Sorti en Egypte en 2010, ce film part d'une anecdote qui avait plus ou moins défrayé la chronique il y a quelques années: une jeune femme victime d'une agression avait porté plainte en insistant sur le caractère sexuel de l'agression dont elle avait été la victime. Elle était la toute première femme en Egypte à le faire. D'où l'idée de ce film qui mèle trois parcours de trois femmes, symboliquement très différentes les unes des autres, séparées par leur niveau social, leur culture, et la façon dont elles cultivent leur apparence.
Fayza (Boushra), voilée, est une musulmane assez conservatrice, et elle est mariée à un homme assez traditionnel. Ils vivent dans un quartier défavorisé, et fait des sacrifices pour pouvoir assurer une éducation decente à ses enfants. Mais elle est obligée de prendre des taxis, car le bus est un lieu malsain pour les femmes comme elle: elles ont à subir les attouchements des hommes, qui profitent de l'affluence pour avoir les mains (Et plus parfois) baladeuses. Ils ont même mis au point la "technique du citron": se mettre un petit citron dans la poche, et se frotter. Si la femme se plaint, on prétend avoir oublié le citron dans la poche, si elle ne se plaint pas, on peut y aller carrément...
Seba (Nelly Karim) est une jeune commerçante indépendante, mariée à un jeune obstétricien. Aisée, elle se rend avec lui à des matches de football, et un soir, lors d'un match gagnant pour l'Egypte, elle va subir des tripotages lors des débordements de foule. Elle réagit d'une façon que son mari trouve disproportionnée: elle se lance dans des cours d'auto-défense pour les femmes, qu'elle réussit à médiatiser. Fayza sera l'une de ses "élèves", allant jusqu'à utiliser des épingles et des canifs pour faire valoir ses arguments dans le bus.
Enfin, Nelly (Nahed el-Sebai), une jeune femme de culture occidentale, subit un jour une agression violente et inattendue: un homme au volant d'une voiture s'accroche à un de ses pendentifs et s'amuse à la trainer sur plusieurs mètres. Elle va porter plainte, ce qui déclenche une réaction d'étonnement généralisé. Plus grave, elle n'obtient pas le soutien de sa famille, aux idées pourtant très avancées. Les trois femmes vont inévitablement se rapprocher, et organiser symboliquement une sorte de résistance. Pendant ce temps, le mari de Fayza, Adel (Basem el-Samra), ne comprend pas que sa femme se refuse à lui ("Pourquoi crois-tu que je me suis marié?", plaide-t-il!), et l'inspecteur Essam (Maged el-Kedwany) voit avec un mélange d'agacement et d'amusement se multiplier les agressions contre des hommes sur la ligne de bus 678...
Le ton oscille entre l'urgence quasi-documentaire (Même si la façon dont Diab orchestre les rencontres et les liens dramatiques entre les trois histoires d'une façon chorale qui renvoie à la méthode d'Alejandro Gonzales Inarratu, en utilisant beaucoup la caméra portée à l'épaule et un montage de guerilla!) et un ton de comédie, ce qui est troublant; le ton est à la comédie (Notamment grâce à la prestation époustouflante de Maged el-Kedwany, qui interprète son inspecteur de police d'une façon qui permet de nous raccrocher à son point de vue, et qui met les actions des trois femmes en perspective: elles sont arrêtées, mais aucunes de leurs "victimes" n'a porté plainte, et pour cause. Du coup, il soutient leur combat à défaut de leurs actions)... Mais le propos reste dramatique: le film est une radiographie de la société Egyptienne, tout tournant autour des données des relations hommes-femmes: rapports sexuels mécaniquement réclamés par le mari tous les soirs, droit de tout faire et de tout tenter vis-à-vis de la femme qui se trouve face à soi, impunité assumée avec arrogance par la plupart des hommes, conception de l'honneur qui fait que toute femme victime d'un viol attire sur elle et sa famille l'opprobre, que toute femme qui se présente dans la rue se trouve par avance coupable des attouchements dont elle pourrait être la victime. Une société dans laquelle une femme enceinte arrive au bout du découragement devant la multiplication de ses enfants mâles, dans laquelle un fonctionnaire de police se ferme à la seule évocation d'une plainte pour agression sexuelle. Dans le film, Nelly se présente à la télévision pour médiatiser sa plainte, et les appels l'accusant de tous les vices vont se multiplier durant l'émission.
Mais ce qui est finalement le plus troublant, c'est cette réflexion de Seba, qui accuse Fayza, voilée, non maquillée et soumise, de laisser faire par ses valeurs traditionnelles, rappelant qu'il n'y a pas si longtemps, les Egyptiennes portaient des jupes courtes, sans qu'il ne se passe la moindre émeute. Le film ainsi rappelle que rien n'est inéluctable et que le "retour à l'ordre moral" est toujours tapi dans un coin, que ce soit en Egypte d'avant la révolution, en Egypte d'après la révolution, ou dans des pays Occidentaux dans lesquels les agitateurs religieux de tous poils sont prèts à aller défendre les idéaux moyen-âgeux dans la rue. Il serait absurde d'imaginer que les violences faites aux femmes ne soient liées comme le prétendent quelques charlatans politiques à une seule culture, un seul pays ou une seule religion. D'où l'intérêt d'un tel film, qui est d'ailleurs sorti en Europe en 2012, ce qu'on ne peut pas dire de beaucoup de films Nord-Africains.