Le nouveau film de Terry Gilliam est un retour à la science-fiction, le premier depuis 12 monkeys, et le troisième film dans ce genre spécifique depuis Brazil. Forcément, on en attend beaucoup, d'une part parce que les deux essais précédents restent des films majeurs du cinéaste, et aussi parce qu'on a senti, depuis quelques années, comme un passage à vide chez l'auteur de Tideland, et, hum, Brothers Grimm. Et devant ce nouvel effort, on reste perplexe... Mais on ne va pas pour autant bouder le plaisir de voir un nouvel opus de l'auteur de Time bandits sous prétexte qu'il ne va pas dans le sens attendu: si c'était le cas, aucun de ses films ne serait satisfaisant. C'est un auteur hors-normes, hors-catégories, hors-concours, et souvent hors-budget aussi, un cinéaste d'envergure qui possède un univers visuel propre et a parfois les plus grandes difficultés à l'imposer. Il mérite toujours l'attention, et aucun de ses films ne se révèle à la première vision...
D'emblée, on est frappé de ce que Gilliam, au lieu de confier toute sa logistique à l'ordinateur, semble partir de la possibilité supposée infinie de la réalité virtuelle pour se lancer de nouveaux défis, voire de nouvelles difficultés: il est vrai que l'homme qui a dix ans durant essayé de tourner le même film malgré les faux départs (Son Don Quichotte) ne sait pas faire de cinéma simplement. Et The Zero Theorem est un film qui prend acte de l'existence de la réalité virtuelle, pour nous plonger dans un univers encore plus malade que le notre. Il l'a déjà fait pour Brazil et 12 Monkeys, qui parodiaient le monde existant pour en extrapoler les avenirs terrifiants, ce film suit cette continuité, tout en le faisant poliment: Gilliam reprend à Spielberg (Minority Report) l'idée d'une publicité interactive qui vous suit partout, par exemple, mais il va beaucoup plus loin: son héros est un homme, génie de l'informatique mais sociopathe aggravé, devenu incapable de la moindre interaction avec le moindre être humain, mais les gens autour de lui ne vont guère mieux: tout passe par l'informatique et le virtuel, de la commande d'une pizza à une consultation auprès d'une psychologue. Pire: les convives d'une fête dansent seuls avec des Ipods, portant des tablettes numériques dans leurs bras... Qohen (Christoph Waltz), dont le nom ne semble pas s'imprimer chez qui que ce soit (Son supérieur, David Thewlis, l'appelle Quinn) travaille pour Management (Matt Damon), le PDG mystérieux d'un groupe de communication obscur, et il a une mission délirante aux développements très peu compréhensibles. Surtout, il ne tient debout que par un seul espoir: il attend un coup de fil qui lui expliquera le sens de la vie...
Aliénation, philosophie et futur inquiétant, on est bien chez Terry Gilliam, qui tend ici à collectionner les allusions à son propre univers: le prophète malgré lui, l'homme dont la rébellion intime débouche sur des catastrophes collectives, l'univers parallèle fait de l'accomplissement poétique et égoïste d'un seul homme, l'aliénation par le rêve, et la folie de la science... Tout ça, et ce sentiment d'une humanité arrivée au bout d'une quête inutile, on l'a vu déjà dans on oeuvre. Un développement qui prend ici beaucoup de place, et qui semble fragmentaire tant il ne fait pas vraiment sens, est une drôle d'histoire d'amour un peu bancale avec une femme qui tient autant de la prostituée que de l'espionne, mais l'interaction entre les deux est la source de moments tous plus touchants les uns que les autres... Une fois n'est pas coutume, la jeune femme tombe le masque lors d'un bref moment, mais l'incommunicabilité du héros prend le dessus. En tout cas, en écho à un autre film (12 monkeys, bien sûr) dans lequel l'intrigue de science-fiction était tout à coup court-circuitée par une histoire d'amour inattendue, Gilliam laisse les sentiments s'installer, nous livrant des pistes à explorer.
Bien plus que l'étrange et mal foutu Imaginarium qui l'a précédé, et dont on sait dans quelles conditions difficiles il a été tourné, ce Théorème Zéro est bien un film typique de Terry Gilliam. Mais cela implique désormais des doutes, des difficultés, et une certaine tendance à laisser beaucoup au spectateur. A ce dernier s'il le souhaite de revenir au film et de remplir les combles de ce film exigeant, pas toujours facile, mais attachant. Un nouveau film livré "en l'état", forcément issu d'une série de compromis, et dans lequel une fois de plus des acteurs se sont livrés corps et âmes, certains avec un plaisir communicatif: Thewlis, bien sur, ou encore Tilda Swinton, en psychologue sur website, qui se lâche dans un rap inattendu... Christoph Waltz, quant à lui, est remarquable de bout en bout. Quant à comprendre le sens du film... Autant demander à des poissons d'expliquer le sens de la vie.
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