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15 janvier 2015 4 15 /01 /janvier /2015 20:28
Edward Scissorhands (Tim Burton, 1990)

Touché par la grâce, Tim Burton prend de la hauteur avec ce quatrième long métrage, un film qui non seulement rend accessible au plus grand nombre l'univers sombre de l'auteur Burton, sans rien sacrifier de sa saveur ni de son humour d'observateur, mais en plus crée de toutes pièces un mythe cinématographique qui a l'importance des grands contes. De toutes pièces... ou en tout cas en s'inspirant d'un univers familier et propre à Burton du moins... C'est lui qui est à l'origine de l'intrigue, un vrai conte noir en vérité, qui tourne autour du voyage initiatique d'un marginal inattendu, un homme créé par un savant fou, et qui lui a survécu, inachevé. Un homme différent et émotionnellement tout neuf, foncièrement doux, mais dont les mains provisoires, faites de lames de ciseaux et de couteaux acérés, sont autant de menaces pour la famille qui l'a recueilli, et leur environnement. Bien sur, la petite bourgade qui va l'accueillir va le fêter, l'aider à trouver sa place, mais ils vont surtout par leur bêtise et leur égoïsme, montrer à l'inconnu qu'il ne peut s'intégrer parmi eux que s'il devient comme eux. C'est impossible, et ça se terminera donc dans le drame.

Mais comme il n'est de bon conte sans un peu d'émotion, Edward va tomber amoureux, et l'éternel figure Chaplinienne du ver de terre amoureux d'une étoile va ici être illustrée à nouveau, avec un changeent de taille: l'amoureux éperdu est aimé de retour, mais la ville et ses gens bien comme il faut vont se charger de leur rappeler qu'hors de la banlieue et de son conformisme, point de salut... C'est la deuxième fois que Burton travaille avec Winona Ryder qui a grandi depuis Beetlejuice, et elle est ici confrontée à Johnny Depp, qui lui fait connaissance avec un univers Burtonien dans lequel il se sentira bien vite chez lui... Les deux tourtereaux font merveille, livrant chacun une composition définitive, contrastée: une jeune adolescente très classique, mais profondément humaine et, mais elle ne le sait pas encore, attirée par mieux que les abominables benêts que son environnement stérile a à lui offrir; et un être inadapté, expressionniste et tout en gestes, qui ne sait pas encore comment se faire accepter ni s'il doit vraiment le faire. Il a deux manques, celui de son créateur, un homme certainement fou (Vincent Price!!!) mais qui l'a aimé profondément en le créant, et celui de ses mains, dont il rêve, mais qui lui sont d'autant plus inaccessibles qu'il n'existe aux yeux des autres que par sa différence: Edward, l'homme aux mains de ciseaux, est une aubaine sans fin pour les bons voisins, qui se chargent de lui trouver des occupations. Bien sur, lui va s'évertuer à colorer de plaisir artistique cette particularité morphologique qui est la sienne: il réalise une magnifique sculpture de glace durant une scène qui voit Kim danser dans la "neige" des copeaux de glace ainsi produite par la vélocité des coups de ciseaux... Mais on lui demande surtout de rendre service, bref, d'être utile...

Le discours sur la banlieue est sans appel, et Burton n'a pas son pareil pour rendre les médiocres extrêmement équivoques: sympathiques (Les parents de Kim, la jeune femme, qui accueillent Edward, sont nuls mais bien gentils, après tout), tout en les chargeant avec une certaine férocité: le discours d'une insondable vacuité du père, entendu probablement à l'heure du repas chez tous ses voisins, est hilarant... Le contraste entre Edward, figure de cauchemar mais profondémen doux et timide, et les voisins tous plus ridicules les uns que les autres, joue à fond ici. Mais le cinéaste est un visuel, et il peint par l'image une banlieue bigarrée et vomitive qui contraste aussi fortement autant avec la vieille maison du bout de l'allée, ou vit en secret Edward jusqu'à ce qu'il soit découvert, mais aussi avec le maquillage blafard du jeune homme.

Et dans ce conte gothique, comment s'tonner que le metteur en scène ne convoque les figures du Frankenstein cinématographique de Whale (La création d'un homme, qui échappe à son créateur, et qui provoque malgré lui la colère et la violence de minables, qui veulent ensuite le lyncher) et son final, avant d'aséner avec une immense poésie une image lyrique et sublime d'amour fou, qui va permettre au film d'arriver à clore le cercle que l'introduction avait ouvert: c'est Kim, devenue grand-mère, qui raconte une histoire à sa petite fille, et on sait à la fin que cette histoire ele l'a vraiment vécue. Et la neige qui tombe sur la Calfornie l'informe qu'Edward est encore vivant, car elle sait que c'est lui qui, en créant une sculpture de glace, envoie des cristaux de glace dans le quartier... Cette scène, c'est l'ultime lien entre les deux amoureux, qui clot un film en forme de conte triste, lyrique, exalté, et à franchement parler au plaisir inépuisable.

Edward Scissorhands (Tim Burton, 1990)
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Published by François Massarelli - dans Tim Burton