L'Abysse, comme le film est appelé en France, est le premier film de Urban Gad avec Asta Nielsen, tourné au Danemark. Paradoxalement, le couple ne va pas attendre avant de répondre aux sirènes de l'écran Allemand, puisqu'ils vont partir tout de suite après l'immense succès obtenu par ce film... L'essentiel de leur carrière commune sera donc faite en Allemagne, mais l'un et l'autre resteront indissociables du scandale de ce premier film, qui en 1910, à une époque durant laquelle les films commencent à s'allonger et la narration quitte les conventions des studios, semble revendiquer une place de premier plan pour le cinéma Danois: il est le plus spectaculaire des mélodrames naturalistes et sensuels, spécialité locale...
Un jeune homme, fils de vicaire, rencontre sur un tramway en plein Copenhague une jeune femme, professeur de piano, dont il tombe tout de suite amoureux. Leurs rencontres se font de plus en plus fréquentes, et un jour Knud (Le jeune homme, interprété par Robert Dinesen) invite Magda (Asta Nielsen) à se joindre à sa famille qui se rend à la messe. Elle le concainc de l'accompagner au cirque, et lors de a journée, se laisse aller à danser de façon provocante avec l'un des artistes. Durant une nuit, l'un des forains vient la chercher, et elle s'enfuit avec lui, et devient partie intégrante du spectacle, avec une danse particulièrement lascive... Pourtant, l'aventure avec le beau ténébreux (Poul Reumert) tourne court: il a tendance à flirter avec toutes les danseuses qu'il rencontre, et la jalousie s'installe bien vite pour Magda...
Dès le départ, le nauralisme du film est frappant, surtout au regard de ce qui se mijotait à l'époque dans les deux seuls pays capables de rivaliser avec le cinéma danois, l'Italie et la France: la rencontre entre Magda et Knud est saisie sur le vif, dans un vrai tramway, au milieu des vrais gens. Les nombreuses scènes d'extérieur sont tournées à même la rue, et respirent la vie; elles sont autant de témoignages émouvants plus de cent ans après d'une Copenhague révolue. Mais le jeu des acteurs, dans l'ensemble, suit cette tendance au naturalisme, et Asta Nielsen paie de sa personne en permanence: on sait que le film est surtout célèbre pour avoir été censuré aux Etats-unis en raison de l'incroyable sensualité d'une scène de danse, et à la voir aujourd'hui, on comprend: Poul Reumert est au milieu d'une scène, ligoté debout par Asta Nielsen. celle-ci se frotte tout autour de lui, en s'attardant en particulier sur certains endroits, et lui tourne autour durant 3 bonnes minutes! Une autre scène, durant laquelle les amants maudits s'affrontent au terme d'une jalousie trop aiguisée, semble avoir été interprétée avec une violence pas si simulée que ça... Le film suit, bien sur, un canevas mélodramatique qui fait toujours triompher le bon droit, ou à défaut mourir les pécheurs, mais en attendant il nous gratifie d'un spectacle qui a du sembler révolutionnaire à plus d'un Européen en ce début d'une importante décennie pour le cinéma danois.