La réputation de ce film n'est semble-t-il plus à faire: pas un commentateur pour en faire les louanges, et partout où il est mentionné, les mêmes adjectifs, les mêmes remarques, toutes négatives: mal fichu, trop long, mal dirigé, mal monté, ennuyeux, et indigne. d'une part ça fait beaucoup, et même si le film n'est absolument pas à la hauteur de la grandeur de Ford, on a envie d'essayer de le racheter un peu. D'autre part, je voudrais simplement ajouter que de toutes ces critiques, certaines ont été appliquées à The searchers, notamment par Lindsay Anderson qui aimait le film mais y voyait aussi d'irrémédiables défauts du vieux Ford: erreurs de continuité, approximations, etc... Plus encore, tous ces défauts reprochés en bloc à Two rode together, parfois avec raison, sont là encore discernables dans des films aussi divers que The sun shines bright, The last hurrah!, The horse soldiers, Sergeant Rutledge, The man who shot Liberty Valance, Donovan's reef, ou Cheyenne Autumn. Mais malgré tout, c'est toujours ce film Columbia avec Stewart et Widmark, qui prend tout pour lui... Essayons donc d'y voir clair...
Le film conte l'association un peu contrainte entre le marshal Guthrie McCabe James Stewart) et le lieutenant Jim Gary (Richard Widmark). Celui-ci est sur la piste d'un chef Comanche qui aurait dans les dix dernières années enlevé un peu trop de jeunes blancs, et leurs familles se sont liguées pour demander justice, et récupérer leurs enfants... Gary souhaite faire triompher la justice, et a besoin de McCabe qui connaît bien le chef Comanche Quanah Parker (Henry Brandon). McCabe, lui, a besoin de prendre du champ, puisque la tenancière d'établissement de loisirs avec laquelle il vit semble en vouloir à son célibat... Une fois arrivés au campement des familles, celles-ci semblent avoir placé un peu trop d'espoir dans l'intervention de McCabe...
Les principaux problèmes de ce film, c'est d'abord d'avoir en commun plus d'un thème avec The searchers, sans en avoir la rigueur ni la portée. C'est assez vrai, mais je reviendrai sur cette filiation plus tard, parce qu'à mon sens elle dépasse même l'influence qu'a pu avoir le film de 1956 et son indiscutable rayonnement, pour toucher à l'ensemble de l'oeuvre de Ford... Donc l'autre source d'embarras, c'est l'impression parfois gênante d'assister à un naufrage de la vieillesse: acteurs mal dirigés, faux raccords évidents, scènes expédiées... C'est d'autant plus courant de soulever ce problème que Ford lui-même ne s'est pas privé de dire à chaque fois qu'il le pouvait que ce film était indigne de lui, et que James Stewart, pour sa première collaboration avec le maître, est souvent mal à l'aise, donnant parfois l'impression d'être saoul (Ce qui sur le plateau d'un film de Ford, est historiquement envisageable, mais... James Stewart, quand même!!)... La vérité est toujours la même: Ford tournait une prise, à plus forte raison à cette époque. Donc l'acteur devait être bon dès le départ, car il n'y avait pas de seconde chance. Et le metteur en scène livrait à ses monteurs des séquences quasi montées d'avance, avec rien ou presque rien comme second choix, rien ou presque à enlever... Tous les derniers films de Ford ont été tournés avec cette méthode, qui a parfois donné d'excellents résultats, ou des scènes embarrassantes: y compris certains films aujourd'hui considérés à juste titre comme des chefs d'oeuvres, et qui ont leurs petits moments qui font lever les yeux au ciel.
Le film est considéré comme trop long, en effet, bien qu'il soit de durée raisonnable, avec 109 minutes. C'est que Ford a un peu trop laissé faire ses acteurs, qui se livrent parfois à un certain cabotinage, toujours dans le même sens de la chamaillerie un poil trop folklorique. C'est Andy Devine qui s'en prend plein la figure, et on souffre pour lui de voir l'acteur moqué pour un embonpoint qui est bien réel, surtout que c'est Stewart qui livre l'essentiel de la moquerie. Et le film alterne de façon parfois incohérente les passages dramatiques et le picaresque de mauvais goût.
Mais au milieu de tout ça, on se prend à cultiver de l'intérêt pour ce film, qui s'attaque comme The searchers à un problème ambigu, et comme Sergeant Rutledge, aborde le problème du racisme: le rejet dans lequel tous les blancs ici présents tiennent les Comanches met en effet Quanah Parker à l'écart (Je rejoins Leonard Maltin quand il estime que Ford aurait pu se saisir du fait que Parker lui même était un enfant d'une blanche enlevé par les Indiens, ce qui est un fait historique. Ca aurait pu donner du corps à son propos...), mais lorsque deux blancs récupérés par les deux héros lors de leur expédition font leur arrivée au camp, ils sont traités avec embarras par toute la population, et cela va aller jusqu'au rejet pur et simple, et au lynchage. Toute une population, mue par un racisme viscéral, refuse la différence représentée par deux personnes qu'il s'attendaient à voir revenir "civilisées". Ce que McCabe et Gary savent, c'est qu'ils sont civilisés, mais qu'il ne s'agit tout bonnement pas de la même civilisation, c'est tout. Pour un Ethan Edwards qui renonce enfin à ses idées de vengeance (The searchers), combien de pionniers prêts à rejeter une Mexicaine Catholique qui a vécu cinq ans en tant qu'épouse d'un Comanche, mais ne s'est pas suicidée parce que sa religion le lui interdisait? Combien d'hommes blancs qui refuseront de reconnaître leur fils parce qu'il parle Comanche, pense Comanche, et agit en Comanche? Il est significatif aussi de constater que dans ce film, Quanah Parker, joué par le même acteur que Scar dans The Searchers, est un allié (Certes par opportunisme et calcul politique) de MacCabe, alors que bien des blancs vont se retourner avec violence contre ce dernier quand il apparaitra aux côtés de sa rescapée Mexicaine.
Donc en dépit de tous ses défauts, et ils sont nombreux, le film se place au moins clairement dans la veine humaniste de Ford, une veine noire, traversée de constats peu ragoutants: pour construire l'Ouest, il a fallu des lynchages, nous rappelle Ford, qui laisse toute l'amertume du destin d'un jeune garçon qui avait été enlevé à l'âge de cinq ans éclater au grand jour, et fournit sa véritable fin à un film qui prend ensuite la politesse de trouver une façon moins violente de conclure, ce que ne faisait pas vraiment The searchers. Mais si ce film n'est pas un grand moment, je crois qu'il vaut bien mieux que ce qu'on en dit en permanence, à commencer par Ford lui-même.