Voilà un film muet restauré à grands frais, qui tombe à pic pour qu'on y voit le traitement de la première guerre mondiale, non pas telle qu'on la voit en cette année centenaire, ni alors qu'elle se déroulait: Le film du poilu est une tentative de commémoration, réalisée en 1928, à l'occasion du dixième anniversaire de la fin du conflit. Le but clairement affiché est de donner à voir la guerre aux enfants, afin qu'ils n'oublient jamais. Et c'est raté, ils ont oublié, les enfants de 1928: je m'explique.
Dans la première partie, on assiste à la petite vie de tous les jours de trois personnes qui habitent le même immeuble Parisien: une veuve de guerre et son fils, d'une part; un ancien poilu, artiste qui vit dans son atelier de peinture d'autre part. Celui-ci prend l'initiative d'inviter un cinéaste qui vient de finir un montage de prises de vues de la Grande Guerre chez lui, afin de sensibiliser la jeunesse (et les spectateurs) à ce qu'était vraiment le conflit mondial... Nous assistons ensuite à une chronologie des évènements, résumés en à peu près une heure, compilée d'après les cinématographies mondiales, mais surtout les alliés. Le montage en est rehaussé ça et là d'inserts tournés par Desfontaines afin de rendre l'ensemble un peu plus dramatique.
Si le but était de sensibiliser la jeunesse afin qu'un tel conflit n'arrive plus jamais, c'est comme je le disais raté: durant l'heure passée à montrer la guerre, le point de vue unique est celui des alliés, et on y glorifie à tour de bras les généraux, tous isolés de la narration par leur petit intertitre personnalisé... A aucun moment l'ennemi n'y est montré comme autre chose qu'une menace, un mal. Les évènements n'y sont pas mis dans la moindre perspective: certes, l'archiduc François-Ferdinand a été assassiné à Sarajevo, mais pourquoi? et en quoi cela a-t-il précipité la guerre? Et si Verdun a bien été une boucherie, quelle responsabilité les officiers Français ont-ils pris dans les massacres? Et ces merveilleuses armées coloniales qui nous sont montrées, si colorées dans leurs défilés, pourquoi personne ne mentionne-t-il qu'ils ont souvent monté au combat en premier pour essuyer les premières salves? Enfin, on appréciera à sa juste mesure la séquence de 25 secondes qui nous indique que les Américains ont un peu pris part au conflit. Merci, au passage, les gars, et vous nous excuserez, mais on va quand même finir ce beau film par une vision de ce beau drapeau, ce torchon dégueulasse pour lequel le service des armées, qui a pris le soin de restaurer ce film sans qu'aucune réserve idéologique ne l'accompagne (Lisez les textes présents sur le DVD, c'est à vomir), est sans doute prête à nous dire qu'il conviendrait de nouveau d'aller se faire tuer.
Je sais ce qu'on va probablement me rétorquer: autres temps autres moeurs, et en 1928, on ne disposait pas de recul suffisant, mais en fait, historiquement c'est faux: dès 1917, des voix se sont élevées, depuis l'armée Française même, pour contester les façons de faire des officiers, et réfléchir sur la véritable finalité de ce conflit. Dès 1919, dans un film qui cède parfois au délire anti-Allemand ambiant (J'accuse), Gance a pris soin de faire le voeu d'un arrêt généralisé des conflits, au nom du respect du aux morts, TOUS LES MORTS. Dès 1925; trois ans avant ce film, King Vidor a débarrassé l'évocation de la guerre de tout nationalisme avec son somptueux The big parade, auquel Walsh (What price glory) puis Wellman (Wings) ont bien vite emboité le pas. Ils seront suivi en 1930 par deux cinéastes, l'un aux Etats-Unis (Milestone, avec All quiet on the Western Front) , et l'autre en Allemagne (Pabst, avec Westfront 1918). Et pour enfoncer le clou, cette même année 1928, le pourtant très droitier Léon Poirier a commis un autre film commémoratif, le souvent ennuyeux Verdun, vision d'histoire. Lui aussi sacrifie à la mode qui consiste à se mettre à plat devant les généraux, mais au moins rappelle-t-il à toutes fins utiles que dans un conflit comme celui dont il est question, les deux côtés ont souffert. Voilà. Le parti-pris affiché par Desfontaines de rester calé sur l'image d'Epinal est tout simplement impardonnable.
Alors rangez-moi ce torchon bleu-blanc-rouge, il est obscène.