1917: La guerre s'invite aux Etats-Unis, et les volontaires affluent: de tous horizons, les Américains s'engagent dans ce qu'ils imaginent être un simple tour de chauffe en Europe au service de la démocratie triomphante. Là ou des hommes du peuple, comme Slim (Karl Dane), soudeur de son état, ou Bull (Tom O'Brien), barman à New York, vont rejoindre l'armée sans détour, un gosse de riche, le fringant Jim Apperson, ne va partir qu'après avoir vu une parade qui passait dans la rue. Et comme d'une part sa fiancée pense qu'il serait absolument adorable en officier, et que ses parents le considèrent comme un bon à rien, il s'engage... On retrouve les trois quelques mois plus tard, à la veille de leur première participation à l'offensive. Ils fraternisent avec les jeunes françaises, surtout l'adorable Mélisande (Renée Adorée, enfin autorisée à "parler" Français sur le tournage de ce film muet, et ça se voit pour qui sait lire sur les lèvres...), ils bricolent des douches, piquent du vin aux paysans locaux, jusqu'au moment ou ils sont amenés sur le front, pour une mission suicide. Deux d'entre eux ne reviendront pas, et c'est dans un trou d'obus qu'il est amené à partager avec un jeune Allemand mourant que Jim va se faire une opinion sur la guerre...
Qu'un studio comme la MGM ait été à ce point engagé dans ce film me dépasse. Je pense que pour la plupart des professionnels qui y travaillaient, la firme au lion était sans doute le rempart absolu d'une certaine idée calibrée et divertissante du cinéma contre un cinéma engagé... Mais Vidor devait avoir des arguments, puisque c'est à l'initiative bienveillante d'Irving Thalberg que ce film révolutionnaire s'est fait. Bien lui en a pris, puisque le film a fait un triomphe au box-office... Pourquoi "révolutionnaire"? Parce que jusqu'à The big parade, la vision de la guerre dans le cinéma mondial est assez simple: il y est généralement question de la lutte du bien contre le mal, de la démocratie Chrétienne contre la barbarie Allemande: J'accuse, The Four Horsemen of the Apocalypse, Hearts of humanity,
Le film prend son temps, d'ailleurs, et se contente d'une bataille, anticipant d'une certaine manière sur l'économie d'un Kubrick. Les soldats arrivent, pas très rassurés, et on leur dit de marcher. La scène est célèbre, souvent commentée: les Américains, filmés de front, avancent dans un sous-bois, cibles de la mitraille. Ils voient, ou entendent autour d'eux, les copains tomber les uns après les autres, mais doivent avancer. Au bout de la route, façonné er refaçonné par le pilonnage incessant, le terrain devient un gruyère, et l'enfer s'installe. Résumé en un seul conflit, toute l'expérience d'une guerre semble désormais privée de but, et la seule action d'éclat commise par Jim Apperson le sera sous le coup de la colère, lorsque pour venger la mort d'un camarade il va se livrer à un massacre sans raison valable...
Mais les scènes qui nous font attendre ce conflit, en elles-mêmes, sont d'une grande force, installant la confrontation humaine entre les soldats d'un côté (Jim Apperson perdant de sa superbe assez rapidement, confronté à la camaraderie ambiante), ou entre les soldats et les Français de l'autre. Les scènes de flirt avec Mélisande sont sublimes, d'abord parce que Vidor a su installer une complicité (Qui resservira à la MGM) très forte entre Gilbert et Adorée, et a pu les inspirer à trouver un naturel un peu gauche, qui s'approche, mais oui, d'un certain naturalisme. Cela donne d'autant plus de force au film que la romance entre les deux va servir de structure, et bien sur de motivation pour un héros revenu de tout, sauf de son amour pour la petite Française. Et la scène de séparation en fin de première partie, qui laisse éclater le lyrisme cher à Vidor, est inoubliable.
Et puis si ce film est une grande date, c'est aussi parce que le metteur en scène, qui a permis souvent au mélodrame de se doter d'une âme pas toujours tranquille (Wild Oranges peut en témoigner...) semble d'une seule pièce maitresse doter le cinéma Américain d'un classique qui le fait instantanément passer à l'âge adulte... Ce que Stroheim tentait de faire dans son coin, Vidor l'a fait, et dans le confort d'un studio encore en plus! on connaît la suite: grâce à son sens du compromis (La Bohême, Bardelys the Magnificent, deux films qu'il n'avait pas vraiment envie de faire), Vidor pourra récidiver en tournant The Crowd. Mais la suite, c'est aussi l'arrivée de Raoul Walsh, William Wellman, Lewis Milestone, et tant d'autres qui vont continuer à donner à la représentation de la première guerre mondiale ses chefs d'oeuvre.
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