Un couple d'amoureux, très jeunes, rentrent tranquillement au village sur une charette. Ils traversent une voie ferrée, et quelques instants après un train passe. Un symbole qui sera repris à la fin de ce film, et qui représente le destin qui va croiser en permanence le chemin de Jean Leonnec (Ramon Novarro) et sa petite fiancée Marise La Noue (Enid Bennett)... Et le destin n'attend en réalité pas, puisqu' on annonce dès son arrivée au village à Marise que son père, le sabotier du village, vient de mourir. Orpheline, elle va donc devoir vivre chez des cousins, mais ça se passe très mal: menacée par son cousin, un homme brutal et alcoolique, elle trouve refuge dans la grange des Leonnec, ou Jean vient la rejoindre pour la réconforter. Au réveil, les deux amoureux qui sont restés bien sagement assis sur une chaise au coin du feu auront bien du mal à justifier de la pureté de leurs intentions, et fuient à Paris. Entretemps, la mairie a été cambriolée, et le maire, le père de Jean, fait le rapprochement un peu rapidement avec la soudaine fuite de son fils...
Et ce n'est pas fini: Niblo s'amuse à fouiller des péripéties à la Dickens et les accumule à loisir tout au long des 80 minutes du film, qui devient presque un catalogue de tous les aspects du mélodrame. Il choisit aussi de situer son film dans une France de pacotille, où s'entremêlent les époques dans un maelstrom de bérets et de casquettes d'apaches. La raison me parait simple: tout en se reposant sur les ficelles du mélo, le film accumule les scènes risquées et le metteur en scène a souvent recours à une violence graphique, frontale et sublimée, tout en montrant les bas-fonds avec un réalisme, certes baroque, mais suffisamment explicite pour qu'on ne s'y trompe pas: Jean va devenir une petite frappe, un apache, mais Marise va passer par la prostitution lors de leurs aventures Parisiennes. Le même script situé en Californie ne serait pas passé au travers des mailles de la censure, d'où me recours à une France d'opérette.
Auteur complet du film (Il en a écrit l'argument), Niblo se fait plaisir, rappelant qu'il pouvait à son meilleur être 'un des grands cinéastes d'Hollywood. En 1924, la toute jeune MGM semblait prête à honorer sa devise 'Ars gratia artis', et le film en est une éclatante preuve: tout en louchant du côté de l'univers de Rex Ingram, bien qu'en moins baroque, le film bénéficie aussi de la rigueur des compositions de Niblo qui a du génie du début à la fin du film pour son utilisation inventive du cadre, et son sens du timing en ce qui concerne ses séquences. Son réalisme, en matière de violence en particulier, est sans doute l'un des atouts qui feront de lui un candidat idéal pour reprendre le navire en perdition de Ben-Hur, et on retrouve dans les deux films des points communs troublants: la façon dont Enid Bennett et Ramon Novarro se perdent de vue, mais se croisent ensuite en permanence rappelle de quelle façon Ben-Hur passera à côté de sa mère et de sa soeur qu'il croit mortes dans le film de 1925, une situation certes de convention mais que la force de conviction de Niblo nous fait passer come une lettre à la poste!
Le metteur en scène est parfaitement servi par des acteurs qui sont eux aussi à leur meilleur, et fait bien passer la transformation permanente d'Enid bennett qui joue en particulier sur le maquillage pour figurer sa descente aux enfers. Une scène la montre à l'hôpital, à l'article de la mort, après avoir été abattue par la police: on l'a quittée enlaidie, les cheveux dégoutants, en fille déchue, on la retrouve avec de nouveau la couronne dorée de ses beaux cheveux blonds, et le visage angélique:c'est la signal de la rédemption pour nos deux héros. Les décors et les éclairages sont aussi utilisés à leur avantage du début à la fin de ce film mené tambour battant, d'un grand cinéaste auquel il arrivait certes de se laisser aller (Sex, Blood and sand, l