Le docteur Leproux (Bernard Blier) est un homme sage et bon. Il habite Courdimanche, une toute petite bourgade dont il est aussi le maire, et il jouit du respect de ses concitoyens, qui savent qu'il fait plutôt bien le boulot de maire à une période difficile: on en au printemps 1944, dans le calvados, et l'heure n'est pas vraiment à la fraternisation entre l'occupant et l'occupé. Pourtant, le Dr Leproux s'est fait un ami de l'autre côté, le dr Frantz, un médecin officier dans l'armée Allemande, qui a par ailleurs réquisitionné pour ses besoins une partie de la maison de la fille du maire. Un soir, le Dr Leproux est le seul parmi les bons patriotes de la ville à accepter de se mouiller pour soigner et recueillir un parachutiste Anglais blessé, et il est arrêté le lendemain une fois l'Anglais évacué. Mais Frantz, qui a confiance en lui, ment à ses supérieurs afin de protéger le docteur... En même temps, une idylle commence à poindre entre la fille et son locataire forcé.
C'est le troisième film de lautner, après le mystérieux film La môme aux boutons, et le soporifique film noir Marche ou crève. En compagnie du scénariste Pierre Laroche, le metteur en scène a réalisé une oeuvre qu'on qualifierait peut-être dans certains milieux d'ambiguë mais il me semble qu'elle est au contraire très claire: dans ce film, il n'y pas parmi les "bons Français" du village un seul collaborateur, pas une personne qui ne souhaite voir disparaître les Allemands. Il y a pourtant bien peu de résistants, si ce n'est un petit groupe, organisé autour d'un leader charismatique inteprété par Daniel Sorano, et une prostituée au grand coeur (Anne Doat), qui a un faible pour le Docteur Leproux, l'un de ses plus fidèles clients. Mais les braves gens n'aiment pas que l'on suive une autre route qu'eux, pour citer le poête, et l'amitié naissante entre les deux docteurs gène tout le monde; de plus, l'histoire d'amour entre la fille Leproux et le docteur Frantz met assez vite le feu aux poudres... Les index accusateurs se lèvent assez vite, et pour ne rien arranger, les alliés arrivent. Lautner signe un film qui, en réalité, ne parle absolument pas de la guerre, ni de la querelle souvent signalée de façon ironique par Pierre Desproges ("Résistance ou collaboration, il faut choisir"): non, ce film parle d'humanité, justement, du droit de ne pas choisir entre un humain et un autre. Le Docteur Frantz, qui se réfugie derrière le patriotisme et l'honneur militaire, n'est en rien un nazi, par contre pour lui, les résistants sont des terroristes. A dessein, le scénario brouille les pistes du spectateur en nous montrant les résistants se trompant, et détruisant un train de la Croix Rouge, ou encore en montrant les effets des bombardements Alliés sur les villages Normands. On est donc bien loin du Jour le plus long et de son cortège lénifiant et sans équivoque de Français tous résistants...
Au milieu de ce film parfois maladroit (Les dialogues qui véhiculent la comédie font mouche, mais ceux qui se chargent du drame sont d'une lourdeur embarrassante, sauf quand c'est Blier qui parle, bien sur), c'est le Docteur Leproux qui fait office de fil rouge. Ce film est entièrement dédié à la figure d'un homme qui pourrait bien avoir été fusillé à la libération, dont la fille aurait pu être tondue, et qui aurait tout aussi bien pu être qualifié de juste, tant il est au service des autres; à l'officier Allemand qui l'informe que des otages Français pourraient bien être exécutés si quiconque vient au secours de parachutistes Anglais, il annonce être volontaire pour être dans lapremière charette. A aucun moment il ne se compromet, ni ne juge; et lors de son arrestation par des troupes Allemandes composées essentiellement de très jeunes recrues, l'un de ceux qui le mènent à la place du village trébuche, il lui vient aussitôt en aide. Blier, tout en retenue, trouve dans cet étrange apôtre d'un genre bien rare dans le cinéma Français un rôle en or, l'un de ses plus beaux pour autant que je puisse en juger, et Lautner, quelques années avant de franchir le pas en se lançant dans le polar parodique pour le reste de sa carrière, signe un film généreux, profond, et rudement beau.