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Couple exemplaire, les Dunne? Même à première vue, même dans les premières minutes de ce film à tiroirs dont le principal du message porte sur les apparences, forcément trompeuses, avant même de commencer à entrevoir l'ironie particulièrement marquée du film, on sait qu'il y a quelque chose qui cloche entre les deux... Amy, jeune femme d'une famille riche, s'est mariée à Nick, un journaliste de la presse masculine. Elle est déjà passée à la postérité car elle est le modèle qu'ont choisi ses parents pour créer durant son enfance un personnage littéraire de petite fille dont les albums ont fait le tour du monde, et lui, ma foi, n'est pas vraiment connu. Et même pire: il a été licencié et elle l'a suivi dans le Missouri, elle qui ne voyait aucun horizon au-delà de New York. Et la vie, dans le Missouri, ne lui convient décidément pas. Mais tout ça, on le saura après: les premières séquences nous présentent Nick Dunne, maussade, qui sort de chez lui, et se rend à son bar (Qu'il tient avec sa soeur Margo, et qui est payé par les économies d'Amy), et qui a l'air plutôt remonté contre son épouse. Le problème, c'est que quand il rentre chez lui, Amy n'est plus là, qu'il y a des traces de lutte, du sang dans la cuisine, et qu'il devient très vite évident pour tout le monde, sauf pour Nick et sa soeur, qu'il pourrait bien l'avoir tuée. Les indices vont s'accumuler, l'opinion publique choisir très vite son camp, et comme Nick n'est pas un saint (Il avait une maîtresse depuis un an et demi déjà), la route va être longue, pénible et semée d'embûches...
S'il adopte certains aspects du thriller, tout en étant réalisé par un maitre du genre, Gone girl n'est pourtant pas vraiment un film policier, pas plus que la recherche de la solution à une énigme: ce qui est arrivé à Amy, on le sait très tôt dans le film... Alors je ne vais pas prendre de gants, si vous ne l'avez pas vu cessez immédiatement la lecture.
Maintenant qu'on est entre nous, rappelons donc qu'avant d'arriver à la moitié, Fincher rembobine. Donc, après nous avoir donné quelques bribes de flash-back impliquant Amy, permettant de se faire une idée sur la nature de l'écart entre les deux époux, qui avait en cinq ans de mariage pris des proportions impressionnantes, il passe de l'expression du point de vue de Nick (Ben Affleck, salement embêté d'avoir vu partir son épouse, même s'il admet qu'il ne l'aime plus, mais ne peut pas le dire publiquement à cause des soupçons qui pèsent sur lui) à celui d'Amy (Rosamund Pike), du moment où elle a pris la décision de simuler sa disparition en faisant tout pour accuser son mari, parce qu'elle a senti ce dernier lui échapper. Le mener à l'exécution devient pour elle la seule façon de reprendre définitivement la main sur lui... Le spectateur se voit donc face à une série de batailles, entre Nick et le reste du monde, sous l'arbitrage de la presse et de la justice d'une part, entre Amy et elle-même, car si elle a tout quitté en faisant tout pour accuser son mari, elle envisage aussi de se supprimer pour achever de le confondre. Il est donc question de manipulation, d'un genre particulièrement tortueux, et de gens qui vont utiliser les apparences à des fins personnelles: utiliser les médias (D'une simple annonce de disparition locale orchestrée par la famille d'Amy, à la couverture nationale de la disparition par la presse écrite), la télévision (Y compris et en particulier la plus crapuleuse) et internet; mais aussi anticiper et utiliser les réactions de la presse, de la justice... Le but étant de modifier durablement dans l'esprit des gens l'image de celle qui n'est plus là afin de laisser les conséquences accuser Nick. Rosamund Pike est extraordinaire, dans un rôle fabuleux de manipulatrice aguerrie, maladive, qui cherche justement dans son mariage des apparences qui lui conviennent. Et la société Américaine qui est peinte par le film s'accommode semble-t-il fort bien de l'existence d'un tel monstre: tous, le public, les policiers, les journalistes, les avocats, trouveront leur place dans l'orchestration.
On comprend un peu les accusations des féministes qui ont décelé ici une sorte de misogynie, à travers cette femme qui finit par ne plus exister à force de jouer sur les apparences, mais rappelons que pour Amy, le ver était dans le fruit dès le début, dès la création par ses parents d'une double de papier qui vivait tout ce à quoi elle échappait, qui était systématiquement une version améliorée et sublimée d'elle-même, la condamnant à vivre dans l'ombre de son double fictif... et donc à surfer en permanence sur les apparences. Un dispositif qui, dans le film comme dans le roman de Gillian Flynn (c'est d'ailleurs elle qui a signé le script de ce film) permet de montrer le destin d'une femme qui apprend dès le départ à contrôler l'image faussée que les gens ont d'elle. Mais le film est aussi et surtout magistral dans sa façon de montrer les mécanismes de la propagation de l'information, et son effet sur le public. Dans une scène, Nick et son avocat préparent une communication pour annoncer les infidélités du héros au public, et se font doubler par les parents d'Amy et la maîtresse, qui ont rendu l'info publique quelques minutes avant l'émission... Comme Fincher aime compliquer la tâche de ses personnages, il a du particulièrement apprécier le scénario de Gillian Flynn, qui va mettre des bâtons dans le roues de Nick, ça on l'a compris, mais qui va aussi saupoudrer de délicieux imprévus le parcours pourtant pensé dans ses moindres détails de la "merveilleuse Amy", pour reprendre le nom donné à la créature fictive de ses parents.
Et fidèle à ses habitudes (Tous ses films ou presque depuis Seven obéissent à cette structure), Fincher se dirige non vers une fin mais vers une ouverture béante, faisant de Gone Girl le point de départ d'une ironique spirale du mensonge et de la manipulation, qui nous rappelle que Fincher s'est trouvé, le temps de deux épisodes, comme un poisson dans l'eau à travailler pour House of cards, la splendide série qui dissèque les rouages de la communication et de la conquête du pouvoir dans la politique Américaine contemporaine. Un flirt avec la télévision qui pourrait bien mener l'auteur à se consacrer de façon définitive à ce média... Alors profitons bien de Gone girl, l'un des films les plus jouissifs et riches de David Fincher.