"Is this, then, the end of Nero?" demande Peter Ustinov-Néron, au moment, justement de mourir. Le côté grandiloquent de la réplique, qui sied bien au personnage, n'échappe bien sur pas aux cinéphiles, qui finissent un peu trop par se concentrer là-dessus et sur pas grand chose d'autre, devant un film qui vaut bien mieux que ça, en dépit de ses défauts. Voire, à cause de ces défauts, justement... Non, je pense qu'on reproche essentiellement à cette grosse über-production de la MGM, d'une part, d'avoir incarné l'esprit triomphant, jugé forcément impérialiste, d'un cinéma Américain qui venait en Europe pour tourner, et d'autre part d'avoir relancé un gengre moribond, le peplum, qui allait faire des petits et pas des meilleurs, inodant bientôt les écrans cinémascope de romains à franges et à jupettes qui parlaient maladroitement en levant la main droite et en se tenant la toge de la main gauche... Et c'est vrai que Quo vadis, dirigé par le pas toujours très adroit Le Roy, est un peu beaucoup ça, avec Robert Taylor en commandant glorieux qui ne comprend rien à rien à la révolte Chrétienne...
Quo vadis, adapté d'un roman Polonais de Henryk Sienkewicz, est un peu un cousin de Ben-Hur, avec encore plus d'adaptations que l'illustre roman de Lew Wallace. Il est situé aux alentours de la mort de l'apôtre Pierre, lors du règne de l'empereur Néron, qui suite à son caprice de bruler Rome, a mis le crime sur le dos des Chrétiens, déclenchant une fureur populaire qui résulta dans l'inévitable massacre, et finalement en la chute de Néron. Il ne m'appartient pas de déceler le vrai du faux dans une action de toute façon concentrée sur quelques jours, et qui passe essentiellement par le truchement du point de vue de Marcus Vinicius (Robert Taylor), soldat Romain amoureux, et de la dame de ses pensées, Lygia (Deborah Kerr), otage de Rome mais élevée chrétienne, et libre, par une famille de Patriciens convertis. Les ingrédients d'un peplum sont tous là, avec un plus qui sied bien au film: tourné à Rome, dans les studios de Cinecitta, il bénéficie d'extérieurs très convaincants, ce qui est une première pour ce genre de films.
Et puis, si on sourit à l'inévitable succession de scènes de révélation, de conversions spectaculaires, de l'exhibition de la brutale folie Romaine d'un côté, des chrétiens dignes jusqu'au bout c'est à dire jusqu'à la rencontre avec les lions, je ne peux m'empêcher de me dire que le film apporte une réalité inattendue aux scènes de supplice, qu'après 1945 on ne peut plus interpréter au premier degré mais comme des témoignages nécessaires de l'histoire humaine dans toute son horreur. En 1951, comment ne pas penser à ce qu'a vécu l'Europe six ans plus tôt? C'est très certainement venu à l'esprit de Sam Zimbalist et Mervyn Le Roy, tous les deux juifs non pratiquants, qui ont traité cette histoire fort sainte en cherchant à l'élever à une hauteur universelle, ce que fera Wyler avec talent huit ans plus tard dans Ben-Hur. Taylor est fonctionnel, la frange volontaire et la sandale énergique, et Deborah Kerr ne peut pas être autre chose qu'exquise. Dans le rôle de Pierre, Finlay Currie porte la toge en atténuant à peine son accent Ecossais, et Le Roy, qui fait certes ici bien son boulot (Bien mieux que dans d'autres films des années 50, et de loin), signe en plus le film de façon personnelle en utilisant Peter Ustinov, désormais monstre sacré, pour le rôle en or de Néron: un monstre qu'on ne peut rendre qu'en en faisant des tonnes, un rêve pour un cabot génial comme Ustinov. Et il a droit à cette fameuse allusion finale à Rico, le héros de Little Caesar du même Le Roy, qui mourait après avoir prononcé, hébété: "Is this the end of Rico?". Une façon de lier par le signe du crime, l'empereur fou de l'antiquité, la mafia Américaine, et les crimes fous des nazis, dans un seul personnage. Et donc finalement, ce message glissé comme en contrebande, de la part d'un metteur en scène qui ne se réveillera plus jamais, finit d'entériner une belle leçon de détournement Hollywoodien.