
Admirateur inconditionnel de René Clair, Tchernia a réalisé quelques films en plus de son important (Et inclassable, voire "inlabellisable"...) travail pour la télévision: chantre d'un cinéma populaire dominé par l'esprit et l'humour, Ami personnel de René goscinny, c'est au scénariste d'Astérix qu'il a naturellement fait appel pour les scripts de ses deux premiers films: celui-ci et Les gaspards. Et on retrouve bien l'esprit de Goscinny dans cette histoire du siècle vu à travers un viager qui tourne à l'avantage dun vieil homme, Louis Martinet (Michel Serrault), jugé en 1930 à l'article de la mort par son médecin le Dr Galipeau, ce qui pousse celui-ci (Michel Galabru) à flairer la bonne affaire: il persuade son frère (Jean-PIerre Darras) d'acheter en viager une petite maison que Martinet possède à St-Tropez (Un petit village tranquille, peu connu, dans le Var: il n'y a personne...). Ce que les Galipeau ne peuvent pas savoir, c'est que Martinet est en réalité increvable... Et Tchernia réalisateur adopte naturellement un ton, volontiers satirique, dans lequel tout son talent pour l'image et tout son amour du cinéma transparaissent en permanence.
Goscinny révait de transcrire Iznogoud au cinéma... Devenir calife à la place du calife, ou devenir propriétaire de la maison Martinet à la place de Martinet, finalement, c'est kif-kif... On sait dès le départ que ça n'arrivera jamais, le propos est donc ailleurs: dansle reflet des turbulences du siècle vues à travers le petit bout de la lorgnette des préjugés (Politiques, xénophobes, moraux) de la famille Galipeau, des Français médiocres que Goscinny et Tchernia se plaisent à sérieusement égratigner, tout en nous laissant voir leur point de vue: là encore, on n'approuve pas Iznogoud, mais on le suit dans ses tentatives désespérées de ravir le pouvoir, parce qu'il faut le dire: il nous faut bien rire... Les Galipeau sont donc des "bons Français", menés par un Galabru qui assène à tout bout de champ des "Faites-moi confiance" qui se retournent systématiquement contre lui: il se trompe sur tout, soutenant qu'Hitler n'a aucun avenir, dénonçant le courageux Martinet à la collaboration, mais la lettre arrive en pleine libération, etc... Et le siècle se passe en images aussi: le film se joue du passage du temps, grâce aux actualités cinématographiques: Tchernia se plait occasionnellement à intégrer des images authentiques dans son intrigue, et y fait quelques digressions: la plus célèbre est l'explication par des dessins d'enfant (Par le petit Gotlib...) du principe du viager, mais il y a aussi une séquence qui met en images les fantasmes de la cinquième colonne à l'époque de la drôle de guerre, avec Michel serrault en espion Allemand. Une fois encore, Tchernia fait mouche, en démontrant que chez les médiocres, il ne suffit pas de convoiter le bien d'autrui, il faut encore les parer de tous les vices. Et pourtant les Galipeau, des vices, ils n'en manquent pas! Faites-moi confiance...
Le film est en fait, comme beaucoup d'oeuvres de Goscinny (Le petit Nicolas en tête, mais il y en a d'autres, dont Les Dingodossiers) un reflet d'une certaine vision de notre pays et de ses mentalités, mises en valeur par le déroulement si riche en évènements forts, de l'histoire du vingtième siècle: les révélateurs sont, dans l'ordre d'arrivée, le Front Populaire (Dont les avancées sociales scandalisent le Dr Galipeau), la conférence de Munich ("Vous verrez, il va s'écraser votre Hitler"), la seconde Guerre mondiale ("On va rigoler"), la débâcle, l'exode, la collaboration, le débarquement en Provence (Mis en scène par Tchernia avec une redoutable efficacité et une économie de moyens assez remarquable: Martinet jardine, une moto passe avec deux soldats Allemands, poursuivis quelques secondes après par une jeep pleine de G.Is...), la Libération, les trente glorieuses (Durant lesquelles bien sur les Galipeau, qui versent un loyer de plus en plus cher à Martinet, sont devenus pauvres) et enfin la France de Pompidou dans laquelle la domination des médias se met en route (On y voit un député qui vole littéralement la vedette dans une séquence d'actualités, et un réalisateur de télévision qui n'est autre que Tchernia lui-même). Dans tout ça, on appréciera l'esprit et le talent caractéristique de Goscinny, et la verve parfois sarcastique de Tchernia: car si on parle ici des mêmes choses, on est loin de l'esprit bon enfant du Petit Nicolas, et Tchernia n'hésite pas à égratigner certains de ses compatriotes, comme ce collaborateur interprété par Yves Robert, sans parler des affreux Galipeau...