant contribué à restituer (parfois dans la spéculation la plus échevelée) sa forme au film, qu'on se retrouve avec cette nouvelle version en terrain vraiment familier. Mais Mourier a tout fait pour retrouver avec rigueur la cohérence interne d'une version parmi d'autres, ce que Brownlow ne pouvait pas faire: son propos était de couvrir tout le film en une seule version... La rigueur de l'inventaire comme de la restauration, nous donne accès à ce que Gance aurait pu, s'il l'avait voulu, établir comme LA version de son film. Et les trouvailles de Mourier sont la preuve que d'y passer tout ce temps valait la peine: en particulier la façon dont la restauration redonne à la séquence de la Marseillaise son rythme et sa musique (il est possible, une fois les scènes montées correctement, d'y adjoindre une version chantée sans aucun décalage) ...

Le cinéma est-il "la musique de la lumière", alors? Disons que si Gance, qui était un visionnaire et un type "convenablement dingo", comme aurait dit Boris Vian, avait le sens de la formule prétentieuse, c'est au moins une façon intéressante de parler d'un film qui tente de trouver de nouvelles façons de faire du cinéma, et le fait de façon encore fascinante aujourd'hui, au point de remplir les salles à chaque fois que ce film si difficile à voir et à connaître sur le bout des doigts est présenté, spectacle total garanti, avec surimpressions, montage festif, "polyvision", triple écran, e tutti quanti, plus de quatre-vingt-quinze années après sa tumultueuse confection. Chapeau!

 

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Published by François Massarelli - dans Abel Gance Muet 1927 **