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  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
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4 février 2015 3 04 /02 /février /2015 17:09

Après la parenthèse nihiliste jouissive mais un peu courte de Mars Attacks!, Sleepy Hollow va redorer le blason de Tim Burton, et lui permettre de faire un film qui est à la fois une synthèse de son oeuvre passée, une ouverture sur l'avenir et la possibilité pour le metteur en scène de mettre son savoir-faire au service de projets ambitieux mais qui ne lui sont pas propres, et une extravagante collection de contradictions assumées et orchestrées de main de maître... Et pour commencer, le film est hérité d'un projet avorté de Francis Ford Coppola, qui s'était lancé à l'aube des années 90 dans une relecture de mythes gothiques passés à une nouvelle postérité par le cinéma: Dracula avait ouvert le bal, avec une vision plutôt baroque et inédite de l'univers de Bram Stoker; inévitablement, un Frankenstein avait suivi, mais la mauvaise réputation du film de Kenneth Branagh a la peau dure, et a sans doute poussé Coppola à revoir ses ambitions... Et Sleepy Hollow, la nouvelle de Washington Irving, est bien différente de ces deux oeuvres séminales: elle met en scène un jeune instituteur, Ichabod Crane, qui est victime de farceurs à Sleepy Hollow, une ville de Nouvelle-Angleterre dans laquelle un fantôme morbide et sans tête est supposé semer la terreur...

Chez Burton, par le truchement du script de Andrew Kevin Walker, l'histoire s'étoffe et devient authentiquement gothique et horrifique, tout en se parant des aspects inattendus du roman policier. Le récit d'Irving a été oublié en 1820, mais Walker situe son film en 1799, à l'aube d'un siècle dont certains visionnaires estiment qu'il apportera à l'être humain l'illumination de la raison. Des meurtres atroces (Des décapitations) sont en effet perpétrés à Sleepy Hollow, mais on ne dit pas tout à Ichabod Crane (Johnny Depp), le détective chargé de l'enquête; il faut dire que la lui confier relève essentiellement du gag! C'est afin de faire taire l'impudent je-sais-tout, obsédé par les méthodes modernes de police scientifique dont ses supérieurs n'ont que faire, qu'il est envoyé au diable résoudre une sombre histoire dans laquelle tout le monde, en ces temps reculés, flaire le parfum hideux et capiteux de la sorcellerie. Et Crane va en effet tomber, à Sleepy hollow, sur une communauté endeuillée par des meurtres dont chacun sait qu'ils sont le fait du fantôme d'un cavalier sans tête, célébrité locale qui s'est tout à coup réveillé pour distribuer du haut de son cheval fantomatique des coups tranchants d'épée au hasard de ses chevauchées... Au hasard? Non, car il apparaît très vite que les victimes sont liées: les notables, liés par un lourd secret, et une famille sont les cibles d'une vengeance qui remonte à loin, très loin...

Les retrouvailles avec Johnny Depp, pour la troisième fois, vont donner lieu à un personnage unique en son genre, que Burton a piloté de loin: à nouveau un personnage en noir et blanc à la vie intérieure contrariée, figure imposée par Burton, Ichabod est un détective efficace et intelligent, mais obsédé par la raison et la raison seule. Ce qui l'a poussé à se débarrasser d'un double héritage traumatique: son père était un pasteur rigoriste, et sa mère une sorcière, et devant l'attrait de la magie, le père avait fini par sévir et tuer la maman d'Ichabod, laissant d'ailleurs au garçon un stigmate étrange. On notera que dans les flash-backs découpés en épisodes, qui correspondent systématiquement à des évanouissements d'Ichabod soit aux moments où il échappe à sa raison pour laisser aller son inconscient, l'outil qui sert au meurtre, a déjà été aperçu dans les greniers de Bruce Wayne dans Batman Returns... Mais ce meurtre originel est pour Ichabod Crane le signal d'abandonner tout lien avec la magie, et de privilégier la raison, pas la religion, en toutes circonstances. Sauf que le personnage, guidé en permanence par sa raison, est aussi un pleutre, qui s'évanouit souvent et affronte le sang (Et il y en a beaucoup) et les cadavres avec répulsion, dégoût, et aussi une certaine lâcheté. De même, il s'attache très vite d'un amour réciproque à la belle Catrina Van Tassel (Christina Ricci) qui elle aussi risque la mort, mais au lieu de la protéger tend à s'en faire un bouclier. L'anecdote contée par le film sera cathartique pour Ichabod, lui permettant de faire la paix entre les deux héritages, la rigueur paternelle et la magie protectrice de sa maman. On notera, pour une dernière apparition (On la reconnaît à peine dans The planet of the Apes, leur dernier film en commun), Lisa Marie en mère sublimée, la seule à avoir le droit d'évoluer dans de franches couleurs chaudes. Pour tout le reste du film, la magnifique photographie d'Emannuel Lubezki fait la part belle aux sous-bois sombres et hivernaux, en couleurs désaturées... Dans lesquels les à-plats de rouge éclaboussent souvent les protagonistes.

S'il emprunte une atmosphère très marquée à des films de la Hammer (Sleepy Hollow a d'ailleurs été tourné en Angleterre, et est une production Britannique de la Paramount bien que sensée se situer dans l'état de New York), s'il ajoute un atout de poids en la personne de Christopher Lee, le juge qui envoie Crane se faire pendre ailleurs, Burton rend quand même à sa façon un hommage vibrant, une fois de plus, au Frankenstein de James Whale, dans ce qui est à mon sens une synthèse très assumée de l'univers baroque du cinéaste. A la fin du film, une confrontation entre la créature et Crane mène à un moulin en flammes, comme dans la conclusion du film de James Whale, et un dialogue insiste sur la notion de façon implicite: quand le moulin s'écroule sur la créature, Ichabod dit: le problème, c'est qu'il était déjà mort. De même, revenu d'entre les morts contre son gré, la créature sans tête superbement interprétée par Christopher Walken semble être le jouet d'une volonté extérieure, mais rira bien qui rira le dernier... Parmi les acteurs Britanniques qui se sont prêtés avec bonne humeur à ce film, on remarquera du beau monde: Michael Gambon, Ian McDarmid, Miranda Richardson... ils sont rejoints par rien moins que Walken, bien sur, Martin Landau, brièvement (Tchac!), et Jeffrey Jones... Bref, on est un peu en famille.

Mais le film célèbre avec un clin d'oeil à sa façon l'imminence d'un changement de siècle, en montrant la lutte de la raison contre la magie, chez un détective qui s'efforce de garder la tête froide ainsi que sur ses épaules; il finit par triompher, grâce à ses appuis nombreux, de la créature, mais on constatera que ce sera après bien des homicides. Et lorsqu'il arrive enfin à New York, flanqué de Catrina Van Tassel devenue sa femme et d'un orphelin qui est entré à son service, on ne peut que remarquer que celui-ci est chargé de tous les paquets du couple, qui baguenaude dans les rues de la grande ville. Un signe discret qui nous indique que si Ichabod Crane se veut le champion de la modernité, il n'en est pas moins un homme de son temps qu'une société à deux vitesses dans laquelle tout le monde est à sa place, ne rebute pas. Et le changement de siècle, pour l'homme qui visait l'avenir de sa profession, mais a été obligé de retourner au plus profond de son inconscient pour affronter la magie, n'apporte finalement pas grand chose... Le film, si: il a montré la maîtrise de Burton pour s'approprier un sujet a priori mal parti, et en triompher. On aurait aimé que cela ne le mène pas au film suivant...

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Published by François Massarelli - dans Tim Burton