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17 février 2015 2 17 /02 /février /2015 08:58
The plumber (Peter Weir, 1979)

"Le plombier", c'est un chevelu, qui travaille pour le réseau d'entretien d'une résidence dans laquelle Jill et Brian, deux universitaires, vivent. Elle est en pleine rédaction d'une thèse d'anthropologie, et lui est maitre de conférence en biologie; Brian postule pour un poste de prestige qui va l'amener à partir pour Genève, et tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes s'il n'y avait... Le plombier, justement. Au départ, il vient pour une visite de routine, et Jill le laisse entrer, un peu inquiète mais confiante dans la nature manifestement tranquille du jeune homme. La première chose qui ne cadre pas, c'est que le dit plombier (Il s'appelle Max) commence par prendre un douche, justement... De plus il se mèle de tout, travaille en faisant énormément de bruit, casse beaucoup, ne répare rien, et finit par envahir tout l'appartement en racontant qu'il a été en prison (Pour viol, dit-il avant de dire que c'était une blague). Et Jill, coincée chez elle, finit par avoir le sentiment qu'on ne peut pas s'en débarrasser...

Le film commence par une douche, ce qui nous aiguille forcément vers une référence à Psycho. Et le plombier Max (Ivar Kants), jeune homme insouciant, vaguement hippie, toujours habillé d'un jean sale, avec ses bouclettes, ferait un Norman Bates assez valide. Mais il me semble que le propos de Weir est ailleurs. On peut aussi constater que le film est situé dans un immeuble plutôt atypique: au milieu d'une agglomération non identifiée, cette haute et massive structure n'est pas sans faire penser à la concrétion géologique située du milieu de nulle part dans Picnic at Hanging rock. Et l'expérience que va vivre Jill (Judy Morris) est à prendre à plusieurs degrés. On ne saura jamais si Max, qui est effectivement un plombier et travaille bien pour l'organisme dont il prétend dépendre, poursuit comme le croit Jill une finalité de destruction psychologique sur sa "victime", et lorsque Brian se renseigne, il apprend qu'en effet, la plomberie de tout l'immeuble, comme le prétend le plombier sorti au départ de nulle part, est à revoir. Mais la clé du film est probablement située dans la tête de Jill, et surtout dans sa perception de ce plombier pour lequel l'adjectif "envahissant" est un peu trop faible... Chevelu, hippie, ancien taulard, au parler direct, franc et vulgaire, se prétendant chanteur folk, impulsif et sans -gène, ça fait beaucoup pour un seul homme, et il semble difficile de le résumer à une étiquette. On ne saura d'ailleurs jamais vraiment qui il est.

Max est bien sur une menace, un violeur potentiel, quelqu'un qui démontre assez souvent qu'il n'a aucun respect pour la propriété, ni pour les gens qui l'entourent: un plombier qui ne fait pas vraiment son travail, et se vexe à la moindre remarque, filant s'enfermer dans la salle de bain ou il grifonne au marqueur des paroles de chanson (Du sous-Dylan), sort une guitare et un harmonica et se met à chanter à tue-tête. Mais il est aussi une sorte de reflet d'une mauvaise conscience résiduelle dans un pays qui ne manque pas de raison de ressentir de la culpabilité. Les deux films précédents de Weir (Picnic at Hanging Rock, The last Wave) étaient tous deux imbibés de mythologie Aborigène, et celui-ci fait parfois allusion en filigrane, à ce vieux conflit qui date de l'arrivée des blancs en Australie: Max le rappelle, certains foyers Australiens, "se méfient des ouvriers comme ils le font des noirs". Une affiche sur une porte dans l'appartement fait la publicité d'une exposition consacrée aux arts de toutes les civilisations. Jill, qui a travaillé en Afrique sur son mémoire, a aussi rapporté de nombreux artefacts venus de cultures Africaines, dont une statuette dédiée à la fertilité. Il est intéressant de constater qu'elle parle avec une aisance non-feinte de cette figurine dotée d'un énorme pénis fièrement exhibé, tout en ressentant un malaise persistant vis-à-vis de la présence de "son" plombier, dont une copine lui fait remarquer qu'elle le lui emprunterait bien. Elle commence aussi le film en rappelant une anecdote tirée de ses expériences Africaines: elle a été une nuit 'envahie' dans sa tente par un sorcier, qui est resté toute la nuit, sans rien lui faire de mal. Mais elle a eu peur, très peur...

Mais Max, qui est considéré par Jill au mieux comme une gène, au pire comme une menace, est aussi très disert sur les différences de classe. Il le dit dès le départ, il apprécie de pouvoir discuter avec elle d'égal à égal (Ce qu'il lui a imposé, mais passons) alors que tant de gens maintiennent à l'gérd de sa classe un dédain affiché... Consience de classe, permanence de la lutte sociale, symbole (Bien que blanc) de la mise à l'écart d'une certaine partie de la population, Max est tout ce que semble rejeter Jill, et elle devra avec lui user de grands moyens pour finir enfin par se débarrasser de lui. On notera d'ailleurs que Jill est une femme "au naturel", durant les trois quarts du film, contrairement à sa copine Meg qui se maquille à la mode de l'époque. Mais à la fin du film, c'est en femme parée qu'elle accueille Brian: sa vengeance sur le plombier est en marche...

Tourné pour la télévision Australienne en 3 semaines, avec des acteurs de feuilleton rodés à l'exercice du tournage rapide en matériel léger, c'est surprenant de voir que ce film est si réusi, d'autant qu'il s'agissait essentiellement pour Weir de sortir d'un contrat. On a vu le résultat, puisque dès le film suivant le réalisateur s'est senti pousser des ailes, avec l'ambitieux Gallipoli... Mais son petit film de suspense inattendu qui tourne autour d'une salle de bains ou pas grand chose arrive vaut bien mieux que ce destin de bouche-trou qui lui était out tracé! Les multiples niveaux d'interprétation, la parenté inévitable avec les trois films de long métrage précédents, l'aliénation et la quasi-captivité de Jill, otage d'un plombier dont elle ne sait même pas vraiment ce qu'il est venu faire chez elle, et qui casse tout, le retour à l'esprit de parabole rigolarde qui était déjà l'apanage de The cars that ate Paris... la richesse de ce film de 77 minutes vite-fait-bien-fait n'est pas à démontrer.

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Published by François Massarelli - dans Peter Weir